QUEL RÔLE POUR L’EUROPE DANS LA GESTION DES CRISES AU MOYEN-ORIENT ?

Ali Rastbeen

DANS LE CONTEXTE ACTUEL du Moyen-Orient, où la violence de tout bord domine l’espace public et où les liens nationaux sont de plus en plus distendus, penser la gestion des crises dans cette région implique des réflexions profondes et rationnelles. La résolution d’un conflit se définit par une opération politique, sociale, économique, voire culturelle, qui en substituant une pluralité analysable à un ensemble complexe d’éléments entremêlés, parvient à le surmonter. Lorsqu’on parle de conflits, il convient de définir ce concept, car la littérature consacrée à l’étude des conflits, fait habituellement une importante distinction entre conflit et crise. Selon Zartman, « un conflit se référera au litige qui sous -entend les heurts entre les intéressés et crise au passage actif aux hostilités armées »!. Bien que la crise évoque souvent une montée soudaine de la violence sur une période courte, elle pourrait évoluer vers un conflit armé. Pour éviter un sens limitatif au concept de « crise » Zartman considère que le terme crise « s’appliquera à des litiges pro­longés comme la guérilla sahraoui ou même la crise libanaise. Il est tout de même important d’opérer une distinction entre la gestion et la résolution.

Dans un contexte politique, la résolution admet une maturité politique mais consiste à repenser l’ordre sociopolitique défait et devient un processus de prise de décision, comme le suggère le dernier rapport Baker-Hamilton. La résolution ouvre t-elle une compréhension de la société, de son fonctionnement dans le conflit ou conduit elle à l’énigme, et à la définition seule du conflit et du statu quo ante ? Le conflit est la base de la thématisation du social, et facteur de désintégration des rapports sociaux. Cette thématisation relève d’une interrogation sur la nature déterminant le conflit en tant que phénomène social normal au même titre que la régression des règles et la rupture avec l’ordre antécédent. Le conflit est un facteur de destruction et de désintégration, ainsi, que d’innovation et de créativité d’un nouvel ordre. Un conflit selon Johan Galtung2 est définit ainsi: « Un conflit a son propre cycle de vie, presque comme quelque chose d’organique, il apparaît, atteint un émotif, meme la violence extrême, diminue alors, disparaît et souvent réapparaît. Il y a une logique : les individus et les groupes (tels que les nations et les Etats) ont des buts : les buts peuvent être incompatibles »3.

Le conflit désigne une opposition d’intérêts qui ne mène pas nécessairement à l’affrontement armé. Lorsque ce dernier évolue vers l’affrontement par l’instrumen-talisation de la violence, il se confond souvent avec la guerre. Ainsi, notre étude consiste à comprendre la violence comme instrument et enjeu politique au Moyen-Orient. L’enjeu majeur du conflit dans cette région a deux dimensions, l’une po­litique qui vise le contrôle des Etats et l’autre à adapter la région aux stratégies de puissance. Cependant, l’obstacle est constitué par la polarisation qui a un rôle moteur dans le durcissement des objectifs des acteurs du conflit, et demeure forte­ment dépendante des données démographiques et culturelles. Elle aspire là ce que les communautés puissent jouir chacune en ce qui la concerne, d’un gouvernement qui lui soit propre, constitué de caractéristiques identitaires.

Les liens qui souvent symbolisent le progrès, ne font que démontrer et raviver l’antagonisme intercommunautaire dans lequel les vieilles querelles intestines sont instrumentalisées. Depuis l’invasion de l’Irak, nous assistons au cycle de la théorie des dominos, largement exploité par les néo-conservateurs comme un élément fon­damental de leur stratégie au Moyen-Orient. A travers l’implantation de la démo­cratie en Irak le même changement s’opérera dans les pays voisins jusqu’à la dispa­rition des régimes autoritaires. L’exécution rapide de Saddam Hussein pour le seul chef d’inculpation dans le massacre del48 chiites du village de Doujail en 1982, témoigne de la nécessité urgente de mettre fin à cette période où le régime baathiste irakien consolidait les intérêts occidentaux dans la région, malgré la réticence et les appels de la communauté internationale à la retenue pour l’équité du procès4. L’image a une symbolique forte en période de crises, l’exploitation des images de son exécution a ravivé d’une part, un sentiment de vengeance et de soulagement des victimes de l’ancien Rais, mais d’autre part, elle porte une vision sur le devenir de la région. Cette crise, qui en suit une autre, remet en cause l’ensemble des principes fondamentaux de la démocratie et des droits humains. L’Europe tout en condam­nant la peine de mort s’interroge sur le devenir de cette poudrière où la complexité de la coopération est inextricablement mêlée aux actions militaires américaines.

