Cuba États-Unis entre statu quo et difficile normalisation

Mohammed Fadhel TROUDI

Docteur en Droit international, Enseignant-chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur du Pôle Méditerranée (MENA) de l’Observatoire de la Mer noire, du Golfe et de la Méditerranée – OBGMS.

4eme trimestre 2013

Plus de 50 ans après l’élaboration de la politique américaine faite de blocage économique, de tentatives de renversement du régime communiste, de soutien secret puis public de toute forme d’opposition à Castro, cette politique est toujours en application en dépit de quelques signes d’ouverture, et de nombreuses critiques tant internes qu’externes. Le constat est que cette poli­tique est totalement improductive et ne fait que renforcer le pouvoir castriste, aiguise le sentiment nationaliste et renforce la confiance des cubains, qui refusent toute intervention américaine dans les affaires internes de leur pays. Il y a comme un sentiment que les États-Unis ont tout essayé depuis plus de cinquante ans sans aucun résultat.

Rappel de quelques données historiques

Les États-Unis et Cuba, sont deux pays très proches géographiquement avec des liens économiques et historiques très forts. Historiquement la Havane était sous domination espagnole sur plus de 400 ans, présence coloniale qui a du faire face à la volonté des cubains de s’émanciper, ce qui a donné lieu à de nombreuses luttes pour recouvrir la souveraineté, qui ont atteint leur apogée avec la guerre dite de dix ans (1868-1878) et surtout la guerre de libération nationale cubaine (1895-1898). Face aux horreurs commises par les Espagnols, certains journaux américains de l’époque, particulièrement avides de sensations fortes, tel le New York Worla et le New York Journal, firent état de la barbarie espagnole, notamment de leur commandant en chef, Weyler, surnommé « le boucher » et le traitement féroce infligé au peuple cubain.

Les espagnols représentés par la régente Marie Christine, étaient néanmoins prêts à certaines concessions comme la signature d’une armistice avec les insurgés cubains, de supprimer la politique de concentration, et d’accepter une médiation américaine en vue de résoudre la question cubaine d’une manière pacifique. Mais devant le refus de l’Espagne d’accorder l’indépendance cubaine, le parti favorable à la guerre, s’appuyant sur une opinion publique américaine, du reste influencée par les comités révolutionnaires cubains installés à New York réussit à renforcer sa pression sur le président américain Cleveland. Ce dernier a tenté avec un peu de succès de résister à la tentation d’intervention à Cuba face à une armée espagnole conquérante.

Son successeur Mc McKinley, va s’efforcer à son tour de poursuivre la politique de son prédécesseur, après que l’Espagne ait quelque peu adouci sa politique coloniale en prenant certaines mesures considérées comme encourageantes par les États unis comme le renvoi du « boucher Weyler », l’amorce d’une politique de réforme dans l’île et la promesse d’une possible autonomie interne, ce qui semble satisfaire certains milieux américains notamment les médias. Le 6 novembre 1897, le Washington Post écrivait : « Pas de guerre avec l’Espagne. Tout porte à croire à la paix », mais une série d’événements malheureux vont avoir raison d’une détérioration des relations entre les États-Unis et l’Espagne avec pour point d’orgue l’explosion du cuirassé américain l’USS Maine, coulé dans le port de la Havane, le 15 février 1898, la guerre était devenue par conséquent inévitable.

Le président n’accepta l’idée d’une intervention qu’une fois il s’est assuré le sou­tien des milieux d’affaires, aussi il ne pouvait pas rester hésitant devant la montée du sentiment belliciste, comme il ne souhaitait pas provoquer une division au sein du parti républicain et ruiner ses chances de réélection en 1900, ni laisser aux démo­crates le privilège de défendre la souveraineté de Cuba. L’élément déclencheur sera la perte de l’USS Maine dont les États-Unis accusaient l’Espagne de l’avoir coulé suite à une opération de sabotage, ayant conduit à la mort de 266 militaires américains. McKinley proposa au Congrès l’intervention américaine le 11 avril 1898 qui l’accep­ta le 19 avril en autorisant l’usage de la force contre l’Espagne coupable d’atrocités envers le peuple cubain.

La guerre est finalement déclarée le 25 avril 1898 par le Congrès par 42 voix pour et 35 contre au Sénat et par 310 voix pour et 6 contre à la Chambre des représentants (1), néanmoins un amendement précisa que les États-Unis n’annexeraient pas l’île et dès le 21 avril, l’US Navy établit le blocus de l’île. En dépit de la différence de puis­sance militaire, la guerre se termine par la défaite de l’Espagne et l’accession de Cuba à l’indépendance en 1902. Mais contrairement à l’amendement voté par le Congrès peu de temps avant l’intervention américaine, stipulant la non annexion de l’île, un autre amendement dit « amendement Platt » (2) autorise le maintien de deux bases militaires navales américaines dans l’île, il s’agit de la base Bahia Honda et surtout de la base de Guantànamo qui suscite aujourd’hui beaucoup de critiques internatio­nales, dont les États-Unis se servent comme lieu de détention illégale de beaucoup d’étrangers accusés de terrorisme sans aucun procès et en violation de la constitution américaine et du droit international.

Les États-Unis se présentaient comme les seuls garants de l’indépendance de Cuba et de sa constitution avec un droit d’intervention dans les affaires internes du pays en cas de blocage constitutionnel, tout en investissant massivement dans les secteurs clés de l’économie cubaine notamment le sucre, le tabac et le tourisme. Une formule employée par l’auteur américain Hakim Joy résume assez bien la nature des relations entre les deux pays depuis l’indépendance de l’île : « la période qui va de 1899 à 1902 est une occupation militaire et celle de 1902 à 1958, une période néo coloniale »

Par la suite, les États-Unis ont soutenu la révolution cubaine, celle qui a fini par chasser le dictateur Batista, ils ont reconnu le gouvernement issu de la révolution celui de Manuel Urrutia le 7 janvier 1959 après la fuite de l’ancien homme fort de la Havane Batista. Cependant les relations entre les deux pays vont rapidement se dégrader avec la nomination de Fidel Castro en février 1959 au poste de Premier ministre, les événements vont dès lors se succéder notamment le refus des États-Unis de restituer plus de 400 millions de dollars détournés par l’entourage de Batista très peu de temps avant sa fuite selon un rapport rendu public par la Banque centrale cubaine en date du 6 février 1959.

