Une Déclaration arabe des Droits pour garantir les droits fondamentaux de la vie ?

Princess Basmah Bint Saud Bin ABDULAzIz

3eme trimestre 2012

Je suis membre de la Famille Royale Saoudienne par pur concours des circonstances et parallèlement, par expérience et action, je suis défenseuse des réformes. Je dis réformes car actuellement le Moyen Orient, en feu et en sang, montre que la révolution n’a pas été le catalyseur de changements pérennes que beaucoup d’entre nous avions tant espérés.

Au fond, à mon avis, cette région a pris feu car on y a longtemps refusé, par la force, les droits fondamentaux à la population.

Il y a dans la vie, me semble-t-il, certains éléments de base qui nous offrent à chacun la dignité et le calme pour vivre en paix. Chacun a besoin de la liberté d’expression, de l’éducation, de la santé et de la protection sociale. Par le dernier vocable, je veux dire l’égalité d’accès aux opportunités et aux services publics de telle façon qu’en donnant leur consentement au gouvernement, les citoyens puissent vivre en toute tranquillité et dans la sécurité physique, en harmonie et dans le respect.

Ceci me semble être le minimum mais je me défendrais de suggérer ce que pourrait être le maximum. En effet, ce n’est pas à moi de dire en détail comment chaque pays dans la région devrait gérer son contrat social. Cependant, ce que je viens de mentionner plus haut doit être considéré comme voulant dire les droits de naissance inhérents et imprescriptibles pour tout le monde qu’un pouvoir judiciaire indépendant se doit de garantir dans la pratique.

Ceci impacte fortement les événements survenus dans le monde arabe ces 18 mois derniers.

Je ne veux pas donner l’impression que mes idées soient limitées au Moyen Orient car ces droits fondamentaux que je viens de citer appartiennent, de mon point de vue, à l’ensemble de l’espèce humain. L’exception semble seulement faire ressortir les différences alors que je tiens au contraire à arriver à un dénominateur commun.

Alors, quoi de neuf au Moyen Orient ? … il y a eu des élections ci et là mais qui sont les nouveaux dirigeants dans les pays où ils ont émergé ? … et dans d’autres où ils ne l’ont pas, que pouvons-nous attendre ?

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai regardé à la télé ce que je pensais être une thawra shabaabiya, c’est à dire une jeune révolution ; une révolution par les jeunes et pour les jeunes. Nous disons généralement que les jeunes représentent l’avenir et vous n’avez qu’à regarder la démographie actuelle de la région pour vous en rendre compte.

Ainsi j’écoute avec tristesse et désolation, les actualités sans y trouver trace de ces jeunes qui ont si courageusement mis en marche la révolution. Depuis lors, on a connu des désaccords et on a temporisé. La politique habituelle a érodé la ferveur révolutionnaire, le consensus politique s’accorde mal avec les protestations. L’égalité d’accès aux droits fondamentaux de la vie que j’ai mentionnés précédemment se fait attendre et les jeunes regardent alors que des hommes grisonnants en costume étalent leurs désaccords sur les décisions politiques.

Loin de moi l’idée de paraître trop pessimiste. Force est de constater que quelque chose d’intrinsèque a changé et personne ne peut effacer l’élan des soulèvements. Des décennies d’autocratie se sont accumulées telles qu’il n’y ait aucune chance réaliste que la transition soit sans accrocs.

Mais bien que la patience soit nécessaire, la passivité n’est aucunement de mise. Nous nous devons d’apprendre sur quoi nous entendre et en profiter pour nous prévenir contre les désaccords sur lesquels nous avons l’habitude de retomber face à des décisions cruciales.

Alors, comment allons-nous stabiliser la région ? Comment pouvons-nous garantir que les bases nécessaires soient là pour faire avancer le Moyen Orient ? En tant que nation arabe, nous nous devons de renforcer le dénominateur commun que nous partageons.

Peut-être est-ce le moment pour qu’une Déclaration Arabe des Droits de l’homme le fasse ?

Un tel texte n’est pas une idée nouvelle, ni le concept de l’intégration régionale, sous quel que description que ce soit, pour le monde arabe. Mais le choix du moment est important, particulièrement parce que certains pays dans la région sont en train d’expérimenter de nouveaux modèles constitutionnels alors que d’autres qui ne le font pas pensent sérieusement aux réformes.