Cette logique des dominos où l’Irak n’est pas le seul pays visé par la stratégie américaine, l’Iran, la Syrie, et le devenir du Liban et du Proche-Orient sont soumis au triptyque stratégique américain dissuader, défendre, défaire5.L’Union européenne et ses Etats-membres contribuent au règlement des conflits de façon différente que celle de leur partenaire américain avec en vue la promotion de la démocratie. Quel rôle pour l’Europe dans la gestion des crises et résolution des conflits au Moyen-Orient, quels partenaires moyen-orientaux légitimes, souverains et définis sont en mesure de coopérer avec l’Europe dans l’élaboration d’un bon voisinage et d’une politique de coopération équilibrée ?

L’Europe et l’évolution de l’environnement sécuritaire

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le rétablissement de la paix devint la principale aspiration des peuples. Malheureusement, elle ne fut pas instaurée de manière solide et durable. L’explosion des deux bombes atomiques sur Hiroshima et sur Nagasaki marqua l’événement le plus atroce survenu à la fin de la Seconde Guerre mondiale, renforçant la nécessité de l’instauration et du maintien de la paix dans le monde.

La création des Nations unies visait l’instauration de la paix et la prévention de tout conflit dans le monde. Mais, l’Onu a été incapable d’assurer la paix mondiale, car face à une évolution sociale et politique inéluctable, les grandes puissances im­posaient toujours de nouvelles exigences, pour la réalisation desquelles elles n’hési­taient pas à recourir à la violence.

Pour un bon nombre, les guerres du XIXe et du XXe siècles étaient de nature coloniale. Les efforts internationaux entrepris pour y mettre un terme furent vains. Ils jouèrent simplement le rôle d’un arbitre dans un match de boxe qui ne fait que superviser le déroulement du combat. Pour mettre un terme aux guerres coloniales, les instances internationales auraient dû exercer des pressions sur les colonisateurs afin qu’ils mettent un terme à leur politique d’expansion.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on assista, pour la première fois, à des conflits entre les colonisateurs d’antan et les mouvements anti-coloniaux. Or, cette stratégie ne fut pas fructueuse. Au fur et à mesure, les colonisateurs s’y adaptèrent par le biais du néocolonialisme, autrement dit d’un nouvel ordre international.

La guerre comme stratégie d’expansion économique et géopolitique a toute une évolution structurelle et temporelle. La guerre civile en Chine et la participation des forces américaines, la guerre d’Indonésie et la guerre de Corée sont de multiples exemples ayant influencé les guerres de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique. Les Etats-Unis se sont engagés dans la guerre de Corée en se rangeant derrière la bannière de l’ONU, ce qui a engendré le déclenchement de conflits entre les Etats-Unis et l’URSS à l’époque du système bipolaire. L’Europe aussi a été l’objet d’une modifi­cation géopolitique. Sa délimitation s’est concrétisée en Allemagne. En Asie de l’est, l’ONU et le front communiste se sont dressés face à face. Cette guerre froide, qui avait divisé l’Europe en Est et en Ouest, a attisé les mouvements révolutionnaires, tout en minant et menaçant le capitalisme et le libéralisme.

Après la Seconde Guerre mondiale, le maintien de ce système désintégré était impossible sans la présence militaire des Etats-Unis et leur soutien économique. La guerre civile en Grèce, la présence de la flotte américaine à l’approche des côtes ita­liennes, les conditions difficiles en Belgique montraient bien que l’opposition entre les deux pôles était inévitable.