Par ailleurs le refus du Conseil national de sécurité des États-Unis le 12 février 1959 d’un crédit demandé par la banque centrale cubaine pour soutenir la monnaie nationale a été un élément aggravant des relations déjà difficiles entre les deux pays. Le point culminant de cette mauvaise relation qui se dessine désormais, était la loi du 17 mai 1959, dite de réforme agraire, elle autorise la nationalisation de toute propriété de plus de 420 hectares, avec pour objectif affiché de les distribuer aux paysans et aux sans-terre,. Une des conséquences directes de cette loi fut la perte de nombreuses propriétés appartenant à des citoyens ou des sociétés américaines, ainsi nationalisées sans aucune compensation.

En effet, les hommes d’affaires américains, attirés par la proximité de Cuba et la politique d’ouverture des différentes administrations cubaines, s’étaient depuis longtemps rendus acquéreurs de vastes plantations de sucre et de cacao, et de sociétés minières, perdre de tels avantages, n’était pas du tout acceptable, ce qui a poussé Washington à durcir sa position vis-à-vis de la Havane en refusant en bloc la réforme agraire et sa mise en œuvre. Les États-Unis décident d’augmenter la pression économique sur Fidel Castro avec pour la première fois la suppression de la quote-part de sucre cubain d’abord pour les trois premiers mois de 1961 et puis l’embargo total sera mis en place suivi de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays, effective depuis le 3 janvier 1961.

Quelques mois plus tard, les États-Unis lancent une opération de déstabilisation de Fidel Castro, la très célèbre opération appelée communément « le débarquement de la baie des Cochons », engageant les membres de la Brigade 2506 (3) constituée de près de 1400 exilés cubains recrutés et entraînés aux États-Unis par la CIA, l’objectif étant le renversement du nouveau pouvoir cubain mis en place par Fidel Castro cou­pable de mener une politique agressive contre les intérêts économiques, de se rappro­cher de l’ennemi communiste en introduisant l’URSS, dans une région, considérée par les États-Unis comme leur pré carré. L’opération fut un échec total pour les États-Unis qui enregistrent avec des vives inquiétudes le rapprochement de Cuba avec l’URSS suite à l’opération « Anadyr » (4). Cette opération qui est une humiliation pour les États-Unis obligés d’accepter les conditions soviétiques d’abandonner toute idée d’invasion de Cuba en échange du retrait des missiles soviétiques de la Havane.

L’embargo par ailleurs très controversé, décrit par le terme espagnol « el bloqueo » ou blocus à la fois économique, commercial et financier mis en place en 1962 à la suite d’une politique de nationalisation expropriant de fait des compagnies et des citoyens américains, va produire des effets contraires et finira par renforcer le régime de Fidel Castro. Ce dernier fort du soutien soviétique notamment économique par l’augmentation des aides à Cuba, sera le premier responsable politique sud américain à avoir mis en place un régime d’inspiration social-communiste dans une région d’une importance capitale pour la sécurité nationale des États-Unis. C’est le début d’une longue guerre froide qui va durer plus de quarante ans dans laquelle Cuba prendra une part importante en acceptant d’être satellisé par l’ex URSS.

Les relations américano-cubaines pendant la guerre froide

Rares sont les événements, du milieu du XXe siècle, qui avaient eu autant de retentissements et de bouleversements régionaux et internationaux que la révolution cubaine de 1959 en ce sens qu’elle a eu des conséquences sociales, politiques, éco­nomiques et géostratégiques sans précédent dans l’histoire contemporaine de l’Amé­rique latine et ce pour plusieurs raisons aussi pertinentes les unes que les autres. D’abord cette révolution s’est produite dans une région considérée par les États-Unis comme un pré-carré inviolable, Cuba étant à moins de 150 km des côtes améri­caines, ce qui a ouvert le champ à la première implantation de l’Union soviétique en Amérique latine à la faveur de la guerre froide. L’autre raison fut la certitude à l’époque que la portée de la révolution castriste avait réellement échappée aux autori­tés américaines en dépit d’une action forte économique et militaire en vue de juguler les retombées de cette révolution sans y parvenir. Il faut rappeler que la riposte amé­ricaine a été d’une extrême dureté, allant jusqu’à demander et obtenir l’exclusion de Cuba de l’OEA (Organisation des États américains) le 25 janvier 1962 à l’issu d’un vote par 14 voix contre 6 (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Équateur, Mexique), ce qui a eu pour conséquence immédiate la rupture de toutes les relations commer­ciales, diplomatiques et aériennes entre l’île et le reste du continent, isolant quasi totalement Cuba mais qui voit arriver l’aide de l’allié soviétique. La troisième raison fut bien évidemment l’influence importante que cette révolution avait exercée sur les États issus de ce que l’on appelait communément le Tiers-monde.

Plus tard, l’embargo américain a été renforcé le 23 octobre 1992 par la loi « Torricelli » ou Cuban Democracy Act, adoptée par le Congrès sous la présidence de Georges Bush, elle interdisait toute forme de commerce avec l’île, exception faite des livraisons que peuvent justifier la situation humanitaire et alimentaire désastreuse. Cette loi a été sévèrement critiquée notamment par l’Union européenne considérant qu’elle entravait le commerce entre les États, qu’elle constitue une violation flagrante du droit international sur le libre commerce et le libre transit et elle est contraire aux principes de la déclaration transatlantique associant les États-Unis à la CEE, actuelle Union européenne. Outre son caractère illégal, cette loi si néfaste pour la liberté du commerce, voulant isoler davantage Cuba, n’a pas fait l’objet d’une décision de l’ONU et a donné un effet contraire à celui recherché, en ce sens qu’elle a permis de légitimer l’action de Castro qui en a profité pour durcir sa politique à la fois envers les États-unis mais également sur le plan intérieur de Cuba.

Maintenant sa pression sur Castro, le Congrès américain vote une autre loi dite Helms Burton ou (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act) datant du 12 mars 1996, pendant le mandat présidentiel de Clinton. Comme la loi Torricelli, Helms Burton, renforce le schéma de confrontation entre les deux pays et isole un peu plus la Havane en interdisant notamment l’entrée du territoire américain aux hommes d’affaires étrangers et à tout actionnaire, qui tire bénéfice des propriétés confisquées aux américains par le régime castriste.

Cette loi est d’autant plus détestable qu’elle s’exerce à sens unique en ce sens que les États-Unis rejettent toute idée d’embargo commercial étranger, comme le stipulait la loi dite « Export Administration Act » de 1969, qui valide une disposition particulière à savoir la « Foreign Antiboycot Provision », qui interdit tout simplement aux sociétés américaines d’appliquer des boycotts décidés par des États étrangers. Autrement dit les États-Unis voulaient que le monde se conforme à leurs propres embargos notamment contre Cuba, mais rejettent les boycotts des autres, ce qui est inadmissible et parfois choquant. Par dessus le marché cette loi comme la précédente est totalement contraire au droit international, en effet si ce dernier autorise des pays de prendre des mesures de sauvegarde ou de protection de leurs intérêts nationaux, visant à limiter les échanges internationaux d’une manière ponctuelle et dans des cir­constances bien établies, il ne légitime aucunement le fait qu’un État donné impose de telles mesures à des pays tiers. En définitive ces deux lois américaines violent impunément les accords commerciaux internationaux visant à réguler les échanges mondiaux d ‘abord dans le cadre du G.A.T.T puis de l’OMC, qui lui a succédé depuis 1994.

