Entretien avec Milos Jovanovic

Entretien avec Milos Jovanovic

Propos recueillis par Xavier Moreau (Moscou)

2eme trimestre 2011

Géostratégiques : L’image pro-occidentale du gouvernement de Boris Tadic pourrait faire croire que la Serbie est désormais gérée sur des standards européens, pourtant les contestations se multiplient sur l’ensemble du pays. Le gouvernement actuel subit-il une crise de légitimité ?

Milos Jovanovic : C’est exactement ce dont il s’agit -une crise de légitimité. L’économie serbe est aujourd’hui exsangue. Quatre cent mille personnes ont perdu leur emploi. Le salaire moyen a baissé de 100 euros. L’inflation est à deux chiffres. Vingt-huit mille entreprises sont sorties du système de la TVA en raison de la baisse de leur chiffre d’affaire tandis que vingt mille autres sont en faillite. La dette pu­blique du pays ne cesse de croître et elle atteint désormais 42% du PIB. Or, c’est essentiellement sur des promesses liées à l’amélioration de la situation économique du pays et sur l’intégration européenne de la Serbie que le parti démocrate, qui se trouve à la tête de la coalition actuellement au pouvoir, avait remporté la majorité relative aux élections de 2008. Ce gouvernement s’est tout simplement montré incapable de tenir ses promesses et plus généralement, de mener une politique éco­nomique et industrielle viable.

L’actuelle majorité a même pris des décisions que les Serbes, dans leur grande majorité, réprouvent. Il en va ainsi de la résolution parlementaire sur Srebrenica adoptée en avril 2010. Cette scandaleuse résolution passe sous silence aussi bien les victimes serbes de cette région que le contexte qui permet pourtant de comprendre comment et pourquoi le massacre de Srebrenica a eu lieu en 1995 à l’encontre des hommes musulmans de l’enclave. Il en va de même de l’organisation de la « Gay pride » à Belgrade en octobre dernier qui avait provoqué de violents heurts entre la population et la police. Organiser une telle manifestation à l’encontre de l’opinion publique du pays, alors même qu’il n’y a aucune discrimination à l’encontre de la population homosexuelle en Serbie, relevait du viol symbolique et d’une mise au pas idéologique de la société serbe. Il est important de souligner que ces déci­sions ont été prises sur les bons conseils et les pressions de l’Union européenne. Le gouvernement actuel voulait de toute évidence montrer que la Serbie était devenu un « pays comme les autres », c’est-à-dire un pays dans lequel il est de bon ton de promouvoir la culture « gay » et dont les élites au pouvoir pensent que les seules responsables des drames et guerres dans les Balkans sont serbes. En conséquence, c’est bien un problème de légitimité qui se pose car le gouvernement actuel, ainsi que le président de la République, ne répondent plus de leurs actes aux citoyens de Serbie mais aux bureaucrates de Bruxelles et de Washington.

Géostratégiques : Que dire du mouvement de contestation de Tomislav Nicolic et de sa grève de la faim. Ce mouvement a-t-il une chance de parvenir à ses fins et d’obtenir des élections anticipées ?

Milos Jovanovic : Le président du Parti progressiste, Tomislav Nikolic, a peut être fait un mauvais calcul. Porté très haut par les sondages, il a certainement voulu précipité les choses en croyant qu’il y avait suffisamment d’énergie chez les citoyens pour faire davantage pression sur le gouvernement actuel. Pourtant, à l’heure où nous parlons, sa grève de la faim et de la soif semble ne produire que peu d’effets, y compris au sein de la population. D’ailleurs, il a recommencé à boire. Il semble donc qu’il n’obtiendra pas d’élections anticipées.

Ceci étant dit, nous partageons son constat en ce qui concerne la situation ca­tastrophique dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. Il n’est pas certain cepen­dant que nous y apporterions les mêmes remèdes. Nous pensons au sein du parti démocrate de Serbie que notre pays ne doit jamais rejoindre l’OTAN, et que l’ad­hésion à l’UE ne peut en aucun cas l’emporter sur la nécessaire protection de notre intégrité territoriale. Nous devons à présent nous concentrer sur nous-mêmes, et surtout, nous ne devons pas oublier que nous sommes une veille nation européenne et un vieil État européen. On ne fait pas de grandes choses sans fierté, et rendre les Serbes fiers à nouveau, c’est là très certainement le principal enjeu des prochaines années. Malheureusement, sur tous ces points, plusieurs inconnus demeurent au sein du Parti progressiste de Tomislav Nikolic.

Géostratégiques : Quelle est la situation de la liberté d’expression en Serbie ? Qui contrôle les grands médias ?

Milos Jovanovic : Les médias sans inféodés au pouvoir, ce qui ne constitue pas forcément une exception serbe. Plusieurs personnes de l’entourage proche du Président de la République se trouvent aussi à la tête de grandes agences publicitaire ou de société de communication qui détiennent plus de 95% du marché. Il s’agit d’importantes entreprises dont certaines détiennent le monopole dans la revente de l’espace publicitaire. Il va sans dire que leur influence sur les média, la program­mation, le choix des invités est grand. Il reste cependant quelques îlots de liberté, notamment dans la presse écrite. Internet constitue enfin un outil non négligeable et heureusement, difficilement contrôlable.

Géostratégiques : A l’époque de Djindjic, les gens disaient en plaisantant qu’il prenait directement ses ordres de l’ambassade des Etats-Unis ? Ce sentiment existe-t-il toujours ? La mainmise américaine est-elle toujours aussi forte ?