Les Etats-Unis ont contribué techniquement et financièrement au développe­ment militaire de l’Europe de l’Ouest et c’est ainsi que les révolutions intérieures ont été endiguées. Or, dans le domaine du partage des profits de l’ère coloniale, les conflits ont perduré : d’une part entre les puissances européennes et leur allié américain, de l’autre avec les pays du bloc de l’est et enfin avec les pays colonisés. Le néocolonialisme, définit l’expression « Tiers Monde », comme principal facteur d’insécurité mondiale6. Même après la désintégration du bloc de l’Est, la tension n’a cessé de persister. Le système marqué par l’existence d’une seule puissance s’est imposé comme un nouvel ordre et l’Occident a multiplié sa pression sur le Tiers Monde et y a renforcé sa présence. Aujourd’hui, il n’est vraiment plus question du « Tiers Monde » mais plutôt d’un nouveau remodelage du monde au sommet duquel se placent les Etats-Unis qui imposent leur hégémonie. Ce remodelage a été planifié en fonction de facteurs économiques et non géographiques. Le remodelage constitue des cycles de crises permanentes et s’accompagne du massacre des popu­lations dans les pays africains qui forment, par ailleurs, les contingents des pays membres de l’ONU.

Les crises profondes au Moyen-Orient et en Asie centrale, sont les conséquences directes de la stratégie et des ambitions de Washington traduites par l’intervention américaine en Irak7, et la guerre en Afghanistan. Les tensions croissantes au Moyen-Orient et l’injuste conflit entre Israël et les Palestiniens qui a entaché l’histoire de l’ONU sont des exemples concrets des dérives néfastes de la politique américaine à travers le monde.

L’instauration de la paix nécessite la disparition de ce nouvel ordre et l’éta­blissement d’un système égalitaire sous la tutelle de l’ONU. Aussi longtemps que les Etats-Unis, fiers de leur puissance militaire, se permettront d’envahir des pays comme l’Irak malgré les protestations des sociétés civiles du monde entier et déci­deront du sort des pays, membres fondateurs de l’ONU dans la région, comme : l’Egypte, la Turquie, le Liban, l’Arabie Saoudite, le Yémen ainsi que les Emirats arabes unis, Oman etc. Et tant que la guerre continuera en Afghanistan, les piliers de la paix seront fragiles.

Pour parvenir à la paix dans cette grande région visée actuellement par les pro­jets politiques et stratégiques de Washington, il faut mettre un terme à la guerre que les Etats-Unis attisent constamment en Palestine et à la présence des bases militaires occidentales. Sans le retrait des forces américaines et de toute autre puissance des eaux et des territoires du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, sans l’implantation d’une zone de sécurité dans l’Océan indien et dans le golfe Persique s’étendant jusqu’au canal de Suez et sans la coopération et la solidarité des pays voisins, bien évidemment sous l’égide de l’ONU, visant à assurer la sécurité et à interdire la présence de toute arme de destruction massive, la paix ne pourra pas être instaurée dans cette partie du monde8.

La présence des Etats-Unis dans cette région est un feu vert pour toute autre puissance désirant y déployer ses forces. Ceci montre bien que l’objectif principal est de déstabiliser la sécurité et encourager les pays à recourir à la « paix armée ». L’agression de l’Irak contre l’Iran durant 8 ans, en est la preuve. Or, la paix armée, avant même d’engendrer des conflits entre les pays de la région, instaure un climat de terreur et de pression tout en violant les droits démocratiques. Ce sont les mar­chands d’armes qui contribuent à la répression de la liberté dans des pays ayant déjà souffert du colonialisme. Les mutations géostratégiques majeurs dans la région nécessitent un nouveau regard sur le rôle de l’Europe dans la stabilité de la région. Un acteur central de la construction d’un espace commun de coopération écono­mique, politique et culturelle, nécessaire face aux défis auxquels les deux entités sont confrontées.

