Editorial : Hommage au Professeur Jacques BARRAT

Ali Rastbeen

4eme trimestre 2013

Jacques BARRAT
Jacques Barrat

Jacques Barrat nous a quittés le 6 août 2013.

Terrassé par une longue maladie, il aura jusqu’au bout et à l’image de toute sa vie, résisté et lutté avec l’opiniâtreté et la volonté que ses proches, ses collègues et ses étudiants avaient pu observer et apprécier à son contact.

La carrière de ce grand serviteur de l’État fut au moins double puisqu’il assuma de front les métiers d’universitaire et de diplomate. Après avoir suivi les études clas­siques au Lycée Henri IV et au Lycée Louis le Grand, Jacques Barrat prolongeait son cursus aux Instituts de géographie, d’anglais et d’italien (spécialités : démographie, géographie humaine, géographie tropicale (ex-géographie coloniale) ; études pra­tiques d’anglais et d’italien) et ajoutait à une formation déjà importante, l’histoire (il deviendra plus tard membre de l’Académie du Second Empire) et les sciences politiques (Université d’Oxford) et les études latines (Université de Pérouse). Ce polyglotte (latin, grec, anglais, italien, arabe, roumain), obtenait le doctorat d’État ès Lettres (Géographie économique des médias dans le monde) et le doctorat en géogra­phie (Kaboul, capitale de l’Afghanistan). Devenu Professeur des universités, il ensei­gna la géopolitique à l’université Panthéon-Assas Paris II, au Collège interarmées de défense (Ecole supérieure de guerre), à l’Institut des hautes études de défense nationale et au Centre d’études diplomatiques et stratégiques. Il était aussi Membre du Conseil d’administration de la Société de géographie.

Les nombreux étudiants qui eurent le privilège de suivre son enseignement se rappellent la clarté de ses énoncés, sa très grande patience pédagogique mais sur­tout sa passion de la transmission. Ses anciens thésards dont une grande partie ont intégré grâce à ses conseils l’enseignement supérieur et ont continué la diffusion de son œuvre, ont pu bénéficier d’un rapport très personnalisé fondé sur la confiance que savait créer Jacques Barrat avec chacun d’eux. Ainsi, ces dernières années, sans l’avoir vraiment formalisé, le professeur Barrat s’était retrouvé au centre d’un réseau international d’universitaires de renom qui tous à un titre ou à un autre lui devaient la découverte ou la confirmation de leur vocation scientifique.

Diplomate, Jacques Barrat fut détaché plusieurs années au Quai d’Orsay, d’abord comme Secrétaire général de l’Office franco-québecois de la jeunesse, puis ès qualités de Chef de La Mission de coopérations et d’action culturelle près l’am­bassade de France en Roumanie où il était également directeur de l’Institut français de Bucarest. De vrais liens personnels mais aussi culturels forts se nouèrent entre Jacques Barrat et ce pays dans lequel il percevait l’importance de l’influence fran­çaise malgré de récentes évolutions peu favorables, et où il entrevoyait les richesses d’une coopération pour peu que Paris s’en donnât les moyens. Distingué par ses amis roumains, il fut fait docteur Honoris Causa de l’Université de Pitesti en 2001 et de l’Université de Bucarest en 2003, nommé Officier dans l’Ordre du Mérite académique roumain (2003) et officier de l’Ordre royal roumain du mérite (2003). Reconnu par ses pairs, il fut également élu en 2002, Président du Forum académique franco-roumain (Académie roumaine/IFRI). Plusieurs ouvrages ont pour objet l’étude de la Roumanie et nous pouvons citer Géopolitique de la Roumanie. Regards croisés, Paris, Alvik, 2003, prix de la Fondation Thorlet décerné par l’Académie des Sciences Morales et Politiques de l’Institut de France.

Doté de la curiosité scientifique des grands découvreurs, géographe tropicaliste de formation, Jacques Barrat fut élu membre de l’Académie des sciences d’outre­mer au fauteuil de l’Ambassadeur Guy Georgy, ancien gouverneur de la France d’outre-mer. Membre du Club des Explorateurs et Voyageurs Français, Jacques Barrat a parcouru le monde et les voyages qu’il effectuait étaient pour lui l’occasion d’approfondir encore son savoir anthropologique et culturel. Ses très nombreux ar­ticles et ouvrages sont le reflet de la diversité d’une connaissance du monde mêlant continents et grandes thématiques internationales.

On peut, avec la crainte de trop synthétiser une œuvre foisonnante, ramener à trois grandes thématiques, les centres d’intérêts les plus récents de ce grand cher­cheur.

En premier lieu, l’étude des grands pôles civilisationnels mondiaux l’a amené, très tôt, à s’intéresser à l’espace francophone et à la Francophonie. C’est sous l’as­pect de l’influence culturelle d’actions institutionnelles que Jacques Barrat orienta ses recherches. En plus de ses nombreuses publications et directions de travaux universitaires sur ce sujet, il s’engagea par ailleurs comme président de plusieurs associations de défense de la Francophonie (Président d’honneur de l’Association Interface Francophone- ex Interface France-Indochine ; Président de l’Alliance des enseignants et chercheurs francophones…), présida le Comité de pilotage de l’évaluation des interventions de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et de la Coopération française sur « gouvernance, démocratie et médias » en Afrique sub-saharienne au Quai d’Orsay, et fut distingué à ce titre comme Chevalier dans l’Ordre de la Pléiade.

