Russie et la nouvelle stratégie de Obama

Ali RASTBEEN

Fondateur et Président de l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur éditorial de la revue Géostratégiques. Auteur de Géopolitique de l’Islam contemporain, Edition I.I.E.S., 2009.

Mai 2009

Le monde impatient a finalement connu, au cours de la première semaine du mois d’avril, l’alignement politique du président Obama dans les différents do­maines économiques, politiques et militaires. M. Obama porte le lourd fardeau de l’héritage laissé pendant les vingt années du pouvoir des néo-conservateurs dans l’économie américaine et mondiale comme dans la politique nationale et étrangère de son pays. Il a tenté du 1er au 5 avril, à Londres, Strasbourg, Baden-Baden et Prague de rassurer les alliés politiques, militaires et économiques des Etats-Unis, méfiants après les événements qui s’étaient déroulés durant les huit dernières années du règne des néo-conservateurs à la Maison Blanche. Dans ce show, Obama a mon­tré qu’il possédait les capacités d’un homme exceptionnel. Cependant, sa réponse propice aux attentes internationales est une autre paire de manche.

L’héritage des néo-conservateurs

À travers leur défaite sur tous les fronts due à leur politique extrémiste visant à tout acquérir, les néo-conservateurs ont brisé le système financier et économique des Etats-Unis qui, dans le monde monopolaire, constituait la trame de l’économie mondiale.1 Ils ont ainsi créé une crise qui ne peut être dénouée que par le biais d’un bouleversement fondamental des relations et du système financier et économique qui régissent le monde. Par ailleurs, avec l’arrogance d’une puissance absolue, ils ont dénié à leurs alliés la possibilité d’intervenir dans la gestion des affaires. En ce qui concernait l’Organisation des Nations unies — dont, même auparavant, ils dispo­saient comme d’un instrument à leur service — en la contournant et la discréditant afin de poursuivre leurs objectifs militaires ; enfin, en propageant des guerres et des affrontements dans les pays où leurs intérêts stratégiques se trouvaient en danger, ils mettaient directement en danger la sécurité internationale.

Les prises de position d’Obama, lors de ses entretiens, intéressaient aussi bien ses interlocuteurs que les observateurs internationaux : sa position était celle de Bush « fils » mais avec une expression réconciliatrice et réconfortante. Il affirmait ne vouloir accorder des avantages à personne. Il répétait qu’il était venu entendre les autres, c’est-à-dire les dirigeants de la Chine, de la Russie, de l’Allemagne, de la France, du Japon, etc.

Lors d’un discours à l’école de commerce de Londres, le Président russe, Medvedev, comparant le comportement d’Obama avec son prédécesseur et l’ar­rogance de Washington à l’égard de la Russie, déclara : « Aujourd’hui, je peux du moins affirmer que les Etats-Unis ont davantage tendance à écouter nos arguments. Ils ne veulent plus dire que les décisions sont déjà prises à l’égard de tel ou tel pro­blème et malgré leur assurance selon laquelle nous y serions partie prenante… si, évidemment, les autres pays y consentent. Mais nous ne pouvons pas accepter un tel comportement et nous sommes obligés de prendre nos dispositions »2. Il faisait, entre autres, allusion à l’acceptation de la Russie dans l’Organisation mondiale du commerce, une demande qui est restée sans réponse depuis des années en raison de l’opposition de Washington, tandis que Pékin y est admis depuis plusieurs années.3

Ce comportement n’était pas spécifique à l’égard de Moscou. Les néo-conserva­teurs n’en avaient pas un meilleur vis-à-vis des amis de Washington. La réponse ar­rogante fournie à l’opposition des chefs d’État de France et d’Allemagne quant à la « guerre préventive » contre l’Irak, était de même nature. Le fait de ne pas condam­ner au Conseil de sécurité les agressions israéliennes contre le sud du Liban et contre la population sans défense de Gaza, démontre l’attachement de Washington à l’Organisation des nations unies et à ses « amis arabes ».

