Globalisation du conflit tchétchène

Par Viatcheslav Avioutski

Chercheur au Centre de Recherches et d’Analyses Géopolitiques à l’Université Paris 8, co-auteur d’un « Que sais-je ? » : « La Tchétchénie », PUF, 1998.

Juin 2001

  • L’indépendantisme tchétchène devient un phénomène mondial.
  • A) Conflit tchétchène et le « village mondial ».

Depuis 1994, le conflit tchétchène a dépassé largement le cadre d’un séparatisme ethno-périphérique banal, caractéristique presque inévitable pour les grands pays multiethniques. Après la dislocation de l’URSS, en 1991, les affrontements tchétchéno-russes (1994-1996, 1999-2001) sont devenus l’événement d’importance géopolitique majeure dans l’espace postsoviétique.

Deux facteurs ont contribué à la médiatisation à l’échelle globale du conflit tchétchène. Le premier était l’accès des médias, russes et étrangers, à la Tchétchénie, le second étant l’avènement de nouveaux moyens de communication, permettant de transmettre en direct avec le minimum d’équipement des images et des reportages à travers le monde entier. C’est alors qu’un espace planétaire virtuel sous le nom de « village mondial » voit le jour. L’avènement de l’Internet a coïncidé avec la globalisation du conflit tchétchène, et ce n’était pas un hasard.

  • est utile de rappeler que le changement radical de l’attitude de la Maison Blanche s’est produit, après ce que Bill Clinton a vu des images d’un orphelinat de Grozny, dévasté par les bombardements russes. Ce conflit cesse d’être une « affaire intérieure russe », puisque les droits de l’Homme y sont bafoués. Les pertes parmi les civils tchétchènes ont bouleversé l’opinion publique internationale qui a influencé les gouvernements occidentaux, afin qu’ils exercent une pression sur Moscou. Il est difficile de sous-évaluer les effets que les images violentes produisent sur les centaines de millions d’habitants de « villageois mondiaux ». Grâce au flux tendu d’informations et à son accélération spectaculaire (les mêmes clichés et la même information sont retransmis dans le même instant sur les écrans de télévision et sur les unes de journaux à travers le monde entier), le problème tchétchène est rapidement devenu planétaire.

L’Occident commence à exercer la pression sur Moscou. Il demande d’épargner les civils et de résoudre le conflit avec des moyens politiques. Pour Moscou, l’opération militaire en Tchétchénie est une affaire intérieure. L’ancienne superpuissance perçoit toute ingérence comme l’humiliation, imposée par les adversaires d’autrefois, et comme un soutien presque direct aux séparatistes. Les relations russo-occidentales se tendent, se refroidissent et enfin se détériorent. Le dossier tchétchène devient un sujet incontournable de presque toutes les négociations russo-occidentales. En même temps, l’attitude envers la cause tchétchène se transforme en un sujet de politique intérieure d’un certain nombre de pays. Par exemple, les républicains et les démocrates aux Etats Unis s’opposent quant à l’attitude à prendre vis-à-vis de l’indépendantisme tchétchène, alors que les candidats à la présidence française en 1995 devaient se prononcer sur ce sujet.

Le concept de « l’ingérence humanitaire », exprimé et appliqué pour la première fois pendant la crise du Kosovo, en 1999, change la donne. La violation des droits de l’Homme est devenue inacceptable pour l’opinion publique internationale occidentale, indépendamment de la distance que sépare le vieux continent et les USA de l’endroit, où le conflit se déroule. On parlait de « l’ingérence humanitaire » pendant la campagne de l’armée russe, en automne 1999.

Qui plus est, le rejet par la société occidentale des méthodes de Moscou pour régler l’affaire tchétchène a creusé un fossé entre l’Europe, ce « club d’anciens empires » (Michel Fouchet) et la Russie. Le non-respect des droits d’une minorité ethnique confirmait que même dans sa variante réduite la Russie demeurait un empire, donc un candidat indésirable pour l’entrée à l’Union Européenne, même à long terme. C’est une affaire paradoxale : grâce à la démocratisation de la société russe, les images horribles sur la guerre en Tchétchénie ont pu ainsi être instrumentalisées, par « le village mondial », lequel a presque immédiatement accusé la Russie de ne pas être démocratique.

  1. B) Une restructuration : le monde musulman et le Grand Cercle Islamique.

La démocratisation russe a permis non seulement aux Tchétchènes de faire irruption dans « le village mondial », mais également de redevenir, comme c’était le cas à la fin du XVIIIème siècle, un élément du monde islamique. C’est notamment grâce aux fonds saoudiens que les Tchétchènes, les autres Musulmans de Russie, construisent leurs mosquées, font le pèlerinage à la Mecque et inaugurent les écoles coraniques. Une telle activité n’aurait pu être tolérée dans la période de la culmination de l’Empire russe, dans la période soviétique. Autrefois les Musulmans tatars, nord-caucasiens et centre-asiatiques, dont Moscou a conquis les terres, constituaient la périphérie du monde islamique, dont le centre de gravité se trouvait historiquement à la Mecque. Actuellement, ce centre s’est déplacé vers la zone pachtoune, dominée par les Talibans. Les Saoudiens, surveillés étroitement par les Américains, ont contribué avec les Pakistanais à la création d’une zone politique libre, qui échappe à l’emprise occidentale, contrôlée par les Talibans. Cette zone est devenue le centre d’un futur Etat islamique mondial, que le Front Mondial du Djihad d’Oussama Ben Laden projette de constituer. Cet Etat, connu sous le nom de Califat, devrait se structurer autour du pivot taliban, qui est devenu centre d’un Grand Cercle Islamique, dont la Tchétchénie était une région périphérique. Il faut y préciser, que, selon Ben Laden, les islamistes devraient devenir les forces motrices et centripètes du Califat. Les mêmes processus se déroulent en Tchétchénie, au Cachemire et en Indonésie. Par exemple, les Hizbuls Moudjahidin, mouvement islamiste séparatiste au Cachemire, annonçaient : « Notre objectif est l’établissement d’un Califat Islamique à travers le monde entier. Nous ne croyons pas dans les frontières idéologiques et géographiques » (1).

En février 1998, dans la déclaration du Front Mondial du Djihad, Ben Laden lançait un appel à « tuer les Américains et les Juifs, où qu’ils soient ». Plus tard, dans un entretien accordé, en avril 1998, à la chaîne américaine ABC, il a répété plusieurs fois qu’il fallait tuer tous les Américains, et qu’on ne pourrait pas l’attraper (2). Depuis le multimillionnaire saoudien devient l’ennemi numéro 1 de l’Amérique.

La sympathie et le soutien de Musulmans à la cause tchétchène s’explique par la solidarité du monde islamique, qui se trouve en pleine mutation. La restructuration du monde islamique se déroule dans le cadre du Grand Cercle Islamique, sous forme radicale d’un Etat mondial : le Califat.

Cette restructuration a commencé en 1979 avec la mobilisation de Moudjahidin dans de nombreux pays arabes pour combattre les envahisseurs russes en Afghanistan. Depuis lors, des processus transfrontaliers et transnationaux n’ont pas cessé de modifier l’espace musulman. L’apparition de six nouveaux Etats islamiques, en 1991, (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbékistan) et la prise par des Talibans de Kaboul, en 1996, n’ont fait qu’accélérer la constitution du Califat, devant à long terme (dans 100-150 ans) occuper toute la planète. La talibanisation de l’Afghanistan a conduit à l’exportation de cette doctrine, à travers les filiales du Front Mondial du Djihad, dans nombre d’autres pays musulmans mais aussi dans les « périphéries » musulmanes de Russie, de l’Inde et de Chine (en Tchétchénie, au Xinjiang et au Cachemire). Cela peut apparaître comme un délire de géopoliticien, cependant, une talibanisation du Pakistan, entamée depuis plusieurs années déjà, qui dispose des armes nucléaires, pourrait donner un contour plus précis au projet de Califat.

  1. Indépendantistes tchétchènes et néo-impérialisme « modéré ».

Enfin, la Tchétchénie fait partie de l’espace politique russe. La moitié des Tchétchènes se sont installés en Russie, notamment dans les grandes villes et dans les régions proches (Stavropol, Rostov-sur-le-Don, Volgograd). Et, c’est avec Moscou que les indépendantistes luttent pour obtenir l’indépendance. Enfin, le conflit tchétchène a eu un fort impact sur la société russe, dont l’idéologie s’est transformée pendant dix ans (1991-2001) d’un internationalisme soviétique en une sorte de néo-impérialisme « modéré ». L’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir a confirmé cette tendance néo-impérialiste. Son ascension était basée sur le règlement de l’affaire tchétchène. De nombreux observateurs notent qu’avec Poutine, la Russie a commencé à recouvrer sa puissance politique et économique. Partisan convaincu d’un Etat fort, Poutine combat avec acharnement les tendances centrifuges de la Russie, dont la force réside dans sa grandeur géographique. Toute perte territoriale est donc inacceptable à ses yeux. On peut dire que Vladimir Poutine, d’après ses nombreuses déclarations, joue avec le nationalisme grand-russien, force motrice de l’impérialisme russe. Cependant, le conflit tchétchène a déjà radicalisé la société russe, et Poutine n’a fait que maîtriser cette tendance et l’instrumentaliser. Le nationalisme grand-russien sera-t-il destructif ou constructif ? Il est cependant trop tôt pour répondre à cette question. Une chose est déjà claire : plus la Russie est forte, plus elle résiste à l’indépendantisme tchétchène. Donc, plus Poutine reste au pouvoir, plus le problème tchétchène s’aggravera. Une longue série d’attentats, perpétrés en Russie entre août 1999 et mars 2001, et imputés aux Tchétchènes, ne laisse guère croire à une facile et rapide solution du conflit tchétchène.

  1. La Tchétchénie dans l’intersection d’hyper blocs.

La Tchétchénie se trouve sur l’intersection d’un « village mondial » virtuel (cyberespace planétaire, animé par les journalistes, hommes politiques et intellectuels, défenseurs de valeurs occidentales, démocratiques et notamment des droits de l’Homme), d’un Califat (projet politique, que les radicaux de l’Islam mettent en œuvre, autour de l’épicentre pachtouno-taliban) et d’un « espace russe » (animé par le néo-impérialisme « modéré »). C’est dans l’interaction de ces trois hyper blocs qu’il faut analyser les réactions et l’intervention de chaque pays.

Les réactions du « village mondial » correspondent principalement aux deux guerres tchétchènes (1994-1996 et 1999-2000), alors que l’intérêt de pays islamiques était plus constant, débouchant souvent sur l’aide directe, dépassant largement le cadre d’un soutien politico-idéologique occidental. Ces deux hyper blocs adressent leurs réactions à Moscou, responsable de la gestion de la crise tchétchène. Elles ont influencé les relations russo-occidentales et russo-musulmanes.

Pour situer dans le temps les réactions et les actions internationales, nous pouvons résumer l’épopée indépendantiste tchétchène. Suite à une « révolution », le général Djokhar Doudaëv est élu Président de la République autonome tchétchène, membre de la Fédération de Russie, en octobre 1991. Il proclame son indépendance. Isolée politiquement et économiquement par Moscou, la Tchétchénie, vit en état de pseudo-indépendance entre 1991 et 1994. Des affrontements violents y surviennent entre l’opposition armée anti-Doudaëv et les doudaëviens, en été-automne 1994. L’armée russe entre en Tchétchénie, en décembre 1994. La guerre dure de 1994 à 1996. Les deux camps, russe et tchétchène, subissent des pertes considérables. Un certain nombre de civils tchétchènes meurent en raison de bombardements, de combats et d’exactions. Ces abus provoquent l’indignation de la communauté internationale. Exsangue, la Russie se plie à la pression de l’Occident et évacue ses troupes, entre septembre 1996 et janvier 1997. Elu en 1997, Aslan Maskhadov remplace Djokhar Doudaëv, tué par un missile russe, en 1996. Entre 1997 et 1999, la Tchétchénie est, de fait, indépendante. Cependant, Maskhadov n’arrive pas à s’imposer. La République plonge dans le chaos. Le wahhabisme s’y répand, les enlèvements de citoyens russes et étrangers par des Tchétchènes se multiplient, les attentats sont perpétrés dans la République sécessionniste et dans les grandes villes russes. En été 1999, les wahhabites tchétchènes, sous la direction de Bassaëv, auteur d’une spectaculaire prise d’otage, en 1995 à Boudionnovsk, s’infiltrent au Daghestan et proclament un Etat islamique indépendant sur son territoire. Les Daghestanais se mobilisent et repoussent les wahhabites avec l’aide de l’armée fédérale. En septembre 1999, l’armée fédérale entre en Tchétchénie. Début 2000, Grozny est prise. La guérilla commence. La communauté internationale désapprouve une nouvelle fois les actions militaires en Tchétchénie. La progression militaire russe dans la République sécessionniste s’accompagne du renforcement d’un Premier ministre russe, jeune et énergique, Vladimir Poutine. Il sera élu en 2000 Président russe. Depuis lors, les militaires continuent à combattre la guérilla tchétchène, alors que les attentats à la bombe marquent l’actualité russe.

2 L’Occident défend les droits de l’Homme, mais aussi ses intérêts stratégiques.

  1. A) Etats-Unis : interventionnisme prudent et croisade pour le respect des droits de l’Homme.

Les Etats-Unis étaient le pays occidental qui s’est intéressé le plus au conflit tchétchène, probablement en attente de la déstabilisation de la Fédération de Russie par les périphéries musulmanes. Déjà en 1992, le second secrétaire de l’ambassade américaine à Moscou s’est rendu à Grozny, pour rencontrer les responsables locaux et sonder la situation (le 30 janvier 1992) (3). La même année, le président Doudaëv se rend, pour un voyage d’affaires, aux Etats-Unis (les 15-18 octobre 1992) (4). Il a essayé de nouer des liens dans le domaine pétrolier. Doudaëv affirme avoir signé un accord avec un consortium de Houston, qui s’est engagé à livrer de l’équipement pour l’extraction et la raffinerie en Tchétchénie. Les livraisons devraient être payées par le pétrole (le 26 octobre 1992) (5). Cependant, il semble qu’il n’y ait pas eu de suite à cet accord, bien que le pétrole tchétchène soit exporté à l’étranger, via Novorossisk (Russie) et Odessa (Ukraine).

