Religion et Politique en Afrique subsaharienne

Professeur F.G. DREYFUS

Professeur émérite d’Études Européennes à l’université Paris IV-Sorbonne. Ancien directeur de l’Institut d’Études Politiques de Strasbourg, du Centre des Études Germaniques et de l’Institut des Hautes Études Européennes.

Octobre 2009

Les relations entre religion et politique sont toujours délicates à étu­dier. C’est encore plus difficile en Afrique noire car on ne sait pas très bien ce qu’est une religion africaine noire. LAtlas des religions publié en commun par le Monde et la Vie est à cet égard significatif – à aucun moment on ne distingue ca­tholiques et protestants sauf sur des cartes très insuffisantes. On ne connaît que le christianisme : soit mais on met sur le même plan l’Eglise catholique, les Eglises protestantes historiques (réformée, presbytérienne, luthérienne, méthodiste…), les Eglises évangéliques et les communautés christo-animistes. Quoi de commun entre l’archevêque de Kinshassa et les prosélytes de l’Eglise du Christ sur la Terre « fondée par le prophète » Simon Kimbangu (formule de l’Annuaire protestant publié sous les auspices de la Fédération protestante de France) ? La foi en Jésus Christ ? Ce n’est pas sûr, car si pour certains cette foi en Jésus Christ est incontestable, pour d’autres le Saint Esprit soufflant sur le « Prophète » semble se substituer à toute autre croyance, rejoignant les conceptions animistes des tribus et des ethnies. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la lecture du savant et passionnant ouvrage collectif pu­blié chez Karthala par nos collègues CORTEN (Université de Montréal) et MARY (CNRS) sous le titre Imaginaires politiques et pentecôtismes.

En Afrique noire, la « politique du ventre » est un élément important de la réflexion théologico-politique : elle se fonde largement sur les « forces invisibles » souvent entre les mains du « pouvoir du chef » de la communauté villageoise ou tribale au pouvoir d’Etat. Dans le monde pentecôtiste, « deux types d’imaginaire du politique sont en présence, les « forces représentatives » dites « occultes » et « la transparence de l’espace public ». Cela va si loin que P. GESCHIERE a pu parler de sorcellerie, dans Sorcellerie et Politique (Karthala).

En effet, la première représentation « correspond à la mobilisation du schéma de la sorcellerie et des forces persécutrices du mal . (maladie, accident, guerre, conflits intrafamiliaux) : souvent les prophètes africains utilisent cette grille pour parler du pouvoir blanc et colonial. Comme le notent dans leur introduction les professeurs CORTEN et MARY1, les « prophètes africains … conjuguent sorcelle­rie et modernité en invitant les Noirs à renoncer à leurs fétiches pour devenir des Blancs ». Cela est d’ailleurs confirmé par le roman autobiographique de Justine MINTSA, Un seul tournant Makôsu (L’Harmattan), où à la suite du décès acci­dentel d’un enfant, des universitaires chrétiens formés en France et aux Etats-Unis mêlent pratiques chrétiennes et pratiques animistes dans lesquelles la sorcellerie tient une large place.

Géographie religieuse de l’Afrique subsaharienne

Si l’on s’en tient aux statistiques officielles, on compte en Afrique subsaha­rienne un tiers de chrétiens, un tiers de musulmans, un tiers d’animistes. La réalité conduit à nuancer ces données. Apparaissent alors deux problèmes : qu’est-qu’un animiste ? et qu’est-ce qu’un chrétien ? Si l’Eglise catholique ne pose guère de pro­blèmes, il n’en est pas de même des Eglises dites « protestantes », et de ce qu’elles représentent : l’Eglise du Christ sur la Terre fondée au Zaïre par le « prophète » Simon Kimbangu peut-elle être considérée comme « protestante » au même titre que les Eglises presbytériennes, adventistes, baptistes, luthériennes (importantes au Cameroun, en Namibie, en Tanzanie) ou méthodistes ?

Où placer des congrégations comme celles issues du mouvement Moon ? Ce ne sont pas des congrégations animistes et elles ne sont pas réellement chrétiennes, or elles se développent fortement ces dernières années.

