Asie centrale, où l’Ouest rencontre l’Est : OCS-OSCE

Houshang HASSAN-YARI

Professeur et directeur du Département de science politique et d’économique du Collège militaire royal du Canada.

Trimestre 2010

Il n’existe Aucun Autre endrdt dans le monde avec une concentration aussi importante de grandes puissances que la région de la mer Caspienne et ses voisines. La présence des États-Unis d’Amérique, de la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran et la Turquie aggrave davantage l’instabilité de cette partie d’Eurasie. Deux autres éléments contribuent à la volatilité dans cet ensemble : 1. l’existence d’im­portantes ressources énergétiques à la proximité de grands consommateurs (Chine, Inde, Europe, Turquie) ; 2. l’omniprésence des conflits toujours bouillants (Haut-Karabagh = Nagorno Karabakh, Tchétchénie, Afghanistan, la tragédie kirghize, la question kurde en Turquie), gelés mais pas résolus (Russie-Géorgie, Xinjiang) et en gestation (Iran-États-Unis, Russie-Ukraine).

Les crises qui secouent l’aire postsoviétique depuis le début des années 1990 démontrent l’incapacité des nouvelles républiques du Caucase et de l’Asie centrale de se prendre en main en l’absence d’un ordre régional qui tarde à s’établir. Les signes de désordre régional se multiplient dans le Caucase du Sud, notamment en Tchétchénie, et dans la guerre entre la Russie et la Géorgie, ainsi que de nombreux problèmes qui hantent l’Asie centrale.

C’est précisément dans ce contexte-ci que l’Occident, par l’entremise de l’OS-CE, rencontre l’Eurasie et l’Orient qui se regroupent dans l’OCS.

  1. Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

Des siècles de guerres et de destructions n’ont pas annihilé l’aspiration à l’unité en Europe. La vision des ingénieurs de l’unité a conduit à une approche par étapes qui a institué, coup sur coup, l’Organisation européenne de coopération écono­mique (OECE), le Conseil de l’Europe, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), l’Union de l’Europe occidentale (UEO), et tous les autres traités transformant la Communauté économique européenne (CEE) en Union européenne (UE)[1]. La réalisation partielle du projet d’intégration européenne de l’ouest vers l’est du continent, dans un laps de temps relativement court et en dépit des obstacles de parcours majeurs, prouve la maturité de l’Europe.

L’effort intégrationniste d’Europe a porté ses fruits pour deux raisons princi­pales : a. la vision de certains hommes d’État européens qui voyaient au-delà de leurs frontières nationales ; et b. le parapluie militaire américain qui défendait l’Eu­rope de l’Ouest face au camp communiste avait créé des conditions favorables pour la construction régionale dans le contexte de la guerre froide.

Après avoir partiellement consolidé les institutions en Europe occidentale, les États-Unis et leurs alliés ont élargi l’horizon vers l’est du continent. Comme mesure de confiance, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) émerge en tant que forum de dialogue et de résolution des conflits. Les fonde­ments du fonctionnement de la coopération politique par l’entremise d’un nouvel organisme (CSCE) seront jetés à Helsinki du 22 novembre 1972 au 8 juin 1973 en présence des représentants diplomatiques des 35 États concernés. Une série de rencontres au niveau des ministres des Affaires étrangères et d’experts des pays par­ticipants en vue de dégager un cadre de travail commun ont été prévues pour la première moitié des années 1970.

À Helsinki, la France a proposé la tenue de la Conférence en trois phases. D’abord, l’ouverture officielle de la Conférence a lieu à Helsinki au niveau des ministres des Affaires étrangères du 3 au 7 juillet 1973. Dans un deuxième temps, consacré aux véritables négociations sur le processus de la CSCE, les experts seront divisés en trois grandes commissions pour étudier les questions relatives à la sécu­rité en Europe, la coopération dans les domaines de l’économie, de la science, de la technique et de l’environnement, et la coopération dans les domaines humanitaires.

Les rencontres se tiennent à Genève du 18 septembre 1973 au 21 juillet 1975. Enfin, la clôture de la Conférence a lieu à Helsinki du 30 juillet au 1er août 1975, où les chefs d’État et de gouvernement des 35 pays participants se réunissent pour l’adoption en séance solennelle du document final de la Conférence, s’intitulant l’Acte final d’Helsinki.

L’Acte final d’Helsinki

L’Acte final d’Helsinki n’est pas un cadre juridique, mais un code de bonne conduite dans les domaines politique et moral. Cependant, son importance vient du fait qu’il a été signé par tous les hauts représentants des États participants eu­ropéens, incluant l’Union soviétique, mais excluant l’Albanie et Andorre, plus les États-Unis et le Canada.

L’Acte a ratifié des engagements pris par les États envers eux-mêmes et leurs citoyens en matière politique, militaire, économique, environnementale et de droits de l’homme dans dix principes fondamentaux : égalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté ; intégrité territoriale des États ; inviolabilité des fron­tières ; non-intervention dans les affaires internes des États ; non-recours à la me­nace ou l’emploi de la force ; règlement pacifique des différends ; respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; égalité des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ; coopération entre les États ; exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international[2]. La suite des événements en Europe et ailleurs dans le monde révèle que l’Acte reste un document vivant qui évolue et influence dans la durée. Contrairement à l’euphorie provoquée dans le camp communiste en raison de la reconnaissance par l’Occident de l’ordre imposé par la guerre froide, qui légitimise le statu quo et favorise la doctrine soviétique de la coexistence pacifique entre les blocs, on peut conclure, a posteriori, que l’Acte final d’Helsinki a jeté les fondements d’un nouvel ordre fondé sur le dialogue, la paix, la sécurité et la justice ainsi que le respect des droits fondamentaux, du progrès écono­mique et social, et le bien-être de tous les peuples.

Pour ne pas tomber dans le piège des spéculations sur l’importance de la contri­bution de l’Acte final dans la chute des régimes communistes dans l’Est européen, une certitude existe : les promoteurs « occidentaux » de l’Acte ont survécu aux si­gnataires « orientaux » de ce même document !

