Yémen, Erreur stratégique de l’Arabie Séoudite et faute contre le berceau de l’arabisme

Colonel Alain Corvez
Conseiller en stratégie internationale
Le 26 mars dernier, profitant de la turbulence et du désordre internationaux dans le monde,
l’Arabie Saoudite s’est permise d’envahir militairement son voisin le Yémen, ce sans consulter
les autorités internationales … à ce jour ! Où allons-nous ? La réponse : il n’y a pas de solution à
l’horizon, que l’on sache.
Last March 26th, profiting from international commotion and disorder throughout the world, Saudi
Arabia allowed itself to invade militarily its neighbour Yemen, without having consulted the international
authorities as of this date! Where are we headed? The answer: for now, there seems to be no
solution in sight.
Le 26 mars dernier, en déclenchant des frappes aériennes meurtrières sur le
Yémen, sans l’autorisation d’aucune organisation internationale et même, selon toute
vraisemblance, sans en référer à son grand allié d’outre-atlantique, l’Arabie Séoudite
a entamé une agression contre un pays membre de l’ONU qui n’a déclenché aucune
dénonciation du viol du droit international dans le camp atlantique, alors que la
Russie et la Chine ont attiré l’attention du Secrétaire Général de l’ONU sur les dangers
et les drames que ces frappes aériennes décidées unilatéralement provoquaient.
Les États-Unis, mis devant le fait accompli, ont dû rapidement réagir en soutenant
leur allié mais le général Lloyd Austin, chef du commandement central à
Washington, reconnaissait fin mars qu’il ne connaissait pas les buts de guerre ni
les cibles à atteindre. C’est dire qu’il avait juste reçu l’ordre de soutenir l’opération
Yémen. Erreur stratégique de l’Arabie Séoudite… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
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mais qu’il n’y avait aucun plan préétabli. Depuis, le soutien américain se limite à
du renseignement, faisant contre mauvaise fortune, bon cœur, pour ne pas perdre
la face. Il est clair qu’au moment où ils sont prêts de signer un accord avec l’Iran,
ils veulent, là encore, assurer leurs alliés du Golfe, et sans doute aussi Israël, qu’ils
ne les abandonnent pas.
Mais tous les experts stratégiques savent que ces frappes qui détruisent l’infrastructure
d’un pays pauvre, tuant des civils innocents, privant les populations des
moyens élémentaires de vivre, notamment de l’eau en détruisant des barrages, ne
mèneront à rien et qu’elles ne font que faciliter la tâche d’Al Qaïda qui avait été
chassé de nombreuses positions par les rebelles. La guerre que voudrait faire l’Arabie,
avec le soutien de ses alliés du GCC, pour remettre au pouvoir son protégé
qu’elle accueille chez elle, Abed Rabo Mansour Hadi, ne peut être gagnée que sur
terre, ce qu’elle est incapable de faire. D’autant plus que des révoltes à l’intérieur de
ses frontières la menacent désormais.
Les rebelles Houthis alliés de l’ancienne armée du Président Saleh, qui avait
accepté de se retirer du pouvoir, dans la foulée des révoltes arabes initiées en 2011,
avec un compromis politique, ont montré qu’ils savaient faire la guerre et possé-
daient des chefs aux connaissances stratégiques sans commune mesure avec leurs
opposants. Les bombardements des provinces frontalières au sud de l’Arabie, d’ailleurs
historiquement contestées, qu’ils ont déclenchés en représailles aux frappes
aériennes sont efficaces et les seules frappes aériennes n’en viendront pas à bout.
L’Arabie veut voir dans les Houthis des chiites d’Iran, ce qui est totalement faux,
mais elle reprend ainsi le discours de Netanyahou à Washington, pour caricaturer
son action comme une défense des sunnites de la péninsule contre les ambitions
iraniennes, alors que ce conflit n’a rien à voir avec une rivalité religieuse.
Les négociations engagées à Genève ont peu de chances d’aboutir à un accord
tant que l’Arabie restera sur sa position pourtant intenable longtemps, surtout si la
situation sur le terrain se détériore et si les États-Unis devaient les ramener à la raison.
Elle ne peut pas gagner cette guerre qui résulte des rivalités internes à la famille
royale et ne s’en sortira qu’humiliée mais après avoir commis des crimes contre un
pays qu’elle a agressé parce qu’elle se sent acculée du fait de la distance prise par
son grand allié depuis 1945. À partir du 30 juin, si l’accord nucléaire avec l’Iran est
signé, les forces en présence ne seront plus les mêmes au Moyen-Orient.