Je considère la Déclaration Arabe des droits de l’homme comme un repère postérieur au Printemps Arabe, quelque chose qui enchâsse les bouleversements des mois passés dans une sorte de monument inaliénable ou un moment déterminant qui saisisse l’espoir et la détermination des soulèvements mais aussi les pertes. Ce texte regarde également nos valeurs, celles qui sont partagées à travers tout la région sur lesquelles nous pouvons nous mettre d’accord et en effet sommes d’accord.

Je reviens sur mes propos d’ouverture à savoir qu’il y a dans la vie certains éléments de base qui offrent à chacun d’entre nous la dignité et le calme pour vivre en paix notamment la liberté d’expression, l’éducation, la santé et la sécurité sociale. Je me propose maintenant de dire pourquoi j’en fais la promotion.

En effet, des fois, on a tendance à concevoir le monde arabe comme une masse indifférenciée à savoir la région habitée par les arabes. Nous sommes à l’évidence 22 pays dans la Ligue Arabe, et chaque pays a sa population, son propre gouvernement, ses propres préoccupations et problèmes. Ignorer ceci revient à mal interpréter ce qui s’est passé et les raisons pourquoi.

Le moyen Orient renferme, à travers son étendue, des ressemblances et différences. Il présente une riche diversité que nous nous devons de garantir et dans le passé les garanties en ont malheureusement fait défaut.

Mais aujourd’hui, grâce à la rapide amélioration des communications, notre sens amélioré des droits inaliénables s’est fortement enraciné. Nos attitudes et attentes ont été réformées pour exiger l’égalité de la meilleure façon que nous puissions concevoir.

Comme la région avance à la suite des bouleversements récents, elle a besoin des réformes approfondies, certes une nécessité pleine d’embûches. Sur cette route rocailleuse, je crains que les droits de base de l’individu ne soient la première victime à en pâtir. Prenons garde qu’il n’en soit pas ainsi !

Tout le monde sait que de nouveaux équilibres sociaux appellent de nouvelles approches.

Alors, quel pourrait être le contenu d’une telle Déclaration Arabe des droits de l’homme ? Sans aucun doute, son élaboration nécessiterait un acte de leadership et de vision suprême à travers plusieurs nations différentes.

Ce n’est réellement ni le moment ni l’endroit pour une description détaillée du contenu de ce texte ni pour une analyse juridique complète aux fins d’en indiquer les paramètres. C’est tout juste l’occasion d’en esquisser quelques titres de chapitres dont le centre est la liberté d’expression, l’éducation, la santé et la protection sociale.

Il y a ailleurs des précédents utiles et appropriés quant à la forme à savoir la Charte Arabe des droits Humains, la Charte de l’ONU, la Déclaration Universelle des droits de l’homme, la Convention Internationale sur les droits de l’homme et la Déclaration du Caire des droits humains dans l’Islam.

Incidemment, je devrais souligner ici que je n’entends pas dire que nous devrions chercher en dehors de notre propre expérience pour trouver le contenu mais que nous nous devrions d’examiner nos propres valeurs, nos propres manières de vivre et les valeurs communes pour lesquelles beaucoup de nos compatriotes se sont battus.

Oui, je pense effectivement au soutien de la base, notamment des dirigeants religieux au niveau local entre autres. L’aspect local est sans doute essentiel. A travers le Moyen-Orient on constate un courant de suspicion à l’égard du discours « droit de l’homme » occidental qui me semble plutôt sélectif — ce que les irakiens confirmeraient avec moi. C’est la raison pour laquelle nous autres ne pouvons pas nous embarquer dans un tel projet en utilisant le langage des idées et paradigmes de l’étranger. Il s’agit au contraire de faire appel à des symboles culturels et au langage autochtones pour construire un avenir stable pour nous tous — puisque nous le voulons et non pas parce que quelqu’un d’autre nous dit que c’est une bonne idée.

Les Conventions internationales que j’ai citées ont un champ d’action et une ambition très vastes mais nous constatons avec tristesse que beaucoup de pays les ont signées et ont manqué par la suite de les mettre en œuvre, pas seulement au Moyen Orient mais dans beaucoup d’autres états de par le monde.