Cependant, l’arrogance qui constitue une tradition de Washington depuis soixante ans dans ses relations politiques internationales a également marqué Obama dans ses entretiens avec les chefs d’États du monde. Celui-ci, prenant l’ex­pression d’une « patron paternaliste » a dicté les fonctions et les rôles de chacun dans les solutions à apporter aux difficultés auxquelles doit faire face Washington. Au terme de sa tournée politique, plusieurs axes se dégagent : 1) Les autres pays doivent assumer leur part pour réinstaurer le système financier, bancaire et écono­mique des Etats-Unis qui englobe le monde. 2) Les pays membres de l’OTAN qui, sous pression de Washington, se sont enfoncés dans le bourbier afghan qui s’est élargi au Pakistan, doivent jouer un plus grand rôle tandis que l’OTAN et l’ONU doivent être présentes dans une guerre qui tend à devenir régionale. 3) L’OTAN qui, depuis vingt ans, a perdu sa légitimité en tant que pacte de défense, doit pour­suivre son extension vers l’Asie, jouant un rôle fondamental au service de l’instau­ration de l’ordre néo-colonial.4 4) L’ONU et ses organes qui détenaient encore le pouvoir de se rebeller face aux volontés des néo-colonialistes, doivent se soumettre davantage à leurs objectifs (à l’instar du rôle qu’ils jouent actuellement en Irak et en Afghanistan).5 5) La Russie et la Chine sont les principaux obstacles face à l’ins­tauration parfaite du système néo-colonial. Cependant, la Chine, de par sa stratégie de lutte pacifique et de solidarité et sa présence exceptionnelle dans la métropole du capital (un régime socialiste qui détient 1 300 milliards de lettres d’emprunt de la trésorerie américaine), se situe actuellement dans des conditions de coexistence avec l’Occident sans être écartée de la ligne stratégique de confrontation future. Le Tibet, le Taipeh et le volcan semi-éteint de la Corée en son voisinage constituent autant de facteurs de provocation.

Or, depuis le début du 21ème siècle, la Russie constitue le principal défi de l’Eu­rope et des Etats-Unis. La victoire sans guerre des Etats-Unis, à la tête de l’OTAN et de l’Occident, contre l’Union des républiques socialistes soviétiques, et dont la reddition fut préparée par Washington, Londres, l’Allemagne et la France et si­gnée par Gorbatchev, fut le début de ce défi. Par la chute du pacte de Varsovie, la préoccupation première de l’Occident consistait à remplir le vide du pouvoir avec l’aide d’anciens transfuges. Un groupe composé d’opposants à la Russie alliés des Américains, s’est substitué aux anciens régimes communistes, créant une ligne de démarcation entre la Russie fédérative et les principaux membres de l’OTAN.6 L’OTAN s’est ensuite occupée du cas de la République fédérative de Yougoslavie, un modèle indépendant de Moscou et de l’Occident à l’est de l’Europe et, sur le plan international, une des bases du camp des non-alignés. La violence guerrière de l’OTAN en vue de détruire la Yougoslavie était plus flagrante qu’à l’égard d’autres pays d’Europe de l’Est. Sous couvert de propagandes ethniques et religieuses, cette guerre se poursuivit de 1990 à 2005.7 L’intervention directe de l’OTAN en Serbie a provoqué des crimes qu’il serait dérisoire de qualifier de crimes contre l’huma­nité. Suite à cette guerre ciblée, le mot « balkanisation » a trouvé une place dans la littérature politique dans le sens de désintégrer un pays. Cette expression a été utilisée comme modèle pour le projet stratégique de la création du « Grand Moyen-Orient » sur un territoire aussi vaste que le califat des Abbassides, par le président Bush et dont les prémisses ont été l’attaque de l’Irak par l’armée américaine.

Pour compléter l’installation du système néo-colonial commencé par l’instaura­tion des États indépendants dans les colonies asiatiques et africaines, l’OTAN de­vait régler ses problèmes avec la Fédération de Russie et la Chine en particulier dans les territoires du centre et de l’ouest de l’Asie (territoires russes des tsars), où sont apparues les nouvelles républiques issues de la désintégration de l’Union soviétique, qui attisaient l’appétit des néo-conservateurs en Occident.

