Une intervention en Syrie : protection du peuple syrien ou tentative d’imposition d’un modèle universel ?

Eric pomès

Chercheur associé au Crec St Cyr et au Groupement d’Etudes et de Recherches sur le Droit International et Comparé, Université de Nice Sophia Antipolis (EA GEREDIC 3180). Il est notamment l’auteur de Droit international public, Paris, Studyrama, 2012.

3eme trimestre 2012

En Syrie, deux forces organisées s’affrontent et surtout le seuil de violence dépasse à l’évidence celui de simples troubles intérieurs. Cette qualification oblige à s’interroger sur les origines de ces réticences à parler de conflit armé. La réponse est complexe mais la prudence du discours cache l’impossibilité de la Communauté internationale d’intervenir en Syrie. En comparant la Libye et la Syrie un certain nombre d’explications peuvent être avancées. L’une de raisons avancée de manière parfois un peu simpliste est la présence de pétrole en Libye et l’absence d’or noir en Syrie. Ce qu’explique plus sûrement la situation présente est le soutien d’alliés dans le cas de la Syrie ce dont était dépourvu l’ancien dirigeant libyen. Plus précisément, le gouvernement syrien sait pouvoir compter sur le soutien à la fois de la Russie et de la Chine. Ces deux alliés bloquent, grâce à leur droit de veto toute résolution contraignant le régime syrien. Les motivations russes et chinoises sont différentes.

In Syria, two organized forcesare in confrontation and the level of violence has exceeded obviouslythat of internai normal troubles.This has forced many to ponder on the reluctance to talk of an armed conflict.The answer is complex but the prudent discourse hides the impossibility for the international community to intervene in Syria. When we compare Lybia and Syria, we can put forward certain explanations.One reason suggested sometimes in a simplistic manner is the abundance of oil in Lybia and the absence of this resource in Syria.The différence is that Syria has the support of influential allies whereas le former Lybian leader did not enjoy such aid.More precisely,the Syrian government knows that it can rely on Russia and Chinawhich can veto (and has done so) all UN compelling resolutions against the Syrian regime.Of course Russia and China have different reasons.

La Syrie est l’un des derniers pays du monde arabe à faire sa révolu­tion, à connaître le fameux printemps arabe qui risque de se transformer en hiver arabe. Depuis mars 2011, le pouvoir en place est confronté à une contestation qui, de pacifique, s’est mue en confrontation armée. Les combats semblent d’ailleurs, comme à Alep, très violents[1]. Malgré cette violence, les diplomates et la plupart des journalistes expliquent que la Syrie est au bord de la guerre civile. Quelle que soit la définition retenue de la guerre civile, sociologique ou juridique, la « guerre civile » est bien là. À s’en tenir à la seule définition juridique, la Syrie connaît actuelle­ment un conflit armé non international. Les conflits non-internationaux sont des confrontations armées se déroulant à l’intérieur du territoire d’un seul État entre les forces armées de l’État et des forces armées dissidentes ou des groupes armées orga­nisés et dans lesquelles aucune force armée appartenant à un autre État n’est enga­gée contre le gouvernement central. En Syrie, deux forces organisées s’affrontent et surtout le seuil de violence dépasse à l’évidence celui de simples troubles intérieurs. Cette qualification oblige à s’interroger sur les origines de ces réticences à parler de conflit armé. La réponse est complexe mais la prudence du discours cache l’impossi­bilité de la Communauté internationale d’intervenir en Syrie. Tout se passe comme si ne pas nommer la réalité permettait d’occulter une autre réalité : la persistance des intérêts nationaux. Cette réalité signifie-t-elle la faillite du Conseil de sécurité censé incarner la Communauté internationale ?

La réponse ne peut être tranchée. En effet, la Communauté internationale agit en Syrie, par conséquent, évoquer une faillite présuppose, de la part de ceux qui avancent cette idée, l’existence d’une bonne « réponse ». En l’espèce, la « bonne ré­ponse » serait une action armée en Syrie. L’absence d’une telle action mérite donc d’être analysée d’autant plus que cette analyse peut fournir des enseignements fruc­tueux sur le degré d’existence de la communauté internationale.