Le Moyen-Orient est à feu et à sang par la volonté des puissances sunnites
dirigées par l’Arabie Séoudite qui entretiennent la mouvance terroriste qui a pris
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
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l’ampleur qu’on connaît avec Daesh par leur volonté de détruire un soi-disant arc
chiite qui les menacerait. Tous les spécialistes savent que la Turquie, l’Arabie, le
Qatar, avec la bienveillance des services américains et même leur aide, coopèrent
pour financer et approvisionner les djihadistes dont ils approuvent le combat contre
la Syrie de Bachar el Assad qu’ils ont décidé d’abattre parce qu’elle est le dernier
rempart contre leur hégémonie régionale.
La Turquie joue un rôle déterminant de point de passage dans les flux de combattants
et équipements sans laquelle leur approvisionnement serait bien plus difficile.
Israël qui pense à tort que les islamistes ne le menacent pas – il est vrai que
jusqu’à présent la stratégie de ces hordes barbares ne les cible pas – est partie prenante
dans ces affrontements et a apporté son soutien militaire aux djihadistes en
plusieurs occasions. Mais il est pourtant probable que si Damas tombait on verrait
ces fanatiques changer d’attitude vis-à-vis de lui.
On assiste donc à une alliance entre l’Arabie et Israël, avec des réunions de
coordination entre responsables des deux pays, les deux se sentant menacés par
l’éloignement américain qui veut conclure un accord avec l’Iran et remettre ce pays
à sa juste place de puissance régionale dans les équilibres du Moyen-Orient. Les
deux s’entendent donc pour attaquer tout ce qui leur paraît être des alliés de l’Iran,
la Syrie bien sûr mais aussi le Yémen. Pourtant l’Iran a toujours prôné une entente
intelligente entre les sunnites et les chiites, au point que les responsables iraniens
qui voulaient mettre en œuvre cette politique de réconciliation, toujours refusée par
l’Arabie, ont étés accusés de faiblesse.
Mais la nouvelle équipe dirigeante d’Arabie Séoudite a commis une erreur stratégique
en attaquant le Yémen car elle ne peut gagner cette guerre : les frappes
aériennes ne font que détruire l’infrastructure d’un pays pauvre, tuant de nombreux
civils innocents parmi lesquels de nombreux enfants, mais ne peuvent vaincre
l’organisation militaire rebelle bien mieux structurée et organisée qui porte même
des coups à l’Arabie dans sa province sud, d’ailleurs revendiquée. Seule une force
militaire importante sur le terrain pourrait l’aider à atteindre ses objectifs, à condition
qu’elle soit entraînée à ce genre de combat et puissante, mais elle en est incapable,
de même que ses alliés comme le Pakistan qui ne voudrait certainement pas
se mettre dans ce piège.
Les négociations de Genève ne pouvaient qu’échouer. La seule issue honorable
pour l’Arabie serait de reconnaître son erreur et d’accepter un compromis diplomatique.
Mais elle ne semble pas être dans cet état d’esprit. Les États-Unis, ne doivent
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pas apprécier d’avoir ainsi été mis devant le fait accompli au moment où ils veulent
conclure un accord avec l’Iran. Les Séoudiens pourraient en subir les conséquences,
d’autant plus que la Russie, la Chine, l’Inde condamnent cette guerre perturbante
pour les équilibres mondiaux.
À la lumière de la guerre au Yémen que mène l’Arabie, une volonté internationale
de combattre vraiment DAESH pourrait naître enfin autrement que par
des mots et des frappes aériennes, mettant l’Arabie et la Turquie en face de leurs
responsabilités. Car le fléau islamiste trouve aussi au Yémen une terre d’élection où
il s’est emparé de portions importantes du territoire dans l’est.
Il faut donc souhaiter que l’erreur stratégique de l’Arabie permette aux puissances
mondiales de regarder les choses en face : pour apaiser le Moyen-Orient,
il faut combattre DAESH et ses commanditaires, c’est-à-dire remettre l’Arabie
Séoudite, le Qatar et la Turquie à leur juste place qui est d’accepter les équilibres
entre les nations et non les volontés hégémoniques. Ceci implique, évidemment, de
reconnaître un état palestinien dans les frontières que l’ONU lui a prévu en faisant
pression sur Israël pour qu’il cesse sa politique d’empiètements permanents et de
négation des droits du peuple palestinien.

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