Le Professeur Jacques Barrat fut invité aux universités de Pékin, Hanoi, Dakar, Yaoundé, Beyrouth, Rabat, le Caire, Bucarest, Cluj, Iasi, Tirana, et Tunis. C’est dans ce cadre, qu’il fut détaché au Quai d’Orsay pendant cinq années en qua­lité de Secrétaire général de l’Office franco-québécois pour la jeunesse et durant trois années ès qualités de Chef de La Mission de coopération et d’action culturelle près l’ambassade de France en Roumanie et de Directeur de l’Institut français de Bucarest. Il occupa par ailleurs les fonctions de Directeur de l’Association culturelle Labalette France/Vietnam et Labalette France/Roumanie. On peut rattacher à cette problématique quelques-unes de ses nombreuses publications, Géopolitique de la Francophonie, Paris, PUF, 1997, préface de Pierre Messmer, prix Georges Hachette décerné par la Société de Géographie et Géopolitique de la Francophonie : un nou­veau souffle ?, préface de Pierre Messmer, Paris, La Documentation française, 2004.

L’étude géopolitique, conçue dans le cadre de l’école française de géographie et radicalement distincte de celle anglo-saxonne, fut un deuxième axe structurant de son œuvre académique et explique son enseignement au Collège interarmées de défense (redevenue depuis Ecole supérieure de guerre), au Centre d’études diplo­matiques et stratégiques (CEDS) et à l’Ecole des hautes études internationales et sa qualité de Président de l’Association culturelle et de coopération franco-chinoise. Il faut également rappeler qu’il fut Collaborateur du ministre des Affaires étrangères Michel Jobert, (1974-1981), Conseiller au cabinet de Pierre Messmer à l’Assemblée Nationale (1986-1988), puis proche Conseiller scientifique de l’ancien Premier mi­nistre pendant plus de trente ans, notamment à la Fondation del Duca de l’Institut de France. Cette partie de son œuvre peut être illustrée par des publications telles que Kaboul, capitale de l’Afghanistan, Paris, Unesco 1970 ; Géographie des grandes puissances, Paris, Nathan, 1981 ; Diversité des tiers-mondes, Paris, Litec, 1992 ; Les impacts de la géographie urbaine sur la conduite des opérations terrestres, Paris, Ecole Militaire, 2004. Il venait de prendre la direction d’une collection « Géopolitiques du XXIe siècle » aux éditions SEM laquelle comptait déjà sous son impulsion en une seule année les titres Géopolitique du Burkina Faso (coll. Me D. El Zein, N. Lambret); Géopolitique de l’Ouzbékistan, (coll. C. Wang, C. Ferro); Géopolitique de la Côte d’Ivoire (coll. Me D. El Zein, C. Ferro, C. Wang); Géopolitique du Liban (coll. Me D. El Zein, M. Notteau).

Enfin, l’infatigable curiosité de cet exceptionnel chercheur le conduisit à travail­ler à la compréhension du phénomène médiatique considéré per se et de ses consé­quences sur les diverses sociétés francophones et à l’échelle mondiale. Il fonda et di­rigea ainsi l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication de Ouagadougou, Burkina Faso, et assura un poste de Professeur de géopolitique des médias à l’ex-Faculté de droit de Paris, Panthéon-Assas Paris II. Jacques Barrat fut aussi conseiller des directions d’Europe 1 et d’Havas et collabo­rateur à Radio France Internationale. Nous pouvons citer quelques-uns de ses ou­vrages sur la question, Géographie économique des Médias, Paris, Litec 1990 ; Médias et Développement, Paris, Litec 1991 ; Géographie des médias : diversité des tiers-mondes, Paris, Litec 1992 ; Pour mieux comprendre l’audiovisuel, Paris, Médiamétrie, 1999.

Ses occupations multiples et ses longs séjours à l’étranger ne l’avaient pas pour autant détourné de sa passion pour la vènerie ni de sa fidélité à l’équipage de Bonnelles Rambouillet dont il était Bouton, il avait d’ailleurs commis La vènerie française, un patrimoine d’avenir. préfaces de Maurice Druon, Secrétaire honoraire perpétuel de l’Académie française et d’Arnaud d’Hauterives, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, éditions Les Introuvables, Paris, 853 illustrations, 2007.

Reconnu par ses pairs et par son pays qu’il chérissait par-dessus tout, il fut no­tamment élevé aux grades de Chevalier dans l’Ordre de la Pléiade (Francophonie), Officier dans l’Ordre de la Légion d’honneur, Commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques et fut deux fois Lauréat de l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

Le professeur Barrat nous avait fait l’honneur particulier d’être mon Conseiller scientifique et diplomatique en tant que Président de l’Institut International d’Études Stratégiques depuis février 2009 puis de l’Académie de géopolitique de Paris (AGP). Ses conseils et sa présence éditoriale nous ont apporté une expertise exceptionnelle ainsi qu’une approche d’une finesse inégalée de la problématique géostratégique. Il avait immédiatement assimilé quelle était notre approche et notre volonté de l’élucidation du monde par le biais de l’étude stratégique et avait mis toutes ses connaissances à soutenir notre démarche au point d’intégrer notre équipe. Au nom du Conseil scientifique de la revue Géostratégiques et de toute l’équipe de l’Académie de Géopolitique de Paris, je prie l’épouse de notre cher Professeur Barrat et ses trois enfants de bien vouloir accepter nos condoléances les plus sincères.

Ali Rastbeen

Président de l’Académie de géopolitique de Paris, Directeur de la publication Géostatégiques

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