L’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir à Moscou, en mars 1985, sa po­litique d’ouverture à l’Ouest et sa volonté de contribuer à la construction d’une « Maison commune européenne[3] » annoncent un tournant dans la vie européenne en exposant clairement la pertinence de l’Acte une décennie après sa naissance. La politique bicéphale de la glasnost et de la perestroïka a élargi le champ d’interven­tion de la CSCE, qui va proposer un nouveau cadre d’action et d’intégration aux pays héréditaires de l’effritement du bloc de l’Est et de l’Empire soviétique.

La désintégration du monde communiste engendre une transformation ma­jeure des objectifs et des méthodes de travail de la CSCE de 1990 à 1994 en nécessitant son adaptation au nouvel environnement géopolitique d’une nouvelle Europe[4], avec des valeurs partagées, en dépit des graves défis sécuritaires dans la région des Balkans. La résolution européenne et américaine à ne pas être submer­gés par les conflits a conduit la Conférence à développer une structure institu­tionnelle et à adopter un rôle résolument opérationnel axée sur la mise en place et le suivi de la prévention des crises, et sur des missions de gestion. C’est en 1994, lors du Sommet de Budapest, que la CSCE est remplacée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)

5.   OSCE, secrétaire général, Rapport annuel de 1995 sur les activités de l’OSCE, http://fr.osce.
org/index. php?option=com_content&task=view&id=36&Itemid=50.

Désormais, l’OSCE est la seule organisation paneuropéenne qui englobe l’en­semble des 56 États participants regroupés en Europe, les anciennes possessions soviétiques en Asie centrale et au Caucase, plus les États-Unis et le Canada. Elle est aussi la plus grande organisation de sécurité dans le monde, s’étendant de Vancouver à Vladivostok. Comme en témoigne le Rapport annuel de 1995 sur les activités de l’OSCE?, les décisions du Sommet de Budapest ont renforcé les structu­res de l’OSCE et accru de manière très nette ses possibilités en matière de consul­tation politique et de gestion opérationnelle des conflits. Mettant l’accent sur la mise en œuvre des engagements fondamentaux de l’OSCE, le ministre hongrois des Affaires étrangères, Laszlo Kovâcs, a pu exercer la fonction primordiale de prési­dent en exercice en suscitant et en dirigeant les mesures de soutien de l’OSCE aux efforts entrepris pour apporter des solutions pacifiques aux graves problèmes qui se posaient en Tchétchénie.

Ce n’est donc qu’après 1990 que la CSCE développe un plan structurel adap­table aux conditions postsoviétiques en Europe, en se dotant d’un secrétariat et des institutions appropriées, et prévoit des activités plus ciblées, y compris les opérations sur le terrain. Le passage de la Conférence (CSCE) à l’Organisation (OSCE) est un saut qualitatif important. Ainsi, l’Organisation, par définition, joue un rôle différent de celui de la Conférence avant 1990. Aujourd’hui, grâce au travail des opérations de terrain, l’OSCE travaille en partenariat avec les pays hôtes, en les soutenant dans la réalisation des engagements qu’ils ont pris, comme avec les pays participants de l’OSCE. Les institutions représentant la liberté des médias, le haut-commissaire pour les Minorités nationales, l’Assemblée parle­mentaire et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme fournissent, en outre, un soutien en conformité avec leurs propres mandats. Ainsi, le travail effectué aujourd’hui est beaucoup plus complet que ce qui était possible il y a vingt ans.[5]

L’OSCE dans l’espace ex-soviétique

Un survol des rapports annuels de l’Organisation révèle de façon éloquente le déplacement du centre de tensions en Europe des frontières de la guerre froide vers les Balkans au début des années 1990, puis vers le Caucase et l’Asie centrale.

La structure institutionnelle de l’OSCE est imposante, mais décentralisée. Elle a quatorze organes de négociation et de prise de décisions. Il s’agit d’abord du Conseil permanent. Installé à Vienne, le Conseil discute des développements en cours au sein des États participants et prend les décisions appropriées. Le Forum pour la coopération en matière de sécurité, également installé à Vienne, aborde la dimension militaire des questions de sécurité, s’intéresse aux mesures de confiance et prend des décisions relatives à l’espace européen.

Le Forum économique, qui a également une dimension militaire, tient ses réu­nions annuelles à Prague et s’intéresse aux facteurs économiques et environnemen­taux qui affectent la sécurité des pays membres de l’Organisation.

Les sommets réunissent les chefs d’État ou de gouvernement de l’OSCE pour définir ses priorités et lui donner une orientation au plus haut niveau politique. Dans l’absence de sommet, c’est le Conseil ministériel qui regroupe les ministres des Affaires étrangères de l’OSCE afin d’examiner les activités de l’Organisation et de prendre les décisions appropriées.

En vue d’assurer le suivi des décisions politiques adoptées par les instances pré­citées, l’OSCE a mis sur pied plusieurs structures et institutions. Il s’agit d’abord de la présidence en exercice. Fonction tournante exercée chaque année par le ministre des Affaires étrangères d’un État participant, elle assume la responsabilité de l’en­semble de l’action exécutive et de la coordination des activités de l’Organisation. Il y a ensuite l’Assemblée parlementaire qui promeut la participation de plus de 300 parlementaires aux activités de l’OSCE.

Comme dans toute autre organisation, le secrétariat et le secrétaire général ap­portent leur soutien aux activités dans les pays membres, maintiennent des contacts avec les OIG, coordonnent les activités économiques et environnementales de l’OSCE, organisent ses activités politico-militaires, gèrent du personnel ainsi que des questions administratives et financières, organisent des services linguistiques et de conférence, managent des équipements informatiques ainsi que la diffusion des informations au public et à la presse.