La première réaction américaine officielle date du 11 décembre 1994, date de l’entrée des troupes russes en Tchétchénie (6). Bill Clinton paraît être très modéré. Il est évident qu’il ne souhaite pas gâcher ses bonnes relations avec Eltsine à cause des indépendantistes tchétchènes. Clinton déclare qu’il s’agit bien d’une « affaire intérieure russe » (le 11 décembre 1994) (7). Il confirme que la Tchétchénie faisait partie de la Fédération de Russie (le 16 décembre 1994) (8). Lors de sa visite à Moscou, le vice-président Albert Gore s’aligne sur Clinton (le 16 décembre 1994) (9). D’autres personnalités américaines ont soutenu la position officielle. Ted Gullen Carpenter, directeur du programme d’études sur la politique extérieure a fait savoir que la position de l’administration Clinton était « correcte, du point de vue des Etats-Unis ». Même les défenseurs américains des droits de l’Homme, tel le président de Freedom House, Adrian Karatnichek, ont soutenu la Maison Blanche (10). Dans le même sens, un journaliste du Figaro compare l’intervention de Moscou en Tchétchénie avec celle de Bill Clinton en Haïti (11), entreprise « pour obtenir la reddition des militaires… dont les juteux trafics rappellent ceux de Djokhar Doudaëv ».

Cependant, le Congrès, dominé par le Parti Républicain, conteste la position de l’administration Clinton. Ainsi un expert dans les études russes et eurasiennes, Ariel Coen, lié traditionnellement aux républicains, a déclaré que « l’administration de Clinton s’est lavée les mains… ». Or, les bombardements et les frappes à coups de missiles de la population civile ne contribuent pas à la mise en œuvre des réformes russes et aux intérêts de la sécurité nationale des USA. Selon lui, Washington, aurait dû se prononcer pour la solution pacifique avec la médiation de l’OSCE (12). La tonalité américaine commence à changer. Le secrétaire de la défense, William J. Perry déclare que la guerre tchétchène n’affecterait pas les relations russo-américaines, à la condition que la Russie contrôle la gestion de la crise (le 21 décembre 1994) (13). Ensuite, Washington exprime sa préoccupation croissante quant à l’effusion de sang en Tchétchénie (le 23 décembre 1994) (14), et se permet, pour la première fois de critiquer la gestion de la crise, en recommandant à Moscou d’arrêter les attaques contre les civils. Il semble que le changement d’attitude s’est produit suite à la diffusion d’images du bombardement d’un orphelinat de Grozny par l’aviation militaire russe. Le président sortant de la Chambre des Affaires Etrangères, Lee H. Hamilton, démocrate de l’Indiana, dit qu’il ne faut plus « décrire la guerre en Tchétchénie comme une affaire intérieure russe » et qu’il ne faut plus dire que « le Président Eltsine a fait ce qu’il devait faire » (le 30 décembre 1994) (15). Quelques jours plus tard, après l’échec de l’assaut de Grozny et les pertes considérables, subies par l’armée russe, un porte-parole du département d’Etat, Michael Mc Curry, déclare que l’administration américaine continue à soutenir les objectifs de Boris Eltsine, mais non ses tactiques pour venir à bout des rebelles. Il recommande de la retenue dans le règlement de la crise, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une « affaire intérieure russe difficile ». Cependant, Mc Curry reste ambigu, en évoquant la guerre de sécession du XIXème siècle. Il affirme que les Etats-Unis, eux aussi, ont dû dans le passé faire face à un mouvement séparatiste et l’ont supprimé militairement (le 3 janvier 1995) (16). Moscou signale qu’il n’y aurait aucune discussion au sujet de la crise tchétchène avec aucun pays, y compris les Etats-Unis (le 4 janvier 1995) (17). L’adjoint du secrétaire de la défense, John M. Deutch, dit que le conflit tchétchène aurait des conséquences sur les relations russo-américaines dans l’avenir proche. En même temps le secrétaire d’Etat Christopher indique que son pays est troublé par la manière dont la force est utilisée en Tchétchénie et par les « lourdes pertes en vies humaines » (le 5 janvier 1995) (18). Par téléphone, Christopher renouvelle au ministre russe des affaires étrangères Kozyrev « le profond désir [de Washington] de voir ce conflit se régler par la négociation » (le 6 janvier 1995) (19).

Les experts américains commencent à critiquer la position indulgente du Président Clinton. Ils le croient en partie responsable de l’escalade militaire en Tchétchénie. Clinton est obligé de changer de tonalité. S’il soutient toujours « l’intégrité territoriale » de la Russie, le Président américain demande à Boris Eltsine d’épargner la vie de civils en Tchétchénie (le 6 janvier 1995) (20). La tension entre Moscou et Washington monte quand le département d’Etat américain accuse la Russie de ne pas avoir respecté les obligations internationales, en déployant les troupes sans annonce préalable et en attaquant les civils en Tchétchénie. Le ministère russe des affaires étrangères répond que « la tragédie humaine et les pertes de vies » étaient « inévitables ». Selon lui, sans introduction de troupes, la Russie pouvait connaître un scénario yougoslave (le 11 janvier 1995) (21). Bill Clinton appelle Moscou et les rebelles tchétchènes à arrêter de verser le sang et à commencer à négocier (le 13 janvier 1995) (22). Le secrétaire d’Etat américain, Warren Christopher note que la guerre tchétchène empêche le déroulement des réformes démocratiques et économiques en Russie, en rajoutant que « cet épisode nuisible est mal-conçu et mal-exécuté » (le 15 janvier 1995) (23). A travers Christopher, les USA commencent à mettre en garde la Russie. Le secrétaire d’Etat déclare que « la continuation de la guerre » peut « interrompre l’aide américaine à Moscou ». Il va plus loin en qualifiant la crise tchétchène d' »épisode atroce et tragique » (le 17 janvier 1995) (24). Warren Christopher rencontre à huis clos Andreï Kozyrev et exerce une pression sur lui, en critiquant la gestion de la crise. Moscou promet d’autoriser l’acheminement de l’aide humanitaire et d’organiser des élections libres dans la République indépendantiste. Christopher souligne « le prix de la guerre en vies humaines » et « la réputation de la Russie dans le monde » qui va en souffrir (le 18 janvier 1995) (25).

Le « ministre des Affaires étrangères » tchétchène, Youssouf Chamsoutdine, se rend à Washington en quête du soutien américain à la cause indépendantiste. L’attitude américaine est ambiguë. D’un côté, l’administration de Clinton a multiplié ses déclarations sur « l’affaire intérieure russe » et « l’intégrité territoriale de Russie » (le 11 décembre 1994, le 16 décembre 1994, le 3 janvier 1995, le 6 janvier 1995, le 18 janvier 1995), de l’autre côté, Chamsoutdine est reçu par un département de l’administration américaine. Les autorités russes ont mis en garde l’ambassadeur américain à Moscou que tout contact avec celui-ci était inacceptable (le 29 janvier 1995) (26). C’est là que se situe le tournant de l’attitude des USA à l’égard de la crise tchétchène. L’administration Clinton devient progressivement pro-tchétchène et anti­Eltsine. Désormais Washington exerce une pression directe en conditionnant ses actions vis-à-vis de Moscou à la solution politique et pacifique de la crise en Tchétchénie. Les Etats-Unis insistent de plus en plus pour que Moscou négocie avec les indépendantistes et reconnaisse Djokhar Doudaëv, dont l’objectif affiché était la création d’un Etat indépendant. A cela s’ajoute l’attitude du Congrès américain, qui a contribué au changement de l’attitude américaine officielle. Ainsi, l’administration Clinton recommande à Boris Eltsine d’entamer les négociations avec Doudaëv (le 13 février 1995) (27). Ensuite, elle fait savoir que le Président américain souhaitait éviter tout séjour en Russie (le 16 février 1995) (28), alors qu’Eltsine l’invite à Moscou pour prendre part aux célébrations du 50ème anniversaire de la Victoire dans la Deuxième Guerre mondiale, le 9 mai 1995. Le Congrès, à majorité républicaine, exerce une forte pression sur Clinton et lui demande de remettre à plus tard sa visite à Moscou, si le conflit tchétchène n’est pas résolu (le 21 février 1995) (29). Moscou intensifie l’opération militaire en Tchétchénie, afin de la terminer avant l’arrivée de Clinton à Moscou. La pression américaine sur Moscou, destinée à épargner les vies de civils, a conduit au résultat opposé, à l’intensification de l’opération militaire [la prise d’Argoun, le 23 mars 1995 (30), de Goudermès, le 30 mars 1995 (31), de Chali, le 31 mars 1995 (32), de Samachki, le 9 avril 1995 (33), de Bamout, le 19 avril 1995 (34)].

Désormais les déclarations américaines n’ont rien à voir avec celles datant de l’introduction de troupes en décembre 1994. Pour le département d’Etat, l’opération militaire en Tchétchénie était « l’erreur majeure qui tournerait mal pour les Russes et nuirait aux relations avec les Etats-Unis » (le 11 avril 1995) (35).

En fin de compte, Clinton vient à Moscou (le 9 mai 1995) (36). Dans un discours devant les étudiants de l’Université de Moscou, pour la première fois, le président américain qualifie la guerre en Tchétchénie de « terrible tragédie » (le 10 mai 1995) (37). Les prises d’otages spectaculaires, effectuées par le commando de Bassaëv à Boudennovsk en juin 1995 et par celui de Radouëv en janvier 1996, ont modéré par la suite la position américaine.

Après la prise par les rebelles de Grozny, en août 1996, Boris Eltsine lance un ultimatum aux indépendantistes, en menaçant de reprendre la ville. Clinton intervient et demande au Président russe de reprendre les pourparlers avec les séparatistes. Son appel est soutenu par l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, le Canada, la Turquie et par l’Organisation de la Conférence Islamique (le 22 août 1996) (38). La pression occidentale et la médiation du général Lébed produisent l’effet nécessaire : le côté russe opte pour la solution politique et évacue les troupes.

Dans l’entre-deux-guerres, l’administration américaine reste prudente. Elle n’entretient aucun contact avec l’administration d’Aslan Maskhadov, élu Président tchétchène en janvier 1997. Cependant, un porte-parole de Maskhadov affirme, fin 1997, que « l’opinion publique et les leaders politiques d’Amérique et de la Turquie étaient prêts à reconnaître la Tchétchénie » (mi-décembre 1997) (39), ce qui n’a jamais été confirmé par Washington.

L’establishment tchétchène se rapproche des milieux islamistes radicaux internationaux. Ainsi, sur l’initiative de Movladi Oudougov, idéologue principal de l’islamisation de la Tchétchénie, Louis Farrakhan, leader d’une organisation américaine « Nation of Islam », s’est rendu au Daghestan afin de soutenir un candidat au poste de maire de Makhatchkala. Cet homme d’origine jamaïquaine était chef du mouvement nationaliste de Noirs américains. Farrakhan est connu comme un « musulman sexiste et antisémite, qui a qualifié le judaïsme de religion de caniveau et traité les Juifs de buveurs de sang ». Il « prône la séparation des races, interdit les mariages interraciaux, et revendique même un Etat séparé pour les Noirs » (40). A Makhatchkala, Farrakhan lance un appel à la révolte et affirme que « l’Islam triomphera sur toute la terre ». Washington et Londres ont exprimé leur mécontentement de ce que Moscou avait autorisé l’arrivée d’un « extrémiste reconnu » (début février 1998) (41). Le Président tchétchène participe à Washington à une conférence de l’Unité Islamique (les 9-16 août 1998) (42). Maskhadov rencontre des hommes politiques et hommes d’affaires américains en recherche d’investissements. Il n’obtient aucun résultat. L’insécurité et la multiplication de rapts sur le territoire de sa République dissuadent les étrangers.

En 1999, une nouvelle série d’interventions américaines a lieu suite à l’introduction des troupes fédérales en Tchétchénie. Le porte-parole d’Etat James Rubin note que « l’analogie » faite par Moscou entre l’opération de l’OTAN au Kosovo et celle des Russes en Tchétchénie est « démente et presque ridicule » (le 4 octobre 1999) (43). Ensuite, Madeleine Albright déclare être « profondément préoccupée par l’escalade de la violence et les pertes civiles croissantes ». Elle invite la Russie à « entamer un dialogue sur une solution pacifique » avec Maskhadov (le 26 octobre 1999) (44).

