France-Moyen orient, 1967-2017. Un demi siècle d’infléchissements successifs De la politique arabe à la politique sunnite et à la politique wahhabite

 

René NABA, Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de « L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres » (Golias), « Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français » (Harmattan), « Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), « Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David » (Bachari), « Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.

Résumé

En un demi-siècle, la France aura perdu la particularité de son lien avec la rive orientale de la Méditerranée passant de l’alliance de la politique arabe, à une politique mono-sunnite et à celle mono-wahhabite. Elle est effectivement devenue le fer de lance du combat contre le Monde chiite, et, à l’occasion du printemps arabe, les atlantistes philo-sionistes, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont achevé le saccage de la politique arabe de la France puisque le principe de leur stratégie en direction du Moyen orient s’est ainsi réduit à une solidarité avec les pétromonarchies et les pays se réclamant du néo-islamisme (Turquie). La Libye a en effet scellé la nouvelle politique arabe du pouvoir français dans ses deux versions -post gaulliste et socialo-motoriste. Une politique de substitution. Une politique d’alliance avec le wahhabisme (Arabie saoudite, Qatar et le néo-islamiste Erdogan) en substitution à la politique sunnite, prolongée par une solidarité avec la droite israélienne, ce que vient confirmer leur gestion de la guerre de Syrie.

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En un demi siècle (1967-2017), la diplomatie française en direction de la rive méridionale de la Méditerranée a subi des infléchissements successifs pour déboucher sur une alliance contre nature avec le pays le plus antinomique de son héritage politique, passant ainsi par dégradés successifs –par régression successive ?-  de la politique arabe, à la politique sunnite et à la politique wahhabite.

Autrement dit, en cinq siècles, la France est ainsi partie d’une alliance avec un souverain d’un empire englobant toutes les déclinaisons du sunnisme (Hanafite, Hanbalite, Chaféite, Malékite), du chiisme (Alaouites, Ismaéliens, Houthistes, Yazédis), des chrétiens dans toutes leurs déclinaisons (catholiques, orthodoxes, syriaques, assyro-chaldéens, coptes, arméniens), de non arabes (Turcs, Kabyles) pour déboucher sous François Hollande sur une alliance avec le dernier né du segment le plus obscurantisme de l’Islam, le wahhabisme pétrolier.

Démonstration

Il est généralement admis que la politique française à l’égard du monde arabo-musulman s’est articulée autour de trois grandes dates fondatrices :

-1536 : Le Traité des Capitulations entre François Ier et Soliman Le Magnifique (XVIe siècle), c’est à dire avec un empire ottoman qui englobait toutes les nuances de l’islam, des musulmans et des non musulmans. Un traité global mais inégal, inique. Un traité des Capitulations et non de Partenariat. Le ver est dans le fruit. Une posture de mépris qui connaitra son prolongement avec le « Code Noir de l’esclavage », sous Louis XIV et le « Code de l’Indigénat », sous la République.

-1798-1801 : Le recentrage Bonaparte par déplacement du curseur de la sublime porte vers l’axe Le Caire – La Mecque, le noyau central et historique de l’Islam.

– 1967 : La « Grande politique arabe de la France » du Général Charles de Gaulle, soit en quatre siècles trois infléchissements majeurs avec un bilan mitigé.

Au XXe siècle, la politique arabe de la France 

Dans la première partie du XXe siècle, la politique arabe de la France que Nicolas Sarkozy, pourtant issu de la famille gaulliste, a cherché à déconstruire avec le soutien actif des transfuges atlantistes philo-sionistes, notamment Dominique Strauss Khan et Bernard Kouchner, a surtout consisté pour les pays arabes à voler au secours de la France, à deux reprises, au cours du XXe siècle, pour l’aider à vaincre ses ennemis, notamment en 1939-1945, en l’aidant à se débarrasser du joug nazi dont une fraction importante de la communauté nationale de confession juive en avait lourdement pâti.