Il existe trois autres instances avec des responsabilités de plus en plus cruciales et pertinentes, notamment dans le contexte de l’Asie centrale et du Caucase. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) est la principale institution chargée de la promotion des droits de l’homme et de la dé­mocratie dans l’espace OSCE. Le haut-commissaire pour les Minorités nationales (HCNM) s’efforce de résoudre au plus tôt les tensions d’ordre ethnique susceptibles de mettre en danger la paix, la stabilité ou les relations amicales unissant les États participants de l’OSCE. Enfin, le représentant pour la liberté des médias observe les développements intervenant dans le domaine des médias au sein des États par­ticipants de l’OSCE et donne une alerte précoce en cas de violation de la liberté d’expression. Le dernier organisme dans la structure administrative de l’OSCE est la Cour de conciliation et d’arbitrage, qui a été créée afin de régler les différends susceptibles de naître entre les États participants qui sont parties à la Convention relative à la conciliation et à l’arbitrage dans le cadre de l’OSCE[6].

Ce survol des institutions de l’OSCE confirme deux réalités : l’approche souple et le caractère consultatif de l’organisation, renforcés par une autorité morale et politique ; l’extraordinaire capacité d’adaptabilité de l’Organisation qui lui procure la possibilité de manœuvrer dans des conditions très complexes et non familières.

L’OSCE en Asie centrale et dans le Caucase

L’Afghanistan est aujourd’hui le pays le plus important des cinq États asiatiques partenaires de l’OSCE. Les autres partenaires pour la coopération sont le Japon, la République de Corée, la Mongolie et la Thaïlande. Le partenariat avec les Asiatiques a commencé au début des années 1990.

C’était en avril 2003 que le Conseil permanent de l’OSCE a décidé d’accueillir l’Afghanistan en qualité de partenaire pour la coopération. Dans sa demande, le gouvernement de Kaboul a exprimé son souhait de partager les principes, valeurs et objectifs de l’OSCE. La décision du Conseil signifie que désormais l’Afghanistan sera invité aux sommets de l’Organisation et aux sessions du Conseil ministériel. Il pourra également participer à des activités plus régulières s’articulant autour des dimensions économiques et humaines, ainsi que des questions de sécurité[7]. Ce sont précisément les trois besoins majeurs de l’Afghanistan dans le contexte post-tali­bans.

Les cinq États participants situés en Asie centrale – Turkménistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan – bénéficient d’une aide de l’Organisation pour mener à bien leurs réformes politiques et économiques.

Le centre de l’OSCE à Douchanbé, au Tadjikistan, a été établi par décision du Conseil ministériel de Rome le 1er décembre 1993. Le centre à Achgabat a été établi par décision du Conseil permanent de l’OSCE en juillet 1998, afin de promouvoir les principes et les engagements de l’Organisation, et d’encourager la coopération avec le Turkménistan au sein de l’Organisation. Le centre d’Astana a été créé en même temps que le centre d’Achgabat, sous le nom de centre d’Almaty. Il assure une mission de suivi dans les domaines politique, juridique et économique, afin de maintenir la stabilité du pays et de la région. Il contribue également à promouvoir les normes et les engagements de l’OSCE au Kazakhstan. Le centre de Bichkek, au Kirghizistan, a été établi par une décision du Conseil permanent de l’OSCE en juillet 1998, en vue de contribuer à poursuivre l’intégration de ce pays au sein de la communauté de l’OSCE. Le coordonnateur des projets de l’OSCE en Ouzbékistan travaille à promouvoir la mise en œuvre des principes et engagements de l’Organi­sation et à encourager la coopération bilatérale[8].

La sécurité en Asie centrale est une préoccupation importante pour l’OSCE. Elle est liée aux rapports interétatiques et intra-étatiques, au terrorisme, au trafic des stupéfiants et à des problèmes connexes. Dans ce sens, le contrôle des armes et les opérations de police de l’OSCE font partie intégrante de ses efforts pour prévenir les conflits et aider au relèvement postconflit. À la fin de la guerre froide, des surplus d’armes sont devenus disponibles en grande quantité dans le circuit illégal. L’OSCE aide à en faire cesser la prolifération et à en assurer la destruction.

Un des moyens pour parvenir à maintenir ou même renforcer la sécurité réside dans la gestion des frontières internationales. Les actions entreprises par l’OSCE pour le contrôle des frontières comprennent des activités de prévention des conflits et de relèvement postconflit, ainsi que des mesures de renforcement des capacités et de soutien aux institutions. La fin de la mainmise russe sur ses régions périphé­riques coïncide avec la flambée de violence opposant les groupes ethniques et à la libération des forces qui ont été endiguées par la présence de l’Armée rouge et des services de sécurité pendant les décennies de l’ordre soviétique. La lutte contre le terrorisme est l’autre face du maintien de la sécurité.

Grâce à son expertise en matière de prévention des conflits, de gestion des crises et d’alerte précoce au sein de son espace, l’OSCE contribue aux efforts internatio­naux de lutte contre le terrorisme. L’identification des foyers potentiels de crise est d’habitude suivie de la planification des missions et opérations futures. Le Forum de l’OSCE pour la coopération en matière de sécurité sert de cadre au dialogue politique sur la réforme militaire, tandis que les activités pratiques impliquent des opérations de terrain, aussi bien que pour le Centre de prévention des conflits[9].

Dans son effort pour contribuer à la sécurité en Asie centrale, l’OSCE mise sur la prospérité économique en tant que facteur essentiel à la stabilité politique. La lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme, la promotion d’une bonne gouvernance, l’appui au développement et à la sécurité du transport, et l’assistance à la gestion de la migration sont les composantes nécessaires d’une économie saine que l’Organisation promeut dans ses États participants[10].