Population

(millions d’habitants)

%

Animistes

%

Musulmans

%

Catholiques

%

Protestants historiques

%

Evangéliques

Côte d’ivoire 8 35 35 15 9 6
Burkina Fasso 13 20 50 10 10 10
Togo 5 35 15 25 15 10
Guinée 10 5 85 5 2 3
Ghana 25 20 10 20 20 30

Soyons honnêtes : ce tableau n’est qu’une approximation. Dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, même baptisée, dans le monde rural, perdurent les pra­tiques animistes qui s’appuient sur la persistance des sociétés secrètes en République démocratique du Congo, au Kenya et dans la plupart des Etats d’Afrique occiden­tale. Certaines d’entre elles jouent un rôle communautaire faisant régner ordre et justice dans un village ou dans un quartier, ce que G. BALANDIER a bien montré, il y a plus de cinquante ans, dans Brazzaville Noire.

Dans de nombreuses régions, les communautés religieuses cohabitent sans problème, c’est le cas au Sénégal, au Burkina Faso, au Cameroun ou en Afrique du Sud, entraînant d’ailleurs le partage de certaines pratiques animistes dans les cérémonies des religions monothéistes, facilitant une forme de syncrétisme sur le­quel les congrégations dites chrétiennes sont plutôt silencieuses. C’est une stratégie qu’utilisent particulièrement les congrégations évangéliques. La foi dans le guérisseur demeure ; les évangéliques cumulent souvent don de l’Esprit et pratiques mé­dicinales traditionnelles dont on médit trop souvent dans les milieux occidentaux ou occidentalisés. Cela contribue à expliquer l’attachement aux cultes traditionnels tout en proclamant un lien avec les communautés chrétiennes mais les églises pro­testantes « historiques » sont en incontestable repli. Trop souvent leurs ministres se sont occidentalisés et leur action, peut être trop intellectualisée, est dépassée par les liturgies joyeuses et salvatrices des congrégations évangéliques. Toute l’Afrique cen­trale du Sud-Est Cameroun jusqu’au Mozambique sur l’Océan Indien est marquée par l’essor des congrégations évangéliques. Nous avons vu le cas de la République démocratique du Congo (ex Zaïre) avec l’Eglise du Christ sur la Terre, fondée par le prophète Simon Kimbangu qui essaime au Congo avec l’existence à Brazzaville d’une Eglise kimbanguiste. Un peu partout on trouve les Pentecôtistes des déno­minations diverses.

Dans Y Atlas des Religions, A. SOULAINE et V. SIDA donnent pour le Mozambique une liste impressionnante de communautés évangéliques : « Assemblée africaine de Dieu, Eglise apostolique du Mozambique, Eglise évangélique de l’en­voyé de Dieu au Mozambique, Eglise des anciens apôtres, Eglise chrétienne de Zion, Eglise de Johana Marangue, Eglise de la Sainte Croix, … elles sont des cen­taines différentes. Des protestantismes autour desquels les sectes prolifèrent répon­dant aux attentes des peuples pauvres et désemparés… ».

Dans certains Etats où le protestantisme est plus anciennement et fortement ins­tallé, on rencontre des fédérations d’Eglises protestantes. C’est le cas à Madagascar avec la Fédération des Eglises protestantes de Madagascar, mais on notera que les Luthériens n’y adhèrent pas ; ils ont d’ailleurs leur propre faculté de théologie. Mais l’Eglise la plus importante, l’Eglise de Jésus Christ à Madagascar, de tendance réfor­mée et évangélique, est le fer de lance du christianisme protestant dans la Grande Ile – jusqu’à la crise des derniers mois, le Président de la République était un de ses membres, il avait même été un de ses vice-présidents. Au Cameroun, il existe une Fédération des Eglises et Missions évangéliques qui regroupe réformés, luthé­riens, .. En Afrique du Sud, il existe un Conseil des Eglises en Afrique du Sud, mais une forte minorité de protestants noirs se regroupent dans la Fédération des Eglises indépendantes africaines. Elles réunissent une dizaine de millions de fidèles, environ 30% des « protestants » sud-africains essentiellement apostoliques, pente-côtistes mais il existe aussi en Afrique du Sud une imposante église réformée issue de l’occupation néerlandaise et une Eglise anglicane illustrée par l’archevêque noir de Johannesburg, Edmund Tutu.

Que prêchent ces pasteurs-prophètes, pourquoi tant de succès ?