L’Union européenne face aux crises à venir et leurs solutions multilatérales

Depuis les attentats du 11 septembre, de la guerre en Afghanistan puis en Irak, la spirale des crises ne cesse de bouleverser le Moyen-Orient, devenu le paradigme de la démocratisation américaine. Cependant, les défis à relever dans cette région ne peuvent en aucun cas se substituer à la présence américaine et l’Europe, forte­ment attachée à une évolution équilibrée des relations internationales, tente de s’impliquer dans un processus américain fortement hostile à sa vision du modelage de la région. Néanmoins, la collaboration a aussi son côté noir, qui est l’anathème des principes progressistes : travailler contre sa propre société. En d’autres mots, la trahison et la sédition peuvent troubler la coopération. A l’heure actuelle, le Moyen-Orient témoigne des échecs des stratégies américaines basées sur le choc des civilisations et de la lutte contre le terrorisme islamiste. Cet échec relate d’une longue histoire de la volonté de domination en utilisant différentes stratégies. Toutefois, cet échec résulte de ces mêmes stratégies de domination et de modifi­cation des frontières. Faute d’une révolution pleine et entière qui fasse surgir ses propres institutions et ses propres dirigeants, la chute du régime irakien entraînera un interrègne conflictuel. L’éclatement d’une révolte spontanée, immédiatement après – ou même avant, l’atomisation et l’appauvrissement de la culture politique rendent en revanche pratiquement impossible une issue réellement révolutionnaire et qui pourrait remettre l’Etat irakien sur des bases saines. Plus d’une décennie de sanctions dévastatrices et trois décennies d’un régime tyrannique ont fait des ravages parmi les couches instruites, dites moyennes, dont auraient pu émerger de nouveaux dirigeants éclairés. Après cette longue période de souffrances indicibles pour des millions d’Irakiens, les forces sociales irakiennes seront mises à l’écart et le pays sera englouti dans la logique de la violence politique et islamiste, l’éloignant ainsi de tout processus de transition et d’accalmie.

S’interroger sur l’existence d’une politique européenne de gestion civile des crises et de résolution des conflits signifie, principalement, se pencher sur la ques­tion de la vision que porte l’Europe quant à la conduite de ses relations interna­tionales. L’Europe est confrontée au niveau interne et au niveau externe , à deux types de conflits asymétriques, à savoir les conflits internes qui surgissent au sein de l’espace européen, et les conflits extracommunautaires qui se déroulent en dehors des frontières européennes. Dans quelle mesure l’approche européenne vis-à-vis du Moyen-Orient agité par plusieurs conflits et crises, contribue t-elle à l’élaboration de sa politique de gestion civile des crises et de résolution des conflits ? Sur quelle base l’Europe construit-elle ses relations avec les parties en conflit ; quels moyens utilise-t-elle ; et à quel objectif aspire-t-elle ?

L’efficacité de l’action européenne dans un contexte régional et international où plusieurs partenaires occidentaux jouent un rôle primordial dans la recherche d’une solution par une implication directe ou indirecte et par leur rôle paradoxal, à savoir l’implication directe dans le conflit. Le niveau de l’évolution de la construc­tion européenne a renforcé son action politique interne auprès des acteurs euro­péens et par un système de politique étrangère et de sécurité commune auprès des acteurs extérieurs, l’Europe agit ainsi comme acteur régional et international. En parallèle, l’économie et l’aide humanitaire contribuent largement à son action en matière de gestion des crises et de résolution des conflits.

Les conflits qui éclatèrent dans les Balkans sont un excellent exemple des défis pour une Europe puissance ainsi que pour le développement de son approche de gestion des crises. Les Balkans représentent en effet un laboratoire d’Europe où plusieurs peuples, religions et cultures sont représentés sur un territoire de quelques milliers de kilomètres carrés. Cet espace avait permis de voir les conséquences dé­sastreuses de l’utilisation des différences ethniques et de leurs instrumentalisation par des stratégies de division nationale et de relance des querelles intestines. Les différences que certaines puissances politiques tentent de renforcer visent une prise de pouvoir.

Nous nous interrogeons sur le rôle de l’Europe dans cette période où le projet américain de remodelage de la région ne cesse d’accroître les crises, et d’intensifier la violence. Lorsque l’Europe adopta le traité de Maastricht en 1993 qui prévoyait une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), elle s’est donnée un nou­vel instrument diplomatique lui procurant la possibilité d’avoir une action plus globale, plus cohérente et précise au Moyen-Orient.

