La guerre de Syrie est‑elle une guerre civile ou une stratégie « islamo‑atlantique » pour stopper son ascension économique et anéantir son tissu social ?

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Julien Baddour

CEMOI, Université de la Réunion, Maître de Conférences à la faculté de droit et d’économie et membre du Centre d’Economie et de Management de l’Océan Indien


La guerre de Syrie représente l’événement géopolitique le plus marquant de ce début de XXIe siècle. Cet article propose une explication alternative à celle de la plupart des médias et experts occidentaux concernant les causes de la guerre. En effet, refusant la dénomination de « guerre civile » – communément attribuée à ce conflit – l’article s’attache à démontrer l’importance de l’intervention étrangère dans l’escalade des tensions entre les différentes forces en présence, jusqu’à la situation désastreuse d’aujourd’hui.

The Syrian war represents the most significant geopolitical event of the beginning of the 21 st century. This article offers an alternative explanation to that of the most Western media and experts regarding the causes of the war. Indeed, refusing the denomination of “civil war” – commonly attributed to this conflict – the article endeavors to demonstrate the importance of foreign intervention in the escalation of tensions between the various forces present, until today’s disastrous situation.


La Syrie n’est pas un pays comme les autres. Certes, elle ne brille pas par sa superficie (185 000 km2, 89e mondiale), ni par la taille de sa population (22 millions avant 2011, 52e) ni par le volume de son PIB (61,5 milliards de dollars avant 2011, 67e). De ce point de vue, la Syrie est un pays comme beaucoup d’autres dans le monde. En revanche, la Syrie se distingue des autres nations par une histoire plurimillénaire, un patrimoine prestigieux, une culture rayonnante, une position géostratégique exceptionnelle, des ressources naturelles diversifiées, une mosaïque singulière de peuples et de religions. La Syrie, c’est aussi le berceau de civilisations, de religions et de l’agriculture, de l’écriture, de l’art, de l’urbanisme, de la musique, des lois économiques et juridiques et surtout le premier alphabet au monde, qui ont inspiré et guidé l’évolution de l’humanité tout entière depuis la nuit des temps.

À l’occasion du dixième triste anniversaire de la guerre de Syrie, la quasi-totalité des médias mainstream décrivaient la guerre de Syrie comme une « guerre civile ». Pour justifier ce choix, les médias et les spécialistes invoquaient trois arguments.

Le premier est que la population syrienne est composée de communautés religieuses et ethniques déchirées, ce qui peut provoquer une guerre civile.

Le deuxième est que la répression violente des manifestations « pacifiques » par les forces de l’ordre du « régime » en 2011 a conduit à la guerre civile. Le troisième est que les vagues de sécheresse qui ont sévi en Syrie entre 2006 et 2009 ont provoqué la pauvreté, la misère et la famine, ce qui a conduit les Syriens à la révolte.

En s’appuyant sur une campagne de propagande et de manipulations rarement vues de mémoire d’homme, et en mobilisant de gigantesques moyens, une sorte d’alliance islamo-occidentale, sous la conduite des États-Unis, a alors décidé de lancer une offensive hors norme contre ce pays afin de stopper son ascension économique et renverser le gouvernement en place.

Mais ce que les stratèges de cette alliance ont peut-être négligé, c’est la volonté inébranlable du peuple syrien de défendre farouchement, à l’image de ses ancêtres, une civilisation qui s’étend sur plus de 10 000 ans marqués par des empires triomphants et des invasions calamiteuses, contre les agressions extérieures afin de préserver son patrimoine, sa culture, son autonomie et sa liberté.

Avec cet article, nous allons proposer une autre lecture de la guerre en Syrie, tout en rappelant certaines des bonnes traditions démocratiques occidentales : l’utilisation de la raison, le principe éthique, et la recherche de preuves indépendantes.

Ce papier a pour objectif d’essayer de démontrer que la guerre de Syrie n’est pas une guerre civile, mais bel et bien une stratégie d’une Alliance islamo-atlantique pour stopper son ascension économique et anéantir son tissu social.

Dans un premier temps, nous allons expliquer pourquoi la révolte syrienne n’était ni spontanée ni démocratique mais bien préparée et fomentée depuis longtemps par cette alliance. Dans un deuxième temps, nous allons expliquer pourquoi les conditions économiques, sociales et religieuses avant 2011 ne se prêtaient pas à l’irruption des contestations. Dans un troisième temps, nous allons montrer que l’alliance islamo-atlantique visait véritablement le dépeçage et l’anéantissement de l’État syrien au regard de l’ampleur des destructions infligées à la société et à l’économie syrienne.

La Syrie ciblée par les américains et leurs alliés depuis les années 1990

La stratégie des néoconservateurs américains d’anéantir la Syrie ne date pas de 2011. Elle se répétait régulièrement depuis son indépendance en 1947 et plus particulièrement depuis l’éclatement de l’URSS au début des années 1990, comme semblent l’accréditer les éléments suivants :

– Depuis les années 1990, la Syrie figure en bonne place au palmarès de l’« Axe du Mal » (selon l’expression de Georges Bush). Elle côtoyait sur la même liste l’Iran, l’Irak, la Libye, Cuba, la Corée du Nord, l’URSS de jadis, la Russie et la Chine. Elle sera ainsi dans le collimateur de G. Bush père, de Bill Clinton, G. Bush fils, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden.

– Lors de sa visite à Damas en mai 2003 (Le Monde, 2003), Colin Powell somme le jeune président Bachar Al Assad de rompre ses liens avec l’Iran, le Hezbollah et le Hamas faute de quoi son pays s’exposera à de graves problèmes.

– Après le 11 septembre 2001, Donald Rumsfeld avance un plan pour renverser sept gouvernements au Moyen-Orient en cinq ans parmi lesquels se trouve la Syrie.

– Sous couvert de « promotion de la démocratie », des ONG et fondations américaines ont été à l’œuvre depuis le début des années 2000 pour former des milliers de « cyber-résistants » destinés à être prêts au moment voulu.

– Enfin, l’ancien ministre des Affaires étrangères français, Roland Dumas, a déclaré que lors d’une visite à Londres à l’automne 2010, des interlocuteurs anglais lui ont révélé qu’ils préparaient une action violente en Syrie dans les mois qui suivaient afin de renverser le régime de Bachar Al Assad.

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