La présence politique de Washington dans les événements qui ont surgi à Moscou après la chute du bloc de l’Est, du coup d’État et de transfert du pouvoir jusqu’à l’explosion de l’économie étatique et pseudo-socialiste et son transfert vers une économie de marché, de même que le renforcement de la mafia financière russe ont incité les stratèges de Pentagone à vouloir placer ce pays parmi les satellites américains.8 La période d’ Eltsine était l’occasion inespérée pour la réalisation de ce rêve. Les événements qui se déroulèrent à l’époque pouvaient être définis comme le partage de l’héritage d’un empire et les richesses ainsi libérées circulaient à travers l’Europe et les Etats-Unis.

Or, la question de la Russie n’était pas celle de la Yougoslavie. Les arsenaux nucléaires russes rivalisent étroitement avec ceux des Etats-Unis. Elle constitue la seconde puissance nucléaire du monde obstruant ainsi toute velléité de tensions irréfléchies.

 

La Russie prête à réagir

Les Etats-Unis tentaient de réunir les pays de l’Europe de l’Est dans l’OTAN et l’Europe les encourageait à se doter des conditions nécessaires pour s’intégrer dans l’Union européenne. Plongé dans le mutisme, la Russie tentait de s’adapter à « l’économie de marché » sans réagir aux événements qui se déroulaient autour d’elle. Cette situation renforçait la volonté de Washington d’avancer dans des ter­ritoires soumis depuis deux siècles à la Russie, tandis que Londres, Paris et Berlin s’activaient de leur côté au nom de l’Europe.

Les nouvelles républiques, fondées tant bien que mal par les anciens apparat-chiks communistes, liées davantage à Moscou que les pays de l’Europe de l’Est, constituaient son espace vital, et étaient plus ou moins aux prises avec les mêmes difficultés que la Russie. La puissance affaiblie de l’État, conjuguée aux difficultés internes, favorisait les intrigues étrangères. Dans ces républiques où la domination du parti communiste durant soixante-dix ans n’avait pu bouleverser les fondements de la structure sociale, les conflits religieux, ethniques et tribaux — avec le soutien étranger — ou les revendications territoriales contre les pouvoirs publics renforçaient les difficultés des nouveaux États. Se sont succédées la guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie avec pour objet le Haut Karabakh, la guerre civile en Ouzbékistan contre les fanatiques religieux, la guerre civile tribale et religieuse au Tadjikistan… les conflits internes de la Géorgie contre les indépendantistes de l’Ossetie du nord et d’Abkhazie, la guerre ethnique et religieuse de la Tchétchénie contre la République soutenue par Moscou, etc., auxquels il convient d’ajouter les conflits entre Moscou et certaines de ces républiques qui constituent les axes économiques et militaires de la Russie.9

Les républiques les plus proches qui, avant la désintégration de l’Union sovié­tique, étaient des centres industriels et les voies commerciales de la Russie avec l’Oc­cident, de même que des bases militaires russes sur la mer Noire,10 sont devenues durant les dernières années, avec le soutien de Washington, et grâce à des « révo­lutions de velours », des rivaux de la Russie. Progressivement, l’OTAN et l’Union européenne s’avancent vers ces territoires. À Bakou, les trusts pétroliers américains ont rapidement renforcé leur position. Depuis quelque temps, il est question de coopération militaire entre les Etats-Unis et la République d’Azerbaïdjan. La guerre en Afghanistan fut une opportunité pour Washington d’établir des relations mili­taires avec les républiques asiatiques en question. Une base militaire américaine fut installée en Kirghizistan, avec la présence de 1 000 soldats et leurs équipements. Or, le comportement violent des militaires américains à l’égard de ce pays, créa l’occasion pour la Russie de démanteler cette base en échange de deux milliards de dollars. Cependant, le point le plus sensible de conflit politique entre Moscou et Washington se situe dans les deux républiques d’Ukraine et de Géorgie. Durant les derniers mois du pouvoir des néo-conservateurs, alors que le monde s’inquiétait d’une éventuelle attaque des Etats-Unis et d’Israël contre l’Iran, le président de la Géorgie ordonna une attaque surprise et nocturne contre l’Abkhazie, région placée sous la protection d’un contingent russe dit « de la paix », tuant non seulement cer­tains autochtones mais également des soldats russes. La réaction russe ne se fit pas attendre. Le Président français s’est rendu précipitamment à Moscou et à Tbilissi afin d’empêcher une guerre à grande échelle entre la Russie et l’OTAN. Cependant, les relations entre Moscou et Tbilissi s’obscurcirent davantage.