Les causes de l’inaction

Avant d’aller plus avant, il est nécessaire de rappeler que la notion de Communauté internationale est utilisée à des fins de légitimation politique. Le Kosovo à cet égard fournit une parfaite illustration. En 1999, la Communauté internationale exigeait, selon les responsables de l’Otan, une intervention contre la Serbie. Las, une étude des débats au sein des Nations unies montre qu’une majo­rité d’États se prononçait contre une telle intervention. La récente intervention libyenne montre une pareille réticence (voir l’abstention au Conseil de sécurité du Brésil par exemple). L’utilisation du terme « Communauté internationale » s’avère même parfois suspecte. Elle présuppose l’universalité de la réponse armée dans des situations telles que celle de la Syrie. Loin de cette approche universelle, un tel recours marque plutôt la volonté d’imposer une morale, pour les plus idéalistes, et plus sûrement des intérêts nationaux.

Ces précisions faites, la situation Syrienne peut être fructueusement analysée en regard de la récente situation libyenne.

Comme pour la Libye le Conseil de sécurité s’est intéressé à la situation, il est vrai près d’un an après le début de la répression de la contestation, en adoptant des résolutions[2]. La France a d’ailleurs annoncé que la situation syrienne sera une priorité de sa présidence au Conseil de sécurité et qu’elle orientera le débat sur les questions humanitaires. Mais alors que dans l’affaire libyenne, une action armée a été autorisée, la situation syrienne n’a pas donnée lieu à une telle réaction en raison des vetos russe et chinois. Néanmoins, la Communauté internationale n’est pas restée inactive. La ligue arabe a ainsi envoyé, avec peu de succès, des observateurs en décembre 2011 qui ont établi un rapport sur la situation sur le terrain[3]. L’ancien Secrétaire général des Nations unis Kofi Annan a pour sa part été mandaté par les Nations unies[4] et la Ligue arabe pour négocier entre les parties un plan de paix. Ce plan a été annexé à la résolution 2042 (2012) ; il vise à mettre fin immédiatement à toute violence et à toute violation des droits de l’homme, à garantir l’accès des organismes humanitaires et à faciliter une transition politique dirigée par les Syriens devant mener à l’instauration d’un régime politique démocratique et pluraliste, fondé sur l’égalité des citoyens quelles que soient leur appartenance politique ou ethnique ou leurs convictions, à la faveur notamment de l’ouverture d’un dialogue politique général entre le Gouvernement syrien et l’ensemble des forces d’opposi­tion syriennes. Pour surveiller la mise en œuvre de ce plan, la résolution 2042 du 14 avril 2012 du Conseil de sécurité a autorisé le déploiement d’observateurs au sein de la Mission de supervision des Nations Unies en République arabe syrienne (MISNUS). L’Ambassadeur français au Conseil de sécurité estime toutefois que les « divisions très profondes et irréconciliables en termes politiques » au sein du Conseil rende très probable le non-renouvellement de la MISNUS dont le mandat s’achève le 19 août.

Ces initiatives n’ont pas empêché la perpétration de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire. D’où l’idée de la nécessité d’une intervention armée. Quel serait le fondement à un tel recours à la force ? Depuis la création des Nations unies, le recours à la force n’est licite qu’en cas de légitime défense ou d’autorisation du Conseil de sécurité. La décision de recourir à la force nécessite l’existence ou plus précisément la qualification par le Conseil de sécurité d’une menace à la paix et à la sécurité internationales. Aucune définition de cette menace n’a cependant été intégrée dans la Charte des Nations unies afin de disposer d’une notion évolutive et non contraignante pour le Conseil de sécurité.

Le Conseil de sécurité s’est servi, à la chute du mur, de cette plasticité pour étendre aux situations de violation des droits de l’homme la notion de menace à la paix. C’est à partir de cette nouvelle réalité que certains ont soutenu la consécra­tion du « droit » d’ingérence. Les débats autour de celui-ci et les violations massives des droits de l’homme aussi bien au Rwanda que dans les Balkans ont conduit Kofi Annam en 2000 à demander une nouvelle réflexion sur la conduite à tenir dans de telles circonstances. De ces réflexions est né le concept de responsabilité de protéger[5]. Les réponses aux violations massives des droits de l’homme sont ici complètement repensées. Contrairement au droit d’ingérence, l’accent est mis sur la responsabilité première et primaire de l’État de protéger la population vivant sur son territoire ; l’action de la Communauté internationale ne se déclenchant que si l’État est incapable ou ne veut pas protéger la population. Seconde innovation importante, la responsabilité de protéger est formée de trois obligations : prévenir, réagir et reconstruire. Depuis le sommet mondial de 2005, la responsabilité de protéger s’est imposée aux Nations unies et dans les discours de politique étrangère. Elle a ainsi été utilisée au Kenya en 2008, au Darfour et bien évidemment en Libye. Quel changement introduit cette évolution conceptuelle ? La réponse est difficile. Juridiquement sa portée est en effet discutée. Pour certains elle établirait de nou­velles obligations alors que pour d’autres elle n’est même pas du droit. Malgré ces débats elle s’est imposée dans les discours de crise.

