Discours d’introduction, par le député et ancien président de la commission d’enquête parlementaire Olivier Marleix

Le député et ancien président de la commission d’enquête parlementaire Olivier Marleix

Je suis très heureux de retrouver deux anciens collègues avec lesquels j’ai l’honneur de siéger, d’abord l’ancien ministre Pierre Lellouche, grand expert … avant de faire de la politique, des relations des relations internationales et auteur d’un rapport qui a fait date quand même sur ce sujet, il y a parfois des rapports parlementaires qui font un Euro-Parlement, et puis évidemment mon collègue et ami Jacques Myard, député honoraire, diplomate aussi de carrière, dégagé des obligations afférentes ce qui lui permet d’avoir usé depuis quelques années d’un peu de liberté de ton sur ces sujets-là, et de sensibiliser n’étant pas totalement entendu aussi largement qu’il devrait l’être, en tout cas sensibiliser quand même l’Assemblée nationale à ces sujets. Très heureux aussi évidemment de saluer amicalement Frédéric Pierucci dont le témoignage est évidemment très édifiant et illustrant sur ces questions.

Je vais évidemment saluer l’initiative de Leslie Varenne de l’IVERIS, et d’Ali Rastben président de l’Académie de géopolitique pour leurs initiatives.

En France le premier vrai coup de tonnerre sur ces questions qui permet de découvrir … de nous réveiller un peu sur les questions d’extraterritorialité c’est l’amende BNP-Paribas dont a été l’objet BNP-Paribas en 2014 : 9 milliards de dollars et d’ailleurs concomitamment le rapport rendu par Pierre et Karine Berger à peu près au même moment qui ont permis de commencer à regarder les choses différemment même si la naïveté française reste déni sur ce sujet d’un point de vu assez … mystérieuse, parce que je crois qu’il faut quand même avoir à le reconnaître … la tentation pour une puissance économique d’utiliser son droit et sa force … non pas que ce son droit mais sa force aussi, pour imposer ses règles partout à travers le monde n’est pas totalement une invention américaine.

Je ne suis ni spécialiste des relations internationales ni du droit international, mais voilà, sans remonter aux Croisades, je pense qu’on pourrait trouver quelques exemples aussi de la France empire colonial, que nous avons été … pardon de vouloir imposer un peu son droit au reste du monde. Assez tôt il y a eu des débats juridiques sur ces questions de la force extraterritoriale du droit des uns et des autres, tenez … les premiers vrais débats juridiques construits que j’ai retrouvés c’est autour du blocus du Brésil en 1826 … ça c’est des spécialistes universitaires je crois parmi vous … des spécialistes du droit international … Blocus du Brésil en 1826 qui était légal selon les lois anglaises et illégal selon les lois françaises et américaines. Bref c’est pour ça qu’on a construit un droit international. Alors en tout cas donc ce n’est pas une excuse évidemment pour les américains c’est ce que je viens de rappeler, mais au contraire ça devrait dire que ça tend à dire qu’il ne devrait plus y avoir de naïveté, il ne devrait y avoir de naïveté surtout en France sur ce genre de phénomène, je devrais rappeler que l’un des premier à avoir utilisé la notion de guerre économique et avoir écrit une demi-douzaine d’ouvrages au moins à ce sujet, un garçon aussi pondéré, calme et impliqué dans la vie des affaires qui était Bernard Rézembert qui était le Conseiller économique de Georges Pompidou à Matignon et à l’Elysée, donc ce n’est pas Bernard Rézembert qui n’est pas un complotiste, c’est quelqu’un qui a on ne peut plus les pieds sur terre et la connaissance de notre économie.