Le dynamisme de la construction européenne conduit les Etats de l’Europe à reprendre conscience de cet espace et à édifier une politique européenne de coopé­ration et de développement dont l’objectif est certes, la paix, la stabilité et la sécurité mais aussi la démocratisation de la région pour fin principale. Ainsi, l’Europe voit son rôle se concrétiser et acquérir plus de poids au Moyen-Orient et surtout au Proche-Orient. Le lancement du processus de paix à Madrid en 1991 et la signa­ture des accords d’Oslo en 1993, étaient les prémisses d’une politique qui s’infiltre davantage dans les efforts internationaux visant la mise en place d’une paix juste et globale.

L’Europe œuvre en douceur à développer une stratégie d’influence par sa pré­sence économique et humanitaire. L’Union européenne est devenue le premier bailleur de fonds du peuple palestinien. Néanmoins, un risque énorme surgit : l’Europe tombée dans le piège de l’assistance financière qui pourrait l’éloigner de ses ambitions d’avoir un rôle politique dans la région. Le fondement de sa politique devrait être le développement de la démocratie, la défense des valeurs universelles, des libertés individuelles, le maintien du dialogue avec les Etats du Moyen-Orient nécessaire à la solidarité entre les peuples des deux régions. Les institutions euro­péennes tentent d’assurer la présence de l’Europe dans des secteurs vitaux et créatifs d’une interdépendance vitale à la continuité politique dans la région. Le renforce­ment du dialogue, l’accroissement d’échanges commerciaux et le développement d’une coopération régionale garantissent la paix et la stabilité de la région.

L’Europe intensifie ses activités diplomatiques pour une solution politique des crises survenues dans la région, elle devient membre du quartet (UE, USA, Russie, ONU) forum visant à la reprise des négociations pour le règlement du conflit is­raélo-palestinien. Elle maintient un envoyé spécial au Proche-Orient. Elle participe également aux négociations avec l’Iran sur son programme nucléaire. Les différents programmes de coopération initiés par les nations-cadres constituent également des pôles stratégiques créant ainsi une influence réelle au Moyen-Orient.

Enfin, l’Europe, acteur central de la stabilité au Moyen-Orient demeure con­frontée à de nombreuses difficultés. L’omniprésence américaine dans la région l’oblige à devenir un acteur de second rôle. Les divergences de perception quant à la résolution du conflit israélo-palestinien entre l’Union européenne et son allié transatlantique sont plus qu’évidentes. Sa force réside encore dans ses Etats mem­bres dont chacun agit unilatéralement. Les pays européens étaient convaincus que la dimension économique et financière constituait la clef de voûte de la stabilité de leurs voisins du Sud, mais la difficulté majeure se situe au niveau structurel et con­joncturel : les acteurs de la PESC sont nombreux et disparates, ce qui rends la diplo­matie européenne peu cohérente devant celle des Etats-Unis. La situation actuelle au Moyen-Orient présente des caractéristiques compliquant la mise en œuvre d’une politique étrangère solide. La chute du bloc soviétique avait permis aux Etats-Unis de jouer un rôle central au Moyen-Orient, soutenu par Israël, acteur se considérant comme une part de l’Europe en plein Moyen-Orient mais d’une Europe atlantiste.

Cette stratégie va à l’encontre de la diplomatie européenne, gardant le protagoniste américain à l’avant-scène et l’Europe communautaire éloignée des rouages de la politique moyen-orientale.

La priorité de l’Europe au processus de démocratisation, qu’elle tente de déve­lopper à l’aide d’une revalorisation de la transition économique et d’une coopéra­tion économique et politique, demeure inéluctablement la culture européenne de gestion des crises. Devant la multiplication des acteurs stratégiques dans la région, et l’influence des puissances militaires et économique, l’Europe poursuit le ren­forcement de ces capacités d’action et de son potentiel économique. Elle s’affirme comme un pourvoyeur majeur de la stabilité au Moyen-Orient.