Il semble qu’il existe plusieurs attitudes officielles américaines. Si le porte-parole du département d’Etat, James Rubin, accuse la Russie d’avoir violé la convention de Genève, le porte-parole de la Maison Blanche, Joe Lockhart, désavoue la déclaration de Rubin et dit qu’il n’est pas sûr que les Russes aient violé cette convention (le 10 novembre 1999) (45). Cependant, la réaction de Moscou ne se fait pas attendre. L’administration présidentielle russe accuse les Occidentaux de sombrer dans « une hystérie anti-russe » et de créer un « climat défavorable ». Le ministre russe de la défense nationale affirme que les Etats-Unis ont pour objectif « d’affaiblir la position de la Russie et de la repousser des régions de la Caspienne, du Caucase et de l’Asie centrale ». Il rajoute que « l’hypothèse d’une guerre perpétuelle dans le Caucase répond à l’intérêt national des Etats-Unis » (le 12 novembre 1999) (46). En 1999, l’intervention militaire en Tchétchénie est souvent comparée à celle de la Serbie au Kosovo, qui a entraîné l’intervention militaire de l’OTAN, l’évacuation des troupes serbes de la province indépendantiste et la création sous l’égide de l’ONU, d’une entité autonome, échappant au contrôle de Belgrade. C’est à cette occasion que les médias occidentaux inventent une nouvelle conception d' »ingérence humanitaire », autorisant les pays tiers à intervenir sur le territoire d’un Etat souverain, si les droits de l’Homme y sont massivement bafoués. Après l’entrée des troupes russes et le début des bombardements en Tchétchénie, l’opinion publique occidentale exprime une profonde préoccupation sur les pertes civiles. Elle demande aux dirigeants occidentaux de faire pression sur la direction russe et propose d’appliquer le même principe d' »ingérence humanitaire » à la Tchétchénie qu’au Kosovo afin de justifier une éventuelle intervention militaire de l’Occident dans cette République. Lors du sommet de l’OSCE, devant se tenir à Istanbul en novembre 1999, la communauté internationale comptait obliger la Russie à engager les pourparlers avec les indépendantistes tchétchènes. Cependant, dans son discours Boris Eltsine met en garde contre « l’expansion du cancer du terrorisme » et s’oppose aux « négociations avec des bandits et des meurtriers ». Le Président russe évoque « l’agression de l’OTAN dirigée par les USA contre la Yougoslavie » et se dit opposé à toute idée d’une « intervention militaire ». Contre toute attente, Bill Clinton soutient Eltsine en déclarant que « la Russie n’a pas seulement droit mais également obligation de défendre son intégrité territoriale ». Il conseille aux autres Présidents, présents à Istanbul, de se demander ce qu’ils auraient fait dans ce genre de situation (le 19 novembre 1999) (47). Cet avis n’est pas partagé par les républicains américains, qui, comme c’était le cas lors de la première campagne de Tchétchénie, s’opposent à l’attitude de l’administration de Clinton. Le candidat républicain à la présidence américaine George W. Bush annonce : « lorsque le gouvernement russe attaque des civils, tuant femmes et enfants, faisant orphelins et réfugiés, il ne doit plus pouvoir compter sur l’aide des institutions financières internationales ». Les journalistes font savoir que l’administration de Clinton réfléchit à la remise à plus tard du déblocage de deux prêts à Moscou, d’un montant de plus de deux milliards de dollars (le 21 novembre 1999) (48).

Début décembre 1999, le commandement militaire russe lance un ultimatum à la population de Grozny, encerclée par les troupes fédérales. Il lui demande de quitter la ville avant le 11 décembre, date du début de l’assaut, après quoi toutes les personnes se trouvant dans la ville seraient considérées comme rebelles et pouvant être supprimées. La communauté internationale qualifie l’ultimatum d' »inhumain » et se mobilise pour que le Président russe l’annule. En prévoyant la cruauté des combats de rues, la direction russe cherche à évacuer les civils afin de réduire au minimum le nombre de victimes. Cependant, les dirigeants occidentaux mettent en garde Boris Eltsine sur l’inadmissibilité d’un tel ultimatum. L’un des plus « durs » était Bill Clinton qui a déclaré: « La Russie payera cher pour ces actes, en sombrant toujours plus, à chaque jour qui passe, dans un bourbier qui renforce l’extrémisme et ternit son image dans le monde ». Il demande à Moscou de ne pas exécuter son ultimatum et répète qu’il croyait encore que « la lutte des autorités russes contre le terrorisme était juste », mais « les méthodes utilisées en Tchétchénie ne convenaient pas » et étaient « contre-productives ». Un porte-parole de la Maison Blanche a dit que l’exécution de l’ultimatum compliquerait la situation dans la région et dégraderait l’image de la Russie dans le monde (le 7 novembre 1999) (49). En visite officielle à Pékin, le Président Eltsine riposte à Clinton : « M. Clinton s’est permis de faire pression sur la Russie. Manifestement, il a oublié pendant quelques secondes, une minute ou une demi-minute, que la Russie dispose d’un arsenal complet d’armes nucléaires. Il ne s’est jamais produit, et cela ne se produira jamais qu’il (Bill Clinton) dicte au monde entier comment il faut vivre (…). Comme convenu avec le Président chinois, Jiang Zemin, c’est nous qui allons dicter au monde comment il faut se comporter et pas lui tout seul » (le 10 décembre 1999) (50).

Cependant, les Américains continuent d’augmenter la pression. Ainsi deux semaines plus tard en visite à Moscou l’adjoint du secrétaire d’Etat américain Strobe Talbot estime que la Russie ne respecte pas les normes du droit international en Tchétchénie (le 23 décembre 1999) (51). Les Etats Unis ne lâchent pas la pression sur Moscou. Le secrétaire d’Etat Madeleine Albright déclare depuis Moscou qu’il était « temps que les affrontements cessent », en recommandant aux Russes et aux Tchétchènes de « négocier » (le 2 février 2000) (52). Bill Clinton rencontre le nouveau Président russe, Vladimir Poutine et prône une « résolution pacifique » en Tchétchénie afin de « faire cesser les violations des droits de l’Homme à l’encontre de civils » (le 4 juin 2000) (53).

Les républicains campent sur leurs positions, traditionnellement plus « dures » que celles des démocrates. Le candidat à la présidence George W. Bush se dit être « préoccupé du fait que M.Poutine soit devenu populaire grâce à la guerre en Tchétchénie ». Il met en garde Moscou, « qui va découvrir qu’on ne peut construire une nation stable et unie sur les décombres des droits de l’Homme » (le 29 mars 2000) (54).

Le dossier tchétchène a constitué pendant au moins 6 ans, entre 1994 et 2000, une question incontournable lors de toutes les négociations russo-américaines. Il a provoqué plusieurs crises dans ces relations. Washington a utilisé tous les moyens pour faire pression sur Moscou afin qu’elle engage des négociations avec les indépendantistes : les mises en garde, la pression économique et politique, la mobilisation de la communauté internationale, la mise en avant du principe d' »ingérence humanitaire ». Or, Vladimir Poutine a continué son opération militaire en Tchétchénie et est resté opposé à la solution négociée, tant prônée par l’administration Clinton. L’arrivée de l’équipe de Bush, dont les critiques étaient toujours plus fortes quant à la crise tchétchène, a provoqué une nouvelle crise avec la Russie. Certes, la détérioration des relations russo-américaines ne s’explique pas exclusivement par les divergences sur la gestion de la crise tchétchène. La nouvelle administration américaine s’est montrée plus agressive dans le domaine de la politique extérieure. Les relations des Etats-Unis avec la Chine et la Corée du Nord se sont tendues également en mars-avril 2001.

L’attention surdimensionnée à la crise tchétchène de la part de Washington s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, les USA tentent d’affaiblir la Russie, ce qui est compréhensible et tout à fait naturel du point de vue d’une superpuissance. Cette offensive idéologique, menée par Washington, et la tentative d’instrumentaliser l’affaire tchétchène ne sont pas en soi un crime. La désintégration de la Fédération de Russie, comparable à celle que l’URSS a subie en 1991, renforcerait les positions américaines au Caucase et en Asie Centrale, régions stratégiques et riches en hydrocarbures ; quoique Washington ait déclaré le contraire à de nombreuses reprises. Ensuite, le soutien d’une minorité musulmane indépendantiste de la Russie renforce les liens des Etats-Unis avec le monde musulman, qui dispose lui-aussi d’une grande part des réserves pétrolières du monde. Finalement, l’attention de la communauté internationale à la crise tchétchène peut montrer que la Russie n’est pas encore un pays démocrate et constitue une menace à la démocratie occidentale. De cette façon, Washington justifie sa présence en Europe Occidentale et l’existence de l’OTAN. Et, enfin, le dossier tchétchène a permis aux Etats Unis de conforter son contrôle sur le « village mondial ». C’étaient les médias américains qui émettaient la plupart des « images fortes » sur les violations des droits de l’Homme en Tchétchénie. Cela a permis de consolider les habitants du « village » dans leur soutien à la cause tchétchène et, par-là, à la position américaine sur cette question.

  1. B) France : une grande préoccupation humanitaire.

En juin 1993, Djokhar Doudaëv a effectué une visite à Paris, où il a rencontré des représentants des ministres de la défense et de l’intérieur. Les militaires français lui auraient offert quelques essais d’appareils de Mirages 2000 (les 13-16 juin 1993) (55). Parmi ses « amis » français, Doudaëv comptait également un certain Bernard Courcelle, le chef du service d’ordre du Front National. Selon ses propres dires, Courcelle connaissait bien Doudaëv et il a effectué 11 voyages en Tchétchénie, entre 1991 et 1993, toujours accompagné d’une dizaine d’hommes pour entraîner l’armée indépendantiste. Par la suite, Courcelle connaîtrait Chamil Bassaëv et serait mêlé à une affaire de ventes d’armes aux rebelles tchétchènes, qui aurait mal tourné au printemps 1996 (56).

En décembre 1994, l’attitude française était alignée sur celle des Etats-Unis. François Mitterand, pour autant, se limite au minimum dans la critique de l’opération militaire russe. Le Président français (Parti Socialiste) a laissé le soin à son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, d’exprimer l’attitude officielle du gouvernement français, composé par la droite (RPR et UDF). Le ministère français des affaires étrangères a estimé que l’intervention des troupes russes en Tchétchénie était « une affaire intérieure russe » (le 12 décembre 1994) (57). Ensuite, la France exprime sa préoccupation croissante sur l’effusion de sang dans la République sécessionniste (le 23 décembre 1994) (58) et appelle les autorités russes à tout faire pour l’éviter (le 25 décembre 1994) (59). Quelques jours plus tard, le Quai d’Orsay déplore l’intensification de combats et considère que les négociations étaient la seule voie de sortie de la crise (le 28 décembre 1994) (60).

Alain Juppé tente d’entreprendre la médiation dans le conflit tchétchène à l’aide de l’OSCE et de l’Union européenne (le 3 janvier 1995) (61). Il critique Eltsine d’avoir utilisé une force excessive en Tchétchénie et demande à la Russie de tenir ses promesses internationales sur la protection des droits de l’Homme (le 4 janvier 1995) (62). Le ministre se prononce pour les négociations et demande d’éviter le recours à la force dans le conflit tchétchène, si la Russie souhaite devenir « un partenaire crédible dans ses relations avec l’Occident » (le 5 janvier 1995) (63). L’activisme de Juppé a porté ses fruits. Une délégation de l’OSCE a été reçue à Moscou afin de discuter de la situation en Tchétchénie (le 5 janvier 1995) (64). Pour autant, l’entrée de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe est remise en cause. Juppé continue à sermonner Moscou de ne pas vouloir modérer ses activités militaires dans la République nord-caucasienne : « quand on veut être un véritable partenaire, il faut être transparent, discuter et pratiquer la concertation, et non la violence et la force ». En même temps, Jean François Deniau, le rapporteur de la commission de la défense au Parlement, remarque qu' »on ne peut pas inviter la Russie dans la famille européenne » et « admettre qu’une minorité soit, jour après jour, écrasée sous les obus » (le 5 janvier 1995) (65).

En ce moment, des intellectuels français commencent à critiquer la direction russe. Ils lancent une campagne, visant à exercer une pression internationale sur le Président Eltsine et à influencer les dirigeants français, trop modérés, selon eux, dans leurs appréciations du conflit tchétchène. Un raisonnement type était donné par un journaliste français à la radio « France Inter » : « Ce n’est pas seulement son image de démocrate que Boris Eltsine a définitivement perdue dans les décombres de la capitale tchétchène. Ce n’est pas seulement non plus que cette cynique aventure le laisse politiquement isolé…C’est aussi que ce Président russe ridiculise son pays dont l’armée, réticente et désorientée, n’est toujours pas parvenue à s’assurer le contrôle de Grozny » (66). Depuis lors, l’affaire tchétchène est associée aux yeux de l’opinion publique à l’avenir de la démocratie russe. L’intelligentsia française commence à véhiculer le schème suivant : Eltsine fait noyer dans le sang les indépendantistes tchétchènes, cette voie de gestion de la crise conduirait inévitablement à l’instauration d’une dictature. En bref, pour sauver la démocratie en Russie, il faut défendre les Tchétchènes. Dans ce sens, Pierre Luc Séguillon s’exprime à la Chaîne Info : « Au nom des droits de l’Homme, il importe sans doute de s’émouvoir de la vaillance et des souffrances des résistants tchétchènes » (67).

Sur le fond de passivité de Mitterand et d’une attitude assez prudente du gouvernement de droite (Alain Juppé), soucieux de ne pas fâcher Moscou, le candidat à la présidence Lionel Jospin (Parti Socialiste) se démarque de la position officielle et s’est dit être « frappé par la passivité du gouvernement Balladur face à l’affrontement sanglant » en Tchétchénie (le 11 janvier 1995) (68). Cependant, le Premier ministre de la droite Balladur déclare qu’il souhaitait que la Russie » malgré la crise tchétchène rejoigne le Conseil de l’Europe », tout en précisant que le conseil « ne doit montrer aucune complaisance à l’égard des violations des droits de l’Homme » en Tchétchénie (le 1er février 1995) (69).

François Mitterand sort de sa réserve en recevant le Premier ministre Tchernomyrdine. Selon lui, la conclusion d’un accord de partenariat entre l’UE et la Russie était « lié à un règlement pacifique du conflit en Tchétchénie » (le 3 mars 1995) (70).

Déjà au courant de sa campagne électorale, son successeur Jacques Chirac (RPR) s’est montré russophile, en s’abstenant de critiquer les Russes. Il a cité un vers de Lermontov sur un « Tchétchène méchant » pendant les télé-débats avec d’autres candidats, et s’est limité à dire que la confrontation russo-tchétchène était une « affaire ancienne ». Dans la Stampa, Barbara Spinelli parle du Président Chirac, nouvellement élu : « En ce qui concerne les guerres sa volonté d’impuissance reste égale à celle de son prédécesseur, aucune position hardie sur la guerre en Bosnie-Herzégovine, et en ce qui concerne la Tchétchénie, ce qui domine est la crainte de se brouiller avec la Russie au moment où l’Allemagne se renforce » (le 10 mai 1995)

  • . En effet, la position de la France était assez modérée. Par la suite, Paris a même exercé une pression indirecte pour que le problème tchétchène ne serve plus d’obstacle à l’entrée de la Fédération de Russie au Conseil de l’Europe. Les hauts responsables français font tout pour éviter de parler de la Tchétchénie. Ainsi, Alain Juppé, nommé Premier ministre, en visite officielle à Moscou, fait une allusion quant aux méthodes à entreprendre afin de régler cette crise : « Seule la discussion, le dialogue politique peuvent permettre de trouver une solution qui respecte l’intégrité territoriale de la Russie et la nécessaire identité de la Tchétchénie »
  • .