Est très symptomatique la prédication des prophètes ivoiriens, le « prophète de toutes les nations », Kacou Séverin, et le prophète « pur » (selon Hophouet Boigny) Papa Nouveau2 comme le remarque A. Mary « les personnages de la scène africaine sont peu orthodoxes et cumulent, ou empruntent tour à tour les rôles de prophète messianique, de prophète guérisseur ou encore de prophète d’Eglise ».

Les pasteurs prophètes et le fonctionnement en communautés

Au Congo, au Soudan ajoute A. Mary, on retrouve une situation à la fois ana­logue et un peu différente : là, « l’image du prophète de paix se conjugue avec celle de prophète engagé par les armes dans la lutte contre le mal et l’éradication des mauvais esprits ».3

En Côte d’Ivoire, au-delà du prophétisme marqué par un autre « prophète », Harris, qui cherchait à s’adresser aux communautés délocalisées, à briser les ethnies, on trouve la « veine prophétique » s’appuyant sur toute la tradition biblique. En soi, selon Mary et Corten, le prophétisme « n’est pas porteur d’imaginaire politique mais il met en place par sa liturgie extatique un véritable discours politique ». C’est le cas de Papa nouveau qui s’ancre dans l’héritage ethnique et considère avoir la vocation à parler au nom de Dieu pour tous les Ivoiriens, quitte à maintenir la polygamie. Ce que souhaite Papa Nouveau c’est l’unité ivoirienne dans la bonne en­tente avec les Français. Son influence est fort grande auprès de Hophouët-Boigny, le premier président ivoirien, et de ses successeurs immédiats, mais elle cesse avec l’arrivée à la présidence de Laurent Gbagbo. En effet l’épouse de celui-ci est proche des Pentecôtistes, marqués fortement par l’influence américaine est hostile à ce syncrétisme christo-animiste et s’irrite du laxisme moral que laisse se développer Papa Nouveau. Après tout, rappelle A. Mary, on vit « lors de son enterrement son cercueil devant un tamtamparleur . pour transmettre un ultime message, selon la tradition ivoirienne de l’interrogation du cadavre. »

À la fois proche et quand même différent, le cas d’un autre prophète ivoirien, Kacou Séverin, « prophète de toutes les nations », président de l’Eglise Foursquare et considéré lui aussi comme appartenant à la « mouvance évangélique ». A. Mary souligne que les « circonstances de sa mort sont . une provocation : mourir un vendredi 13, en même temps Vendredi Saint permet à ses fidèles de l’identifier au Christ, d’autant que jeune étudiant, transporté mourant à l’hôpital, il voit le Christ « lui redonner vie et le délivrer des forces maléfiques ». Il évangélise après avoir pérégriné au Libéria, aux Etats-Unis puis en Allemagne, actif dans les Assemblées de Dieu et surtout dans la Congrégation Foursquare née aux-Etats-Unis vers 1920, dont le centre africain est au Nigeria : cette Eglise évangélique internationale déve­loppe une théologie « moderne » fondée sur la doctrine de la prospérité. K. Séverin innove et au delà des liens avec Foursquare, fonde un « Ministère de la puissance de l’Evangile ». C’est un véritable réseau de centres de prières ou de guérison. Comme le précise A. Mary « on reconnaît là une stratégie courante des leaders religieux africains qui consiste à utiliser les ressources et le réseau d’une « dénomination » internationale établie tout en montant parallèlement leur propre association, centre ou ministère . qui peut devenir à son tour une Eglise autonome. C’est le cas avec cette congrégation ivoirienne.

En réalité ces multiples congrégations chrétiennes, théoriquement plus ou moins intégrées dans l’ensemble protestant, sont bien davantage intégrées au tissu ethno-tribal et c’est cela qui nous conduit à parler de syncrétisme christo-animiste. Proches de la population, jouissant par leurs pasteurs-prophètes d’une aura certaine, ces communautés contribuent incontestablement à l’ethnicisation des conflits po­litiques.

On a beau prêcher la Vérité, la Justice, il n’empêche que « prier le pardon de Dieu » a pour envers la lutte contre Satan, les démons, en réalité les adversaires. A. Mary signale judicieusement que cela « conduit à pratiquer le soupçon et même les accusations contre les migrants, les « gens du Nord » (musulmans), les mauvais citoyens ».