Les programmes de conscientisation dans les domaines de la démocratisation et des droits humains que l’OSCE poursuit en Asie centrale sont fondamentaux et détaillés. La liberté de mouvement et de culte, le rejet de la torture et la lutte contre le trafic[11] humain font partie des droits de l’homme. Dans l’ensemble de l’espace de l’OSCE, et la région du Caucase et de l’Asie centrale en particulier, les conflits ethniques sont les premières causes de violence et de violation des droits humains. L’Organisation cherche à améliorer la situation par les programmes d’éducation, la promotion de l’égalité des sexes, l’état de droit, la liberté des médias face au pouvoir public, la tolérance et la lutte contre toutes les formes de racisme, de xénophobie, d’antisémitisme et de discrimination[12]. C’est un vaste programme qui nécessite un travail ardu, en raison de l’intolérance, du racisme et des problèmes des minorités[13] que connaissent certaines sociétés développées de l’Ouest européen.

Sur l’importance de la question de la tolérance et de la non-discrimination pour l’OSCE et au niveau institutionnel, il suffit de rappeler la tenue d’une grande conférence sur le sujet par le président Noursoultan Nazarbayev du Kazakhstan, dont le pays assume la présidence de l’Organisation en 2010. L’objectif de la conférence est de faire progresser la mise en œuvre des engagements et les valeurs liées à la tolérance, la non-discrimination et au dialogue interculturel, qui sont une priorité de la présidence kazakhe[14].

L’OSCE et la crise au Kirghizistan

Tout a commencé de façon abrupte et très rapide. Et pourtant il n’y avait pas de grands indices probants qui présageaient la chute du gouvernement du prési­dent Kourmanbek Bakiev. Avant de tomber dans la logique destructrice des autres dirigeants de l’Asie centrale, y compris son prédécesseur Askar Akaïev, Bakiev, le réformateur, avait fait des ouvertures politiques timides mais importantes dans le contexte régional, avant de se laisser aller à ses dérives autoritaires et surtout de sombrer dans la corruption, la mauvaise gouvernance et le favoritisme. Bakiev a été renversé par une révolte violente de la rue qui a secoué le Kirghizistan en avril 2010, faisant plus de 80 morts. Le gouvernement par intérim se compose de per­sonnalités qui étaient autrefois alliées de Bakiev et/ou de son prédécesseur Akaïev. Ce fait compromet la position de celles-ci auprès du public, et de nouvelles ac­cusations de corruption impliquant des personnages clés du gouvernement pro­visoire révèlent les problèmes auxquels ils devront faire face dans la mise sur pied d’un nouveau gouvernement crédible. La révolte d’avril et l’effondrement du ré­gime Bakiev ont mis au jour des problèmes récurrents : la mauvaise gouvernance, la faiblesse des institutions, la corruption et l’insuffisance de la représentation des minorités dans le domaine public. Ces problèmes s’expriment mieux depuis le changement de régime et vont rendre l’exercice du pouvoir très difficile pour Rosa Otounbaïeva, présidente par intérim, et ses collègues. L’autorité intérimaire est faible, avec un pouvoir très vulnérable[15].

L’envoyé spécial de l’OSCE, le Kazakh Zhanybek Karibzhanov[16], est arrivé à Bichkek à peine quelques heures après la chute de Bakiev. Le président en exercice de l’OSCE a eu des réunions quotidiennes avec Rosa Otounbaïeva, puis avec l’envoyé spécial de l’ONU et le représentant spécial de l’Union européenne pour l’Asie centrale, afin d’assurer la synergie entre les efforts des trois organisations. Ces délibérations s’avéraient cruciales, d’autant plus que l’autorité provisoire en­visageait un référendum sur le partage du pouvoir. Les électeurs kirghizes ont voté à plus de 90 % en faveur d’une nouvelle Constitution le 25 juin 2010. L’enjeu principal de la nouvelle Constitution était d’affaiblir considérablement le prési­dent au bénéfice du Parlement, afin d’éviter la concentration du pouvoir dans les mains d’une seule personne. Comme on devrait s’y attendre, les autorités provi­soires comptent beaucoup sur ces réformes pour stabiliser le pays, qui a connu des gouvernements corrompus successifs et plusieurs vagues de violence ces derniers mois[17].

Si le référendum a été jugé comme un grand succès, la violence « ethnique[18] » qui a éclatée le 10 juin entre Kirghizes et Ouzbeks au sud d’Och revêt un carac­tère particulièrement catastrophique. La tuerie systématique a fait des centaines de morts et blessés, et a occasionné l’exode de plus de 400 000 réfugiés ouzbeks. La violence montre que les actions de l’OSCE auprès du public ont des limites et qu’il faut faire beaucoup plus que des ateliers sur l’intégration et le respect de droits des minorités. Si les gouvernements se montrent plus sensibles aux attentes de l’Organisation envers eux, la société civile, en revanche, suit son propre chemin.

Au Kirghizistan, le président en exercice de l’OSCE avait déjà nommé, en avril 2010, un représentant spécial pour faire face à la crise politique. Ce dernier a réus­si à négocier une transition pacifique. De plus, il est resté engagé dans le nouveau processus politique de ce pays en activant un fonds d’urgence modeste pour sou­tenir, entre autres, la préparation du référendum du 26 juin. Malheureusement, la violence a éclaté, et l’OSCE s’est trouvée en prise avec la communauté internatio­nale pour faire cesser la violence et faire face aux conséquences.

À la demande du Kirghizistan, l’OSCE prépare actuellement des projets visant le renforcement de ses activités en cours pour régler la situation dans la partie sud du pays. Il s’agit notamment des propositions concernant l’appui à la police et aux forces de l’ordre. Le président en exercice de l’OSCE est en consultation avec les États participants sur la façon d’aller de l’avant avec la réalisation de ces projets. Une équipe d’évaluation de l’OSCE a commencé ses travaux à Bichkek, avec des représentants du secrétariat de l’Organisation, y compris les conseillers sur les questions de police. Le centre de l’OSCE à Bichkek travaille avec les auto­rités gouvernementales et non gouvernementales dans les domaines de la police[19], de l’état de droit, la sécurité des frontières et la gestion, la bonne gouvernance, la législation, l’environnement, la protection et la coopération régionale. Le bi­lan de l’intervention de l’Organisation dans les Balkans est impeccable dans ces domaines. L’OSCE cherche à accélérer le travail sur le terrain, en vue de prévenir des conflits, et à déployer une équipe d’évaluation de la situation à Bichkek. Les propositions comprennent l’envoi d’une cinquante de policiers moniteurs dans six endroits du pays, le renforcement des capacités du centre de l’OSCE, par l’ajout de huit à quinze personnes à son personnel, et le déploiement du Haut-Commissariat pour les minorités nationales afin de soutenir les efforts de récon­ciliation ethnique dans le Sud. Malgré des plans débattus et décidés à Vienne, les différends entre les États-Unis et la Russie sur les questions régionales empêchent l’OSCE de répondre de manière efficace aux crises en Asie centrale[20].