Nullement efficace, cet embargo a en définitive condamné la Havane au sous dé­veloppement économique et par ricochet, il empêche toute possibilité d’émergence d’un développement politique actif, permettant l’arrivée d’une nouvelle élite cubaine, apte à infléchir un changement notable dans les relations entre les deux pays, c’est ce que paradoxalement souhaitent les États-Unis. En définitive cet embargo criminel sur quelques uns de ses aspects, n’affecte que les populations civiles notamment les franges les plus fragiles et renforce paradoxalement le pouvoir central cubain.

C’est en ces termes que le 6 avril 1960, Lester D.Mallory, sous-secrétaire d’État assistant pour les Affaires inter américaines, rappelait les objectifs de l’embargo éco­nomique : « la majorité des Cubains soutiennent Castro. Il n’y a pas d’opposition po­litique efficace… Le seul moyen possible pour annihiler le soutien interne au régime est de provoquer le désenchantement et le découragement par l’insatisfaction écono­mique et la pénurie… Tous les moyens possibles doivent être entrepris rapidement pour affaiblir la vie économique de Cuba… Une mesure qui pourrait avoir un très fort impact serait de refuser tout financement et livraison à Cuba, ce qui réduirait les revenus monétaires et les salaires réels et provoquent, le désespoir et le renversement du gouvernement ». En d’autres termes s’en prendre aux civils cubains pour les pous­ser à se soulever contre le régime en place.

Par ailleurs, les États-Unis ne se sont pas contenté des sanctions économiques pour renverser le régime castriste, ils s’appuient également sur un deuxième pilier non plus efficace, celui de l’organisation et le financement de toute forme d’opposi­tion interne, plus à même de sauvegarder les intérêts vitaux des États-Unis et chasser ainsi toute présence étrangère à moins de 150 km des côtes américaines.

Un soutien total et continu à toute forme d’opposition interne

Depuis le déclenchement de la révolution cubaine, un programme très bien éla­boré d’aide à la création et le soutien à une dissidence cubaine de l’intérieur, a été longtemps tenu secret jusqu’en 1990, date de la dislocation de l’ex URSS, ce qui a permis de rendre ce programme public et a même été inscrit dans la législation américaine. En effet les américains étaient convaincus de l’inévitable victoire face à Castro, désormais les États-Unis n’hésitaient plus à affirmer publiquement leur sou­tien politique et financier aux opposants cubains de l’intérieur. À ce sujet il faut noter que la section 1705 de la loi Torricelli datant de l’année 1992, portant le nom de Cuban Democracy Act,dit clairement : « Les États-Unis fourniront une assistance à des organisations non gouvernementales appropriées pour soutenir des individus et des organisations qui promeuvent un changement démocratique non violent à Cuba ».

La loi Helms-Burton dite Helms- Act va dans le même sens puisqu’on peut y lire dans sa section 109 que : « le Président desÉtats-Unis est autorisé à fournir une assistance et offrir tout type de soutien à des individus et des organisations non gouvernementales indépendantes pour soutenir des efforts en vue de construire la démocratie à Cuba ». Le premier rapport de la Commission d’assistance à la libéra­tion de Cuba, contenait « un solide programme de soutien favorisant la société civile cubaine ». Une des mesures phares préconisée par ce programme, le financement équivalent à 36 millions de dollars, destiné au « soutien de l’opposition démocra­tique et au renforcement de la société civile émergente » Un deuxième rapport de cette même Commission prévoyait la mise en place d’un nouveau budget à hauteur de 31 millions de dollars en tant qu’aide massive à l’opposition cubaine agissant de l’intérieur de l’île et pas moins de 20 millions de dollars à chaque année suivante, « jusqu’à ce que la dictature cesse d’exister » (5) affirmait ce rapport qui par ailleurs mettait en place un plan d’aide pour la formation et l’équipement des journalistes indépendants à Cuba.

De son côté l’USAID (6) ou l’Agence américaine pour le développement interna­tional, finance l’opposition cubaine et notamment des professionnels des médias, elle reconnaît avoir formé « des centaines de journalistes sur une période de dix ans dont

le travail est apparu dans de grands médias internationaux ». Cette déclaration si elle a le mérite d’être très claire, elle met cependant à mal le caractère indépendant des journalistes cubains opposants au pouvoir castriste, ce dernier n’a pas manqué d’ins-trumentaliser cette déclaration en montrant des doigts ces journalistes comme des traîtres au solde des États-Unis, qui ont pour but unique comme il est signifié dans les documents officiels du Département d’État à savoir le « changement du régime ». Il faut noter par ailleurs que cette agence est régulièrement accusée d’espionnage ainsi que de troubles à l’ordre interne des États, c’est notamment le cas de la Russie qui a prononcé son interdiction en septembre 2012. On peut également souligner l’interdiction et l’expulsion de l’USAID de Bolivie par le président Evo Morales en date du premier mai 2013, justifiant sa décision il déclare que l’USAID agit « pour des objectifs politiques et non pour des objectifs sociaux ».

Il en résulte qu’en général le programme de l’USAID, qui supervise le soutien financier du gouvernement fédéral pour la promotion de la démocratie à Cuba, a été et demeure à caractère politique, il utilise certaines catégories de la société cubaine, telles les, les minorités noires et homosexuelles, communément appelées « marginaux ou populations vulnérables », mais également les orphelins, les jeunes issus des familles rurales et les marginaux pour en faire, les dirigeants de demain d’un Cuba post Castro. L’agence de presse américaine « The Associated Press » a mis en exergue cette réalité en reconnaissant le caractère très ancien de la politique étasunienne de financement de toute forme d’opposition interne : « Depuis des années, le gouver­nement des États-Unis a dépensé des millions de dollars pour soutenir l’opposition cubaine » note cette agence.

Il y va de soit que la reconnaissance ouvertement de l’action déstabilisatrice de l’USAID à Cuba, place d’un point de vue strictement juridique les dissidents cubains dans une situation inconfortable d’agents au service d’une puissance étrangère, ce qui constitue une violation flagrante du droit international. De son côté, le pouvoir cubain excelle dans l’instrumentalisation de cette réalité amère pour montrer l’action illégale des États-Unis et le peu de respect qu’à l’Amérique pour les codes de bonne conduite entre les États souverains.