Milos Jovanovic : Je pense qu’il y a désormais un sentiment de travail accompli en Serbie de la part des Etats-Unis. D’une part la Serbie est défaite. De l’autre, elle semble être sur la voie d’une totale pacification. Nos « élites » sont en effet mises au pas, les médias sont muselés et l’idéologie dominante a pénétré tous les secteurs de la société. En d’autres termes, il semblerait, de prime abord du moins, que la Serbie ne se relèvera plus. En ce sens, il me semble que la mainmise américaine a faibli. Le problème se trouve désormais davantage dans nos propres élites qui semblent être atteintes du « syndrome de Stockholm ». Leur propension à accepter la lecture occidentale de la crise yougoslave le démontre amplement.

Géostratégiques : Qu’en est-il de l’intégration à l’Union Européenne ? Ne risque-t-elle pas d’être un premier pas vers l’entrée dans l’OTAN, comme ce fut souvent le cas en Europe de l’Est ?

Milos Jovanovic : Il y a une vraie différence entre les anciens pays du Pacte de Varsovie et la Serbie, c’est-à-dire l’ancienne Yougoslavie. Autant les Polonais, les Tchèques ou encore les Hongrois gardent dans leur mémoire collectives le souvenir d’une Union soviétique dominatrice et conquérante, souvenir qui les a poussé dans les bras de l’OTAN, autant les Serbes n’ont pas ce genre de complexe car ils ont dit non à Staline en 1948 en prenant le risque d’une guerre. De plus, nous avons un passé conflictuel avec l’OTAN qui remonte à 1994 et 1995 et l’engagement de l’OTAN contre les Serbes en République serbe en Bosnie. Donc, nous n’avons aucune raison de vouloir rejoindre l’OTAN. Un esprit sain penserait plutôt à une revanche. Toutefois, cela ne veut pas dire que la question ne se posera pas. Il se trouvera toujours des personnes, personnalités politiques, journalistes, qui tente­ront d’expliquer pourquoi la Serbie devrait rejoindre l’OTAN. C’est d’ailleurs déjà le cas. Il sera juste important de répondre correctement à la question une fois posée. Compte tenu du fait que l’énorme majorité des Serbes est contre l’OTAN, la ré­ponse ne saurait faire de doute.

Géostratégiques : Que réclament les puissances européennes en échange de l’entrée dans l’Union Européenne ?

Milos Jovanovic : En dehors du scepticisme que l’on pourrait avoir vis-à-vis de la construction européenne telle qu’elle se déroule sous nos yeux, et en dehors de la question de l’avenir même de l’Union, la Serbie a un problème bien concret sur sa route, celui de la sécession du Kosovo et de la Métochie. Il est évident que nous ne pourrons adhérer à l’Union européenne sans avoir préalablement reconnu l’indépendance d’une partie de notre propre territoire. Nicolas Sarkozy l’avait af­firmé, avec beaucoup de franchise et de bon sens, à plusieurs reprises. Or, c’est une condition inacceptable. Donc, si l’on suit la logique jusqu’au bout, il est évident que la Serbie doit sortir de la route qui la mène à l’adhésion. C’est la position de mon parti. Nous pouvons très bien collaborer et commercer avec nos partenaires européens sans être membre de l’Union. De manière irresponsable, les partis au pouvoir font toujours semblant de croire qu’il est possible de courir deux lièvres à la fois et ne cessent de répéter que l’on peut continuer notre route vers l’UE tout en protégeant notre intégrité territoriale.

Géostratégiques : Les Serbes sont-ils conscients que des pays comme la Grèce ou le Portugal doivent leur situation catastrophique à l’inadaptation de leur écono­mie au format actuel de l’Union ?

Milos Jovanovic : Pas encore mais une fatigue commence à poindre. Même s’il est toujours légèrement majoritaire au sein de la population, le soutien à l’in­tégration européenne de la Serbie n’a jamais été aussi faible depuis 2000. Les gens ont vu ce qui s’est passé en Grèce ou en Irlande comme ils voient ce qui se passe au Portugal ou en Espagne. Ils ont de même vu les réticences d’Angela Merkel à mettre en œuvre la solidarité européenne et l’ont entendu parler de l’échec du mul­ticulturalisme. Les gens regardent aussi les problèmes d’identité auxquels fait face la Belgique. Le mirage européen n’a plus l’attrait qu’il exerçait il y a quelques années encore. L’avenir de l’UE n’apparait plus aussi radieux, ni même certain. Peu à peu, une prise de conscience s’opère en ce qui concerne l’UE et cette clairvoyance que l’on retrouve doucement est salutaire.

Géostratégiques : Il y a eu récemment dans le Sandjak des émeutes à caractères religieux, est-ce la phase suivante du dépeçage de la Serbie qui se poursuit ?

Milos Jovanovic : Rien n’a été réglé dans les Balkans. La Bosnie-Herzégovine est un protectorat qui historiquement ne possède aucune légitimité étatique. La Macédoine est un État binational avec une forte revendication albanaise vers davantage d’autonomie. Le Monténégro est en pleine reconstitution identitaire. Le Kosovo a fait sécession et demeure une entité mafieuse sous protectorat interna­tional. La question des Serbes de Croatie n’a toujours pas été résolue. En d’autres termes, les Balkans restent une poudrière aussi inflammable que dans les années 1980 et 1990. Tôt ou tard, une recomposition géopolitique sera nécessaire afin de les stabiliser pour de bon. Et pour ce faire, il n’existe que deux manières. Soit la Serbie sera forte et la question que vous me posez n’aura pas lieu d’être. Soit il n’y aura pas de Serbie, et là encore, la question que vous me posez n’aura plus lieu d’être. Il va sans dire que la première solution serait davantage conforme à la nature des choses.

Coordination : Christophe Réveillard (Paris)

[1]Vice-président du DSS (Parti démocrate de Serbie de l’ex-Président du Gouvernement de la République de Serbie, Vojislav Kostunica, de mars à juillet 2008).

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