Au-delà de l’implication de l’OSCE dans sa vaste région traditionnelle, les États-Unis souhaiteraient qu’elle puisse aussi jouer un rôle important dans le maintien de la sécurité et la paix en Afghanistan.

  1. Organisation de coopération de Shanghai (OCS) : un nouveau « grand jeu » ?

L’intervention de l’OSCE, bien qu’elle soit légitime, survient dans une région sensible et achalandée. L’ensemble d’Asie centrale devrait être considérée comme la chasse gardée de l’OCS, une autre organisation régionale internationale.

Plusieurs écrits voient l’OSCE comme symbole de la présence américaine s’ingérant dans l’arrière-cour de l’OCS, dominée par la Russie et la Chine, et concluent l’existence d’un autre « grand jeu ».

Toute tentative d’intégration régionale en Asie centrale ne peut réussir que lorsqu’elle est fondée sur les deux piliers russe et chinois. Le rapprochement entre les frères ennemis remonte à la fin mai 1989, quand Mikhaïl Gorbatchev, secré­taire général du Parti communiste de l’Union soviétique, puis président élu de l’URSS, s’est rendu en Chine et a rencontré Deng Xiaoping, Li Peng et d’autres dirigeants chinois. La visite a été saluée dans le monde entier comme la normalisa­tion définitive des relations Chine-Union soviétique, après trois décennies d’hos­tilité. En termes pratiques, cette visite a créé un environnement propice à une coopération encore plus grande. Au moment où l’Union soviétique a commencé à s’effondrer en 1991, les contacts entre Moscou et Pékin dans les domaines éco­nomique, scientifique et de la technologie militaire étaient devenus stables et so­lides. Désormais, la République populaire de Chine était le partenaire de l’URSS.

Le rapprochement sino-russe s’est fait dans le chaos politique le plus total qui frappait l’Union soviétique. Cependant, le désordre n’a pas empêché la visite à Moscou de Jiang Zemin, secrétaire général du Parti communiste chinois, en mai 1991, et la conclusion d’un nouvel accord frontalier entre la Russie et la Chine, ainsi qu’une croissance rapide dans la coopération stratégique[21].

C’était dans ce contexte de décadence russe sous Boris Eltsine et d’émergence de la Chine que l’OCS a vu le jour en 1996 sous le nom de Cinq de Shanghai (Shanghai Five), avec la participation de la Russie, de la Chine, du Kazakhstan, du Tadjikistan et du Kirghizistan. L’Ouzbékistan a rejoint le groupe en 2001. À l’oc­casion de l’adoption de la charte officielle de regroupement en 2003, le nom de Cinq de Shanghai a été changé à l’OCS et le rassemblement a été reconnu comme une organisation régionale par les Nations unies. L’organisation dispose d’un se­crétariat permanent à Pékin et d’un centre régional antiterroriste à Tachkent. Le russe et le chinois sont les langues officielles de l’Organisation. Outre ses membres permanents, l’OCS a accordé le statut d’observateur officiel à certains États : la Mongolie depuis 2004, l’Inde, le Pakistan et l’Iran depuis juillet 2005, lors d’une réunion à Astana au Kazakhstan. La demande du statut d’observateur du Belarus, faite en 2006, n’a pas été retenue. Le Belarus et le Sri Lanka ont obtenu le statut d’États partenaires de discussion. Il y a aussi la catégorie d’États invités, dont jouissent aujourd’hui l’Afghanistan, la Géorgie, la Communauté des États in­dépendants, les États membres de la Communauté économique eurasiatique et l’Organisation du traité de sécurité collective, à savoir le Turkménistan, l’Ukraine, la Moldavie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les dix États membres de l’ASEAN jouis­sent également du statut d’États invités. Le nombre de ces États s’élève à 29. Cet ensemble a plusieurs atouts : une vaste population, d’énormes ressources en énergie, quatre des sept États nucléaires, plus Israël et la Corée du Nord, fief des guerres et de grandes tensions, la terre des puissances économiques établies ou émergentes, un espace très vaste qui enferme des eaux et des passages maritimes de grande valeur stratégique, etc. La frontière de l’expansion de l’OCS et de ses États appendices s’étend de l’Europe à l’Océanie.

Zbigniew Brzezinski décrit ainsi la force de l’OCS : « L’Eurasie est le foyer de la plupart des États politiquement confiants et dynamiques du monde. Tous les prétendants historiques au pouvoir mondial sont originaires d’Eurasie. Les aspirants les plus peuplés du monde pour l’hégémonie régionale, la Chine et l’Inde, se trouvent en Eurasie, d’ailleurs comme tous les challengers potentiels politiques ou économiques à la suprématie américaine. Après les États-Unis, les six plus grandes économies et plus grands dépensiers militaires sont là, comme le sont toutes, sauf une, les puissances nucléaires connues. L’Eurasie abrite 75 % de la population mondiale, 60 % de son PNB et 75 % de ses ressources énergétiques. Collectivement, le pouvoir potentiel de l’Eurasie éclipserait même celui de l’Amérique[22]. »

L’arrogance affichée par les dirigeants des États-Unis depuis la chute de l’Em­pire soviétique et leurs discours souvent provocateurs sur l’avènement d’un nouvel ordre mondial dominé par l’hyperpuissante américaine ont inquiété Moscou et Pékin.