On assiste en même temps à de grands rassemblements favorisés par le rôle de tel ou tel prophète regroupant des délégations venues du Nigéria, du Bénin, du Gabon, de France, permettant une certaine coopération entre communautés, tel le Forum des religieux réunissant Evangéliques, Protestants, Catholiques et Musulmans.4

On retrouve des situations analogues au Gabon, en République démocratique du Congo tout comme au Kenya ou à Madagascar ; parfois au Gabon, les congré­gations tombent sous le contrôle de l’Assemblée de Dieu au Gabon, issue de la Mission congrégationnaliste fondée par des Américains dès 1842, et de la Mission évangélique de Pentecôte de l’ancienne Afrique équatoriale française (AEF). En fait ces communautés pentecôtistes concurrencent sérieusement les paroisses protes­tantes proches de l’Eglise réformée de France ou de l’Eglise catholique.

On le voit dans toute l’Afrique, à l’Ouest comme à l’Est, à l’évangélisation tra­ditionnelle protestante s’est faite sous le couvert d’églises structurées employant des pasteurs convenablement formés : à celles-ci se sont substituées des commu­nautés d’inspiration pentecôtiste caractérisées en définitive par une certaine bipo-larité. D’un côté elles sont dans une certaine mesure fidèles à la tradition biblique de l’effusion du Saint Esprit, de l’autre, églises de guérison, elles sont proches des coutumes animistes indigènes et contribuent à une vision théologique nouvelle en récusant ce que René DEVISCH de l’Université catholique de Louvain appelle « l’éthos bourgeois occidental » qui conduisait à un discours critiquant nudité et polygamie, proclamant au contraire une éthique d’égalité réelle entre les hommes.

Face aux missions catholiques ou protestantes s’efforçant de développer artisa­nat, agriculture et instruction, se constituent (sous l’influence de missions évangé-liques américaines et scandinaves) des « communautés chrétiennes autocentrées » ; elles laissent coexister modernité et révélation tout en maintenant le lien avec les modèles parentaux éthiques et religieux en solidarité avec la famille élargie. En réalité note R. Devisch, ils rompent avec ce qui a été imposé par le colonisateur blanc puis par le pouvoir comme par les experts en développement, « dans toutes sortes de domaines tels que le travail, la terre, l’habitat, l’éducation, le sexe sans danger, l’énergie, la paix, la démocratie, les droits de l’homme ». Tout cela contri­bue à rendre la République démocratique du Congo ingouvernable et à expliquer l’anarchie qui y règne. Tous les désordres congolais ont provoqué depuis l’indépen­dance une demi-dizaine de millions de morts et sans doute davantage de personnes déplacées. Malgré ses considérables richesses naturelles l’ex Zaïre, un des cinq pre­miers Etats africains par la richesse au moment de l’indépendance, va se classer 229° rang sur 231 dans l’ordre économique des pays du monde. Cela favorise l’expansion des ethnies s’appuyant sur des cultes christo-animistes, par exemple dans la région ex Zaïre – Angola, où ce ne sont plus les anciens colonisateurs mais de nouveaux venus qui en conservent les principes d’action.

Les religions africaines, acteur politique

Même si cela n’apparaît guère dans les médias, la plupart des problèmes po­litiques en Afrique ont un arrière plan religieux. Ce fut le cas au Soudan, entre Soudan du Nord musulman et Soudan du sud chrétien, c’est le cas à Madagascar où, au-delà des problèmes politiques et des difficultés économiques mis en avant, le conflit politique actuel est d’origine religieuse entre un président renvoyé an­cien à ce président de l’Eglise de Jésus Christ à Madagascar (FJKM) et l’auteur du coup d’Etat proche de l’Eglise catholique. De surcroît, le président protestant est chef d’entreprise et proche des milieux américains tandis que le nouveau Président semble plus proche de la France.

Si les rapports inter religieux demeurent corrects au Sénégal, en Gambie, au Cameroun, ils sont difficiles au Tchad et dramatiques au Nigeria : au conflit endé­mique entre Musulmans et Chrétiens, s’ajoutent les incidents constants entre tribus du Sud, incidents souvent liés à des querelles entre tribus sur fond d’appartenance religieuse entre chrétiens, christo-animistes et animistes.