Je devrais néanmoins ajouter qu’il ne s’agit pas d’imposer le contenu du texte aux États. Comme je l’ai dit précédemment, il y a les droits fondamentaux mais, au-delà de ceux-ci, chaque pays se doit d’élaborer un contenu sur mesure, fonction de son contexte culturel spécifique. En effet, la responsabilité incombe à chaque pays vis-à-vis de ses citoyens.

Evidemment, un texte aussi ambitieux engendra naturellement de l’opposition si non le sentiment quant à ses détails pratiques. Ainsi, qu’en pensent les sceptiques ?

Ces derniers pourraient dire que le printemps arabe a été si soudain que l’on pourrait s’interroger : où en sont les pierre angulaires, les années de recherches, de délibérations et de refontes politiques nécessaires à la création et à la défense des exercices et expérimentations des droits substantiels sur le terrain et pas uniquement en théorie ou dans les discours des campagnes et meetings ? On ne peut pas s’empêcher d’observer que lorsque un pays ne dispose pas de conditions constitutionnelles ou légales pour respecter les droits humains, on évoque souvent la sécurité afin d’y échapper.

Aussi les sceptiques pourraient demander où est la place de la religion dans tout ceci ? Comment la religion sera-t-elle protégée étant donné la diversité des minorités et des croyances dans la région ? Pourquoi une telle Déclaration devrait-elle être respectée alors que souvent par le passé, des constitutions ont simplement été modifiées afin de satisfaire aux souhaits des autocrates ?

Afin de démontrer que notre projet de Déclaration Arabe des droits pourrait se faire, je voudrais vous parler de quelque chose de récent. Au mois de Juin 2011, Ahmed al Tayeb, Grand Cheik de l’Université Al Azhar au Caire a proclamé La Déclaration sur l’avenir de l’Égypte consécutivement à une série de réunions et de débats des érudits émérites d’al-Azhar et d’intellectuels égyptiens issus de différents horizons et obédiences religieuses.

Les rédacteurs y mettent l’accent spécialement sur la tradition dont ils ont puisé leur inspiration à savoir les grands intellectuels, les réformateurs, les philosophes, les législateurs, les écrivains et artistes qui tous ont aidé et contribué à fonder la pensée contemporaine égyptienne et arabe.

La Déclaration égyptienne s’est appuyée sur l’expérience des soulèvements et a créé un repère pour s’assurer que le sacrifice ne soit pas vain, avec le soutien des participants issus des différents milieux de la société afin d’en garantir la représentativité.

Je ne lirai tout simplement pas tout le texte de la Déclaration d’al-Azhar mais en citerai seulement les composantes principales comme suit :

  1. Un État nation moderne fondé sur une constitution ;
  2. Un gouvernement représentatif ;
  3. La liberté de pensée et d’expression avec le respect total pour les droits humains et les droits des femmes et enfants, plus la liberté d’expression religieuse ;
  4. Respect total dû à la différence et à l’éthique de dialogue ;
  5. Engagement vis-à-vis des conventions internationales sur les relations humaines en accord avec les traditions arabes et musulmanes ;
  6. Engagement vis-à-vis de la préservation de la dignité de chaque nation, de sa fierté nationale et de la diversité d’expression religieuse ;
  7. L’Éducation et la recherche scientifique comme pierre angulaire du développement ;
  8. L’utilisation du système légal de la nation au service du développement, de la justice sociale, du combat contre le despotisme et la corruption et pour éliminer le chômage ;
  9. Renforcement des relations internationales sur la base de l’égalité, l’indépendance et la coopération.

La Déclaration d’al-Azhar est certes un projet national mais… porte en elle des caractéristiques dont on peut se servir comme un plan pour un projet pan-Arabe.

Effectivement, le concept que j’expose n’est pas limité au Moyen Orient car les fondamentaux en sont communs à tous les peuples.

Pour l’exprimer dans sa forme la plus basique, je veux impliquer le besoin d’avancer et de construire sur les erreurs du passé et sur les sacrifices de tant de personnes. Ceci nécessite un moment de clarté où la majorité accepte simplement de se mettre d’accord.

Arriver au consensus est quelque chose de merveilleux car cela est susceptible de créer un socle ou une plateforme commune à partir de laquelle on peut aborder un succès plus grand et un progrès plus vaste.

Voici mon but, avec la Déclaration Arabe des droits : un changement durable qui ne puisse être érodé par le désaccord et les tergiversations.

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