Les autorités françaises ont dû prendre leurs distances avec le régime de Maskhadov, en s’abstenant de tout contact officiel après l’enlèvement par des Tchétchènes d’un citoyen français, Vincent Cochetel, chef d’une mission du Haut Commissaire de l’ONU à Vladikavkaz. Il a passé 11 mois en captivité et n’a était libéré que grâce à une opération spéciale de la police russe (le 12 décembre 1998) (73). En 1999, un photographe français, Brice Fleutiaux, était enlevé en Géorgie et détenu en otage en Tchétchénie. Dans une lettre, transmise au FSB, il écrit : « Je me trouve dans une cave, sans lumière, ni électricité, ni fenêtre. Mes geôliers arrivent à n’importe quelle heure et me frappent avec leurs armes. Je suis malade depuis une semaine. Les conditions sont insupportables » (le 31 octobre 1999) (74). Le Premier ministre Vladimir Poutine s’intéresse au sort de l’otage français et reproche au Président Chirac de faire « des déclarations sur la situation dans le Nord-Caucase, mais on se demande pourquoi il ne s’inquiète pas du sort de son concitoyen. » (le 6 décembre 1999) (75). Brice Fleutiaux était libéré après huit mois de captivité en Tchétchénie et une campagne d’envergure en France afin d’attirer l’attention sur son sort (le 12 juin 2000) (76).

En plus de l’affaire des otages, la visite à Paris, d’un « ministre des Affaires étrangères » tchétchène, Iliass Akhmadov, a perturbé les relations franco-russes en 1999. Le ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, explique : « Nous l’avons informé qu’il pouvait venir en France, où il sera reçu, écouté et pris en considération, en ce qui concerne cette très sérieuse affaire. Nous avons le droit d’écouter le point de vue tchétchène. La Russie a déraillé dans cette escapade au Caucase. La pression sera exercée sur la Russie par tous les pays, souhaitant un autre type de solution pour la Tchétchénie. Il est intolérable de voir les pertes parmi les civils, causées par cette intervention militaire d’envergure » (77). Hubert Védrine accroît la pression sur la Russie, qui selon lui « se fourvoie dans cette aventure » et « d’une façon ou d’une autre doit reconnaître qu’il y a un problème tchétchène (… ) qui dépasse de loin la question du terrorisme (… ) et que ce problème doit être abordé sur une base politique » et rajoute qu’il est « intolérable de voir ces victimes civiles frappées par une intervention militaire à grande échelle » (78). Le directeur du département de l’Europe Centrale et Orientale du ministère des Affaires étrangères français a reçu le ministre. Puis les Verts l’ont invité à assister à une session de l’Assemblée nationale (79). De plus, le « ministre » s’est rendu, en privé, à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Dans une interview, accordée à l’ORT, diffusée largement en Russie, il s’est vanté d’avoir participé à la prise d’otages de Boudennovsk de Chamil Bassaëv, en juin 1995. La visite était vue par Moscou comme une provocation préméditée de la part de la France. Les relations, qui étaient mauvaises depuis l’intervention militaire de l’OTAN au Kosovo, se sont dégradées davantage. Presque immédiatement le ministre des Affaires étrangères russe a transmis à l’ambassadeur français à Moscou une protestation concernant la réception à Paris d’Iliass Akhmadov, ami personnel de Chamil Bassaëv. Le ministre russe a qualifié cette réception de « geste inamical », pouvant nuire aux relations franco-russes et a accusé son homologue français de « jouer avec le terrorisme ». Il a prévenu également qu’un « tel flirt peut entraîner de très graves conséquences » (le 11 novembre 1999) (80).

Sous la pression de leurs opinions publiques, les dirigeants ouest-européens élaborent une ligne commune de pression sur Eltsine lors du sommet de l’OSCE d’Istanbul. Il est intéressant de voir que la position de Chirac et de Schrôder au sommet était plus dure que celle de Bill Clinton. Boris Eltsine a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de discuter les propositions concernant la guerre en Tchétchénie dans une ambiance, qui insultait la Russie. La rencontre avec Schrôder et Chirac n’a duré que 7 minutes. Eltsine a réussi à échapper à la pression européenne (le 19 novembre 1999) (81). Cependant, les autorités françaises n’ont pas cessé de critiquer les méthodes de l’armée russe en Tchétchénie. Ainsi, les ministres des Affaires étrangères français et allemand, Hubert Védrine et Joschka Fisher, ont déclaré conjointement, être « choqués par les conséquences de la répression sur les populations civiles » en Tchétchénie (le 30 novembre 1999) (82).

La réaction française à l’ultimatum à la population de Grozny n’était pas moins catégorique que celle des Etats-Unis. Le Quai d’Orsay a annoncé que « la lutte contre le terrorisme ne peut en aucun cas justifier qu’on vide toute une ville de l’ensemble de ses habitants » (83). En même temps, Hubert Védrine a fait savoir que « les Russes doivent savoir que nous ne pourrons pas continuer longtemps à coopérer avec eux dans ces conditions-là, comme si de rien n’était, alors qu’ils refusent d’entendre les pressions croissantes de la communauté internationale ». Il s’est opposé à la « solution militaire, purement militaire, aussi brutale et aussi disproportionnée, avec des conséquences insupportables sur les populations » (le 9 décembre 1999) (84). Jacques Chirac a épaulé son ministre en jugeant « indispensable » que Moscou « change de comportement » (le 10 décembre 1999) (85). Un groupe d’intellectuels français (86) s’est rendu à Moscou où ils ont dénoncé la guerre en Tchétchénie. Dans un message, adressé au journal « Le Monde », ils ont écrit : « Aucun prétexte de lutte contre ‘des bandits’ ou le terrorisme ne justifie l’anéantissement des populations, bébés, malades, vieillards compris. Au mépris des conventions internationales qu’elle a signées, la Russie se rend coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité » (le 15 décembre 1999) (87).

Les rapports sur les camps de filtration en Tchétchénie provoquent une nouvelle vague d’indignation en France. A ce sujet Hubert Védrine appelle Moscou à « mettre fin à la répression sous toutes ses formes » dans la République sécessionniste, en particulier dans les camps de filtration « mis en place par les Russes et où est incarcérée la population tchétchène ». En même temps, Jack Lang a réclamé la création d’une commission d’enquête internationale pour « établir la lumière sur les crimes commis en Tchétchénie » par les troupes russes (le 16 février 2000) (88).

Cependant, le philosophe français André Glucksmann va plus loin et qualifie le gouvernement russe d' »Etat-voyou qui n’a plus l’idéologie d’autrefois, mais en adopte les méthodes ». Il accuse l’Europe de s’être « endormie dans la démocratie et la prospérité » (le 14 mars 2000) (89). Ensemble avec le cinéaste Romain Goupil, Glucksmann lance un appel contre la guerre russe en Tchétchénie : « Grozny rasée, en toute impunité. Villages brûlés, en toute impunité. Blessés achevés, en toute impunité. Corps torturés, en toute impunité. Femmes et hommes violés, en toute impunité. Peuple écrasé, en toute impunité. Silence international, en toute complicité. Signataire de cet appel, je demande le respect du contrat fondateur, anti-fasciste, anti-colonial, anti-totalitaire. Sans quoi l’Europe n’est qu’une association de pense-petits, une communauté de la honte » (le 23 mars 2000) (90). L’appel a été signé par quelques deux cent personnalités.

La position russe est restée inflexible. Un certain « dégel » des relations franco-russes s’est produit lors de la visite de Vladimir Poutine à Paris en automne 2000, qui n’a fait que des concessions peu considérables dans le dossier tchétchène.

  1. C) Allemagne : critiques mesurées d’un nouveau leader européen.

Le chancelier allemand Helmut Kohl s’est presque abstenu de tout commentaire de la crise tchétchène, en laissant à son ministère des Affaires étrangères le soin d’exprimer l’attitude officielle en 1994-1995. Cela s’explique probablement par le souhait de Kohl de garder de bons rapports personnels avec Eltsine.

L’attitude allemande était alignée sur celle des Etats-Unis et proche de celle de la France, à la différence qu’elle était exprimée également à travers l’OTAN, dans lequel le lobby allemand était particulièrement fort. Au début, Berlin a rejoint la déclaration américaine sur « l’affaire intérieure russe » et a souhaité « qu’une solution politique puisse être encore trouvée par la concertation » (le 25 décembre 1994) (91). Quelques jours plus tard, le ministre allemand des Affaires étrangères, Klaus Kinkel, souhaite une « solution politique à ce conflit inter-russe » (le 30 décembre 1994) (92). Ensuite, l’Allemagne annonce qu’il n’existe aucun doute que les troupes russes ont bafoué les droits de l’Homme dans la République sécessionniste. Pour Klaus Kinkel, la guerre en Tchétchénie est une « tragédie pour les deux côtés » (le 2 janvier 1995) (93). Il déclare : « Nous avons clairement dit à la Russie que les droits de l’Homme doivent être respectés dans ce conflit et que tout doit être fait pour éviter des pertes civiles ». En même temps, le ministère des Affaires étrangères fait savoir qu’il était « hors de doute que les droits de l’Homme sont violés en Tchétchénie » (94). Klaus Kinkel note que l’assaut de l’armée russe sur Grozny était largement disproportionné, tout en précisant que le conflit tchétchène ne peut pas être résolu depuis l’étranger et que l’Allemagne continuait à soutenir Boris Eltsine (le 3 janvier 1995) (95). Par la suite, le ministre reconnaît que « personne ne peut contester à la Russie le droit de refuser de laisser une partie d’elle-même prendre ses distances » et que « la Tchétchénie n’avait « aucun droit à revendiquer son indépendance » (le 4 janvier 1995) (96). Un leader du Parti Chrétien Démocrate de Helmut Kohl, Karl Lamers, a indiqué que la continuation de la crise tchétchène pourrait nuire aux relations de la Russie avec l’Occident (le 4 janvier 1995) (97). Le ministre de la coopération Carl-Dieter Spranger (CSU) note pour la première fois que l’opération militaire en Tchétchénie « ne devrait pas être réduite à une affaire de politique intérieure russe » (le 5 janvier 1995) (98). Cela a constitué un tournant dans l’appréciation allemande de la crise tchétchène. La position allemande se radicalise au fur et à mesure de la progression des troupes russes à Grozny. Klaus Kinkel déclare que les droits de l’Homme, les principes de droit international et de l’OSCE étaient bafoués en Tchétchénie « d’une façon inacceptable » (le 16 janvier 1995) (99) et annonce que si les choses continuaient de la même façon en Tchétchénie, les investissements et le support économique pourraient être « automatiquement stoppés » (le 23 janvier 1995) (100). Il renouvelle ses demandes à Moscou d’arrêter « les atrocités militaires » en Tchétchénie (le 8 mai 1995) (101).

Pendant toute cette « charge diplomatique » de Bonn sur Moscou, l’apport du chancelier Kohl était assez modeste. Le chancelier s’exprime, début janvier 1995, en annonçant que « les dirigeants et le parlement russes sont tenus de trouver une solution en commun accord avec la Tchétchénie pour mettre un terme aux effusions de sang » (le 6 janvier 1995) (102). Le discours kohlien semble être très « soft » en comparaison de celui de son ministre Kinkel, dont le vocabulaire abondait en terme visiblement plus durs.

L’attitude de Berlin lors de la deuxième crise tchétchène, en automne 1999, était plus radicale. A la différence de Kohl, Schrôder prend une part active dans la campagne de dénonciation des atrocités de militaires russes, commises en Tchétchénie. Son ministre des Affaires étrangères, Joschka Fisher, annonce que la Russie commettait « une erreur monumentale » en poursuivant ses opérations militaires en Tchétchénie. Il exhorte Moscou à mettre fin à cette « guerre coloniale » (103). En même temps, le chancelier juge le comportement de Moscou « très inquiétant » (le 10 décembre 1999) (104). Par la suite, Joshka Fisher annonce : « Nous condamnons très clairement la guerre de Moscou contre les Tchétchènes, qui ne peut pas prétendre qu’il s’agit d’une guerre contre les terroristes » (le 17 avril 2000) (105). L’attitude allemande était chaque fois adoptée en concertation avec la France, l’Allemagne faisant tout pour élaborer une politique étrangère commune européenne dans le dossier tchétchène, dans laquelle elle jouait un rôle de plus en plus important. De cette façon, il est assez difficile de trouver des différences dans la tonalité des déclarations de Klaus Kinkel et d’Alain Juppé, de Joschka Fisher et de Hubert Védrine, de Jacques Chirac et de Gerhard Schrôder.

  1. D) Royaume-Uni: la question des otages britanniques conduit au rapprochement avec Moscou.

Le premier contact des autorités anglaises avec la Tchétchénie sécessionniste s’est produit dans le cadre de l’affaire des frères Outsiev, sauvagement assassinés et démembrés à Londres, en mars 1993. Selon Scotland Yard, ils étaient impliqués dans des opérations financières douteuses et dans le blanchiment de l’argent. Ils ont été abattus pour leur rôle d’intermédiaires dans les trafics d’armes, destinées à l’Azerbaïdjan. Rouslan Outsiev était conseiller du président Doudaëv sur les questions économiques (début mars 1993) (106).