Le rapprochement sino-russe et sa mutation en Cinq de Shanghai (puis OCS) avaient deux fonctions : mettre fin aux hostilités idéologiques intercommunistes d’un temps maintenant révolu ; contrer le monde unipolaire, la Pax Americana. La déclaration conjointe sino-russe du 23 avril 1997 ne laisse aucune ombre sur les intentions des deux pays, notamment leur intégration dans une organisation régionale. Voici quelques extraits de la déclaration[23] :

« Dans l’esprit de partenariat, les deux parties s’efforcent de promouvoir la multipolarisation du monde et la création d’un nouvel ordre international. La création d’un nouvel ordre politique et économique, juste et équitable, internatio­nal, fondé sur la paix et la stabilité, est devenue le besoin pressant de l’époque et la nécessité inévitable de l’histoire. Tous les pays, grands ou petits, forts ou faibles, riches ou pauvres, sont des membres égaux de la communauté internationale. Aucun pays ne devrait rechercher l’hégémonie, pratiquer la politique de puissance ou monopoliser les affaires internationales. »

Après les généralités, la déclaration devient plus spécifique en identifiant le danger de la menace américaine. Elle indique que les deux parties expriment leur inquiétude face à la tentative d’élargissement et de renforcement des blocs mili­taires, car une telle tendance peut constituer une menace pour la sécurité de cer­tains pays et aggraver les tensions régionales et mondiales. Le bloc Est se montre plus inclusif et cherche des alliés face aux États-Unis. Il reconnaît un rôle impor­tant au Mouvement des non-alignés dans la promotion de la multipolarisation du monde et la construction d’un nouvel ordre international. La Russie et la Chine dénoncent également l’instrumentalisation des Nations unies par les États-Unis, sans les nommer, en termes très difficiles. Elles soulignent la croissance de la dyna­mique négative dans les relations internationales et l’imposition à la communauté internationale d’un modèle unipolaire, un seul modèle de culture, de valeurs et d’idéologie ; l’affaiblissement du rôle de l’ONU ; la recherche de prétextes pour donner des explications aux buts et aux principes de la Charte des Nations unies ; le renforcement et l’élargissement des blocs militaires ; le remplacement du droit international avec la politique de coup de force ou encore le recours à la force brute ; et la mise en péril de la souveraineté des États indépendants en utilisant les notions de supériorité des droits de l’homme sur la souveraineté et l’intervention humanitaire. Tout cela fait référence à la guerre du Koweït et sa suite, et, surtout, à la nécessité de créer un nouvel ordre international dans un système mondial multipolaire.

Le fait le plus intéressant est l’engagement des deux pays à travailler ensemble avec le reste du monde pour s’opposer à la « dynamique actuelle » qui empêche la création d’une structure multipolaire pour les relations internationales. Le pas­sage suivant de la déclaration (réitérée le 25 août 1999) dissipe tout doute sur les vraies intentions des nouveaux partenaires stratégiques dans la création de Shanghai Five : les deux pays expriment leur satisfaction quant à la mise en œuvre de la déclaration de Bichkek émise par le Sommet de la Chine, de la Russie, du Kazakhstan, du Kirghizistan et du Tadjikistan, connu sous le nom de « Cinq de Shanghai »[24].

La conclusion des accords bilatéraux par la Russie et la Chine dans le passé n’a pas empêché les deux piliers de l’Organisation de convenir, en mars 2006, que l’OCS servirait de mécanisme de liaison principale entre les deux pays.

Comme toute autre organisation, l’OCS tente de s’adapter aux événements d’un monde en rapide évolution, notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis. Le but de l’Organisation est d’assurer la stabilité des gouvernements en place dans la région. Le massacre de juin 2010 au Kirghizistan et l’inertie de l’OCS, et notamment celle de la Russie, suppliée par le gouvernement de Bichkek d’intervenir pour arrêter la tuerie, sous prétexte de non-ingérence dans les affaires internes d’un État voisin, révèlent la place de la population au sein de cette organisation « intergouvernementale ». Forcée par le contexte international, elle met l’emphase sur la sécurité régionale, la lutte contre le terrorisme, la défense et la coopération énergétique dans sa propre région et au-delà.

En octobre 2005, il y avait des rumeurs (Interfax, 26 octobre 2005) selon lesquelles l’OCS pourrait devenir la base d’une alliance militaire pour stabiliser sa région devenue de plus en plus volatile. Cela était incompatible avec le but de l’OCS dans la mesure où les questions militaires d’intérêt pour l’Organisation sont d’assurer la stabilité des gouvernements en place dans la région et, bien que ce ne soit pas dit, de dissuader les États-Unis et l’OTAN d’essayer de le faire à sa place. La première réunion officielle des ministres de la Défense de l’OCS s’est tenue à Beijing en avril 2006. Dans les communiqués de presse diffusés avant et après cette réunion, les thèmes centraux ont été que « le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme » représentaient une menace pour le monde entier, et que le se­crétariat de l’OCS devrait travailler avec le Centre régional antiterroriste, pour aider à combattre ces trois « fléaux ». Le ministère des Affaires étrangères russe a employé le terme de « synchronisation des montres » à cet égard[25].

Le but déclaré du sommet de l’OCS en 2006 était la poursuite de la sécurité commune, l’énergie et les objectifs de développement, y compris une coopéra­tion renforcée contre le terrorisme, l’extrémisme islamiste et le séparatisme. Le président chinois, Hu Jinato, qui présidait la réunion à Shanghai, a ainsi résumé le travail du sommet : « Nous espérons que le monde extérieur accepte le système social et la voie de développement que nos membres et observateurs ont choi­sis de manière indépendante et qu’il respecte la politique intérieure et extérieure adoptée par les États participants de l’OCS en fonction de leurs conditions natio­nales. » En d’autres termes, la non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains, un message que les États-Unis n’ont pas envie d’entendre.[26]

Enjeu d’un nouveau « grand jeu »

Dilip Hiro croit que l’importance croissante et la cohérence de l’OCS sont un souci pour les États-Unis et son allié japonais. Il cite un haut fonctionnaire japonais qui a déclaré, le 30 octobre 2006, que l’OCS est de plus en un bloc rival de l’alliance américaine. Il reproche à l’OCS le fait qu’elle ne partage pas « nos valeurs » et que « nous la regardons de très près[27] ».