Une stratégie à trois, l’Iran, l’Amérique et le troisième acteur

Le 6 décembre et après quelque neuf mois d’études importantes, le compte ren­du du groupe de recherches sur l’Irak nommé « Le Groupe d’Etudes de l’Irak »9 a été publié. Ce compte rendu a pris forme le 15 mars 2006 au Congrès américain et avec le grand lobby « Frank Wolf », le représentant républicain de l’Etat de Virginie sous condition de l’accord et de la collaboration des démocrates Wolf, le directeur de la Commission du Budget de la chambre des représentants, est le patron de l’Ins­titut de Paix des Etats-Unis dénommée « USIP »10. Bien que le groupe prétendant que l’esquisse de la préparation de ce compte rendu a été le fait de Bush Père, en se fondant sur les documents existants, le gouvernement de Bush n’avait pas de liens directs avec la création de ce groupe, bien qu’il en ait réclamé la paternité et a rendu possible l’accès aux personnes, aux documents ainsi que le voyage en Irak pour le groupe de recherche.

Ce compte rendu préparé par l’action centrale de l’Institut de Paix des Etats-Unis et quelques autres centres d’études stratégiques, a trouvé une autre voie sous le direction de James Baker, l’ex-ministre des Affaires étrangères de l’Amérique (répu­blicain) et de Lee Hamilton, l’ex-représentant de la chambre des représentants (dé­mocrate). D’autres personnalités faisaient partie du groupe de recherches sur l’Irak ; auparavant, Laurence Agelberg, l’ex-ministre des Affaires étrangères ; Edwin Mess, le Procureur général, William Perry, l’ex-ministre de la Défense ; Luna Penta, la Secrétaire générale de la Maison Blanche et Charles Rab et Allen Simpson, l’un des ex-sénateurs américain. Ces personnes étaient les membres les plus importants à préparer ce compte rendu et dans les neuf derniers mois ont discuté avec 171 per­sonnalités politiques, militaires, universitaires et des organisations civiles et interna­tionales sur la situation en Irak. Ceci est tout autre qu’une recherche des points de vue circonstanciés d’une centaines d’experts et de personnalités souvent sollicités sur des problèmes politiques.

Ce rapport a été préparé en deux parties essentielles sous le prétexte d’estima­tion, d’une avancée et d’une nouvelle approche. En ce qui concerne le point central de la discussion, il porte sur la deuxième partie. Dans cette partie, de nouvelles ap­proches sont subdivisées en deux sous-parties : l’approche intérieure et extérieure. Quant aux points de vue extérieurs, ils sont quatre, concernant les échanges et les affaires avec la Syrie et l’Iran, dans un esprit consensuel intitulé la construction d’un consensus international. De l’ensemble des 79 propositions faites dans ce rap­port. Quatre propositions ou recommandations se trouvent dans cette partie (les propositions 9 à 12 publiées dans les pages 35 à 37). L’un des axes des propositions concerne les discussions et les négociations avec l’Iran au sujet de l’Irak.

La réaction suscitée par ce rapport, qui risque d’être appliqué, doit retenir toute notre attention quant aux privilèges, aux intérêts et aux menaces s’appliquant à différents groupes.