La difficulté avec le discours sur la responsabilité de protéger est de bien sai­sir les idées sous jacentes[6]. La première est une pensée idéaliste : pour sauver des êtres humains, la guerre est parfois nécessaire. Il conviendrait donc d’intervenir en Syrie pour protéger le Syriens. L’aide militaire internationale, la phase de réaction de la responsabilité de protéger, peut être analysée comme une aide au peuple syrien pour se libérer et donc comme favorisant le droit du peuple syrien à disposer de lui-même.

Excepté les cyniques, peu de monde se déclarera opposé à un tel objectif. Cependant, comment croire qu’un pays quel qu’il soit agisse de manière désin­téressée ? De l’autre côté du spectre idéologique d’aucuns avancent que ces inter­ventions n’ont qu’un but intéressé : accaparer des ressources ou redessiner la carte stratégique. Les créateurs de la responsabilité de protéger, conscients de ces deux positions, ont ainsi reconnu que les motivations de l’intervenant pouvaient être intéressées à condition que leur priorité soit de protéger la population.

Quelles sont alors les raisons de la non-intervention en Syrie ? En comparant la Libye et la Syrie un certain nombre d’explications peuvent être avancées. L’une de raisons avancée de manière parfois un peu simpliste est la présence de pétrole en Libye et l’absence d’or noir en Syrie. Ceci est insuffisant pour expliquer l’absence d’action armée. Ce qu’explique plus sûrement la situation présente est le soutien d’alliés dans le cas de la Syrie ce dont était dépourvu l’ancien dirigeant libyen. Plus précisément, le gouvernement syrien sait pouvoir compter sur le soutien à la fois de la Russie et de la Chine. Ces deux alliés bloquent, grâce à leur droit de veto (c’est ce qui s’est passé le 19 juillet 2012) toute résolution contraignant le régime syrien. Les motivations russes et chinoises sont différentes mais elles montrent la persistance de l’importance de la protection des intérêts nationaux.

Le soutien russe s’explique par ses liens économiques avec la Syrie et surtout par la présence d’une base navale qui permet à la Russie d’être présente en Méditerranée. Même si des intérêts économiques chinois en Syrie existent, il semble que son sou­tien s’explique par sa volonté de maintenir de bonnes relations avec la Russie (pour­voyeur d’armes) et l’Iran (pourvoyeur de pétrole). Ces motivations, très rapidement dressées, montrent bien que l’idée d’une Communauté internationale reste limitée aux domaines dans lesquels les intérêts des États les plus puissants ne sont pas engagés. De ce fait, face au manque de soutien des grandes puissances à sa mission, Kofi Annan a démissionné le 2 août et le lendemain, l’Assemblée générale a voté une résolution, non contraignante, condamnant l’inaction du Conseil de sécurité[7]. Cette résolution a été présentée par l’Arabie saoudite au nom du groupe arabe et a été soutenue par une soixantaine de pays parmi lesquels les États-Unis et les États européens. Le texte déplore que « le Conseil de sécurité n’ait pu s’accorder sur des mesures qui obligeraient les autorités syriennes à respecter ses décisions ».

Une autre raison milite contre une intervention. Même si peu d’analystes l’évoquent, lancer une opération militaire nécessite de s’interroger sur la faisabilité de l’intervention. Si en Libye celle-ci paraissait possible, bien que limitée à l’espace aérien, une opération en Syrie pourrait s’avérer plus complexe. Qui interviendrait ? Question cruciale car gagner nécessite certainement un engagement plus important qu’en Libye. L’Otan paraît être la seule organisation en capacité de mener une telle opération mais une intervention de sa part risquerait d’être perçue notamment par l’Iran, comme une agression. Car la difficulté de l’affaire syrienne s’explique aussi par le soutien iranien et les risques de déstabilisation régionale, notamment au Liban, qu’entrainerait à une telle opération, comme le montre le Mali consécutive­ment à l’opération en Libye. Le Secrétaire général Ban Ki-moon estime d’ailleurs que le conflit est désormais « une guerre par procuration, avec des acteurs régionaux et internationaux armant un camp ou l’autre ».

Ces feux rouges ou oranges permettent de tirer quelques enseignements de la non-intervention en Syrie.