Sont nombreux les observateurs des relations internationales qui partagent l’analyse du haut fonctionnaire japonais sur l’instrumentalisation de l’OCS par le couple sino-russe. Pour Andrew Gavin Marshall, les activités militaires des Anglo-Américains et des Russes ont augmenté les tensions dans les relations Ouest-Est[28].

Selon Peter Pham, il devient de plus en plus évident que l’Ouest n’est plus le seul en jeu : l’OCS ne cesse de se développer en un organisme de sécurité à part entière, d’autant plus que ses États membres possèdent 8 % des réserves prouvées du pétrole et 31 % du gaz naturel du monde. De plus, les forces armées russes et chinoises sont les plus importantes et au quatrième rang des forces militaires en service actif dans le monde, avec des budgets de défense combinés au moins égaux à 10 % du total des dépenses militaires mondiales. Pour Pham, bien qu’il manque encore beaucoup d’éléments pour en faire une vraie rivale de l’OTAN, l’OCS est déjà un facteur de modification du calcul géopolitique eurasien[29].

Pour Alexandr Nemets, la sagesse conventionnelle veut que le renforcement des capacités militaires de la Chine et la croissance de ses ambitions régionales posent bientôt un défi aux États-Unis en Asie. De même, la Russie sous Vladimir Poutine a mis de côté toute ambiguïté concernant sa direction de l’après-guerre froide, en affirmant de plus en plus son anti-américanisme[30].

Pour d’autres, il n’y a pas de doute que la Russie essaie de confronter les États-Unis, en dépit de l’assurance qu’elle est préoccupée seulement par la lutte contre le terrorisme. Sa présence dominante au sein de l’OCS, ainsi que la façon dont elle s’impose en Asie centrale confirment ce fait. Il est possible que l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan veuillent une plus grande ouverture vers l’Ouest, mais ils sont trop dépendants de la Russie pour se permettre ce luxe. En outre, ce sont eux qui auraientle plus à perdre dans une lutte éventuelle entre l’Occident et l’Orient. Si la Russie parvient à maintenir sa dominance, les États-Unis tenteront définitivement d’utiliser différentes excuses pour déstabiliser la situation politique dans la région. D’autre part, l’effort pour diminuer l’influence russe en Asie centrale pourrait avoir comme contrepartie des conflits interethniques, intentionnellement provoqués et fabriqués (la Russie dispose de leviers suffisant pour de tels scénarios). Évidemment, dans de telles circonstances, l’OCS a toutes les chances de consolider sa position dans la région. Plus que cela, l’Organisation sera justifiée de s’imposer ouvertement en face de la communauté internationale comme un bloc anti-améri­cain en Eurasie[31].

L’idée d’une nouvelle version de « grand jeu » refait donc surface, avec le même objectif du contrôle du même espace géographique et de ses ressources, mais avec plus de joueurs et une plus grande intensité. L’Asie centrale est ainsi redevenue le centre des rivalités internationales. La prolifération des initiatives de sécurité est une incarnation moderne d’Alfred Thayer Mahan et son paradigme de puissance maritime par rapport à la puissance terrestre telle que préconisée par Halford John Makinder. L’alliance anglo-américaine et leurs alliés représentent la puissance ma­ritime, tandis que la contre-alliance en Eurasie, fondée autour du noyau d’une coalition russo-chinoise[32], à laquelle se joindraient l’Inde et l’Iran, représente la puissance terrestre.

S’il n’y a pas de doute qu’un nouveau grand jeu est en train de se concocter, la question réside dans la formation des équipes qui s’affronteraient. David Scott[33] est d’avis que la montée en puissance simultanée de la Chine et de l’Inde est un facteur fondamental pour comprendre le nouveau siècle. En route vers le sta­tut de grandes puissances, elles prendraient une de ces deux directions : monter les unes contre les autres à travers l’Asie et ses eaux environnantes, comme en témoignent leurs relations durant la guerre froide; ou coopérer avec la Russie dans l’espace de l’OCS pour empêcher l’intrusion des puissances étrangères dans leur aire géostratégique. Les modèles traditionnels de géopolitique, Mackinder, Spykman et Mahan, pointent leur politique spatiale autour de l’Asie centrale, Asie du Sud, Asie Pacifique et océan Indien. Les paramètres de l’espace réel y sont com­binés avec les perspectives spatiales imaginées. Ces voisins puissants cherchent à continuer à s’agrandir et contraindre l’autre si nécessaire, par l’encerclement mutuel, des alliances et des procurations. Ce genre de « grand jeu » est évident dans les domaines de la sécurité militaire, diplomatique et économique. La mon­dialisation n’a pas remplacé le régionalisme, comme la géo-économie ne s’est pas substituée à la géopolitique. Les enjeux sont grands comme le sont les besoins pour sécuriser l’accès aux ressources énergétiques qui sont indispensables pour le développement de leurs économies, en vue de se hausser au statut de grandes puissances. Cependant, le réalisme géopolitique des relations internationales et les perceptions du dilemme de sécurité continuent à orienter une grande partie des actions de ces voisins, les autres membres de l’OCS ainsi que tout cet ensemble vers les autres concurrents cherchant à accéder aux ressources du bassin de la mer Caspienne.

Le jeu des alliances par les uns et la tentative de les perturber par les autres confrontent l’ensemble de l’Eurasie à des choix stratégiques difficiles. L’exemple his­torique des « grands jeux » montre la futilité et surtout le caractère temporaire des alliances exclusives. Chaque jeu était suivi par une période de marasme politique et économique jusqu’au prochain.