N’accordant que peu d’écho aux critiques, l’USAID continue à verser des millions de dollars annuellement aux dissidents cubains et davantage aujourd’hui au groupe de jeunes blogueurs et à des associations sportives et religieuses, utilisées inlassablement dans des opérations de déstabilisations de l’île à travers notamment des réseaux sociaux, qui se sont spécialisés dans les cyber révolutions ou « révolution douce », à l’instar de l’ONG américaine « Freedom House », sous couvert de promotion de la démocratie et la liberté individuelle dans ces pays, en somme les former à se rebeller contre leurs conditions politiques, économiques et sociales. C’est cette stratégie dévastatrice qui a été à l’origine des prétendus printemps arabes, qui se prolonge aujourd’hui cruellement en Syrie, et peut être demain d’autres États, qui sont ou peuvent être considérés comme réfractaires à la politique américaine de domination.

Cette politique s’avère totalement contre productive en dépit de la longue période d’embargo et des nombreuses tentatives américaines qui n’ont en réalité jamais cessé vouloir renverser le pouvoir cubain. Wayne S Smith, ancien responsable de la section des intérêts américains à la Havane, reconnaît le caractère subversif de la politique américaine envers la Havane, lors d’une intervention à la Radio Habana (7) en 2008, il annonce qu’il est « illégal et imprudent d’envoyer de l’argent aux dissidents cu­bains » (8) personne ajoute-il « ne devrait donner de l’argent aux dissidents et encore moins dans le but de renverser le gouvernement cubain… » En dépit de ces échecs répétés, les États-Unis continuent inlassablement leur entreprise de renversement du régime cubain et persévèrent dans leur soutien à une opposition cubaine sans aucune assise populaire, malgré les moyens politiques, économiques, médiatiques et finan­ciers mis à sa disposition.

Par ailleurs l’actuel président cubain, Raoul Castro qui a succédé à son frère, dispose d’une certaine autorité et paradoxalement, l’opposition paraît bien divisée et dirigée par des individus avec un fort taux d’ego qui rend le travail en commun quasi inexistant pour ne pas dire nul. L’autre limite de l’opposition cubaine, c’est qu’elle est vieillissante et totalement coupée du quotidien des cubains ordinaires, note le diplo-mate(9). Ce dernier est par ailleurs très critique envers les opposants cubains, relevant leur isolement et leur rupture avec la société notamment avec la jeunesse cubaine ; « ils n’ont que très peu de contacts avec la jeunesse cubaine et leur message n’intéresse pas ce segment de la société », remarque-il.

Il faut relever ici que les cubains s’ils demeurent critiques vis-à-vis du régime, ils rejettent néanmoins toute tentative étrangère de s’immiscer dans les affaires internes de l’île et cela tient certainement au sentiment très patriotique qui anime les cubains en général.

Ils sont dans l’ensemble « anti impérialiste » et très attachés à leur histoire, mar­quée par l’action de plusieurs personnalités cubaines tels José Marti, Antonio Maceo, Maximo Gomez, Julio Antonio Mella, Antonio Guiteras, Eduardo Chibas et le très médiatique Fidel Castro qui reste populaire à Cuba en dépit de son retrait de la vie politique. À ce propos, le diplomate relevait « la significative admiration personnelle pour Fidel » au sein de la société cubaine.(10)

Si l’Opposition est divisée, coupée des besoins de la classe moyenne notamment de la jeunesse cubaine, si elle se caractérise par l’absence d’un projet mobilisateur à même de représenter une sérieuse alternative au régime en place, elle semble néan­moins constituer le seul moyen dont dispose les États-Unis pour réaliser leurs ob­jectifs dans l’île. En l’absence de perspectives réelles pour l’opposition cubaine de succéder dans un avenir proche à la famille Castro, les États-Unis n’ont d’autres alternatives que de continuer à soutenir le travail de l’opposition qui axe son action sur deux questions centrales les droits de l’homme et les prisonniers politiques, deux raisons invoquées depuis plus de 50 ans, par les États-Unis pour maintenir les sanc­tions contre Cuba.

Partant de ce constat, comment envisager une révision sinon totale du moins partielle de la politique américaine vis-à-vis de la Havane ? C’est la question qui se pose aujourd’hui à la diplomatie américaine si l’on tient compte de l’échec des États-Unis à renverser le régime. L’accession d’Obama au pouvoir, peut-elle apporter un semblant de dégel à des relations très tourmentées.

L’accession d’Obama au pouvoir : signe d’apaisement ou un changement dans la continuité

L’espoir d’une normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis, renaît de nouveau lors du sommet de l’Organisation des États américains qui s’est tenu à Trinidad en 2009, quand le président Obama fraîchement élu avait laissé entendre que les États-Unis n’oublient pas ses voisins du Sud, créant l’illusion que l’Amérique compte travailler avec ses voisins à l’essor de nouvelles relations basées sur le principe de l’égalité et le respect mutuel, en déclarant : « Nous sommes tous d’anciens coloni­sés » avait-il rappelé. Cependant deux événements sont venus ternir ce vent d’espoir suscité par l’élection du premier président noir de l’histoire des États-Unis, à savoir la signature d’un accord relatif à l’utilisation de l’armée américaine de bases aériennes de l’armée colombienne et surtout le coup d’État au Honduras contre Manuel Zelaya, qui a de nouveau suscité les craintes d’un retour de la politique interventionniste américaine dans la région. La méfiance est de nouveau la règle, poussant les États du sud américain à se rapprocher de l’Asie, ce qui explique pourquoi la crise éco­nomique qui frappe les États-Unis et l’Europe n’a pas eu que très peu d’effet sur les États du sous-continent. L’exemple brésilien apparaît de plus en plus comme un cas d’école, ce dernier a en effet su se départir de la tutelle des États-Unis pour devenir aujourd’hui une puissance régionale à la fois sur le plan diplomatique et économique. Le Brésil n’a pas tardé d’ailleurs à revendiquer son rôle d’acteur régional et interna­tional notamment en proposant la médiation brésilienne sur la question épineuse du dossier nucléaire iranien lors de la visite quasi historique de l’ancien président iranien Ahmadinejad en Amérique latine, ce qui a renforcé la méfiance face à ce nouveau leadership revendiqué par le Brésil et plus généralement envers ses voisins latinos.