Les enseignements de l’inaction : la résistance de l’État

Les enseignements sont doubles. D’abord, la non-intervention en Syrie montre la persistance de l’État comme acteur principal des relations internationales. Si parfois les événements laissent penser que l’État est concurrencé par les organisations internationale voire les ONG, il ne faudrait pas exagérer la perte d’influence de l’État. Cette concurrence est bien réelle à condition de s’exercer dans des domaines où la survie de l’État ou plus exactement du gouvernement en place n’est pas mise enjeu. Mais surtout cette concurrence n’a véritablement d’effet qu’envers les États ouverts à celle-ci, comme les États de l’Union européenne, ou des États trop faibles. Dès lors que l’État en cause est une puissance avec la volonté de s’en servir ou un État fort, comme le Myanmar, cette concurrence n’a que peu d’effet sur le comportement de l’État. À cet égard, la Syrie fournit donc une bonne leçon de relation internationale à tous ceux qui professent la fin de l’État, l’avènement des organisations internationales et des Ong. Ces derniers acteurs jouent un rôle mais il reste relatif. L’idée qui sous tend les doctrines minimisant l’État est l’existence d’une Communauté internationale homogène[8]. De ce présupposé découle l’idée que dans des situations semblables à la Syrie, le Conseil de sécurité, incarnation de cette communauté, doit agir.

Cette idée situe le discours dans le champ de la morale pas dans celui de la réalité. Pour comprendre l’inaction du Conseil de sécurité, les raisons du droit de veto qui « paralyse » son action doivent être brièvement rappelées. La création du veto est en effet à rechercher dans l’incapacité de la Société des Nations à empê­cher le déclenchement de la guerre. L’idée qui animait les rédacteurs de la Charte était d’empêcher une nouvelle guerre en créant un système de sécurité collective. Dans un tel système, la guerre est prévenue en avertissant l’État agresseur que son comportement conduira à une réaction de l’ensemble des autres États en faveur de la victime. Or, pour qu’un tel système soit accepté et acceptable pour les grandes puissances, celles-ci devaient avoir l’assurance que leurs intérêts seraient toujours protégés. Ceci peut apparaître choquant mais c’était la condition sine qua non à la participation des grandes puissances à la réussite de l’entreprise des Nations unies. Pour les tenants d’une solidarité internationale, la solution est donc de supprimer ce droit, élément de paralysie des Nations unies et de domination des cinq membres permanents. L’abandon du droit de veto paraît inconcevable puisqu’il s’agirait de demander à un État de renoncer à un droit crucial en termes de reconnaissance internationale et de protection de ses intérêts. Et même en s’arrêtant un instant et en imaginant que cette réforme se réalise, aurait-elle réellement des effets positifs ? L’argument avancé en faveur de l’abandon du veto est l’affirmation de la fin de la pa­ralysie des Nations unies et l’instauration corrélative d’une solidarité internationale.

Si un tel résultat est moralement souhaitable, la réalité des relations internationales laisse craindre que l’abandon du veto induise des effets pervers qui annihileraient les conséquences positives recherchées.

Que signifierait l’abandon du veto ? Simplement et seulement la fin du droit pour un des cinq membres permanents de s’opposer seul à une résolution du Conseil de sécurité. Cette idée ne peut donc fonctionner que si l’ensemble des permanents abandonne son droit de veto. Allons plus loin en envisageant le cas improbable d’un abandon collectif du droit de veto. Dans ce cas, les décisions du Conseil de sécurité seraient prises à la majorité. Or, dans l’hypothèse d’une décision contraire à l’avis des membres permanents, l’intervention risquerait d’être difficile sans la mise à disposition au profit des Nations unies de leurs moyens militaires. À l’inverse, rien n’interdit de penser que la majorité prenne position contre toute intervention, puisqu’une large majorité des États membres des Nations unies se déclare opposée à toute ingérence. L’abandon du veto ne garantit ainsi en rien la fin de l’inaction des Nations unies d’autant plus que cet abandon devrait s’accompagner d’une ré­forme de la composition du Conseil de sécurité afin que celui-ci reflète davantage la transformation du monde. En d’autres termes, cette réforme conduirait à un accroissement du nombre de membres permanents. Dès lors, le problème rebon­dit en réalité dans deux directions. Premièrement, comment choisir les nouveaux États membres ? Des candidats comme l’Allemagne, le Japon, le Brésil ou l’Afrique du sud sont les plus cités. Or, ce choix se révèle extrêmement complexe. Celui de l’Allemagne par exemple conduirait à accroître le rôle de l’Union européenne alors que son poids dans les relations internationales a plutôt tendance à se contracter. En réalité, chaque candidat est l’objet d’une remise en cause de sa légitimité à postuler à une place de permanent. Deuxièmement, l’entrée de nouveaux pays représentant les nouvelles puissances ou les puissances de demain n’assurent pas l’apparition ipso facto d’une solidarité internationale, moteur des décisions du Conseil de sécu­rité. Comme les membres permanents actuels, ces nouveaux membres permanents auraient à cœur de protéger leurs intérêts. Ainsi, lors du vote de la résolution 1973 autorisant l’action en Libye, l’Inde, le Brésil et l’Allemagne se sont abstenus à l’ins­tar de la Chine et de la Russie.