Le poids de l’Islam en Afrique sub-saharienne

Il est un autre problème que l’on évoque peu en Afrique subsaharienne, c’est le poids de l’Islam. Malgré ou à cause de la présence du colonisateur – a priori chrétien, l’Islam n’a cessé de progresser depuis un siècle en Afrique noire. Il est devenu majoritaire au Sénégal, en Guinée, au Nigeria et même en Ethiopie. Cela est lié à l’offensive des confréries soufies (le soufisme étant défini comme la pratique tolérante et mystique de l’Islam) qui vont ancrer fortement l’Islam en Afrique occi­dentale. Entre 1906 et 1996 le nombre des confréries en Afrique a presque triplé. Même si, comme le remarque Anne-Laure DUPONT, elles ont subi de nombreuses attaques, elles constituent néanmoins un élément essentiel du monde musulman. Quand elles sont majoritaires, au Sénégal, au Burkina Faso, au Mali ou en Guinée, elles sont un élément de stabilité. Elles ont su s’adapter aux attaques des élites occi­dentalisées, des rationalistes et développent un Islam modéré qui fait, aujourd’hui, l’objet de virulentes critiques des milieux musulmans orthodoxes, plus ou moins intégristes.

Dans les Etats où l’Islam se déclare majoritaire, la situation est infiniment plus tendue – le cas le plus typique est celui du Nigeria : il semble que les musulmans ne représentent que 40% de la population mais ils prétendent à la majorité. Dans le Nigeria, Etat fédéral, les Etats musulmans l’emportent et dans 11 d’entre eux on a instauré et on applique la Charia. Les incidents entre musulmans, chrétiens et animistes sont constants dans les Etats du Nord de Nigeria et sont dus pour la plupart des cas, à l’intolérance des milieux musulmans et il semble que l’on puisse établir des liens entre ces incidents et une pénétration forte des tendances islamistes sans doute liées à El-Qaïda.

Au Soudan comme en Somalie les conflits dramatiques qui se déroulent dans ces deux Etats sont eux des conflits entre musulmans : dans le cas du Soudan, il faut distinguer les conflits du Sud Soudan qui opposaient l’Islam, Chrétienté et ani­misme, de celui du Darfour qui est un conflit plus politico-économique (présence de pétrole) que religieux, même si les tendances religieuses servent de prétextes. La République tchadienne est en effet accusée par le gouvernement soudanais, de soutenir les rebelles islamistes ultra-intégristes (associés au Mouvement pour la jus­tice et l’égalité) qui veulent accentuer encore l’islamisme qui triomphe à Khartoum puisque la Charia est appliquée au Soudan conformément à la constitution entrée en vigueur en 1998. Le Tchad connaît la même insécurité. Là encore, il s’agit de ré­gler des problèmes politiques internes liés à un conflit qui oppose le Président Déby à une opposition regroupée dans la CPDC (Coopération des partis politiques pour la défense de la Constitution), opposition que l’on dit soutenue par le Soudan. Des opposants tchadiens avaient failli prendre la capitale N’Djamena en février 2008, d’où l’offensive des opposants soudanais contre Khartoum en mai 2008. La situa­tion au Tchad demeure tendue malgré l’entrée de ministres CPDC dans le gouver­nement. Il en est de même au Soudan malgré la présence de forces internationales de dissuasion.

Plus à l’Est, c’est autour de l’Ethiopie que se cumulent les conflits : existent de différends sanglants avec l’Erythrée à l’est des crises somaliennes. En Erythrée on compte environ 20 à 25% de chrétiens ; en raison du conflit avec l’Ethiopie, les chrétiens orthodoxes sont sérieusement contrôlés, leurs assemblées sont à peine tolérées et nombre de fidèles sont soumis à une forte pression en vue de les ame­ner à la conversion à l’Islam : surtout la région est en permanence en semi-état de guerre. L’Erythrée, jusqu’à la conquête par les Italiens en 1896 était vassale du Negus éthiopien. De 1945 à 1990 elle est territoire éthiopien, territoire autonome jusqu’en 1960 puis simple province. Depuis lors, les indépendantistes musulmans n’ont eu de cesse de réclamer leur indépendance : durant la période de satellisation soviétique (l’URSS avait une base aéronavale sur la mer Rouge), l’indépendantisme est naturellement persécuté et comme il est formé essentiellement de musulmans, les tendances islamistes se développent.