Depuis l’arrivée d’Obama, les relations entre les deux pays s’alternent entre pé­riode de refroidissement et d’apaisement, c’est ainsi que l’administration américaine a entrepris récemment un dégel de celles-ci après avoir décidé notamment de lever les restrictions sur les voyages et les remesas (11) envoyés à Cuba par les immigrants cubains aux États-Unis, et évoque le possible retrait du veto en vigueur depuis 1962 à l’intégration de Cuba dans l’Organisation des États américains. Cette politique d’ouverture de l’administration Obama, contraste quelque peu avec l’administra­tion de son prédécesseur Georges Bush qui a suspendu l’ouverture des pourparlers avec la Havane en 2003. De son côté après avoir accepté cette main tendue, Cuba voulait aller plus loin dans la normalisation progressive de ses relations avec le grand voisin américain en proposant une coopération avec Washington en matière de lutte antidrogue et antiterroriste. Mais au delà des bonnes intentions de part et d’autre, il faut noter que le sixième sommet de l’Organisation des États américains, qui s’est tenu en 2012, s’est achevé sur une opposition frontale entre les États-Unis et les pays d’Amérique Latine, le point de discorde étant les sanctions imposées à Cuba par les les États-Unis qui reprochent à la Havane son manque d’ouverture démocratique. À l’occasion de ce sommet, des États habituellement alliés de Washington, notamment le Mexique et la Colombie ont ouvertement soutenu l’alliance Bolivarienne pour les Amériques d’inviter Cuba au prochain sommet de l’Organisation qui aura lieu en 2015. Ce sommet qui s’est tenu à Carthagène en Colombie, constituait la deu­xième rencontre du président Obama avec l’Amérique latine et les Caraïbes. Devant les nombreuses divisions apparues au sein de l’Organisation, ce sommet a mis en exergue les différences de vue et a confirmé la distance qui s’est creusée entre les États-Unis et l’Amérique latine.

Il faut signaler en effet, que les deux tiers des États de la région en l’occurrence le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes, demeurent structurellement dépen­dants des États-Unis, pendant que quelques États du Sud cherchent à gagner en autonomie et à se libérer de l’influence américaine à l’instar de la Bolivie et surtout du Venezuela, mêmes s’ils savent qu’il est difficile d’ignorer le vaste marché américain, ses investisseurs et ses avancés scientifiques, qui sont autant d’atouts que ces pays doivent prendre en compte pour se moderniser. En tout état de cause, ce sommet a montré que les États-Unis semblent en panne de projet pour cette zone hautement stratégique pour la sécurité nationale américaine, comme le rappelait Juan Gabriel Tokatlian, (12) : « depuis l’abandon de la création d’une vaste zone de libre-échange continental à Mar del Plata en Argentine au quatrième sommet en 2005, Washington semble ne plus avoir le moindre projet pour la région».

En dépit de quelques signes positifs, la condition sine qua non pour une norma­lisation effective des relations américano-cubaines passe par la levée de l’embargo américain qui continue de frapper les franges les plus fragiles de la société cubaine. Nombreux sont les pays latino-américains appartenant à une tendance de la gauche radicale, qui exigent sans condition la réintégration de Cuba dans l’Organisation des États américains et la levée de l’embargo, encouragés par une ligne dure représentée par le Venezuela et la Bolivie notamment, considérant que les signes d’ouverture du président Obama comme la levée des restrictions sur les voyages et l’autorisation des transferts des fonds des travailleurs cubains vers l’île, ne sont pas suffisantes à la nor­malisation et à la pacification des rapports entre les deux Amériques. Le sommet de Carthagène a posé clairement la question de la survie même de ses sommets et seule la fin du blocus de l’île, est à même de relancer l’espoir d’une totale normalisation, encore faut-il que Washington en accepte l’équation.

La levée de l’embargo : un préalable à toute normalisation des relations entre les deux pays

Si la conceptualisation de l’embargo contre la Havane, remonte aux derniers mois du deuxième mandat du 34e président américain Eisenhower qui a tenté en vin de juguler la radicalisation de la révolution cubaine, c’est sous l’administration Kennedy qu’il a été instauré en février 1962.

Reliquat du passé de la guerre des blocs, il constitue à ce jour une série de sanc­tions commerciales les plus longues de l’histoire contemporaine et continue d’empoi­sonner les rapports entre les deux pays. Paradoxalement, sa levée est un préalable à une possible normalisation entre les deux pays. Ce blocus commercial contre plus de onze millions de cubains suscite aujourd’hui des critiques mondiales très fortes et depuis peu au sein même du cercle du pouvoir américain. Un ancien conseiller de l’ancien président démocrate Clinton pour l’Amérique latine, avait déclaré : « il y a des lustres que sa pertinence diplomatique a disparu… même sa raison d’être en politique intérieure américaine n’existe plus vraiment aujourd’hui ».

Par ailleurs les deux États à forte concentration de résidents cubains, la Floride et le New Jersey, principal frein à la normalisation des relations entre les deux pays, ont fini par admettre le caractère nocif de cet embargo. Ce changement de mentalité a été d’ailleurs confirmé par une étude menée par l’université internationale de Floride en 2007, qui conclut que plus de 60 % des cubano-américains étaient favorables à l’ouverture d’un dialogue sans conditions entre les autorités des deux pays. Cette communauté cubano-américaine surtout celle qui réside en Floride forte de près deux millions de personnes, qui vote généralement démocrate, a parfaitement com­pris le non sens de cet embargo qui n’a fait que renforcer la popularité de la famille Castro, en définitive il a aiguisé le sentiment nationaliste des cubains et leur refus de toute intervention américaine dans les affaires internes de l’île.

Les différentes administrations américaines sont restées très fermes sur la ques­tion, les choses ont commencé à bouger avec l’arrivée de Bill Clinton au pouvoir qui lance la « Track2Policy » sorte de dialogue d’État à État, vite interrompu après que la défense aérienne cubaine avait abattue en 1996 un avion appartenant à l’ONG cubaine « Miami Hermanos al Rescate » (13), qui larguait des imprimés appelant à la démocratisation du régime. Le congrès américain réagit vivement et vote la loi Helms-Burton, dans le seul objectif de durcir l’embargo et va jusqu’à criminaliser toute forme de commerce avec la Havane de la part des sociétés américaines ou étrangère. Ce texte a été promulgué par Clinton en campagne pour un deuxième et dernier mandat présidentiel.

En 1998, les relations entre les deux pays connaissent de nouveau un réchauf­fement et Clinton déclare que « Cuba ne représente plus une menace pour les États-Unis ». L’amélioration du climat entre les deux pays se poursuit et en 2000, sous la pression des puissants lobbies agricoles, le Congrès américain finit par voter de nouvelles lois dictées par des considérations humanitaires, notamment la vente de médicaments et de produits agricoles pour la Havane, les États-Unis redeviennent même le premier fournisseur en matière agricole à Cuba.