Le Président de la Géorgie, arrivé au pouvoir à la suite d’une « révolution de velours », s’est défendu, à l’époque, face aux critiques internationales, en indiquant qu’une semaine avant l’attaque, il était en relation téléphonique quotidienne avec la Maison Blanche et plus particulièrement avec Dick Cheney. Condamnant Moscou, les Etats-Unis ont envoyé leur marine en Géorgie sous couvert de porter les premiers secours aux victimes. Une semaine plus tard, Dick Cheney s’est rendu à Tbilissi en vue de réconforter le Président vaincu. Les Russes ont mis en avant la complicité de l’Ukraine dans cette attaque avortée.

L’Ukraine, lieu de passage des pipe-lines de gaz russe vers l’Europe a lancé la campagne d’interruption de gaz vers l’Europe. Cette campagne qui a duré deux mois a porté atteinte à la crédibilité commerciale internationale de la Russie. Cette campagne fut lancée après les événements de Géorgie. Simultanément, Moscou est entré en négociation pour le renouvellement du contrat de sa basse navale sur la Mer Noire qui arrive à son terme en 2019, tandis que l’Ukraine murmure sa volonté de vouloir y mettre un terme.

La Russie de Vladimir Poutine, ayant surmonté ses difficultés provoquées par la transition de son ordre social, s’est avant tout préoccupée du renforcement de ses capacités défensives. Alors que l’Occident et l’OTAN tentaient de venir à bout des derniers obstacles permettant leur domination complète sur l’Europe de l’Est, la Russie a développé ses plans de contre-attaque face aux avancées en tenaille de Washington vers l’Asie et l’Europe de l’Est.

Une mise en garde historique de Bush, dans une expression réactionnaire, pré­sentant l’« axe du mal » et se prétendant investi d’une mission chrétienne dans la guerre entre « le bien et le mal », promettait un avenir obscur aux peuples du monde sans pour autant oublier la Russie et la Chine. Dans cette campagne, la volonté de se hisser au rang d’un empire mondial sans rival avait relayé au second plan les réalités qui régissent la civilisation.

Alors que les Etats-Unis faisaient une démonstration de force en Afghanistan et en Irak,11 Pékin et Moscou ont créé le « pacte de défense de Chang-Hai » avec la participation des républiques asiatiques de l’ancienne Union soviétique qui englo­baient les régions montagneuses du nord et de l’ouest asiatique, s’étirant des fron­tières d’Afghanistan jusqu’à la Chine, plaçant le Pakistan, l’Inde, l’Iran et l’Afgha­nistan dans son sillage. Outre ce pacte stratégique de défense, Moscou s’est intéressé à créer un maillage autour de la mer Caspienne, à étendre ses relations commer­ciales régionales avec ses voisins et à développer ses liens jusqu’au bassin du Golfe Persique. Les relations entre Moscou et les pays d’Amérique latine se renforcent également comme à l’époque de l’Union soviétique.

 

Le nouveau rôle de la Turquie et de l’« Union islamique »

L’Iran, principale préoccupation de l’Occident sous l’égide des Etats-Unis dans le Moyen-Orient et dans le bassin pétrolifère sensible du Golfe Persique, trouve une place primordiale dans la nouvelle stratégie de l’Est et de l’Ouest. Le régime iranien, par expérience historique, considère comme nécessaire l’existence de tu­multes étrangers à son voisinage en vue de détourner son opinion publique des contradictions internes. Il a eu, proportionnellement aux attaques de Washington contre l’Iran, des réactions qui, progressivement, sont devenues des mots d’ordre de groupes extrémistes.

