Quel politique indépendante pour la France au Moyen Orient ?

Philippe de SAINT ROBERT, économiste et Politologue. Membre de la Fondation Charles-de-Gaulle. Il est le fondateur et président de l’Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française (ASSELAF), qui publie la revue Lettre(s) et qui a participé à la création de Le Droit de Comprendre. Il préside annuellement l’Académie de la Carpette anglaise et est également président du « Jury des Nouveaux Droits de l’homme ».
L’impasse où s’est engagée la diplomatie française dans tous les domaines est devenue une évidence pour tous, notamment dans sa politique proche-orientale. C’est l’ancien
Secrétaire général du Quai d’Orsay, Francis Gutmann, écrivait récemment : « La France était un acteur majeur sur la scène mondiale. Quoi qu’il nous plaise de croire, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La France se caractérisait par son indépendance et son intelligence des situations. Elle n’a plus de vision en propre du monde. Si ses intentions sont souvent généreuses, elle définit sa politique moins par rapport à ce qu’il est qu’en fonction de ce qu’elle souhaiterait qu’il fût. Elle ne cherche pas à anticiper, elle réagit au coup par coup. » La dernière manifestation significative de notre politique internationale remonte à 2003, lorsque Jacques Chirac s’opposa à la seconde agression américaine en Irak : si elle eut lieu, elle dut passer outre au refus du Conseil de sécurité de la légitimer. On connaît aujourd’hui les effets de cette folie.

Le désengagement de notre politique et de ses fondamentaux commença peu après, avec le retour inapproprié de la France dans l’Organisation militaire du Pacte atlantique, puis avec notre lamentable expédition en Libye, où notre action parvint même à outrepasser un mandat arraché à l’ONU, mandat qui ne nous donnait aucun droit de procéder à une intervention au sol et à l’assassinat d’un dirigeant en fonction. On sait les conséquences tant de l’intervention en Irak que de l’intervention en Libye.

François Hollande et Laurent Fabius ont malheureusement mis leurs pas dans ceux de leurs prédécesseurs. Syndrome de Suez, néo-atlantisme, que sais-je ? Notre rupture diplomatique avec la Syrie allait à l’encontre de toutes nos traditions diplomatiques : à la différence des Etats-Unis, nous avons toujours reconnu des Etats et non des régimes ; il s’agissait donc d’un alignement de plus, qui aujourd’hui nous coûte cher dans le domaine des renseignements et de notre présence aux négociations. Pire, l’Exécutif français a couvert et soutenu toutes les initiatives guerrières de l’Etat d’Israël, pour se présenter ensuite en négociateur récusé.

Comment feindre d’ignorer voire de récuser que le conflit israélo-palestinien est à l’origine et nourrit un désordre sanglant qui, de la région, s’étend au monde entier, et aux politiques intérieures des Etats ? Laurent Fabius, rendons lui cette considération, avait tenté une ultime démarche qui avait au moins une sanction à la clef : la reconnaissance par la France de l’Etat palestinien en cas d’échec du processus engagé. Son successeur a tôt fait de faire sauter la clef au vu des protestations de Benjamin Nétanyahou, qui n’a même pas crédité, en le recevant, Manuel Valls de son sionisme inconditionnel.

Il faudrait peut-être revenir à la fameuse Déclaration de Venise, conclue fin 1980 par les Neuf qui composaient alors la Communauté européenne et qui visait à découpler la politique de l’Europe de celle des Etats-Unis. Accord qui fut malheureusement dénoncé par François Mitterrand dès son élection. Aller ensuite prêcher, et d’autres après lui, à la Knesset pour la création de deux Etats, se ramenait à des vœux pieux compte tenu du réalignement de l’Europe sur la politique américaine. Quel Etat palestinien est-il encore possible dans l’état d’occupation et de colonisation permanentes de la Palestine ?

Revenons au projet Fabius de conférence internationale que nous venons d’évoquer. Il est vrai que l’Union européenne vient, ce 20 juin, de donner son aval à la démarche française au grand dam de Nétanyahou. Mais c’est lui, le problème et la majorité, qui ne se fragmente toujours pas qui le soutient, ainsi que les nouveaux bruits de bottes (c’est un euphémisme), que la nomination à la Défense de Lieberman semble bien annoncer.

L’imbécile querelle qu’on nous fait en feignant de confondre toute opposition à la politique sioniste telle qu’elle se présente depuis près de dix ans, avec la résurgence de l’anti-sémitisme, est un scandale sémantique. Nous savons parfaitement qu’il existe en Israël, et même jusque dans la sphère la plus haute de l’armée, comme on vient de le voir, des réticences, voire des oppositions à cette politique qui ne respecte ni les droits de l’homme (internements administratifs, exécutions extra-judiciaires, …) ni les droits de la guerre, comme on l’a vu lors des récentes répressions à Gaza. Nétanyahou et Lieberman sont des personnages qui trahissent non seulement toutes les chances de la paix, mais les intérêts mêmes de leur pays.

Les Américains, qui non seulement ont capitulé diplomatiquement, mais ne cessent d’encourager militairement l’Etat d’Israël à n’accepter aucun compromis, aucune négociation réelle, portent de toute évidence une responsabilité accablante dans la situation actuelle. Nétanyahou a proposé à Valls de remplacer la conférence internationale suscitée par Paris par une rencontre en tête-à-tête entre Mahmoud Abbas et lui-même à Paris. C’est une plaisanterie cynique. A quoi rimerait en effet une négociation du fort au faible entre Israéliens et Palestiniens, sans le moindre arbitrage ni la moindre garantie internationale ? Personne n’y peut croire. Cela n’a aucun sens, qu’un refus obstiné de la paix de la part d’une des parties, que j’invite, ainsi que les dirigeants de notre diplomatie, à relire la conférence de presse du général de Gaulle du 27 novembre 1967 dont je me permets de rappeler les termes de la mise en garde qu’il fit le 24 mai 1967 à Abba Eban : « Je ne doute pas que le cas échéant vous remporteriez des succès militaires, mais, ensuite, vous vous trouveriez engagés sur le terrain, et au point de vue international, dans des difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une tension déplorable et d’avoir des conséquences très malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que c’est à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à peu les inconvénients. » Le Général soulignait ensuite qu’Israël organisait « sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Le Général ajoutait alors : « Il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut avoir de solution, sauf par la voie internationale. » Quelle autre voie pourrait suivre aujourd’hui la France ?

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