Avec l’arrivée de Bush au pouvoir les relations amricano-cubaines vont être de nouveau très tendues. En effet Bush sur qui le lobby républicain portait par les cu­bano-américains de Floride, exerçait une forte pression, prendra des mesures allant dans le sens du durcissement des relations entre les deux pays avec une application plus rigoureuse de la loi « Trading with the Enemy Act » ou loi sur le commerce avec l’ennemi, datant de 1917 qui interdit aux ressortissants américains ainsi qu’aux filiales étrangères des sociétés américaines de faire des affaires à Cuba, exception faite des médicaments et des aliments.

En 2004, l’administration Bush crée la Commission d’assistance à une Cuba libre, qui se traduit par la mise en place de nouvelles sanctions contre Cuba. Alors qu’après le 11 septembre, on pouvait espérer une amélioration des rapports entre les deux pays, surtout que Cuba avait condamné les attaques terroristes qui ont frappé les États-Unis et avait exprimé sa solidarité et sa compassion pour le peuple amé­ricain. L’administration Bush avait non seulement ignoré cette main tendue mais durcit encore le régime des sanctions et appelle au renversement de Castro. En 2004, la Commission d’assistance à Cuba publie un plan d’action qui présentait le régime de Fidel Castro au bord de l’explosion et qu’il fallait juste quelques pressions complé­mentaires pour en finir. Ce plan avait trois moyens d’action :

  • multiplier des émissions de télé et de radio ;
  • augmenter les restrictions sur les voyages des Américains à Cuba ;
  • augmenter les aides à la dissidence cubaine de l’intérieur.

Fidèle à sa politique extrême pendant ces deux mandats, l’ancien président Bush opposera son veto à toutes les tentatives du Congrès d’assouplir le régime de sanc­tions à l’encontre de Cuba, faisant de cette administration la plus intraitable sur la question cruciale de la levée de l’embargo.

L’administration d’Obama a donné plus de signes d’ouverture vers Cuba que les précédentes, car tout en cherchant à tendre la main au régime communiste, le pré­sident Obama comme il l’a annoncé à plusieurs reprises, attend des actes et des faits de la part de Raoul Castro actuel homme fort de la Havane, en matière de démocra­tisation et d’amélioration de la situation des droits de l’homme. Il faut dire que le président Obama se trouve aujourd’hui sous pression de la part même des membres de son parti qui n’ont pas manqué de relever le caractère contre productif de l’inter­diction faite aux ressortissants américains de voyager à Cuba.

« Cette interdiction n’a rien fait pour promouvoir la réforme à Cuba ni pour affaiblir le régime castriste », affirment une équipe de quatre sénateurs formée par deux républicains et deux démocrates, dans une lettre adressée à leurs collègues sénateurs, leur demandant d’en finir avec la loi sur l’interdiction de voyager vers Cuba qui frappe les ressortissants américains. Le sénateur démocrate du Connecticut au sénat Christopher John Dodd, va encore plus loin en déclarant au journal Le Figaro : « Cela fait vingt ans que la guerre froide est terminée. La politique améri­caine d’isolement de Cuba n’a fait que perpétuer la dictature communiste. Ce que les régimes dictatoriaux détestent le plus, c’est la lumière. Multiplier les échanges entre le monde libre et Cuba, voilà la solution ! ». Il faut relever que l’embargo frappe d’abord la population cubaine surtout quant on sait que plus de 70 % des Cubains sont nés sous cet état de siège économique permanent.

En dépit de quelques signes d’ouverture, le problème pour Obama est de convaincre le Congrès notamment la majorité républicaine à la chambre des repré­sentants d’en finir totalement avec la loi Helms-Burton, un pas indispensable à la levée de l’embargo. Néanmoins le puissant lobby conduit par la chambre américaine du commerce pourrait lui apporter un soutien de choix pour aller résolument dans ce sens. Cette chambre familièrement appelée AmCham est la plus grande fédéra­tion commerciale représentant le monde des affaires et les plus importantes multi­nationales du pays, avec un effectif très important formé de juristes et lobbyistes très influents, connus pour dépenser plus d’argent que n’importe quel autre lobby dans le pays, a fait savoir son opposition au maintien des sanctions économiques. Lors d’une visite au sénat américain en 2009, son président avait affirmé : « cet embargo contre-productif vieux de 47 ans fait perdre aux entreprises américaines plus de deux milliards de dollars par an en exportations potentielles ». On remarque également cette effervescence contre l’embargo chez l’association des fermiers américains et plus généralement au sein du lobby agricole qui dans sa quête de nouveaux marchés pour ses excédents, exercent des pressions continues sur les autorités américaines pour lever le siège économique de l’île.

L’opinion publique se montre aussi critique, trois quarts des citoyens américains se montrent favorables à une normalisation des relations avec le voisin cubain (14). De plus en plus de citoyens comprennent de moins en moins l’idée qu’ils peuvent se rendre en voyage en Chine, principal rival économique et politique des États-Unis, ou encore au Vietnam pays contre lequel, l’Amérique a mené une guerre longue de plus de quinze ans, en Corée du Nord qui possède l’arme nucléaire et qui menace même d’en faire usage, mais pas à Cuba qui dans son histoire ancienne et récente n’a jamais attaqué l’Amérique. Mais ils ne comprennent pas moins encore le risque énorme juridiquement parlant, qu’un américain pourrait courir s’il violerait l’inter­diction de voyager, à savoir 10 ans de prison et 1 million de dollars d’amende.

La presse américaine n’est pas restée à l’écart de ces critiques nombreuses aux États-Unis sur l’utilité de la poursuite de l’embargo, c’est le cas du New York Times qui dans une de ses parutions, a condamné « l’anachronisme de la guerre froide ». Un autre journal pourtant de tendance conservatrice, le Washington Post se montre encore plus virulent à l’égard de la politique cubaine des États-Unis : « la politique des États-Unis à l’égard de Cuba est un échec… rien n’a changé, excepté le fait que notre embargo nous rend plus ridicule et impuissant que jamais ».