Aujourd’hui, grâce à son histoire relativement glorieuse, l’OSCE a le potentiel de servir de cadre global pour gouverner les relations entre Est (incluant la Chine, l’Inde et l’Iran) et Ouest. Les alliances subrégionales de type OCS auront leur place sous ce parapluie pour administrer les relations économiques régionales. Comme les crises économiques, politiques et de sécurité globale le démontrent de manière non équivoque, il faut un concert des nations, sinon des États, pour éviter la répétition des dislocations étatiques, avec les conséquences catastrophiques pour la vie des communautés qui s’ensuivent.

[1]Pour une histoire de la construction européenne, voir Marie-Thérèse BITSCH, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Complexe, « Questions à l’histoire », 2001.

[2]CSCE, Acte final Helsinki, 1er août 1975, http://www.osce.org/documents/mcs/1975/ 08/4044_fr.pdf.

[3]Pour une analyse du concept gorbatchevien, voir Marie-Pierre REY, « Gorbatchev et la Maison commune européenne. Une opportunité manquée? » Institut François-Mitterrand. Association des amis de l’Institut, La Lettre, n° 19,

[4]Voir Charte de Paris pour une nouvelle Europe, Paris, 1990, http://www.osce.org/docs/

french/1990-1999/summits/paris90f.pdf.

[5] Entretien électronique avec M. Maroevic, porte-parole adjoint, OSCE, Vienne, 25 juin

2010.

[6]OSCE, « Institutions », http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id = 17&Itemid=32.

[7]http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id=23&Itemid=38.

[8]http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id=33&Itemid=48.

[9]http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id=27&Itemid=42.

[10]http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id=28&Itemid=46.

[11]Dans cette région, le trafic est une préoccupation qui déborde la simple traite d’êtres humains pour couvrir également des armes légères et de petit calibre, des composantes de programme nucléaire et bien sûr des drogues.

[12]http://fr.osce.org/index.php?option=com_content&task=view&id=29&Itemid=43.

[13]Sur les antécédents de la question des minorités au sein de la CSCE, voir Victor Yves GHEBALI, La CSCE et la question des minorités en Europe, avril 1998, http://www.irenees.net/ fr/fiches/dph/fiche-dph-4297.html.

[14]http://www.osce.org/item/44859.html. Pour le détail et le programme de la conférence, voir: http://www.osce.org/documents/cio/2010/06/44466_en.pdf.

[15]Ross WILSON et Damon WILSON, « Uncertain Kyrgyzstan: Rebalancing U.S. Policy », Atlantic Council, Eurasia Task Force, http://www.acus.org/files/publication_pdfs/403/ UncertainKyrgyzstan_ETFBrief.pdf.

[16]Il est le premier ressortissant de la région Caspienne qui assume le poste du président en exercice de l’OSCE.

[17]« Le Kirghizistan a adopté une nouvelle Constitution », Le Point, 28 juin 2010.

[18]Il est difficile de définir la tuerie d’Ocha comme une violence ethnique, même si les Ouzbeks et les Kirghizes ont été impliqués dans les heurts. Les deux groupes ethniques turcs sont très majoritairement musulmans sunnites. Le gouvernement provisoire attribue la violence au fils de l’ancien président et aux bénéficiaires de son système corrompu. Certains pensent que sont entrées en jeu les inégalités économiques et sociales que les associés de l’ancien régime ont exploitées pour attiser les sentiments antikirghizes. Abbas SHAKERI, « Oubli kirghiz, stratégie ou tactique », Shahrvand, 23 juin 2010.

[19]Entretien électronique, op. cit.

[20]WILSON & WILSON, op. cit.

[21]Alexandr NEMETS, « Russia and China : The Mechanics of an Anti-American Alliance », The Journal of International Security Affairs, n° 11, automne 2006, http://www.securityaffairs. org/ issues/ 2006/11/ nemets.php.

[22]Zbigniew BRZEZINSKI, A Geostrategy for Eurasia, http://www.defenceforum.in/forum/ showthread.php/ 10054-India-and-geostrategy?s=8222b9d 2a2a5fa091666fd69ab100508.

[23]Ministry of Foreign Aflàirs of the People’s Republic of China, Sino-Russian Joint Statement, 10 décembre 1999, 15 novembre 2000, http://www.fmprc.gov.cn/eng/wjdt/2649/t15793.htm

[24]W Joseph STROUPE, « The Hungry bear », 5 : « Russia, China ‘cooking something up », Asia Times, http://www.atimes.com/atimes/Central_Asia/HI29Ag01.html.

[25]J.L. BLACK, New Alliances: Russia And The Shanghai Cooperation Organization, http:// www.google.ca/earch?q=CICA&hl=en&rlz=1T4RNTN_enCA346CA346&prmd=n&source =univ&tbs=nws:1&tbo=u&ei=57oLTPTtPISclgf06tydDw&sa=X&oi=news_group&ct=title &resnum=5&ved=0CDwQsQQwBA.

[26]Dilip HIRO, « Shanghai surprise. The summit of the Shanghai Cooperation Organisation reveals how power is shifting in the world », guardian.co.uk, 16 juin 2006.

[27]ibid

[28]Andrew Gavin MARSHALL, « New Cold War: Great Game for Supremacy in the New World Order? », Global Research, 31 octobre 2007.

[29]Peter PHAM, « NATO’s New Rival », 19 août 2008, http://www.nationalinterest.org/

Article. Aspx ?id= 19600.

[30]Alexandr NEMETS, « Russia and China : The Mechanics of an Anti-American Alliance », The Journal of International Security Affairs, n° 11, automne 2006, http://www.securityaffairs. org/ issues/2006/ 11/ nemets.php.

[31]« Shanghai Organization-Antiterrorist or Anti-American Block? » http://diminet.wordpress. com/.

[32]Mahdi Darius NAZEMROAYA, « The « Great Game » Enters the Mediterranean: Gas, Oil, War, and Geo-Politics », Global Research, 14 octobre 2007.

[33]David SCOTT, « The Great Power ‘Great Game’ between India and China: « The Logic of Geography » », Geopolitics, vol. 13, n° 1, janvier 2008, p. 1-26.

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