Pendant la première crise tchétchène de 1994-1996, les autorités britanniques ont pris la même attitude que Washington. Londres appelle en faveur d’une solution négociée au conflit (le 25 décembre 1994) (107). Ainsi, le ministre des Affaires étrangères déclare que ce conflit peut constituer un danger pour la sécurité en Europe (108), alors que le secrétaire britannique sur les Affaires étrangères exprime son inquiétude à Kozyrev. Il demande: « une cessation rapide des combats pour mettre fin aux pertes civiles, des secours humanitaires (…) et une solution politique » (le 8 janvier 1995) (109). Par la suite Hurd critique l’assaut de Grozny, en le qualifiant de « travail bâclé » et désapprouve « l’usage de la force entièrement disproportionné », qui a causé « des souffrances aux civils » (le 20 janvier 1995) (110).

A partir de 1996, des sujets britanniques, travaillant dans les organisations humanitaires ou dans les projets économiques, sont enlevés à trois reprises en Tchétchénie. D’abord, c’était Michael Penrose, employé d’une ONG « Action Contre la Faim ». Les kidnappeurs demandent une rançon de 500 mille dollars (le 27 juillet 1996) (111). Après un mois de captivité Penrose était relâché (le 25 août 1996) (112). En décembre 1996, six employés, dont cinq femmes, de la Croix Rouge Internationale, ont été tués en Tchétchénie. Les ONG britanniques évacuent immédiatement leurs employés de la République (le 17 décembre 1996) (113). En juillet 1997, un couple britannique, John James et Camille Carr, est enlevé en Tchétchénie (le 2 juillet 1997) (114). Ils étaient arrivés afin d’aider les enfants, victimes de la guerre et sont restés en captivité pendant 14 mois (le 20 septembre 1998) (115). Avec leur libération la série d’enlèvements ne s’est pas achevée. Début octobre, trois ingénieurs en télécommunications britanniques et un Néo-Zélandais ont été kidnappés et décapités en Tchétchénie. Les images avec leurs têtes ont passé sur les écrans du monde entier, en choquant profondément la société occidentale (le 4 octobre 1998, le 8 décembre 1998) (116).

Malgré les enlèvements, le Président tchétchène Maskhadov a réussi à trouver des alliés en Grande-Bretagne, notamment, le groupe financier d’un millionnaire franco-britannique James Goldsmith. En novembre 1997, sur l’initiative du groupe un fonds d’investissements caucasien était créé à Londres. Parmi les fondateurs étaient un ex-vice-Premier ministre tchétchène Khoj-Akhmed Noukhaëv, lord Alistair Mc Alpine, ami personnel de Margaret Thatcher et président du Referendum Movement, et Francis Pike, homme d’affaires britannique influent (le 20 novembre 1997) (117). L’ancien trésorier du Parti Conservateur Lord Mc Alpine était connu comme quelqu’un qui entretenait des relations étroites avec le gouvernement tchétchène.

En mars 1998, Maskhadov se rend en visite privée à Londres. Il est reçu avec pompe au palais de Westminster et par l’ex-Premier ministre Margaret Thatcher, qui l’a interrogé au sujet de deux sujets britanniques, retenus en otages en Tchétchénie. Cependant, le Foreign Office a publié une déclaration au sujet de la visite de Maskhadov : « Le sujet de coopération économique et commerciale entre la Grande Bretagne et le membre constitutif de la Fédération de Russie en question ne sera même pas pris en considération jusqu’à ce que la situation en Tchétchénie soit complètement réglée et que les otages soient immédiatement libérés » (118).

Cette visite a été organisée grâce à un certain Imran Khan, ancien capitaine de la sélection pakistanaise de cricket et mari de Jemima Goldsmith, fille du millionnaire James Goldsmith, décédé au moment de la visite. Goldsmith était connu pour sa position anti-Maastricht. Il a organisé un mouvement en Grande-Bretagne pour organiser un référendum sur la sortie de l’Union Européenne. Il a été élu en 1994 au Parlement européen, où, en collaboration avec

Philippe de Villiers, il a créé un groupe parlementaire « Europe des Nations », dont il a été le leader jusqu’à sa mort en 1997.

On sait qu’en 1997, Imran Khan s’est rendu en Tchétchénie en tant que médiateur, originaire d’un pays islamique, afin de libérer les otages britanniques. Il a établi des relations amicales avec Aslan Maskhadov et a plaidé la cause tchétchène auprès du clan Goldsmith. En 1998, le groupe Goldsmith envisageait de promouvoir une Trans-Caucasus Energy Company, devant commercialiser le pétrole tchétchène, alors que le Fonds d’Investissements Transcaucasien, sous la présidence de Mc Alpine, avait pour objet la reconstruction de l’économie tchétchène. Ces deux compagnies ont sponsorisé la visite de Maskhadov (119).

Eventuellement à cause des otages, ayant été retenus ou décapités en Tchétchénie, et en raison du soutien à la cause tchétchène par des conservateurs, proches de Thatcher, Tony Blair a réduit au minimum les critiques de la seconde campagne de Tchétchénie, entamée par l’armée russe en automne 1999. En pleine campagne de Tchétchénie, le premier ministre britannique était le premier dirigeant occidental à avoir rencontré Vladimir Poutine, sans exercer aucune critique ni pression sur les méthodes militaires russes en Tchétchénie. C’est pour cette raison que Vladimir Poutine, nouvellement élu président de la Fédération de Russie, a effectué sa première visite en tant que chef d’Etat en Occident à Londres. Durant la visite, un porte-parole de Tony Blair a déclaré que le côté anglais ne souhaitait pas que l’intégralité des rapports entre Moscou et Londres fût construite autour du dossier tchétchène (le 17 avril 2000) (120). Qui plus est, l’axe continental, constitué à l’époque de Eltsine, Moscou-Berlin-Paris, a été remplacé au profit de celui Moscou-Londres-Berlin.

Très soucieux du destin de ses nationaux, Londres a suivi l’enquête sur le meurtre de 3 ingénieurs britanniques et de leur collègue néo-zélandais, enlevés et décapités en Tchétchénie, en décembre 1998. Quand leurs ravisseurs et assassins présumés ont été arrêtés en Azerbaïdjan et extradés vers la Russie, Londres s’est réjoui officiellement de cette arrestation (le 14 mars 2001) (121).

Les Britanniques ont fait preuve d’un pragmatisme politique en ce qui concerne la crise tchétchène. Le soutien politique de certains milieux d’affaires (clan Jimmy Goldsmith) s’expliquait par des raisons purement mercantiles (Maskhadov a promis à ses bienfaiteurs anglais le monopole d’extraction pétrolière tchétchène). Dès que la Géorgie a refusé le transit du pétrole tchétchène sur son territoire, Maskhadov était abandonné. Les autorités britanniques ont désavoué l’opération militaire de l’armée russe de 1994-1996. Cependant, elles se sont alignées sur la ligne américaine, alors que les pays continentaux (France, Allemagne, Italie) ont fait front diplomatique commun. Après les enlèvements de sujets britanniques et notamment après la décapitation d’ingénieurs en 1998, dont les images horribles étaient retransmises dans le monde entier, Londres a évité d’exercer une pression trop évidente sur Moscou. Qui plus est, c’est avec Blair que Poutine a établi en premier des relations. Le Premier ministre britannique est devenu rapidement l’interlocuteur privilégié de Moscou en Europe de l’Ouest.

  1. E) Europe de l’Est : l’anti-impérialisme est le meilleur laissez-passer dans l’UE. -Pologne: virage idéologique et critiques de Moscou.

L’ancien électricien et l’ancien leader du syndicat des chantiers navals de Gdansk, Lech Walesa était élu président polonais le 9 décembre 1990. Lors de sa présidence il est devenu champion du rapprochement de l’Occident au détriment des relations avec la Fédération de Russie. La politique de Walesa était fortement marquée par un conservatisme nationaliste et la présence de l’Eglise catholique dans les affaires de l’Etat.

Certes, la Pologne était restée indifférente à l’existence d’une République auto-proclamée entre 1991 et 1994. Le tournant dans son attitude s’est produit en décembre 1994. Ainsi, les médias ont rapporté que des manifestants polonais se sont réunis devant l’ambassade russe à Varsovie (le 18 décembre 1994) (122). On a noté également la présence, sur le territoire polonais, de cinq centres d’aide à la Tchétchénie, accusés par les autorités russes de fournir des armes sous la couverture d’aide humanitaire. Une autre série de manifestations anti-russes a accompagné la visite officielle du premier ministre Viktor Tchernomyrdine en Pologne en

mars 1995 (123).

Le président Walesa a attendu début janvier 1995 avant d’exprimer « la préoccupation et l’angoisse » des Polonais qui suivaient les événements en Tchétchénie. Il a indiqué qu’il était « impossible de résoudre un conflit de souveraineté » avec l’usage de la force et a appelé les parties aux négociations (le 4 janvier 1995) (124). Ensuite, Walesa demande « l’arrêt des combats » (le 5 janvier 1995) (125). Par la suite, le comité des Affaires étrangères du parlement polonais dénonce les actions de l’armée russe en Tchétchénie (le 20 janvier 1995)

(126).

Varsovie n’a fait qu’appuyer la pression diplomatique conjointe des Occidentaux sous l’égide des Etats Unis, sur le régime de Eltsine afin de résoudre politiquement le conflit. Le soutien polonais a continué par la suite. La Pologne était le seul pays avec Israël à avoir été présents à l’intronisation du Président tchétchène Aslan Maskhadov, élu en début 1997 (le 12 février 1997) (127).

Plusieurs organisations tchétchènes et pro-tchétchènes fonctionnaient en Pologne pendant la deuxième campagne tchétchène en 1999-2000. Parmi ces organisations, il y avait le Centre Tchétchène d’Information, le Comité Caucase Libre et le Comité Pologne-Tchétchénie. Au jour anniversaire de déportation tchétchène en Asie Centrale, le 23 février 2000, des manifestations avec la participation de Tchétchènes et de Polonais se sont déroulées devant l’ambassade russe à Varsovie et devant les consulats russes à Krakow, Gdansk et Poznan. A Poznan, des manifestants ont investi le consulat, arraché le drapeau russe, l’ont brûlé en public et ont installé le drapeau tchétchène sur le toit du consulat. Ensuite, les assaillants ont tagué les murs du consulat avec des slogans anti-russes et des croix gammées. Ils ont signé « leur travail » : « Le Comité Caucase Libre 23.02.1944-23.02.2000 ». Cette action, a provoqué une crise dans les relations russo-polonaises. L’ambassadeur polonais à Moscou a été convoqué par le ministère des Affaires étrangères russe, où il a reçu une protestation officielle au sujet de l’action de Poznan. Moscou l’a caractérisée comme « un acte de banditisme » et « une profanation des symboles d’Etat russe » (le 24 février 2000) (128).

-République tchèque : Havel demande à Moscou « l’approfondissement de la démocratie ».

La République Tchèque était le premier pays d’Europe de l’Est à avoir critiqué la campagne militaire russe en Tchétchénie. Pour le ministre tchèque des Affaires étrangères, « la manière de résoudre la crise tchétchène » dépassait la défense légitime de l’Etat (le 23 décembre 1994). Vaclav Havel a demandé à Moscou d’arrêter les combats et d’engager les négociations en Tchétchénie (le 5 janvier 1995) (129).

Pendant la deuxième campagne, le président Havel condamne la Russie, dont l’oppression, selon lui, était principalement responsable du terrorisme dans le Caucase. Il souligne que la Russie se conduit « depuis longtemps de manière arrogante à l’égard des peuples du Caucase » (le 8 novembre 1999) (130). Par la suite le Président demande à Poutine de mettre fin à la « guerre tragique » en Tchétchénie parce que « l’approfondissement de la démocratie, de la société civile et du respect des droits de l’Homme constituent des valeurs qui devaient nous unir » (le 28 mars 2000) (131).

-Hongrie : diplomates hongrois, intermédiaires entre l’OSCE et la Russie.

L’élite hongroise, très proche historiquement des milieux politiques austro-allemands, s’est prononcée contre la solution militaire du conflit en Tchétchénie. Ainsi, le ministère hongrois des Affaires étrangères a recommandé à la Russie de choisir la voie de négociations pour résoudre la crise tchétchène (le 3 janvier 1995). Cette intervention a cependant été amortie par le gouvernement hongrois qui faisait savoir qu’il ne reconnaissait la Tchétchénie qu’en tant que membre de la Fédération de Russie (le 4 janvier 1995) (132).

Ensuite, des diplomates hongrois, tels Istvan Gyarmati, représentant spécial de l’OSCE, ont participé au règlement de la crise tchétchène dans le cadre de l’OSCE (le 5 janvier 1995, le 9 janvier 1995, le 10 janvier 1995, le 30 janvier 1995) (133).

3 Chine : soutien stratégique de Moscou dans l’affaire tchétchène.

La Chine était pratiquement le seul pays à ne pas condamner les opérations militaires russes

en Tchétchénie, ni en 1994-1996, ni en 1999-2000.

Le premier ministre chinois lors de sa visite à Moscou a soutenu sans réserve la campagne que la Russie menait en Tchétchénie. Li Peng a exprimé une « compréhension complète des actions, entreprises par le côté russe afin de préserver l’unité du pays ». En réponse, le Premier ministre russe a démontré son soutien à la Chine, « une et indivisible ». Viktor Tchernomyrdine a déclaré que les demandes de Taïwan d’être membre de l’ONU étaient « sans fondement » (le 27 juin 1995). Le directeur du département de l’information et de la presse du ministère des Affaires étrangères, Grigori Karassine, a déclaré que « Taïwan est une partie inaliénable de la Chine, et la question de Taïwan est une affaire interne au peuple chinois » (le 21 mars 1996)

(134).

Après son arrivée au pouvoir, Aslan Maskhadov a tenté d’effectuer une percée diplomatique. A travers l’ambassade de Chine à Almaty, au Kazakhstan, il a proposé à Pékin d’échanger des « représentants officiels ». La Chine a fait savoir qu’elle considérait la Tchétchénie comme « une partie intégrante et membre de la Fédération de Russie. Pékin a informé Moscou de son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Russie (fin septembre 1997) (135).