Petite parenthèse encore il faut signaler aussi pour être honnête que les Américains ne sont pas les seuls à vouloir faire une utilisation l’extraterritorialité de leurs droits, c’est un phénomène à la mode, l’Espagne par exemple à donné à sa législation sur les crimes contre l’humanité une portée universelle, alors que nous sommes censés avoir des tribunaux internationaux pour … pour s’occuper de ce genre d’affaire. Le fait est que … évidemment l’extraterritorialité pratiquée par nos amis américains … et j’emploie volontiers quand même cette expression d’ « amis » sans aucune ironie, mais je veux quand même … Pierre s’il me permet de parler en associant à mon propos … enfin je sais à quel point Pierre connaît infiniment mieux d’ailleurs que moi les Etats-Unis, je pense qu’au contraire cette amitié doit nous permettre un petit peu de lucidité et de franchise par rapport à nos alliés américains. Eh bien objectivement, ils sont les champions toutes catégories de l’extraterritorialité, d’abord par la multiplication des législations à portée territoriale, avec le fameux XIPR en 77, mais avec le régime des sanctions internationales à Londres, eh bien le Sanctions Act de 1996, la loi Saban-Oxley sur les fraudes comptables et les législations ITAR sur les ventes d’armes, et beaucoup beaucoup d’autres, je ne les développe pas, enfin récemment au Cloud Act.

Originalité américaine : par le poids sidérant des amendes prononcées par les Américains qui amène à s’interroger sur la finalité réelle, finalement, on veut bien qu’ils luttent contre la corruption, c’est très bien, l’essentiel c’est de faire ensemble dans une convention de l’OCDE sauf que, à un moment le niveau record d’amendes appliquées à des entreprises, dans le cas d’Alstom par exemple, j’ai quand même l’intime conviction que l’épée de Damoclès, un milliard … la menace d’un milliard de dollars d’amende pour une boîte qui avait un virgule deux milliard deux de Trésorerie … je pense que ça a un petit peu compté tout de même dans la décision du PDG de l’époque. L’excellent rapport de Pierre évaluait à 20 milliards le prélèvement [Interjection : 26 milliards] sur l’économie en à peine une dizaine d’années entre 2004 et 2014, il vous en parlera plus longuement que moi, et puis : troisième petit élément aussi qui fait la singularité des procédures américaines, c’est évidemment cet espèce de volontarisme, c’est étonnant le volontarisme judiciaire si je puis dire, d’abord dans les méthodes de collecte d’informations. Duchène le patron deux l’AFA dit publiquement à une convention organisée par le Cabinet Karien, qu’il n’y avait pas que les Américains qui espionnaient nos entreprises, voilà, c’est quelque chose qui est connue qui est dit par un magistrat qui est patron d’une agence française anti-corruption et le patron des enquêtes internationales Bruce Schwartz à qui j’ai demandé s’il ça ne posait pas de problème … enfin que je soulignais le fait que nous leur reprochons d’utiliser des moyens non conventionnels pour le cas échéant ouvrir et nourrir mais déjà ouvrir ces enquêtes, il m’a répondu les yeux dans les yeux et droit dans ses bottes : « Mais vous avez les mêmes moyens !Juste vous êtes de ne pas les utiliser ! ». Donc d’abord ces moyens de collecte des informations, les menaces de sanctions économiques et personnelles, économiques évidemment dans l’affaire BNP c’est la menace d’interdiction de licence le retrait de la licence au marché américain qui évidemment aurait conduit BNP-Paribas à la faillite, ou menaces personnelles, Frédéric pourra en parler infiniment évidemment mieux que moi, qui sont totalement inacceptables qu’on utilise le droit et la force en réalité, dans ces affaires, c’est sans doute la particularité des Américains c’est d’utiliser le droit et la force en même temps dans ces procédures, enfin des procédures évidemment très intrusives on le sait, pour aller … pour obliger à la proie de fournir et je parle de proie puisque là aussi ça fait penser à cette dépêche de Wikileaks par qui la NSA demandait à ses agents de fournir tout élément d’informations sur les contrats de plus de 200 millions de dollars conclus par des entreprises françaises dans une liste qui recouvre exactement nos secteurs nos secteurs stratégiques : énergie, télécom, santé, etcétéra etcétéra, donc je pense que ce n’était pas par juste curiosité intellectuelle.