  • Les opposants étrangers de la République islamique ne sont satisfaits que par la vision d’une attaque américaine et israélienne de l’Iran. L’opposition rapide d’Olmert d’une part et une partie des mass médias en langue persane de l’autre, sont des exemples de ces prises de position. Et que ces pourparlers puissent cautionner la sécurité de l’Iran, a soulevé leur opposition.
  • Le deuxième groupe celui des opposants internes qui sont sujets à une sorte de phobie et de crainte aveugles à l’égard des Etats-Unis, mani­feste des cris d’opposition sans attendre et sans réfléchir lorsque les mots Amérique, Occident et négociations sont mentionnés. Mais ce groupe, sans même rendre service au pays, se camouffle sous l’ornement du ca­pitalisme et le manque d’indépendance et se coiffe de la couronne d’un esprit révolutionnaire.
  • Le troisième groupe est un autre visage du deuxième groupe qui, soit di­sant, considère que le rapport Baker-Hamilton est la thèse du sauvetage de l’Irak et de ses voisins entre autres de l’Iran. La République islamique doit donc sans perdre de temps préparer la table des négociations pour esquisser des sujets de débats de l’Amérique, sans quoi elle perdra cette occasion historique. A partir de là ce groupe comme le second sont sujets à une influence tant sentimentale que politique et n’ont ni la lucidité ni la pertinence d’étudier ce rapport. Ils ne savent pas que les premières lignes du rapport sont l’objet d’une forte décision et que toutes les propositions qui ont été faites sont soumises aux intérêts nationaux des Etats-Unis.
  • Le quatrième groupe comporte les acteurs étrangers qui se servent d’une politique intelligente. Ils sont les messagers de ces problèmes en matière de frais et de profits dont les principaux sont les Arabes, l’Europe et la Russie.
  • Le cinquième groupe est de même celui des analystes et des experts scien­tifiques universitaires et les directeurs formés par l’Etat qui, dégagés de ces positions politiques et sensibles observent la scène du jeu ; ils iden­tifient les acteurs ; ils en analysent et commentent les actes ainsi que les paroles et en considérant leurs intérêts et ceux des autres acteurs, livrent les modèles (et pas un modèle) qui comprennent les intérêts privés qu’ils dessinent et dont ils prévoient la mise en pratique en les livrant à l’appa­reil diplomatique.

Maintenant, avec ces préludes, la question principale consiste à savoir quels in­térêts communs ont l’Iran et l’Amérique quant à la question de l’Irak qui demande des pourparlers ? S’il existait des intérêts communs entre Téhéran et Washington dignes d’être expliqués, est-ce que les autres acteurs comme les Arabes auront aussi au milieu de tout cela des intérêts communs ?

L’Iran veut que l’Irak soit libéré et délivré de la présence des Américains, qu’un gouvernement chiite en accord avec La République islamique commence la recons­truction de l’Irak avec force et puissance alors que les Etats-Unis veulent maintenir leur présence en Irak avec un processus de construction d’un gouvernement et d’un système politique nouvellement établi et correspondant à leurs intérêts. Mais après presque quatre années de présence dans ce pays et une dépense d’au moins 300 mil­liards de dollars, avec la perte de trois mille soldats américains, cette création n’a pas la forme désirée. En se fondant sur ce rapport, Washington n’a aucun recours si ce n’est de faire rentrer respectueusement l’Iran dans le jeu de l’Irak.

Le problème irakien ne sera simplement résolu que s’il y a recul des Etats-Unis, souplesse de l’Iran et définition des gains possibles de part et d’autre. L’Irak alors ne sera plus le témoin de tueries quotidiennes, et de la violence interconfession­nelle. Cette illusion est très simpliste et fondée sur cet a priori que les autres acteurs soient prêts à la négociation entre deux pôles internationaux opposés, à savoir l’Iran et les Etats-Unis qui auraient l’intention de renoncer à leurs intérêts et de se réconcilier au Moyen Orient.

Alors qu’aujourd’hui les autres acteurs dont les pays arabes sous le commande­ment de l’Arabie saoudite sont très inquiets et préoccupés par l’avenir du Moyen-Orient.

La situation du Liban et de Bahreïn a suffisamment préoccupé ces gouverne­ments quant à leur avenir. L’Europe et la Russie ne sont pas prêtes à faire le don de ce marché aussi important qu’est l’Iran et l’Irak à l’Amérique et sous des dizaines de prétextes, elles sont contre ce processus.

Nous pouvons dire, en fait que, le terrain de jeu irakien n’est pas si petit pour que pas plus de deux acteurs y prennent place et puissent sans déranger les autres, se partager les avantages de ce jeu.