D’anciens présidents américains ne sont pas tendres non plus envers la politique cubaine des États-Unis même si à un moment donné de leur présence à la tête de l’état américain, ont mené une politique un peu moins nuancée à ce sujet au nom de l’intérêt suprême des États-Unis. À titre d’exemple, l’ancien président Carter a déclaré après son deuxième voyage effectué à Cuba en mars 2011 : « Je n’ai eu de cesse de demander à la fois publiquement et en privé la fin de notre blocus économique contre le peuple cubain, la levée de toutes les restrictions financières, commerciales et de voyage ». Quant à William Clinton, la politique de sanctions « absurde » s’est soldée par un « échec total » , affirme -il. Il en résulte qu’aussi bien la classe politique, la presse, les hommes d’affaires et une forte majorité des citoyens américains ne se font plus d’illusions sur l’efficacité des sanctions économiques contre l’île qui ont plongé Cuba dans une crise économique qui ne sert que le régime communiste et cause un manque à gagner non négligeable pour les entreprises américaines, interdites de commerce avec la Havane.

Par ailleurs cette politique inefficace, expose les États-Unis à de fortes critiques d’une grande majorité des États du monde, lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations-unies en 2012, 188 pays sur 193 ont fermement condamné pour la 21e fois consécutive les sanctions économiques imposées à Cuba, à l’exception des États-Unis, d’Israël et de l’île Palau dans le pacifique qui ont voté contre. On enre­gistre également deux abstentions, les îles Marshall et les États fédérés de Micronésie. Lors de cette réunion annuelle de l’Assemblée générale de l’ONU, le ministre cubain des Affaires étrangères Bruno Rodriguez a dénoncé une politique « inhumaine ratée et anachronique de 11 gouvernements américains successifs » depuis février 1962, date de la mise en place de l’embargo, qu’il a qualifie de « génocide ».

En réponse au ministre cubain, un diplomate américain en la personne de Ronall Godard a déclaré que « l’embargo sert de bouc émissaire aux problèmes économiques de l’île » mettant en avant encore et toujours le caractère répressif du régime cubain. Il en ressort que la politique américaine envers Cuba ne change guère en dépit des nom­breuses critiques à la fois de l’intérieur des États-Unis et de l’extérieur. Manifestement l’embargo a encore de beaux jours devant lui à en croire l’affirmation du principal conseiller économique d’Obama, Lawrence Summers, qui avait déclaré que la levée de l’embargo américain visant Cuba n’était « pas pour demain et cela va dépendre de ce que Cuba fait, pour aller de l’avant » a-t-il souligné.

Annexe

Texte original de l’amendement Platt du 27 février 1901

Sherpas the Congress of the United States of America, by an Act approved March 2, 1901, provided as follows: Provided further, That in fulfillment of the declaration contained in the joint resolution approved April twentieth, eighteen hundred and ninety-eight, entitled « For the recognition of the independence of the people of Cuba, demanding that the Government of Spain relinquish its authority and government in the island of Cuba, and withdraw its land and naval forces from Cuba and Cuban waters, and directing the President of the United States to use the land and naval forces of the United States to carry these resolutions into effect, » the President is hereby authorized to « leave the government and control of the island of Cuba to its people » so soon as a government shall have been established in said island under a constitution which, either as a part thereof or in an ordinance appended thereto, shall define the future relations of the United States with Cuba, substantially as follows:

Article 1

That the government of Cuba shall never enter into any treaty or other com­pact with any foreign power or powers which will impair or tend to impair the independence of Cuba, nor in any manner authorize or permit any foreign power or powers to obtain by colonization or for military or naval purposes or otherwise, lodgement in or control over any portion of said island.

Article 2

That said government shall not assume or contract any public debt, to pay the interest upon which, and to make reasonable sinking fund provision for the ulti-mate discharge of which, the ordinary revenues of the island, after defraying the current expenses of government shall be inadequate.

Article 3

That the government of Cuba consents that the United States may exercise the right to intervene for the preservation of Cuban independence, the maintenance of a government adequate for the protection of life, property, and individual liberty, and for discharging the obligations with respect to Cuba imposed by the treaty of

Paris on the United States, now to be assumed and undertaken by the government of Cuba.

Article 4

That all Acts of the United States in Cuba during its military occupancy thereof are ratified and validated, and all lawful rights acquired thereunder shall be main-tained and protected.

Article 5

That the government of Cuba will execute, and as far as necessary extend, the plans already devised or other plans to be mutually agreed upon, for the sanitation of the cities of the island, to the end that a recurrence of epidemic and infectious diseases may be prevented, thereby assuring protection to the people and commerce of Cuba, as well as to the commerce of the southern ports of the United States and the people residing therein.

Article 6

That the Isle of Pines shall be omitted from the proposed constitutional boun-daries of Cuba, the title thereto being left to future adjustment by treaty.

Article 7

That to enable the United States to maintain the independence of Cuba, and to protect the people thereof, as well as for its own defense, the government of Cuba will sell or lease to the United States lands necessary for coaling or naval stations at certain specified points to be agreed upon with the President of the United States.

Article 8

That by way of further assurance the government of Cuba will embody the foregoing provisions in a permanent treaty with the United States.

Le texte de l’amendement en français

Attendu que le Congrès des États-Unis d’Amérique, par une loi adoptée le 2 mars 1901, prévoit ce qui suit :

En complément de la déclaration contenue dans la résolution conjointe approu­vée le 20 avril 1898, intitulée « Pour la reconnaissance de l’indépendance du peuple cubain », exigeant que le gouvernement espagnol renonce à son autorité et à son gou­vernement sur l’île de Cuba et retire ses forces terrestres et maritimes de Cuba et des eaux cubaines, et ordonnant au président des États-Unis qu’il fasse usage des forces terrestres et maritimes des États-Unis pour donner effet à ces résolutions, le président, par la présente, est autorisé à laisser le gouvernement et le contrôle de cette île à son peuple, dès que sera établi dans l’île un gouvernement constitutionnel, et dans sa Constitution ou dans une ordonnance conjointe seront définies les futures relations entre Cuba et les États-Unis, en substance comme définies ci-après :

Article 1er

Le gouvernement de Cuba ne conclura avec aucune autorité ou avec des auto­rités étrangères de traité ou d’accord qui pourrait diminuer ou tendre à diminuer l’indépendance de Cuba, ni en aucune manière autoriser ou permettre à une auto­rité ou à des autorités étrangères d’obtenir par colonisation ou par des sommations militaires ou navales de s’installer ou de contrôler quelque portion de ladite île.

Article 2

Ledit gouvernement n’assumera et ne contractera aucune dette publique pour le paiement des intérêts et l’amortissement définitif au delà de la couverture des dépenses courantes du gouvernement, rendant inadéquats les impôts ordinaires.

Article 3

Le gouvernement de Cuba accepte que les États-Unis puissent exercer le droit d’intervention pour préserver l’indépendance de Cuba et maintenir un gouverne­ment capable de protéger les vies, la propriété et la liberté individuelle et d’accom­plir les obligations qui, concernant Cuba, ont été imposées aux États-Unis par le traité de Paris et qui doivent désormais être assumées et accomplies par le gouver­nement de Cuba.