En 1999, une déclaration conjointe sino-russe a constaté que « le côté chinois soutient les actions, entreprises par le gouvernement de la Fédération de Russie, dirigées pour combattre les forces terroristes et séparatistes. » (136). En même temps, le président Jiang Zemin, non seulement a soutenu les efforts militaires russes en Tchétchénie, « destinés à préserver son intégrité territoriale », mais était également prêt à prendre en considération le fait que les pertes civiles importantes étaient inévitables dans ces circonstances (136). De son côté la Russie a soutenu « la grande cause de la réunification de la Chine » (10 décembre 1999) (137).

Lors d’une visite à Moscou du ministre chinois des Affaires étrangères, Pékin et Moscou se sont échangés des assurances de soutien mutuel sur les deux problèmes qui mettent en désaccord la Chine et la Russie avec le monde occidental : la Tchétchénie et Taïwan (le 1er mars 2000) (138). Après sa visite en Chine, le commissaire russe sur les droits de l’Homme a rapporté que le côté chinois comprenait et soutenait « nos actions contre les bandes armées

illégales en Tchétchénie » (le 16 mars 2000) (139).

Le rapprochement sino-russe, qui a commencé à partir du printemps 1995, se fondait sur un rejet du monde unipolaire. Boris Eltsine et Jiang Zemin ont annoncé l’avènement du nouvel ordre mondial, basé sur le monde multipolaire. Dans cette conception du monde multipolaire, les deux côtés insistaient sur la primauté de l’intégrité territoriale et sur l’inadmissibilité de l’ingérence humanitaire. Le soutien de Pékin aux actions militaires russes en Tchétchénie était une base pour le rapprochement des deux pays, soumis aux pressions occidentales.

4 Turquie : les islamistes du Refah voulaient « libérer » la Tchétchénie.

La Turquie abrite une importante communauté de ressortissants nord-caucasiens, émigrés en Empire Ottoman au XIXème siècle. Ils sont sur représentés dans l’armée et les services spéciaux turcs (MIT). Par exemple, un ancien chef d’Etat-Major de l’armée turque, Dogan Giirefl est d’origine tchétchène par sa mère (140), alors que le général Doudaëv, lors de sa visite en Turquie, en janvier 1993 a parlé sans interprète, en tchétchène, avec le ministre de la défense turc, dont les ancêtres étaient tchétchènes d’origine (141).

La Turquie a suivi de près l’affaire tchétchène dès 1991. En raison du blocus que Moscou a instauré en novembre 1991, le gouvernement turc a envoyé des produits alimentaires à Grozny, en signe de solidarité (le 19 novembre 1991) (142).

En 1992-1993, le général Doudaëv s’est rendu plusieurs fois en Turquie, où il était reçu par le président truc Turgut Ôzal (les 31 septembre – 2 octobre 1992, les 23-24 janvier 1994) (143). Le général Doudaëv est allé également dans la République turque de Chypre du Nord (RTCN), autoproclamée en 1983, et reconnue seulement par la Turquie. Il s’est entretenu longuement avec son Président, Rauf Denktash, probablement dans l’espoir d’obtenir une reconnaissance de la part de la RTCN (144). En 1994, sous l’égide tchétchène, une « Représentation caucasienne » était inaugurée à Istanbul (début février 1994) (145).

Le Président tchétchène a entretenu d’excellentes relations avec le leader nationaliste turc Alparslan Turkefl et son parti ultra nationaliste MHP (Milliyetçi Hareket Partisi, Parti d’action nationale) (146). On note également la présence des Bozkurtlar (Loups Gris), milice paramilitaire du MHP, aux côtés de combattants tchétchènes, en 1994-1995 (147). Cependant les Bozkurtlar, milice extrémiste de jeunes du MHP, sont restés interdits, depuis 1980, par les autorités turques. Les Bozkurtlar existent en semi-légalité sur la base de plusieurs clubs de jeunesse, tel l’Ûlku Ocaklari (Coeurs Idéalistes) (148).

En 1994-1996, d’autres partis politiques ont également soutenu la cause, tels le parti islamiste de la Prospérité (Refah Partisi) ou le Parti de la grande Union (Buyuk Birlik Partisi). Lors des élections de mars 1995, le Refah exploitait le sujet suivant : « la guerre en Tchétchénie, comme les autres conflits (Palestine, Cachemire, Bosnie), était une des faces du djihad mené par nos frères » (149). Le leader du Refah Necmettin Erbakan avait dans son programme « la libération de l’Azerbaïdjan, de la Bosnie et de la Tchétchénie » (150). Cependant, le parti Refah d’Erbakan a occupé la position dominante au parlement suite aux élections législatives anticipées, en obtenant 21,9% de votes (le 24 décembre 1995) (151). Le Refah a perdu le pouvoir en mai 1997. La cour constitutionnelle l’a interdit en janvier 1998 (152).

Malgré une série de meetings de solidarité avec la Tchétchénie (le 30 novembre 1994) (153), Ankara a décidé de ne pas afficher son soutien à la Tchétchénie. Certes, elle a exprimé son inquiétude face à « la montée des hostilités dans le Caucase » (le 11 décembre 1994) (154) et sa préoccupation de « la tragédie humaine qui était en train de s’accomplir en Tchétchénie (le 10 février 1995) (156), mais reconnaissait qu’il s’agissait d’une « affaire intérieure russe » (157). Le ministre turc des Affaires étrangères, Ferhat Ataman, a déclaré qu’Ankara « s’inquiète sérieusement des conséquences plus graves et imprévisibles » du conflit tchétchène sur la région (le 5 janvier 1995) (158). Les manifestants pro-tchétchènes se sont heurtés à la police à Istanbul, alors que des cocktails Molotov ont été lancés dans l’enceinte du consulat russe d’Istanbul (le 8 janvier 1995) (159). La neutralité d’Ankara s’expliquait par deux raisons. Premièrement, la Turquie combattait, elle-aussi, une guérilla séparatiste, au Kurdistan, et elle souhaitait éviter une équation Tchétchénie = Kurdistan. Deuxièmement, elle entretenait d’excellents rapports commerciaux avec Moscou.

Cependant, les relations russo-turques se sont tendues pendant la première campagne de Tchétchénie à de nombreuses reprises. Tout d’abord, la Russie a multiplié les accusations à l’égard d’Ankara, en affirmant que 500 citoyens turcs combattaient aux côtés de doudaëviens (le 30 janvier 1995) (160) et dénonçant l’ingérence turque dans le conflit tchétchène (le 1er juin 1995) (161). Le ministère des Affaires étrangères russe a fait savoir que des agents des services secrets turcs se trouvaient aux côtés de rebelles en Tchétchénie. L’ambassadeur turc à Moscou était convoqué pour recevoir une protestation (162).

L’épreuve majeure dans les relations entre Moscou et Ankara était la prise en otages des passagers russes d’un ferry, Avrasya, faisant son trajet entre Trébizonde et Sotchi, en janvier 1996. La prise d’otages était effectuée par un commando, composé de Turcs, d’origine nord-caucasienne, sous la direction de Mohammed Tokçan, un Abkhaze turc, qui a combattu en Abkhazie en 1992. Les terroristes ont demandé la cessation de combats à Pervomaïskoïe, au Daghestan, où le commando de Salman Radouëv était encerclé par les troupes russes, et la possibilité pour ce commando de passer en Tchétchénie. Le commando pro-tchétchène de l’Avrasya appartenait à un groupe « Les petits-fils de Chamil » (en honneur de l’imam Chamil, héros de la lutte anti-coloniale au Caucase au XIXème siècle), (les 17-19 janvier 1996) (163). On a soupçonné le commando de Tokçan ainsi que les combattants de Bassaëv d’être rallié au groupe islamiste terroriste turc IBDA-C (164). Cette information n’a pas pu être confirmée.

Peu après la prise de l’Avrasia, le Président turc Demirel a donné la position turque officielle: « La Turquie, liée au Caucase par des liens particuliers, est intéressée par la conservation et la consolidation de la paix et de la stabilité dans la région. C’est pour cela que nous sommes profondément préoccupés par les conflits du Caucase, qui conduiraient inévitablement à la renaissance de manifestations hostiles, vieilles d’un siècle. Ils menacent également de se répandre dans les zones adjacentes et au-delà. La prise du ferry touristique Avrasia l’a démontré à l’occasion de la crise tchétchène. Cet incident a mis en lumière deux importantes circonstances. Premièrement, les actes terroristes constituent un danger commun pour toutes les sociétés. Deuxièmement, le conflit tchétchène représente un facteur déstabilisateur très sérieux dans toute la région » (165). Le directeur de l’Institut de la politique extérieure de la Turquie, Seïfi Tachkhan, a reconnu que les Turcs n’approuvaient pas les actions russes en Tchétchénie. Il a rajouté que, quelle que soit l’attitude de la société turque vis-à-vis des événements en Tchétchénie, « la politique d’Etat de la Turquie suit strictement le principe de non-ingérence dans les affaires caucasiennes »(166).

Il existe des informations que la Turquie sous la couverture d’aide humanitaire a livré des armes en Tchétchénie, en 1991, alors que la presse a noté la présence d’instructeurs militaires turcs dans cette République qui entraînaient les combattants tchétchènes (167). Une source, bien informée et probablement proche de la FSB, indique que la veille de l’introduction des troupes russes en Tchétchénie, le procureur général tchétchène de Doudaëv, Ousman Imaëv, s’est mis d’accord avec les représentants du MIT (services spéciaux turcs) sur les livraisons des anciennes armes soviétiques, achetées par la Turquie en Allemagne de l’Est, à Doudaëv (le 4 décembre 1994) (168). Selon cet accord, une base d’aviation doudaëvienne (avions AN-24 et AN-26) a été créée dans un aérodrome, situé près de Bitlis, au Kurdistan turc. Les armes et munitions devaient être livrées par avion par deux itinéraires Bitlis – Nassossnaïa (Azerbaïdjan) ou Bitlis – Tchitral – Nassossnaïa (Azerbaïdjan). Depuis Nassossnaïa, les armes étaient transportées en Tchétchénie (169). Les livraisons d’armes depuis la Turquie ont été confirmées par d’autres sources (170).

En août 1995, les services spéciaux russes ont découvert qu’une firme turque « Celebiler isaat », organisait l’enrôlement de mercenaires et leur envoi en Tchétchénie. Sous l’égide d’un certain parti politique turc Milki Halki Partisi, une base d’entraînement de mercenaires a été créée dans une cité universitaire de Top Kopa, à Istanbul. Selon les données du FSB, plus de 10 mille mercenaires se trouvaient dans cette base, alors que le dernier groupe de 100 personnes a été envoyé en Tchétchénie le 5 juillet 1995. Le groupe était commandé par un fils de Doudaëv, qui se trouvait dans un hôpital en Turquie, après avoir été blessé (171). D’autres sources confirment que certains partis politiques ont organisé une collecte d’argent pour les indépendantistes tchétchènes, alors que des combattants blessés de Doudaëv étaient en traitement dans les hôpitaux turcs, en 1994-1996 (172). En novembre 1995, le parlement turc a adopté une loi, donnant l’asile politique à tous ceux qui ont participé à des actions armées, menées en dehors du territoire turc (173). Cette loi a ouvert les portes de la Turquie aux doudaëviens.

Après son arrivée au pouvoir, le colonel Maskhadov s’est rendu au moins une fois en Turquie, d’où il a déclaré devant les journalistes que la Tchétchénie ne resterait pas membre de la Fédération de Russie et poursuivrait son chemin vers l’indépendance (début novembre 1997)

  • . Le soutien indirect de la Turquie a réveillé en Tchétchénie les espoirs d’une reconnaissance internationale, au point que Movladi Oudougov a déclaré que l’opinion publique et les leaders politiques américains et turcs étaient prêts à reconnaître la Tchétchénie en tant que « sujet du droit international », alors que Maskhadov était vu à l’étranger comme un « Président d’un Etat libre » et le « leader des musulmans du Caucase » (mi-décembre 1997)
  • .A la différence des pays occidentaux, l’attitude d’Ankara était plus modérée pendant la deuxième campagne de Tchétchénie, ce qui n’a pas empêché Vladimir Poutine d’avoir soupçonné la Turquie d’exporter le terrorisme en Russie. Il a fermé les frontières du Nord-Caucase, où les entreprises turques étaient particulièrement présentes, aux avions et aux navires turcs (le 9 novembre 1999) (176). Dix jours plus tard, Moscou a interdit l’accès au Nord-Caucase aux camions, en provenance de la Turquie (le 19 novembre 1999) (177). La Turquie a fini par rejoindre les appels de la communauté internationale à arrêter l’action militaire en Tchétchénie. Moscou a affirmé qu’une aide financière et matérielle transitait à travers la Turquie. Or, il était difficile de prouver ce fait. Les groupes islamistes turcs ont fait savoir que leur soutien se limitait à une aide humanitaire (178) (le 2 février 2000) (179). Alors qu’officiellement, la Turquie a pris une position neutre vis-à-vis du conflit tchétchène, l’opinion publique, certains partis politiques et la diaspora nord-caucasienne de Turquie ont soutenu politiquement, financièrement, militairement et moralement les indépendantistes tchétchènes.

5 Monde arabo-musulman : Tchétchénie et projet du Califat.

-Arabie Saoudite, Qatar et Emirats Arabes Unis : appel à la « Nation islamique » pour aider la Tchétchénie.