Avec en contrepoint et pour prix de la contribution arabe à la libération de l’Alsace-Lorraine, l’amputation de la Syrie du district d’Alexandrette et sa cession à la Turquie, l’ennemi de la France lors de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), et la carbonisation au napalm des habitants de Sétif, en Algérie, (1945), le jour même de la victoire alliée dans la deuxième Guerre Mondiale (1939-1945), ainsi que la fourniture dans la foulée à Israël de la technologie nucléaire du centre de Dimona (Néguev).

-1967-2017 : La Grande politique arabe du général De Gaulle

Le grand tournant de la « Grande politique arabe » du Général de Gaulle est intervenu, en 1966, dans la foulée de l’indépendance de l’Algérie, clôturant une rupture quasi générale de la France avec le Monde arabe de dix ans, consécutive à l’expédition de Suez (1956), une agression tripartite des deux anciennes puissances coloniales de la zone (France, Grande Bretagne) de concert avec leur créature Israël.

Elle impliquait une politique d’ouverture sur l’ensemble de la rive sud de la Méditerranée, le Monde arabe, indépendamment de leurs systèmes politique-monarchiques ou républicains, progressistes ou conservateurs, aussi bien le Maroc que l’Algérie, la Libye que l’Arabie saoudite, mais aussi les autres puissances régionales musulmanes du Moyen Orient : la Turquie (sunnite et laïque) et l’Iran (chiite).

Signe de la bonne entente Paris-Téhéran, le premier ministre de l’époque Jacques Chaban Delmas  représentait la France aux festivités de Persépolis célébrant les fastes de l’Empire Pahlévi. La France, l’un des plus importants pollueurs nucléaires de la planète, équipementier d’Israël (Dimona) et de l’Apartheid d’Afrique du sud, nouait, parallèlement, une coopération nucléaire avec l’Iran impérial via le consortium EURODIF.

1- L’Irak (1968) et la Libye (1969), deux percées majeures de la diplomatie gaulliste dans d’anciennes chassées gardées anglo-saxonnes.

En treize ans (1966-1979), la diplomatie gaulliste a permis deux percées majeures de la France dans d’anciennes chasses gardées anglo-saxonnes:  en Libye (1969) avec le « contrat du siècle » de 105 Mirage conclu par le gouvernement de Jacques Chaban Delmas avec le colonel Kadhafi. Et la préservation de la quote-part de Total lors de la nationalisation de l’IPC (Iraq Petroleum Company), en Irak, par Saddam Hussein.

2-1979: Valéry Giscard d’Estaing, les prémisses d’une politique sunnite en substitution à la politique arabe.

Le premier infléchissement à la politique gaullienne a été, naturellement, le fait de Valéry Giscard d’Estaing, un « gaulliste sous toute réserve » (« Oui Mais »), en 1979, sous l’influence du complexe militaro industriel français qui conduira la France à perdre délibérément le bénéfice de l’hospitalité qu’elle avait accordée à l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny (Neauphle-le-château).

Lancé par le néogaulliste Jacques Chirac (1974), le partenariat stratégique avec l’Irak fera de la France un « cobelligérant de l’Irak » dans sa guerre contre l’Iran Khomeyniste chiite (1979-1989), par ricochet l’alliée du bloc des pays sunnites arabes qu’ils soient Républicains (Irak, Égypte) ou monarchiques (les pétromonarchies du Golfe).

3- La France, fer de lance du combat contre le Monde chiite

Sous le tandem Chirac-Giscard et son prolongement socialiste animé par François Mitterrand (1979-1995), la France se positionnera en fer de lance du combat contre le Monde chiite. D’abord en tant que cobelligérant de l’Irak contre l’Iran (1979-1989), deux décennies plus tard, dans la guerre contre la Syrie (2011-2016), le maillon intermédiaire de « l’Axe de la Résistance » à l’hégémonie israélo-occidentale;

4- Le printemps arabe (2011-2016), le saccage des atlantistes philo-sionistes, Nicolas Sarkozy et François Hollande.

La Libye, le deuxième infléchissement de la politique arabe du Général de Gaulle. Percée de la diplomatie gaulliste dans la décennie 1070, la Libye sera détruite et le pré carré français en Afrique durablement déstabilisé, 40 ans plus tard, par Nicolas Sarkozy un post gaulliste, « le premier président de sang mêlé » de France, tel qu’il s’est défini avec ce terme de grande ambiguïté, sans préciser la nature de ce métissage : Franco hongrois ? Ou Judéo chrétien? 