Les Etats-Unis également, au lieu de montrer leur bonne volonté, ont tenté avec arrogance de renforcer leur pression afin de faire plier le régime iranien à leur volonté, utilisant toutes leurs possibilités dans la région et dans le monde en vue d’isoler l’Iran. Cette politique comporte aussi des avantages pour Washington : 1) Un climat de tension dans la région du Golfe Persique permet des transactions colossales en matière d’armements ; 2) il justifie la présence permanente des Etats-Unis et le maintien de leurs bases militaires dans les Emirats et l’Arabie Saoudite ;

  • opposer l’Iran aux États arabes permet de détourner l’esprit des peuples arabes de la domination et des agressions que mène Israël depuis une soixantaine d’années en Palestine et dans les territoires occupés qui, grâce au soutien occidental, sont de­venues une plaie irrémédiable dans la région. Cette politique pousse les intégrismes religieux et ethniques contre l’Iran de sorte que, malgré ses récentes attaques à Gaza, Israël « invite à l’union les pays arabes » pour contrecarrer « le danger de l’Iran » !
  • obliger les grands et petits États limitrophes du Golfe Persique dépendant des Etats-Unis à se soumettre totalement à la volonté de Washington.

Cependant, la question de l’Iran, une des plus importantes du monde actuel, est directement liée aux politiques des Etats-Unis et de la Russie. L’époque où l’Oc­cident, sans la présence de Moscou, a scellé lors de la conférence de Guadeloupe le destin du régime iranien — qu’il considérait à sa solde — et a défini à son rival mondial une « ligne rouge » d’intervention, est révolu. Avec l’aide de l’Iran, Moscou tente de trouver une part dans le « marché libre » du Golfe Persique, où la France a aussi instauré une base militaire dans les Émirats.12

Les efforts américains pour tenter d’isoler l’Iran ont conduit ce pays à pouvoir — dans un avenir proche, en tant que passage maritime et terrestre au-delà de la mer Caspienne avec des capacités nouvelles — intervenir dans la région et dans les communications à travers le monde. Or cette position pourrait devenir un obstacle si la normalisation des relations avec les Etats-Unis n’intervenait pas simultané­ment. Elle est, de même, en relation directe avec l’affrontement entre Washington, Moscou et Pékin dans l’Asie centrale et occidentale.13

L’extension des rivalités entre l’Est et l’Ouest dans la mer Caspienne et l’Asie Occidentale, intensifiée dès le début du 21ème siècle par l’invasion militaire améri­caine de l’Afghanistan, a ouvert un nouveau chapitre dans les stratégies, différentes du 20ème siècle. Le changement politique incontournable de Washington détermi­nera l’avenir de ces stratégies dont l’objet réside dans le destin des nouveaux pays issus de la dislocation de l’ancienne Union soviétique et dont l’Iran et la Turquie constituent les voies par lesquelles passe leur relation indépendante avec le reste du monde.

Le voyage de Barack Obama en Turquie et son éloge de l’Islam de même que son insistance sur l’entrée d’Ankara dans l’Union européenne, démontre une nou­velle campagne des États-Unis sur la scène internationale. Washington vise ainsi à diminuer l’influence de la présence de l’Iran islamique dans un espace qui constitue le même « Grand Moyen-Orient » des néo-conservateurs, un espace beaucoup plus large que le Proche-Orient situé sous la domination politique d’Israël et parmi des rivalités entre les pays arabes du Golfe Persique.

Sans doute, la Turquie, islamique ou laïque, devenue alliée stratégique de Washington au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est préférable à l’Iran islamique pour diriger une union islamique et ne comporte pas des dangers comme le développement de nébuleuses telles que l’Al-Qaï’da ou les Talibans.