L’Arabie Saoudite a financé la construction de nombreuses mosquées et d’écoles coraniques en Tchétchénie. Trois mois avant la révolution tchétchène de 1991, une importante délégation de la Ligue Islamique Mondiale, basée en Arabie Saoudite, s’est rendue à Grozny pour superviser l’emploi des fonds (mai 1991) (180). En 1992, le Président Doudaëv a visité l’Arabie Saoudite et a rencontré le roi Fahd (le 25 août 1992) (181). Il semble que pendant une période, l’Arabie Saoudite envisageait d’exercer une pression sur les pays islamiques afin de reconnaître la Tchétchénie. Ainsi, les pays islamiques devraient discuter cette question au cours d’une réunion à Djedda, en Arabie Saoudite, en présence du « ministre des Affaires étrangères » tchétchène Chamsoutdine Youssouf (fin novembre 1992) (182).

En 1994-1996, l’Arabie Saoudite a lancé un appel d’urgence à la « Nation islamique » pour arrêter l’introduction de troupes fédérales dans la république sécessionniste (le 12 décembre 1994) (183). Par la suite le cabinet du roi Fahd a recommandé aux pays islamiques de faire tout pour arrêter l’intervention militaire russe et pour prévenir l’effusion de sang en Tchétchénie (le 14 décembre 1994) (184). En août 1995, la presse saoudienne a vitupéré Moscou, en soulignant que « la Russie demeure l’ennemie de l’islam et des Musulmans ». En même temps, Ryad a demandé à Moscou de « ne plus utiliser la force contre la République tchétchène » (le 2 août 1995) (185).

En 1999-2000, les responsables daghestanais ont accusé entre autres l’Arabie Saoudite d’avoir soutenu les militants wahhabites, qui ont agressé leur République, (le 19 août 1999) (186) et ont noté la présence aux côtés des combattants tchétchènes de plus de 300 combattants arabes, originaires entre autres de l’Arabie Saoudite (début octobre 1999) (187). Vladimir Poutine a inclut l’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golf, tels les Emirats Arabes Unis et le Qatar, dans la « liste noire » des pays, « exportateurs du terrorisme » en Russie (le 9 novembre 1999) (188). Une source proche des services spéciaux russes a indiqué que la collecte de l’argent pour les indépendantistes tchétchènes s’est déroulée très activement en Arabie Saoudite, ainsi que dans d’autres pays du Golf: au Koweït, aux Emirats Arabes Unis et au Qatar. Le montant total de la collecte s’élevait à 7 millions de dollars. L’argent devrait être utilisée pour régler les mercenaires, acheter les armes et les munitions (mi-janvier 2000) (189).

-Jordanie : soutien politique indirect.

Ce pays du Moyen-Orient possède une importante communauté tchétchène, présente en Jordanie depuis plus d’un siècle. Les Tchétchènes de Jordanie servent dans l’armée, alors qu’un cheikh jordanien d’origine tchétchène, Abdoul Baki Djamo, était ministre du gouvernement jordanien. Pendant l’intronisation de Doudaëv, Djamo tenait un coran sur lequel le premier Président tchétchène a prêté serment (le 9 novembre 1991) (190). Le Premier ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Doudaëv, Chamil Béno (191), était un Jordanien réimmigré (le 14 décembre 1991) (190). Les médias ont communiqué qu’une « armée tchétchène » se formait en Jordanie pour aider la cause des indépendantistes tchétchènes (191). Doudaëv a visité la Jordanie, en novembre 1993. Le ministère des Affaires étrangères russe a adressé une note de protestation à Amman et exprimé son mécontentement de ce que la Jordanie avait « reçu Doudaëv, Président d’un pays non-reconnu par le droit international, comme un chef d’Etat ». De son côté, le ministère des Affaires étrangères jordanien a protesté contre l’ingérence de Moscou dans les Affaires étrangères de la Jordanie (le 22 novembre 1993).

En septembre 1994, le chef du SVR (Service des Renseignements Extérieurs) Evgueni Primakov a rencontré le roi Houssein de Jordanie et l’a prévenu que tous les contacts officiels avec le général Doudaëv étaient inadmissibles. De son côté, le roi a essayé de faire pression sur la communauté tchétchène de Jordanie, afin qu’elle laisse comprendre à Doudaëv que ses prétentions d’être reconnu comme « l’unique chef d’Etat légitime de la Tchétchénie et le leader du peuple tchétchène » n’étaient pas approuvées. Houssein a recommandé aux Tchétchènes jordaniens de ne pas entretenir de relations avec le régime de Doudaëv. Enfin, le cheikh Djamo a déclaré que le président Doudaëv n’a pas respecté le serment qu’il avait donné en novembre 1991 et qu’il devait quitter son poste (fin novembre 1994) (192).

La diaspora tchétchène, bien représentée au parlement jordanien, a soutenu l’indépendance tchétchène, ce qui a provoqué une réaction très négative de la part du ministre russe des Affaires étrangères. Le roi Houssein s’est dissocié de l’opinion de son parlement, en condamnant les déclarations de députés. Il a informé Moscou que la position officielle d’Amman n’a pas changé : « Les événements en Tchétchénie étaient une affaire intérieure russe. » (le 20 décembre 1994) (193).

 

Il semble que la Jordanie n’a pas souhaité participer directement au conflit tchétchène, cependant, selon certaines sources, elle a aidé les indépendantistes tchétchènes financièrement (194).

-Yémen : les islamistes envoient des volontaires.

Les Izvestia ont rapporté que les instructeurs militaires, représentant l’aile radicale du parti Islah (Parti Yéménite Islah, PYI) enrôlaient des volontaires pour combattre en Tchétchénie dans les unités spéciales de l’armée. Les volontaires arrivaient en Tchétchénie à travers la Jordanie et la Géorgie (le 8 décembre 1999) (195). Le parti Congrégation Yéménite pour la Réforme (al-Tajmu al-Yamani li al-Islah) est plus connu sous le nom de Parti Yéménite Islah (PYI). Il a été fondé par un influent leader tribal Sheikh Abdallah Ibn Husayn al-Ahmar en septembre 1990. Le parti s’est opposé à l’unification des deux Yémen et a mené une campagne, ensemble avec d’autres partis, contre la constitution de 1990. Le PYI a milité pour la stricte application de la charià. Principal parti d’opposition, le PYI est arrivé en deuxième position dans les législatives en avril 1990, en obtenant 62 sièges au parlement. Le PYI a gagné grâce à un fort soutien de la population conservatrice des aires tribales du nord. Par la suite, Sheikh al-Ahmar fut élu speaker du parlement. Dans le gouvernement de coalition de l’après-guerre de 1994, le PYI a eu 9 portefeuilles ministériels. En septembre 1994, Abd al-Majud al-Zindani, idéologue fondamentaliste, fut élu président du conseil du parti, alors que Sheikh al-Ahmar fut reélu président du PYI. L’avènement d’al-Zindani a renforcé l’aile

fondamentaliste du PYI (196).

-Soudan : relations russo-soudanaises et question tchétchène.

Selon un membre du conseil présidentiel russe, Djokhar Doudaëv s’est rendu au Soudan en 1993 (197), où il a établi quelques contacts, qu’il utilisera pendant la première guerre de Tchétchénie, probablement afin d’acheminer le matériel militaire. En 1994, la compagnie aérienne tchétchène Stigl a enregistré deux avions TU-134 à l’aéroport de Khartoum, qui faisaient beaucoup de vols entre Khartoum et Bakou, pendant les semaines précédant l’introduction des troupes fédérales en Tchétchénie. Il est difficile de savoir quel genre de relations, le régime de Doudaëv entretenait avec le Soudan, où un mois et demi avant le début de la première campagne de Tchétchénie le « ministre des Affaires étrangères » tchétchène Chamsoutdine Youssef devait se rendre (le 25 octobre 1994) (198). Eventuellement, Youssef est venu pour s’assurer le soutien d’un pays islamique, en pressentant l’inévitable entrée des troupes dans sa République.

Plus tard, les sources russes ont rapporté que le secrétaire-général d’une organisation islamique internationale « Congrès Islamique Populaire », basée à Khartoum, avait annoncé dans son rapport annuel que le Congrès avait beaucoup d’activités en Russie, notamment, en Tchétchénie, au Daghestan et en Ingouchie (novembre 1996) (199).

En 1999-2000, le Président soudanais Omar al-Bachir s’est abstenu de critiquer les actions des troupes fédérales en Tchétchénie. Le speaker de l’Assemblée nationale (parlement soudanais), Hassan At-Tourabi, leader des fondamentalistes est resté, lui-aussi, relativement neutre, bien qu’il ait appelé les autorités russes à achever le plus vite possible les actions armées et régler le problème avec des moyens pacifiques. At-Tourabi, qui était en même temps le secrétaire général du Congrès National, parti au pouvoir au Soudan, a déclaré que les Soudanais étaient prêts à « tolérer » l’opération militaire russe en Tchétchénie pour ne pas déranger les relations russo-soudanaises. Les 7-9 octobre 1999, un nouveau parti du pouvoir a tenu son congrès à Khartoum. Ses délégués se sont dits prêts à utiliser son influence dans le monde musulman afin d’exercer une dissuasion sur les indépendantistes tchétchènes.

Khartoum voit en la Russie un « grand pays musulman », avec qui on peut non seulement avoir des relations commerciales avantageuses, mais également un partenariat stratégique. C’est pour cela que le Soudan considère que le problème tchétchène ne devrait pas « empêcher l’établissement des relations avec la Russie dans les domaines économique, politique et militaire ».

Il y a quelque temps, le Soudan a supprimé les visas pour les ressortissants de tous les pays musulmans, ce qui a permis l’arrivée dans le pays d’un grand nombre d’islamistes anti­américains, originaires de pays arabes. C’est alors qu’Oussama Ben Ladin a réussi à instaurer son réseau au Soudan. En août 1998, deux attentats à la bombe ont été commis contre les ambassades américaines à Dar-es-Salam, en Tanzanie, et à Nairobi, au Kenya. Les services spéciaux ont riposté en frappant à coups de missiles, les bases de Ben Ladin au Soudan et en Afghanistan. Le multi-millionnaire saoudien, réfugié chez les Talibans, était soupçonné d’avoir commandité et organisé ces actes de terrorisme, alors que le Soudan était accusé de soutenir le terrorisme international, ce qui a conduit à l’isolement international du Soudan. C’est pour cette raison que Khartoum ne souhaite pas en rajouter en soutenant les indépendantistes tchétchènes, financés, selon certaines sources, par le même Oussama Ben Ladin.

En août 1999, le ministère des Affaires étrangères soudanais a présenté ses condoléances à l’occasion des explosions de barres d’immeubles à Moscou et à Volgodonsk. Cependant, les partis d’opposition, tels Al-Oumma, basée en Erythrée et dirigée par l’ancien Premier ministre soudanais, Sadiq al-Mahdi, le Parti National-Unioniste, basé à Khartoum et dirigé par al-Mirgani, ainsi que le Parti Populaire de Libération du Soudan, sous la direction de John Garang, peuvent utiliser la question tchétchène pour exercer une pression sur le gouvernement soudanais (200).

-Egypte : le pays d’Al-Azhar désapprouve les violences de l’armée russe.

Le Caire a suivi de près le développement de la deuxième campagne de Tchétchénie. Les intellectuels égyptiens ont condamné à plusieurs reprises le silence du monde arabe, face aux exactions russes en Tchétchénie. Ainsi, un éditorialiste de l’influent quotidien Al-Ahram, Salama Ahmed Salama, s’est indigné de l’inaction des gouvernements arabes au moment où les troupes fédérales serraient leur étau autour de Grozny : « Comme d’habitude les pays islamiques et arabes se sont réfugiés dans le silence, tremblant devant les menaces et allusions, et restant à l’écart des condamnations, pouvant nuire à leurs intérêts. Aucun pays arabe ou islamique n’a pas même protesté contre les meurtres en masse et les actes de génocide, commis par les troupes russes » (201). Un mois plus tard, Salama a critiqué une autre fois « le silence total » des pays arabes et islamique au sujet de « massacres de Musulmans tchétchènes, ordonnés par le Président Eltsine et le premier ministre Poutine ». Selon lui, ce silence constituait une « licence de tuer un peuple non armé ». Salama annonce que le « seul crime » de peuples du Caucase, aux yeux de Moscou, était d’avoir demandé « la liberté et l’indépendance » de la « tyrannie et l’oppression » de la Fédération de Russie, alors que « pas une seule voix égyptienne ne s’est levée contre ces massacres » (202).

L’opinion publique était largement favorable aux rebelles tchétchènes. Lors d’une visite officielle en Egypte du ministre des Affaires étrangères russe, des manifestations estudiantines se sont déroulées spontanément au Caire et à Alexandrie. Les étudiants protestaient contre la manière brutale avec laquelle l’armée russe combattait les indépendantistes. Les Egyptiens se disaient surpris que « leur ambassadeur n’ait pas encore été retiré de Moscou », alors que « les Musulmans tchétchènes étaient massacrés » et « le pays d’Al-Azhar ne faisait rien à ce sujet ». Le sujet tchétchène était la question principale lors des négociations entre le ministre russe et son homologue égyptien Amir Moussa. Lors d’une conférence de presse, on a demandé au ministre russe : « Comment la Russie prétend-elle être amie des Arabes, quand vous, les Russes tuez des Musulmans en Tchétchénie de sang froid, de la même manière que vous avez encouragé les Serbes à tuer des Musulmans au Kosovo ? ». De son côté Moussa a expliqué la position officielle du Caire : « Nous sommes très mécontents de la situation actuelle en Tchétchénie et souhaitons voir la fin des opérations militaires et le retour au calme ». Une source diplomatique égyptienne a fait savoir : « Nous sommes conscients que la situation en Tchétchénie est préoccupante. Mais il est très important que nous ne mettions pas en cause le fait que le territoire tchétchène fasse partie intégrante de la Russie » (mars 2000) (203).

Le mois suivant, un conseiller du Président tchétchène Maskhadov et secrétaire-général du Conseil de Sécurité Nationale Tchétchène, Islam Halimov s’est rendu au Caire afin d’informer l’opinion publique égyptienne sur le développement de la situation en Tchétchénie. Il a donné une conférence de presse. Les médias n’ont pas précisé s’il a été reçu par les autorités (avril 2000) (204).