Il semblerait que les Américains, en particulier les auteurs du rapport sur l’Irak, connaissent très bien ce point mais ils veulent faire pénétrer l’Iran en Irak et les mettre face à face avec les autres acteurs surtout les Etats arabes afin de se partager les dépenses de l’insécurité et de la crise dans ce pays avec l’accord de l’Iran. L’idée d’apparaître dans le conseil des juges et entremetteurs comme tel serait de retrouver l’hégémonie et le pouvoir qui se perd, en faisant croire aux Iraniens que le grand prix n’est pas qu’imaginaire mais bien réel. Cette attirance de l’Iran dans la pou­drière irakienne et compte tenu de tous les aspects du sujet, à savoir la part et la puissance de tous les acteurs dans la région, va créer un genre de consensus au sujet de l’Irak.

Dans ce jeu à double niveau, le résultat de qui gagne quoi à l’échelle régionale, permet la transition de ce jeu vers l’international et la même question serait posée à savoir qui gagne quoi sur la scène internationale. Mais ce jeu semble porteur de grands risques, les acteurs présents en Irak, ont non seulement les moyens financiers et les stratégies pour troubler le jeu irakien pour une longue durée, même si l’Iran et les Etats-Unis n’y consentent pas.

Il n’est ni possible ni même désirable pour l’Iran de déférer aux intérêts de l’acteur principal international, à savoir les Etats-Unis comme à ceux des acteurs régionaux, ce qui est seulement la politique existante aujourd’hui dans la région. La question irakienne constitue aujourd’hui, si l’Iran s’y impliquait, un terrain de reconnaissance mutuelle entre l’Iran et des Etats-Unis. Une possibilité qui mettrait fin à la violence en Irak. Ainsi l’Iran pourrait avoir un grand succès sous forme d’une reconnaissance de son hégémonie régionale de sa position, de sa position nationale et il y aurait une sortie de la crise internationale.

Si l’Irak était un terrain où l’Europe s’impliquerait dans le dessein géostratégique américain, il est certain que les acteurs clés de ce processus seront désormais appelés à une coopération plus équilibrée, sensée impliquer les puissances naissantes dans la région. La politique officielle de l’Union européenne qui consiste à développer le partenariat euro-méditerranéen a pour vocation de faire de cette région un es­pace de « dialogue, d’échanges et de coopération qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité, de renforcer le dialogue politique, de développer la coopération économique et sociale, de valoriser davantage la dimension sociale, culturelle et hu­maine et d’instaurer une zone de libre-échange ». Le programme européen est d’une grande richesse pour le devenir des deux espaces. Mais les perspectives d’évolution de l’Union européenne, dans un monde de superpuissance, paraissent semées d’em­bûches par les difficultés relatives à l’émergence d’une politique étrangère axée sur le Moyen-Orient en fonction de l’évolution des sociétés et des aspirations des peuple de la région.

* Président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques – Paris.

Notes

1   Zartman William, la Résolution des conlfits en Afrique, Paris : l’Harmattan, 1990,

p.12

Johan Galtung considéré par beaucoup comme le fondateur de la recherche pour la paix, il fonda le premier Institut pour la recherche de la paix à Oslo en 1959.

Galtung Johan, Conflict Transformation by Peaceful Means, The Transcend Method, United Nations, Participants Manuel and Trainer’s Manuel, 2000, p.5.

Louise Arbour, haut Commissaire des Nations unies pour les droits humains, a, pour sa part, invité Bagdad à la retenue. «Il y a un certain nombre de doutes quant à l’équité du premier procès, et des garanties sont nécessaires pour assurer que ces questions ont été traitées de façon exhaustive. J’invite, par conséquent, les autorités irakiennes à ne pas agir précipitamment en ce qui concerne la mise en œuvre du verdict», déclare-t-elle dans un communiqué. Le Monde 29-12­2006.

The National Defense Strategy of the United State, Marcs 2005.

Cf. notre article, « La Diplomatie bonapartiste de Bush et l’avenir du monde » in Géostratégiques, N°7, avril 2005.

Cf.  Alain Gresh, « Objectif Bagdad », Le Monde diplomatique, septembre

2002.

Voir Géostratégiques N°09, La Politique américaine au Grand Moyen-Orient,Octobre 2005.

The Iraq Study Group Report – Rapport Baker-Hamilton United States Institute of Peace : http://www.usip.org/

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