Il y a un petit débat que je veux juste éfleurer … intellectuellement il peut être séduisant mais je l’évoque je crois pour l’écarter aussitôt, c’est celui de l’éventuelle modération de cette extraterritorialité. Il y a toujours des gens pour vous dire « Mais non ! Mais non ! Ce n’est pas aussi grave que ça. » Notamment dans l’affaire Alstom il y a l’Arrêt d’une Cour de justice du Second degré que Frédéric doit évidemment connaître, c’est l’Arrêt Hoskins qui semble donner raison … en disant « Mais attendez ! Vous n’avez de compétence que lorsque le Congrès l’a décidé. Là vous n’en avez pas donc … laissez Monsieur Hoskins tranquille ! ». Bon. Vision évidemment très très très optimiste de la réalité des choses, c’est qu’il faut encore que personne ne prend le risque – Frédéric Rothschild le décrit très bien dans son livre, personne n’a les moyens humainement et même économiquement de prendre le risque d’aller jusqu’au procès pour voir quel droit in fine la justice … la vraie justice, pas les crocs à l’américaine … la justice va in fine lui réserver. Donc ce n’est pas comme ça que ça marche, malheureusement, on est obligé de plaider coupable avant, et puis euh la Justice … d’ailleurs l’Histoire montre que lorsque la Justice est venue contrarier les démarches engagées par le DEG notamment, eh bien immédiatement cette information est hébergée dans les serveurs … immédiatement l’exécutif et la branche législative savent s’entendre pour écrire la riposte, c’est notamment le Cloud Act qui est venu rétablir ce que la Justice n’avait pas autorisé.

Alors voilà voilà pour les Américains et leur originalité. Le problème c’est évidemment qu’il n’y a pas non plus que les Américains … les Chinois aujourd’hui semblent pas utiliser encore cette arme-là, mais le jour où ils le feront, aussi il faudra trembler notamment parce que le régime de sanctions chez eux est encore plus dissuasif si je puis dire puisque il y a il semble des disparitions, récurrentes, fréquentes aux Etats-Unis notamment dans des affaires de corruption, de peine de mort qu’on n’hésite pas à prononcer, donc il faut aussi être évidemment très attentif parce que pourrait demain la généralisation de ce type de comportement.

Comment gérer cette extraterritorialité et défendre nos indépendances nationales, donc va ce sujet qui est celui de votre réflexion. Un peu dans le désordre je livrerais quelques interrogations. C’est d’abord évidemment comment gérer nous protéger pardon nos économies nos industries, b’en c’est d’abord être nés capables de détecter les risques, c’est ce qui est assez effarant, par exemple dans l’affaire Alstom c’est de voir à quel point, finalement alors que les enquêtes anti-corruption chez Alstom étaient ouvertes à l’étranger partout depuis par les Américains depuis 2010 mais même avant peut-être même en France depuis le début des années 2000. En réalité on a voulu gérer ça par bruits, on a laissé faire et on n’a pas calculé, on n’a pas mesuré … à commencer par les dirigeants qui n’ont pas pris la mesure du risque que tout ça pouvait entraîner. On ne sait pas utiliser le droit international … le droit international c’est celui finalement sur lequel les Américains s’appuient aussi, notamment sur la Cour pénale internationale ils disent : « Mais attendez ! Vous avez signé des conventions … juste parce que vous ne faites pas votre boulot, que nous sommes obligés d’intervenir ! ». Évidemment, nous devons nous mettre à niveau pour être capables de faire respecter le « non si idem » qui est reconnu normalement par la Convention de l’OCDE de ’97 sur la lutte contre la corruption. Les mesures techniques vérifiaient les procédures à caractère non intrusif de ces procédures aussi … j’ai mes sentiments que depuis Alstom on a un tout petit peu progressé, que désormais nos services de renseignements font un tout petit peu attention lorsque les FOs ou autres n’intéressent pas. Par exemple il y a Airbus … on s’assure désormais qu’il y a quand même un peu d’étanchéité des boîtes dans lesquelles on autorise les enquêteurs à aller chercher de l’information, ou des cabinets d’avocats dans une procédure de discovery. Ne pas hésiter, évidemment, à utiliser la loi de blocage … malheureusement Raphaël Devain qui a un rapport du Premier ministre à ce sujet-là n’a pas pu se libérer pour vous le présenter, il n’a pas encore été publié, mais vous pouvez être rassurés qu’il y a quand même une réflexion sur comment rendre plus effectif la loi de blocage, alors sans placer évidemment une entreprise en difficultés, puisque vous savez à quel point il est important qu’il y a un minimum de coopération, mais il y a un moment où lorsque on sent que ça risque d’aller trop loin, il faut pouvoir faire monter le dossier à un niveau gouvernemental et qu’il y a des discussions du gouvernement. Ah et le gouvernement il faut être capable aussi évidemment de jouer la réciprocité, la Loi SAPA donne désormais compétence au PNF pour lutter contre la corruption, on ne l’a pas fait dans les autres domaines, d’accord, mais contre la corruption de manière extraterritoriale nous aussi, on a fait pareil. Bon, mais c’est très bien, simplement il faut peut-être que nous utilisions la loi comme les Américains savent utiliser le même leur arsenal.

