Bilan stratégique pour la région du Moyen‑Orient 20 ans après le 11 septembre 2001 et l’invasion anglo‑saxonne de l’Irak de mars 2003

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David Rigoulet-Roze

Docteur en Sciences politiques, enseignant et chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), David Rigoulet-Roze est spécialisé sur la région du Moyen-Orient et plus particulièrement la péninsule Arabique. Rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L’Harmattan) et auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur les problématiques régionales, il est régulièrement sollicité pour la rédaction d’études et de notes de consultance par des institutions publiques et/ou privées. Il a également enseigné la Géopolitique au sein d’écoles supérieures de commerce et assure un cours de Sciences politiques à l’Université de Cergy-Pontoise.


Cet article dresse dans un premier temps le tableau du Moyen-Orient – une région stratégique en tension permanente – en analysant des événements clefs de son histoire et les crises actuelles. Il cherche ensuite à décrire le rôle que pourraient jouer deux pays en faveur d’une pacification de la région, l’Irak post-Saddam et le Qatar.

This article first paints a picture of the Middle East – a strategic region in permanent tension – by analyzing key events in its history and current crises. Then, it seeks to describe the role that two countries could play in favor of the pacification of the region, post-Saddam Iraq and Qatar.


Plus de vingt ans après le tournant majeur constitué par les attentats du 11 septembre 2001 et l’un de ses dégâts géopolitiques collatéraux au Moyen-Orient avec la « guerre de choix » de Georges W. Bush contre l’Irak et le renversement du dictateur baathiste Saddam Hussein en mai 2003, les conséquences stratégiques de cette onde de choc se font encore sentir dans toute la région. Et ce, alors qu’une autre « guerre de choix », celle de la Russie autocratique de Vladimir Poutine contre l’Ukraine démocratique, inaugure sans doute une nouvelle séquence géostratégique bi-décennale avec le retour des conflits de haute intensité dans les relations internationales dont les attendus n’épargneront sans doute pas la région du Moyen-Orient, exposée qu’elle est au risque de la prolifération nucléaire sur fond de crise sur le nucléaire iranien.

Cette région stratégique s’il en est, de par les réserves d’« Or noir » qu’elle recèle (plus de 60 % des « réserves mondiales prouvées ») et dans la mesure où transite quotidiennement par le détroit d’Ormuz quelque 20 mbj soit près de 20 % du pétrole mondial, est plongée, sans doute en partie pour cette raison, dans les affres de multiples conflits et guerres depuis le début du siècle dernier comme la sanglante guerre Iran-Irak (1980-1988) ou la première guerre du Golfe contre Saddam Hussein en Irak en 1991, suivie de la seconde guerre du Golfe de 2003, qui conduisit au renversement de ce même Saddam Hussein. Pour autant, cette région est-elle condamnée au fatum (en référence au mektub arabe) d’une instabilité belligène quasi-structurelle au sein de laquelle toute idée irénique relèverait d’un exercice proscrit par les tropismes internes délétères inhérents à la fitna et/ou les ingérences extérieures intéressées, notamment occidentales ?

Mise en perspective stratégique de la question

Il convient de décliner les différents points induits par la problématique formulée à l’heure d’un retrait relatif de la puissance américaine de la région entamé – après la chaotique séquence néo-conservatrice de l’invasion de l’Irak en 2003 – depuis les deux mandats du président Barack Obama (2005-2008 et 2009-2017) qui a lancé officiellement en octobre 2011 le fameux « pivot vers l’Asie » de l’Amérique pour relever le défi stratégique posé par la Chine. Un retrait poursuivi par son successeur républicain Donald Trump (2017-2021) qui n’avait pourtant de cesse de conspuer l’Administration qui avait précédé la sienne.

La poursuite contrainte de l’engagement dans la coalition anti-Daech établie à partir de septembre 2013 par le président Barack Obama, n’a toutefois pas remis fondamentalement en cause cette tendance lourde d’un désengagement relatif des États-Unis de la région, renforcé à sa manière par le président Donald Trump et récemment confirmé par la nouvelle Administration démocrate du président Joe Biden avec le retrait officiel des « forces combattantes » américaines d’Irak fin décembre 2021 – avec néanmoins le maintien d’une présence militaire résiduelle pour la formation et l’assistance des forces irakiennes1. Ce retrait relatif des États-Unis a favorisé en creux une autonomisation inédite des puissances régionales – notamment celle des Émirats Arabes Unis2 surnommés en 2014 la « petite Sparte » par l’ancien Secrétaire à la Défense James Mattis –, par ailleurs en rivalité ouverte, dans laquelle la variable ethno-confessionnelle (arabo-perse/sunno-chiite) largement instrumentalisée a souvent tenu lieu de viatique géopolitique à travers la mobilisation de représentations géopolitiques opératoires comme celles opposant un « croissant chiite » – formulé par le roi Abdallah II de Jordanie au milieu des années 2000 – à un « arc sunnite » et qui sont constitutives d’axes d’alliances régionales structurantes.

Ce retrait relatif des États-Unis de la région converge paradoxalement et non sans ironie avec la demande expresse de retrait exprimée de manière récurrente par l’Iran chiite qui n’a de cesse de stigmatiser le rôle régional déstabilisateur supposé de la puissance américaine. Et ce, en feignant en effet d’oublier le même reproche de déstabilisation qui lui est attribué depuis la révolution khomeyniste de 1979 par ses voisins arabes, au premier rang desquels son grand rival géopolitique qu’est l’Arabie saoudite, par ailleurs alliée historique des États-Unis depuis le fameux « Pacte du Quincy » du 14 février 1945.

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Notes

1. Relatif car les États-Unis ne peuvent pas se permettre de se retirer autant qu’ils le souhaiteraient de la région – la géopolitique à horreur du vide, comme en physique – pour ne pas laisser la Chine s’y installer en poussant ses pions à travers la BRI (Belt and Road Initiative) formulée en 2013 par Xi Jinping, qui débouche précisément sur l’Asie du Sud-Ouest.

2. Cela vient de se vérifier avec la position des Émirats Arabes Unis prise lors du vote, le 25 février à l’ONU, d’un projet de résolution du Conseil de Sécurité censé condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui avait conduit Abu Dhabi à s’abstenir avec la Chine et l’Inde, à la surprise des États-Unis. Il s’agissait peut-être de manifester son mécontentement par rapport à un soutien jugé insuffisant lors de la frappe de drones tirés, le 17 janvier 2022, par les rebelles houthis depuis le Yémen sur Abu Dhabi et ayant fait trois morts. Un autre élément allant dans ce sens réside dans la remise en cause potentielle du contrat d’achat pour 23 milliards de dollars d’une cinquantaine de F-35 américains signé le 15 décembre 2021, avec des velléités évoquées, le 25 février 2022, de se tourner désormais vers la Chine pour lui acheter une douzaine de L-15 Falcon, voire de 36 autres par la suite. Les liens avec Pékin en matière d’armement ne sont pas nouveaux puisqu’Abu Dhabi avait déjà acheté à la Chine ces dernières années des drones Wing Loong II.

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