Après les infortunes des Etats-Unis pour réprimer Al-Qaï’da ou les Talibans qui ont également entraîné les Nations unies et l’OTAN dans ce bourbier, la forte­resse qu’est le Pakistan, doublée de celle de l’Afghanistan, est en train de s’écrou­ler. La présence à long terme des spécialistes militaires et politiques américains en Afghanistan était une occasion pour Washington de prendre conscience du dan­ger des régions tribales du Pakistan pour la sécurité de la région et de prendre en compte ce facteur dans sa stratégie concernant l’Afghanistan. Dans la nouvelle stratégie, comme elle a été décrite par le président des Etats-Unis lors de ses tour­nées, outre l’OTAN, les pays de la région, de l’Iran à l’Inde, jusqu’au Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, la Chine, etc. auront des rôles à jouer.14


La rotation à 180 degrés du président des États-Unis, durant cette courte pé­riode, pour préserver l’hégémonie de son pays sur le monde, aussi bien à l’inté­rieur des Etats-Unis qu’à l’échelle internationale, ne se limite pas uniquement à ses entrevues avec les dirigeants des pays ou ses prises de position lors d’importantes conférences comme celles de Londres, de Strasbourg et de Bruxelles. La déclaration simultanée de ses décisions dans les programmes d’armement et de formation des forces armées américaines, principale base de la puissance de ce pays, confirment une réalité qui est en passe de se concrétiser.

Dans l’application du plan annoncé par les néo-conservateurs, Barack Obama a effectué une rotation stratégique. Il s’agit premièrement de mettre un terme à l’ap­proche arrogante à l’égard des autres puissances disposant de puissance militaire, attitude qui avait conduit les Etats-Unis à déplacer vers l’espace son programme d’armement dans sa rivalité traditionnelle avec la Russie. L’expérience de l’Afgha­nistan, de l’Irak et l’éternel conflit entre Israël et les Palestiniens ont démontré que ces armements sur terre, dans leur confrontation avec des marées humaines, restent inefficaces et ne servent qu’à contenir les grandes puissances. Ainsi, les Etats-Unis tentent de se réconcilier avec les autres puissances quant aux armements spatiaux et de réduire le nombre d’ogives nucléaires existantes. Ils ont répondu positivement à la proposition russe de réduire ces armements et leur portée. Les futurs pourparlers qui se dérouleront prochainement entre Moscou et Washington constituent le dé­but de cette action. Par ailleurs, les énormes capitaux dégagés par l’abandon de ces programmes — ayant provoqué l’opposition intense des trusts et de leurs défenseurs dans ces secteurs — serviront à développer des armes et équipements conformes aux défis qui se déroulent sur terre et dans lesquels les Etats-Unis tenteront de préserver et de stabiliser le système néo-colonial.

Ce transfert de la stratégie militaire, de l’espace vers la terre, sera sans doute un point culminant dans l’évolution du défi mondial de l’instauration de l’ordre néo-colonial. Cependant, aujourd’hui, un des moyens pour atténuer le danger de confrontation sur terre est celui de l’espace, ce qui diminuera en partie les tensions entre les puissances internationales et, peut-être, augmentera le poids des Nations unies.

Malgré l’accueil positif du Kremlin à l’égard du projet de démantèlement des armes nucléaires présenté par Washington, la réaction des spécialistes militaires russes était hésitante. Par exemple, le général Pawel Zanariev (vice-président de l’institut des Etats-Unis et du Canada de l’Académie des sciences de la Russie) déclare : « La baisse des armements nucléaires, sans la prise en compte du bouclier anti-missiles n’a aucun intérêt pour la Russie. » Les propositions d’Obama à pro­pos du désarmement nucléaire total ne sont pas uniquement destinées à la propa­gande. Les Américains suivent une politique à long terme dans leur propre intérêt. Disposant d’armes conventionnelles plus développées et de l’extension simultanée de leur système anti-missiles, ils sont prêts à démanteler les armes nucléaires. Or, on ne peut tendre vers le désarmement total sans modifier l’attitude de « faire avancer la politique par la force » et de « perfectionner des systèmes anti-missiles ».