Bien entendu, pour l’Ethiopie, l’Erythrée est une terre irrédente qui doit rede­venir éthiopienne ; mais existe alors un aspect religieux. Face à l’Erythrée majoritai­rement musulmane, l’Ethiopie constitue depuis des siècles une communauté judéo-chrétienne, Falachas d’une part descendante des Ethiopiens convertis au judaïsme bien avant notre ère, Orthodoxes éthiopiens de l’autre. Si les Juifs ont été transportés en Israël, les fidèles de l’Eglise orthodoxe d’Ethiopie représentent 40 à 45% de la po­pulation ; les musulmans sont à peu près aussi nombreux et l’on compte 10 à 15% d’évangéliques et de pentecôtistes. L’Etat éthiopien est neutre en face de ces diverses communautés et on connaît ici dans la population une tolérance rare en Afrique.

À l’Est de l’Ethiopie, il y a la Somalie ; la quasi-totalité de la population est musulmane et la Charia est appliquée. Mais ces musulmans sont divisés en trois groupes. Un petit groupe, en Somalie du Nord, ex-britannique, est marqué par le soufisme et pratique donc un islam modéré et mystique ; la majorité de musulmans somaliens, toutefois, sont de stricte obédience avec une forte minorité ultra-isla­miste qui tente « d’imposer sa loi à la Somalie toute entière ». Pour essayer de soute­nir le gouvernement légal, relativement modéré, contre les ultras, les organisations internationales ont délégué l’Ethiopie et ses armées : l’Ethiopie ayant eu à plusieurs reprises des visées sur la Somalie, le choix était particulièrement malheureux. Dès lors la guerre civile somalienne se perpétue avec les conséquences dramatiques que l’on imagine pour la population.

Tous ces conflits ont aujourd’hui en Afrique un triple caractère : ils sont poli­tiques, ethniques et religieux. On ne peut pas comprendre les problèmes de l’Afrique sub-saharienne si l’on n’est pas conscient de l’enchevêtrement de ces trois éléments, en reconnaissant que bien souvent, chaque sous-ethnie a sa propre religion. Il suffit de regarder les cartes ethniques publiées dans l’Etat du Monde (Ed. La Découverte, 1985). Le Burkina Faso compte une bonne quinzaine d’ethnies pour 13 millions d’habitants. Il en est de même au Tchad, au Mali (où les Dogons si célèbres ne sont qu’une minorité), en Guinée (il n’y en a que six dont deux dominantes : Peulhs et Banbara, qui sont divisés en petits groupes ayant chacun leur propre système religieux plus ou moins accolé à une religion universelle – christianisme ou islam), d’où nos deux formules : « christo-animisme » et « islamo-animisme » ; si les grandes églises chrétiennes réagissent peu ou pas du tout, ce n’est pas le cas aujourd’hui dans la communauté islamique et cela contribue à la montée de l’islamisme.

Cette multiplication des groupes ethno-religieux explique par exemple la rela­tive instabilité du Kenya où coexistent une douzaine d’ethnies, et la stabilité de la Tanzanie ; ici les 80% des musulmans vivent en bonne intelligence avec la minorité chrétienne.

Le Bassin du Congo essentiellement catholique est une mosaïque d’ethnies, de sous-ethnies qui accommodent leur catholicisme avec les traditions animistes :

l’Eglise tente de réagir mais cela entraîne souvent une montée des églises dites évan-géliques, ou encore des sectes. La carte ethnique du Congo dans l’Etat du Monde 1985 permet de comprendre cette situation : il suffit d’examiner le cas de l’ex Zaïre : plus d’une trentaine d’ethnies divisées chacune en sous-groupes qui peuvent être 15 à 20, et cette trentaine d’ethnies appartiennent à quatre grands groupes, les Soudanais, les Haoussa, les Bantoïdes et les Bantous. Même dans le Gabon voisin, 270 000 km[1] et 2 millions d’habitants (République démocratique du Congo – ex Zaïre 24 000 000 km2 et 45 millions d’habitants) on compte une douzaine d’eth­nies soit Bantous soit Haoussas.