Évidemment mais il y a de meilleurs experts autour de la table, il faut utiliser des réponses qui sont encore à construire, je pense à l’initiative qui a été prise sur l’Iran, avec le système l’INSTEX bon qui fait plutôt sourire, hein, j’ai eu pendant ce temps je crois de mémoire Bercy a capitalisé 2 mille euros … 3 milles maintenant, ils ont augmenté un peu … tout ça fait vraiment sourire, voilà en tout cas le fait fata qu’il faut évidemment construire des pare-feux pour autant qu’on en est capable, évidemment je ne rentre pas dans le débat, mais la meilleure des réponses européennes c’est sans doute celle qui consiste à utiliser l’euro dans les transactions internationales et de ne pas s’en remettre systématiquement au dollar. Et puis il y a un vrai champ de réflexion qui est aussi la protection – je terminerai par là – la protection individuelle des citoyens français pris dans ce genre de procédure.

Le témoignage de Frédéric de Rothschild évidemment de ce point de vue-là est totalement glaçant, c’est quand même assez sidérant d’ailleurs de mesurer la différence de traitement entre le traitement qu’on est en train de faire et que fait le gouvernement au plus haut niveau pour les djihadistes prisonniers en Irak entre les mains de la justice irakienne dont on se préoccupe, et de cadres de direction de grands groupes français qu’on a laissés misérablement croupir en prison, enfin c’est absolument sidérant les autorités consulaires auxquels je dois rendre hommage, mais ce n’est pas malheureusement aller au-delà, c’est absolument choquant. On ne peut pas laisser des citoyens français dans un système juridique aussi peu protecteur, aussi différent, aussi peu protecteur de leurs libertés par rapport aux procédures auxquelles ils auraient droit en France, et là aussi b’en on a des conventions dont des conventions d’entraide judiciaire et Drake qui a fait de la justice dans le cas de Frédéric Perucci … rien, il faut exiger de pouvoir … il faut pouvoir s’inviter dans ce genre de procédure, s’assurer autant qu’on le peut à l’avenir, … de ne plus tolérer – pardon – donc que des citoyens français soient mis en examen de façon secrète aux Etats-Unis, sans que les autorités judiciaires françaises puissent le savoir, donc là aussi il y a un champs demandant réécriture de nos conventions d’entraide judiciaire entre la France et les Etats-Unis. Voilà … bref, je ne sais pas combien de temps dure votre après-midi, mais il y a largement matière à réflexion, et euh je crois qu’il est vraiment important qu’on partage ces préoccupations une fois encore : la naïveté dont collectivement notre pays semble faire preuve sur ce sujet-là est totalement incompréhensible ou non compréhensible que pour de mauvaises raisons, il faut véritablement qu’on en sorte. Voilà. Merci de votre attention.

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