Menée contre un pays sunnite à structure républicaine en coalition avec les pétro-monarchies wahhabites, la guerre contre la Libye a marqué un nouvel infléchissement de la « politique arabe du Général de Gaulle », réduite désormais à une solidarité avec les pays musulmans sunnites d’obédience exclusivement wahhabite, à structure monarchique.

5- La diplomatie française au XXIe siècle: Une diplomatie atlantiste par un couplage wahhabisme et droite israélienne.

De solidarité avec les pays sunnites (Guerre contre de l’Iran 1979-1989), la diplomatie française en direction du Moyen orient s’est ainsi réduite à une solidarité avec les pétromonarchies et les pays se réclamant du néo-islamisme (Turquie). La Libye a en effet scellé la nouvelle politique arabe du pouvoir français dans ses deux versions -post gaulliste et socialo-motoriste. Une politique de substitution. Une politique d’alliance avec le wahhabisme (Arabie saoudite, Qatar et le néo-islamiste Erdogan) en substitution à la politique sunnite, prolongée par une solidarité avec la droite israélienne. La guerre de Syrie accentuera cette tendance, particulièrement amplifiée avec l’entrée en scène de Laurent Fabius, le petit télégraphiste des Israéliens dans les négociations internationales sur l’accord sur le nucléaire iranien.

Le retour sur investissement de la politique arabe de Bonaparte a eu pour nom Lesseps, Canal de Suez, Champollion, hiéroglyphe… un rayonnement qui perdure encore de nos jours.  Le retour sur investissement de la politique arabe du tandem philo sioniste atlantiste Sarkozy-Hollande a eu pour nom Mohammed Merah, les Frères Kouachi, Hédi Nemmouche, Si Ahmed Glam, Salah Abdel Salam, le journal Charlie Hebdo, Paris Bataclan etc… Un bain de sang qui déshonore les stratèges en chambre du nouveau cours de la diplomatie française.

Pays européen disposant de la plus importante façade maritime face la rive musulmane de la Méditerranée, abritant de surcroît la plus importante communauté arabo musulmane de l’Union Européenne, ces deux paramètres commandent à la France de définir une stratégie à long terme en direction de son environnement méditerranéen et non de réduire sa « politique arabe » à une variable d’ajustement conjoncturel de la compétitivité de son complexe militaro-industriel et du train de vie des dirigeants français, et des béquilles financières dont ils escomptent se doter du fait de leur mansuétude à l’égard de leurs mécènes : Valéry Giscard D’Estaing du diamantaire Bokassa, Jacques Chirac de son hébergeur posthume Rafic Hariri, le sang mêlé Nicolas Sarkozy du Crésus du Qatar et François Hollande celui d’Arabie séoudite.

L’honneur de la France lui commande de rompre avec la politique de la punition et de l’humiliation, si préjudiciable à son renom.

– De favoriser, non la balkanisation du Monde arabe, mais son unité afin de doter cet ensemble d’un seuil critique à l’effet de fonder un véritable partenariat avec l’ensemble européen, sur un pied d’égalité ;

-De contribuer à la renaissance non du chauvinisme bureaucratique, mais à une forme rénovée du nationalisme arabe sur de bases démocratiques, meilleur garde fou à l’expansionnisme néo-islamiste confrérique de sensibilité wahhabiste, si destructeur de civilisations, si destructeur de nos valeurs communes.

-Dernier, mais non le moindre, restaurer le peuple palestinien, victime par excellence des turpitudes occidentales, dans ses droits nationaux légitimes, tant il est vrai qu’il ne saurait y avoir de sérénité transméditerranéenne sans le recouvrement par le peuple palestinien de sa dignité.

Pour aller plus loin

Centenaire Sykes-Picot: un siècle calamiteux pour la France…. et pour les Arabes http://www.madaniya.info/2016/05/16/sykes-picot-un-siecle-calamiteux-pour-la-france/

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