Le Kibanguisme est l’exemple de la dislocation des chrétientés historiques ; cette congrégation évangélique plus animiste que chrétienne est toutefois membre du Conseil œcuménique des Eglises et reconnue par Rome, ce qui pose naturellement quelques problèmes sur place. En réalité, à côté des nouvelles églises qui apparaissent chaque année on assiste à un extraordinaire essor des sectes. Certaines de ces sectes s’intitulent « Eglise » et ont une solidité certaine, une importance réelle : c’est le cas de l’Eglise chrétienne de Zion (Zion Christian Church) ou de la New Salem Church en Afrique du Sud, des Eglises Harriristes en Côte d’Ivoire, congrégation admise par le Conseil œcuménique des Eglises. Mais il y a aussi le Chandelier et la Lumière de Vérité au Gabon. Existent aussi les « Voyageurs du paradis » au Rwanda, l’ »Armée de résistance du Seigneur » en Ouganda, la secte des « Pieds Nus » au Burkina Faso ou au Togo le « Ministère d’intervention rapide de Jésus », et ainsi de suite. Ici ce sont des congrégations locales qui largement autonomes nous conduisent à ce que J.L. TRIAUD dans Esprit appelle « le reflux et le rejet de l’Etat ».

D’autres congrégations sectaires sont internationales, la « Méditation transcen-dantale » au Malawi et en Zambie, la « Scientologie » en Tanzanie et au Zimbabwé, les « Raëlités » au Burkina Faso. Selon XAtlas des Religions, le « Christianisme cé­leste » s’implante au Ghana, au Cameroun et au Gabon. Mais dans la plupart des cas les communautés liées à des sectes sont autochtones comme le « kimbanguisme » ou le « kitawala » implantée en Namibie, Zambie, Rwanda, Burundi et Tanzanie et qui dans sa « doctrine », rejette l’ »autorité » d’un Etat séculier.

Au fond, comme le remarque justement l’Africaniste Stephen SMITH, cité par XAtlas des Religions, « Cette prolifération de cultes est un désaveu … pour l’Etat africain », il ajoute « mais aussi pour les grandes Eglises établies. » C’est incontes­table mais si l’Eglise catholique essaie de réagir, les « protestants » en les affiliant au Conseil œcuménique des Eglises favorisent leur développement. Or liées gé­néralement à une ethnie, ces congrégations contribuent à l’instabilité des Etats de l’Afrique subsaharienne.

En définitive, sectes et congrégations d’inspiration évangélique ou pentecôtistes par les conceptions qu’elles développent, favorisent l’autonomie de petits groupes. Elles contribuent en s’inscrivant dans une théologie associant animisme et chris­tianisme, animisme et islam, à renforcer les tendances tribales, le renfermement sur l’ethnie. Elles favorisent ainsi non seulement « le refus de l’Etat » mais bien davantage le rejet de tout pouvoir étatique. Elles facilitent les conflits intercommu­nautaires au-delà elles sont un des vecteurs des conflits interétatiques induisant de ce fait un frein au développement socioculturel et économique qu’elles prétendent favoriser. Elles sont un élément déterminant du sous-développement et de l’insé­curité endémique du monde africain subsaharien. Il est vrai que le renouveau de la prospérité en Afrique leur enlèverait toute raison d’être. Cela passe sans doute par la renaissance dans les grandes Eglises établies, d’une théologie fondée sur la crois­sance en contradiction avec la mode écologique favorisée par ces églises, les idées de décroissance qui se sont emparées de l’intelligentsia mondiale.

1.  A. CORTEN et A. MARY, « Imaginaires politiques et pentecôtistes », Karthala
2000, p.13

 

3.   On notera que cette ambivalence apparaissait dans le protestantisme français jusque vers 1950 : il existait alors des cantiques assimilant les chrétiens aux combattants et appelant à la lutte contre les méchants, tels « Lève-toi vaillante armée » ou « Debout Sainte cohorte ». Ils ont disparu des recueils récents (depuis 1960)

4.   Sur le problème des sectes, voir Jeune Afrique du 09.VIII.2009

 

Notes

[1]Sur tout ceci cf. le solide – et passionnant article de André MARY « Prophètes-pasteurs », dans Politique africaine, Octobre 2002, pp.69 et 59

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