Victor Yesken ancien commandant général des forces stratégiques aériennes de la Russie est persuadé que : « Les Américains ne s’abstiendraient pas d’instaurer une troisième ceinture de bouclier antimissiles en Europe… La question est de savoir si Obama se contenterait ou non de 10 missiles anti-missiles en Pologne et d’instal­lation de radars en Tchéquie… » 15 (citation de Ria Novosti de « Vremia Novosti », « Gazetta »)15

Néanmoins, l’espoir de la baisse sérieuse des tensions alarmantes entre Washington et Moscou persiste. L’effort commun pour sortir de la crise issue des Etats-Unis avec ses impacts sur la Russie (notamment en raison de la baisse du prix du pétrole) comme dans d’autres pays, la reprise des relations collatérales entre Moscou et l’OTAN (il ne faut pas oublier le rôle joué par la France et la Grande-Bretagne dans cette reprise) — les négociations portant sur l’installation du réseau de missiles anti-missiles dans l’Europe de l’Est — font l’objet de négociations bila­térales.

Or, ce qui est inquiétant, est l’avancée de l’OTAN dans le Caucase et l’Asie centrale qui constitue aujourd’hui le point de départ du mouvement stratégique des Etats-Unis pour sortir de l’impasse en Afghanistan, en régionalisant la lutte contre le terrorisme qui affecte aujourd’hui l’ouest du Pakistan. C’est cet élément qui jus­tifie la volonté d’Obama à vouloir réconcilier la politique américaine avec l’Islam. La forte tendance du Tadjikistan de vouloir se rapprocher des Etats-Unis — accom­pagnée d’une intense critique à l’égard de Moscou — , bien qu’elle puisse provenir d’une volonté d’obtenir des privilèges de la part de la Russie, peut être également le résultat de ce mouvement vers la mer Caspienne et l’Asie centrale.

Bien qu’on ne puisse douter de la volonté du Président des Etats-Unis de dis­siper les vieux traumatismes de l’époque des néo-conservateurs dans les relations internationales, néanmoins, la stratégie de domination par un système néo-colonial à travers l’entremise de l’OTAN est évident. Les politiques islamiques de l’URSS et de la Russie serviraient uniquement à stabiliser les inégalités et déséquilibres dans les relations internationales et cela sous couvert de l’Organisation des nations unies, facteur qui générera et développera l’insécurité mondiale.

Il ne faut pas oublier que le destin de six milliards d’êtres humains se trouve tou­jours entre les mains de quelques puissances qui rivalisent de manière permanente en vue d’instaurer leur domination. Même après la codification du droit interna­tional datant de presque un siècle, la volonté de domination dans les relations entre les peuples ne s’est pas atténuée, et en dernière instance, c’est l’utilisation de la force qui a le dernier mot.

Il faut admettre que pour réorganiser le monde, à l’abri de la volonté de domi­nation des grandes puissances et les conflits que cela génère, la charte des Nations unies reste, à ce jour, l’acquis le plus efficace de la civilisation qui doit régir la vo­lonté des grandes puissances et des alliances.16

Notes

  1. Le Monde 05.2009
  2. Ria-Novosti
  3. Le Monde 03.2009
  4. « L’OTAN après Prague », Bureau de l’information et de la presse de l’OTAN,otan.nato. int
  5. Gérard Chaliand, L’Amérique en Guerre, Irak-Afghanistan, Paris : Edition du Rocher, 2007.
  6. Hall GARDNER « Approfondir les schismes politiques entre les Etats-Unis et l’Union euro­péennes — et la Russie» Géostratégique juillet 2008
  7. La Croix, 05.2004
  8. Le Monde 12.1999
  9. Hall Gardner, « Vers les Communautés régionales de sécurité » : L’Otan, l’Onu et la résolution 1948 de Vandenberg », Géostratégiques, N° 14, avril 2006.
  1. Doru COJOCARU Géopolitique de la mer noire, L’Harmattan 2007
  2. Kacem Fazelly, « La politique des Etats-Unis en Afghanistan », Géostratégiques, N° 9, octobre 2005.
  1. Le Figaro.fr international
  2. Courrier International, 06.2009
  3. Le Moyen-Orient à l’épreuve de l’Irak, Actes-Sud-Sindbad, 2003.
  4. Citation de Ria Novosti de « Vremia Novosti », « Gazetta ».
  5. Charles ZORGBIBE, « pour une refonte de l’Onu » Géostratégiques, N° 14, avril 2006.

 

 

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