En attendant, le droit de veto continuera de faire son office : garantir la paix et la sécurité internationales… à condition de ne pas nuire aux intérêts des cinq grandes puissances.

Dernier enseignement des affaires libyenne et syrienne : l’imposition d’un mo­dèle politique. Les interventions dans ces deux États au-delà, de la volonté affichée de protéger les civils, sont également motivées par la volonté occidentale d’imposer la démocratie. La réticence chinoise apparaît encore plus évidente ; les Chinois ne souhaitent pas cautionner les changements de régimes par la force avec l’aide de la Communauté internationale.

Le choix du régime politique relève en effet de la liberté de chaque peuple en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce choix s’exprime dans la dernière phase de la responsabilité de protéger : la reconstruction. L’une des pre­mières étapes de la reconstruction consiste en l’écriture d’une Constitution devant institutionnaliser le nouveau pacte social syrien. Une Constitution, outre l’orga­nisation des pouvoirs publics, a pour objet de régir les relations entre l’État et les citoyens, notamment en matière de respect des droits de l’homme. La rédaction d’une Constitution inscrit donc juridiquement le choix d’un peuple quant à son or­ganisation politique. Or, l’exemple libyen est intéressant sur la liberté octroyée par les « libérateurs ». Le Conseil National de Transition a fait face à certaines critiques de la Communauté internationale relatives à ses choix politiques : l’ambassadeur norvégien à l’ONU a ainsi déclaré « Nous avons reçu des extraits préliminaires de la constitution libyenne. Nous reconnaissons le fait qu’ils sont préliminaires et provisoires, mais ils ne respectent pas les changements modernes en vertu des­quels plus de la moitié de la population (les femmes) doit participer à la vie poli­tique »[9]. Ces critiques posent inévitablement la question de savoir si certains droits de l’homme sont supérieurs au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes alors que celui-ci est l’un des principes cardinaux du droit international. Le plan proposé par Kofi Annan impose que la transition politique dirigée par les Syriens doit mener à l’instauration d’un régime politique démocratique et pluraliste, fondé sur l’égalité des citoyens quelles que soient leur appartenance politique ou ethnique ou leurs convictions.

À bien y regarder, la responsabilité de reconstruire est potentiellement vectrice de violations du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Les premières critiques formulées par la Communauté internationale montrent que son objectif est d’im­poser une vision particulière de l’État démocratique. Ceci rappelle que les actions des organisations internationales même universelles ne sont pas neutres. Elles sont le véhicule de normes et de valeurs « universelles » qui sont pourtant contestées par une partie de la Communauté internationale.

[1]Nora Benkorich, « La tentation de la lutte armée contre le pouvoir baasiste en Syrie » Passé (1976-1982) et présent (2011) », Le Débat, 2012, n° 168, p. 155-167.

[2]Voir les résolutions du Conseil de sécurité : S/RES, 2042 du 14 avril 2012, 2052 du 27 juin 2012, 2059 du 20 juillet 2012.

[3]Voir le rapport à l’adresse suivante : http://tunisitri.wordpress.com/2012/01/30/le-rapport-de-la-mission-des-observateurs-arabes-en-syrie/#more-4548/.

[4]Voir la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 66/253 du 16 février 2012.

[5]Alex J. Bellamy, Responsibility toprotect, Cambridge, Polity Press, 2009.

[6]Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Pourquoi intervenir ? Le critère de la cause juste dans la théorie de l’intervention humanitaire armée », Critique internationale, 2012, n° 54, p. 145-168.

[7]A/66/L.57. Le texte a été voté par 133 voix pour, 12 voix contre (Bélarus, Bolivie, Chine, Cuba, Fédération de Russie, Iran, Myanmar, Nicaragua, République arabe syrienne, République populaire démocratique de Corée, Venezuela et Zimbabwe) et 31 abstentions.

[8]Les théories axées sur l’économie ne sont pas abordées ici.

[9]http://www.ladepeche.fr/article/2011/09/14/1166916-l-islam-au-c-ur-de-la-loi-libyenne. html.

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