Article 4

Toutes les lois adoptées par les États-Unis à Cuba durant son occupation mili­taire sont tenues pour valides et ratifiées, et tous les droits légalement acquis en vertu de ceux-ci sont maintenus et protégés.

 

Article 5

Le gouvernement de Cuba mettra au point les programmes et, autant que nécessaire, mettra en application les projets déjà élaborés et d’autres programmes à convenir mutuellement pour l’assainissement des localités de l’île, dans le but d’empêcher la propagation d’épidémies et de maladies infectieuses protégeant ainsi le peuple et le commerce de Cuba, de même que le commerce et la population des ports du sud des États-Unis.

Article 6

L’île des Pins est exclue des limites de Cuba proposées par la Constitution, lais­sant la question de son appartenance à un arrangement futur en vertu d’un traité.

Article 7

Pour que les États-Unis aient la possibilité de maintenir l’indépendance de Cuba et de protéger le peuple de celle-ci, ainsi qu’en vue de sa propre défense, le gouvernement de Cuba vend ou loue aux États-Unis les terres nécessaires pour l’éta­blissement de dépôts de charbon ou de bases navales en certains points qui seront déterminés avec le président des États-Unis.

Article 8

Pour plus de sécurité à l’avenir, le gouvernement de Cuba inclut ces dispositions dans un traité permanent avec les États-Unis.

Notes

  • Joy Hakim auteur américain qui a écrit une histoire en dix volumes des États-Unis, A History of US publié par l’Université d’Oxford Press en 1994, p, 144 et 149.
  • Adopté le 27 février 1901 au Sénat des États-Unis et annexé à la constitution cubaine du 12 juin 1901. Cet amendement Pratt Hitchcock, autorisait les États-Unis à intervenir dans les affaires internes de Cuba et lui permettait de créer deux bases militaires navales, une à Guantanamo, que les États-Unis continent d’occuper, servant notamment de lieu de déten­tion illégale de beaucoup d’étrangers emprisonnés sans procès légal pour terrorisme, l’autre base militaire se trouve à Bahia Honda.
  • Le 17 avril 1961, la brigade 2506 constituée d’exilés cubains entraînés et équipés par la CIA, débarque en deux endroits, à Playa Larga et Playa Giron, ce qui signifie au fond et à l’entrée orientale de la baie, à 202 km au sud-est de la capitale cubaine. En 72 heures, les États-Unis constatent l’échec total de l’opération, en l’absence du soutien qu’attendaient les États-Unis de la population cubaine, majoritairement paysanne qui vient de bénéficier de la réforme agraire fraîchement mise en place par Castro. Cette brigade finit par se rendre à l’armée cubaine le 19 avril 1961, renforçant ainsi l’image et le charisme de la nouvelle autorité cubaine dirigée par Castro.
  • Opération Anadyr du nom de la ville d’Anadyr en Russie, fut décidée le 24 mai 1962 à Moscou par le Conseil de défense de l’URSS, lors de la quelle est une opération de dé­ploiement militaire soviétique à Cuba est décidée avec pour la première fois de l’histoire de l’URSS, le transport d’armes nucléaires, sur ordre de Nikita Khroutchev alors premier secrétaire général de l’URSS. Elle compta pas moins de cinquante milles hommes de l’armée rouge, avec quatre sous-marins, trente six missiles balistiques à tête nucléaire SS-4 et deux missiles SS-5. Cette opération faisait suite à la demande de l’allié cubain Castro, qui crai­gnait à cette époque l’invasion de l’île par les États-Unis après l’échec de l’opération de la baie du Cochon. Cette opération a conduit par la suite à la crise qui a fait trembler le monde, dite de missiles de Cuba.
  • Condolezza Rice et Carlos Gutierrez, « Commission for Assistance to a Free Cuba », (Washington, United Stattes Department of Statte, juillet 2006), voire le site : cafc.gov/documents/organization/HYPERLINK

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  • Agence des États-Unis pour le développement international ou (United States Agency for International Development), est une structure chargée d’aider au développement écono­mique et à l’assistance humanitaire et à la promotion de la démocratie dans le monde, elle opère sous contrôle du département des affaires étrangères des États-Unis.. elle tire ses origines lointaines du plan Marshall d’aide à l’Europe après la seconde guerre mondiale. Elle fut créé le 3 novembre 1961 par le président américain John Fitzgerald Kennedy.
  • Radio, Habana Cuba, « Former Chief of US Interests Section in Havana Wayne Smith Says Sending Money to M in Cuba is Illegal », 21 mai 2008. Il faut rappeler que la Radio Habana Cuba (RHC) est une entreprise cubaine de radiodiffusion internationale, lancée en 1961 et basée à la Havane, elle opère sous le contrôle du gouvernement cubain avec pour fonction la diffusion en plusieurs langues des programmes destinés à un public international.
  • Wayne S. Smith, « New Cuba Commission Report : Formula for Continued Failure », Center for International Policy, 10 juillet 2006
  • Jonathan D. Farrar, « The U.S. and the Role of the Opposition in Cuba », United States Interests Section, 9 avril 2009, Jonathan D. Farrar a occupé le poste de chef de mission de la section des intérêts américains à la Havane entre 2008 et 2011
  • Jonathan D. Farrar, « The Speculation on Fidel’s Health », United States Interests Section,

9 janvier 2009

  • Les envois de fonds correspondent à la part des revenues gagnés à l’étranger que les immi­grants renvoient dans leurs pays respectifs. D’après un rapport de la Banque mondiale, le montant de ces fonds avoisinait les 401 milliards de dollars, ce qui en fait la deuxième sources de financement des pays en voie de développement au niveau mondial, loin derrière les investissements directs à l’étranger et l’aide publique au développement versée par les États riches aux pays en voie de développement
  • Juan Gabriel Tokatlian, spécialiste en relations internationales, il occupe le poste de directeur du département de sciences politiques et des études internationales de l’université argentine

Di Tella.

  • Organisation formée par des exilés cubains, connue pour son opposition farouche à la révo­lution et au pouvoir cubain. Crée en 1991, elle est chargée d’apporter l’aide humanitaire et l’assistance aux boat people cubains qui tentaient de fuir l’île par la mer en direction des États-Unis. Son autre objectif plus politique, est de soutenir les efforts du peuple cubain à se libérer de la dictature par la non violence.
  • Selon un sondage réalisé par la chaîne américaine CNN le 10 avril 2009, 64 % des citoyens américains s’opposent désormais aux sanctions économiques contre Cuba, ils sont par conséquent majoritairement favorables à une normalisation des relations entre les deux pays.
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