-Liban : le Hezbollah entraîne des rebelles tchétchènes.

Tuteur libanais, la Syrie a reçu pendant des années le soutien soviétique, puis russe. Probablement pour cette raison, le Liban a essayé de ne pas intervenir dans le dossier tchétchène. Une nombreuse communauté palestinienne (200 mille personnes) réside depuis des années au Liban. Ces dernières années, l’islamisme se développe parmi les Palestiniens et une partie des Libanais, alors qu’un parti islamique radical Hezbollah est devenu une force importante au Sud Liban. C’est parmi ces deux groupes que les sympathies envers les Tchétchènes se sont cristallisées.

Une source américaine rapporte qu’au printemps 1996, 400 Tchétchènes ont été envoyés dans des camps d’entraînement du Hezbolllah de la vallée de la Békaa au Liban, pour suivre un cursus au niveau avancé sous la tutelle d’instructeurs de Pasdaran iraniens. Ce programme a continué jusqu’au début 1998 (205).

Un épisode qui a aggravé les rapports russo-libanais est survenu en janvier 2000, en pleine bataille pour Grozny. Ainsi, un réfugié palestinien du camp Ain Al-Hilweh, situé près de Saïda, a tiré d’un lance-grenades sur l’ambassade russe à Beyrouth. Il a tué un policier et blessé huit autres personnes, avant d’être abattu. La police a retrouvé sur lui, une déclaration selon laquelle il souhaitait devenir martyr pour Grozny (le 3 janvier 2000) (206).

-Libye : financement occulte.

Une source américaine, probablement proche des services spéciaux américains, affirme qu’entre 1994 et 1996, la Libye a transféré clandestinement des dizaines de millions de dollars aux indépendantistes tchétchènes. Le gros de l’argent était transféré par les services spéciaux libyens à travers le parti turc Refah, dont les émissaires acheminaient l’argent en espèces aux Tchétchènes. La même source note qu’un des derniers « transferts » de 10 millions de dollars en espèces n’est jamais arrivé aux rebelles et a été utilisé par le Refah pour financer sa campagne électorale. Pour régler ce problème, une délégation libyenne, qui comprenait un adjoint du ministre Medetullah, est arrivée en Turquie, mais les responsables du Refah ont rejeté les accusations. On rapporte que lors de la visite officielle du premier ministre turc et leader du Refah Erbakan à Tripoli, celui-ci a été publiquement insulté par le colonel Kadhafi, qui était convaincu que le Refah s’était emparé des fonds libyens, destinés à la cause tchétchène (207).

-Afghanistan : les Talibans sont le centre névralgique du Grand Cercle Islamique.

On rapporte que déjà en 1992, des instructeurs, originaires d’Afghanistan, entraînaient les membres des Frères Musulmans tchétchènes dans plusieurs camps, situés dans cette république sécessionniste (208). Cependant, les premiers contacts réguliers avec les Moudjahidin afghans remontent à 1994, quand une délégation assez importante tchétchène, sous la direction de Chamil Bassaëv, a rencontré Gulbudin Hekmatyar (avril-juin 1994) (209). Ensuite, les émissaires de Doudaëv ont négocié l’achat des Stingers à Gulbudin Hekmatyar (le 8 septembre 1994) (210), qui a promis également de transférer le détachement de Moudjahidin qui se trouvait depuis 1993 en Azerbaïdjan (211). Après l’introduction de troupes russes en Tchétchénie, en décembre 1994, les sources russes ont rapporté la présence de 300 Moudjahidin afghans aux côtés de rebelles tchétchènes (le 19 décembre 1994, le 5 janvier 1995) (212).

Après la prise de Kaboul par les Talibans en septembre 1996, les indépendantistes tchétchènes ont établi des contacts avec leur gouvernement et Oussama Ben Ladin. Début 2000, l’ancien vice-président tchétchène, Zélimkhan Yandarbiev se rend à Kaboul, contrôlée par les

Talibans. Ces derniers ont reconnu le 23 janvier 2000 la Tchétchénie, en tant qu’Etat indépendant. Le ministre taliban des affaires étrangères, Wakil Ahmed Mutawakil, a déclaré que son gouvernement tenterait de persuader d’autres pays de nouer des relations diplomatiques avec la Tchétchénie. Le ministre a affirmé qu’une fois l’ambassade tchétchène inaugurée à Kaboul, les Tchétchènes pourraient demander de l’aide, et selon Mutawakil, les Talibans n’épargneront pas « leurs efforts pour les aider dans leur lutte pour l’indépendance » (le 21 janvier 2000) (213). Auparavant, le leader taliban Mullah Mohammed Omar a annoncé que la situation en Tchétchénie ne pouvait plus être tolérée. Il a lancé un appel à l’ONU et à l’Organisation de la Conférence Islamique afin de faire pression sur Moscou. En cas de refus de la part de la Russie, le leader taliban a menacé Moscou de conséquences auxquelles elle devrait faire face (214). Cette démarche a provoqué la colère de Moscou. Le ministre des Affaires étrangères russe Igor Ivanov a déclaré que cette reconnaissance était « juridiquement insignifiante » et confirmait que les rebelles tchétchènes étaient « aidés de l’extérieur » ( le 24 janvier 2000) (215) et étaient alliés aux forces de l’extrémisme religieux agressif. Le ministère a prévenu que cette reconnaissance posait la question du durcissement des sanctions de l’ONU contre les Talibans (le 24 janvier 2000) (216). Les services spéciaux russes ont indiqué que les Moudjahidin afghans étaient transportés par air selon l’itinéraire suivant : Lahore (Pakistan) – Peshawar (Pakistan) – Quetta (Pakistan) – Zahedan (Iran) – Tabriz (Iran) -Azerbaïdjan (217).

Par la suite, Aslan Maskhadov a rencontré Oussama Ben Ladin à Kandahar, en Afghanistan et lui a demandé davantage d’aide, sous forme d’envoi de mercenaires, d’armes, de munitions et de médicaments (fin janvier-début mars 2000) (218). Selon certains témoignages, Oussama Ben Ladin a visité la zone tchétchène, contrôlée par les rebelles, deux semaines plus tard (mi-mars 2000) (219). Un conseiller de Poutine, Sergueï Yastrjembski déclenche une guerre de communiqués avec les Talibans afghans. Il accuse les Talibans d’aider la guérilla tchétchène en armes et en hommes. Yastrjembski menace de frapper à coups de missiles les bases de Talibans en Afghanistan (mai 2000). Le ministère des Affaires étrangères des Talibans rejette les accusations de Moscou et fait savoir que l’aide des Talibans aux rebelles tchétchènes se limitait au soutien diplomatique. Les Talibans affirment qu’il n’existe pas en Afghanistan de camps d’entraînement tchétchènes (le 23 mai 2000) (220). Le ministre des Affaires étrangères des Talibans Mutawakil invite des observateurs internationaux en Afghanistan afin de vérifier si des camps d’entraînement tchétchènes existent dans la zone contrôlée par les Talibans. Alors, il prévient que si Moscou bombarde le territoire afghan et si des enfants afghans deviennent orphelins, les Talibans riposteraient de la façon adéquate à leurs ennemis (le 28 mai 2000) (221).

Il semble qu’Oussama Ben Laden joue un rôle important dans le soutien des indépendantistes tchétchènes. Le multi-millionnaire saoudien envisage de créer un Etat islamique unifié dans le Caucase. Ce projet ne constitue qu’une partie d’un plan beaucoup plus important. Il comprend deux étapes. Pendant la première étape, 48 pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe, y compris l’Arménie, l’Azerbaïdjan, l’Albanie, la Bosnie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Israël, seraient réunis dans le cadre d’un même Etat. Pendant la deuxième étape, le territoire de cet Etat islamique serait élargi au compte de l’Amérique du Nord et du Sud et de l’Australie. Selon Ben Ladin, vers 2100, la planète deviendrait un seul Etat islamique. En février 1998, Ben Ladin a créé un Front Mondial du Djihad (FMDj), réunissant les islamistes de l’Arabie Saoudite, du Pakistan, de l’Egypte et du Bangladesh (Al-Qaïda, Gamaa islamiya, Djihad islami, Kharkat ul-ansar, Djama’at i-ulema i-islami). Par la suite le FMDj a intégré de nouveaux membres, tels Al-Djamaa al-islamiya (Libye), Biat al-imam (Jordanie), Djihad (Yémen), Asbat al-ansar et Djamaa sirriya (Liban), GIA (Algérie). Les combattants du FMDj ont pris part au conflit du Kosovo aux côtés des Kosovars albanophones. Le FMDj aide également les groupements islamiques aux Philippines. Il est actif en Afrique Centrale et Orientale. En CEI, Ben Ladin entretient les relations non seulement avec les indépendantistes tchétchènes, mais aussi avec les leaders des oppositions tadjik et ouzbek (222).

-Pakistan : ISI et moudjahidin « afghans » interviennent directement.

On rapporte que le Pakistan est entré en contact avec les Tchétchènes dès le printemps 1994. Une délégation tchétchène, dirigée par Chamil Bassaëv, qui serait tristement connue par son raid à Boudennovsk en juin 1995, s’est rendue au Pakistan. Les Tchétchènes ont établi des contacts avec certaines personnalités pakistanaises, considérées comme « protecteurs » des Talibans, telles le ministre de l’intérieur, le général Nassiroulla Babar, le ministre de la défense, le général Aftab Shahban Mirani, le chef de l’ISI (services spéciaux pakistanais) Djavid Ashraf (qui était présenté comme le chef de la branche de l’ISI, chargée du soutien et du parrainage des causes islamistes). Une source américaine (223) affirmait que ces trois personnalités, Babar, Mirani et Ashraf, étaient devenues par la suite les « patrons du djihad tchétchène ». Les Tchétchènes ont également rencontré un ancien chef de l’ISI, le général Hamid Gul, et son adjoint, le colonel Imam, qui aiderait les Tchétchènes dans leurs trafics, devant financer la guérilla tchétchène (224). Après leur visite, une centaine de Tchétchènes ont commencé leur cours d’entraînement à la guérilla dans les camps près de Khowst, tenus par l’ISI. Une partie des Tchétchènes a suivi la formation au niveau avancé dans le sabotage et la guérilla dans le centre Markaz-i-Dawar, au Pakistan. Selon la même source, en automne 1994, la veille de l’introduction de troupes russes en Tchétchénie, l’ISI a formé plusieurs détachements mixtes de combattants tchétchènes, entraînés dans ses camps, et de Pakistanais, ayant combattu aux côtés de Moudjahidin en Afghanistan. Par la suite, ces détachements ont été équipés et envoyés par l’ISI en Tchétchénie. Il en allait de même d’un bataillon de l’ISI de Moudjahidin afghans, stationné au Pakistan. Ces détachements, dirigés par les Pakistanais, sont entrés au combat en Tchétchénie, lors de la bataille de Grozny, fin 1994 – début 1995. De nombreuses victimes parmi les militaires russes dans cette période s’expliquent par la résistance de ces détachements. Ses commandants, selon la même source, sont restés en liaison radio avec leur QG au Pakistan (225).

Il est intéressant de voir la campagne tchétchène avec les yeux de commandants pakistanais, qui ont rapporté à leurs chefs, début janvier 1995 : « Les moudjahidin arrivent encore en Tchétchénie de tous les Etats musulmans voisins pour donner à l’ennemi russe le goût de sa propre médecine ». Ils ont décrit l’ambiance à Grozny au moment même de l’assaut de Grozny, entrepris par les forces russes : « Des drapeaux verts sont déployés partout dans la ville, marquant le haut moral et le fort esprit islamique. On voit les Moudjahidin faire des prières en groupes dans les rues encombrées de débris de Grozny musulmane. Beaucoup tiennent leurs Corans avec leurs armes personnelles ». Mi-janvier, les commandants pakistanais ont fait savoir qu’un nombre de Moudjahidin pakistanais est arrivé à Grozny et qu’ils combattent aux côtés de leurs « frères tchétchènes » (226).

Une source russe, probablement proche du FSB, indique qu’Ousman Imaëv, procureur général tchétchène de Doudaëv, considéré comme une éminence grise du Président tchétchène et organisateur du financement de la guérilla tchétchène en 1994-1996, a effectué une vente illégale au Pakistan de 145 tonnes de zirconium-E-110, produit à l’usine de Tchépetsk, en Oudmourtie (Fédération de Russie) (227).

La veille de l’intervention militaire russe en Tchétchénie, le « ministre des Affaires étrangères » tchétchène, Youssef Chamsoutdine, s’est rendu au Pakistan. A son retour, il a déclaré que les leaders islamiques pakistanais étaient impatients d’envoyer en Tchétchénie des volontaires,  » prêts à combattre les infidèles avec leurs propres armes. Il a annoncé que ces combattants

pourraient devenir « un facteur déstabilisateur » dans toute la Russie  » (le 21 novembre 1994) (228). Le Pakistan était soupçonné par la Russie d’avoir transféré un nombre d’armes soviétiques, que l’armée russe avait laissé en Afghanistan à la fin des années 1980 (229).

Pendant l’entre-deux-guerres, l’ISI a continué la préparation militaire de Tchétchènes. Ainsi, en automne 1997, plusieurs centaines de Tchétchènes s’entraînaient dans les camps, financés par l’ISI, près de Warsaj (Takhar), Jabal al-Saraj (Parwan) et Khowst (Paktia). Quelques 250 Tchétchènes étaient formés clandestinement dans un camp, aux environs de Peshawar par des agents de l’ISI et des experts en terrorisme, originaires de l’Egypte et du Soudan. L’ISI entraînait une centaine de Tchétchènes dans la zone de Lahore dans le terrorisme sophistiqué et dans la guérilla urbaine (230).

Pendant la deuxième campagne tchétchène, Vladimir Poutine a inclut le Pakistan dans la liste des pays exportateurs du terrorisme en Russie (le 9 novembre 1999) (231). Un journaliste des Izvestia a rapporté qu’environ 30 recruteurs, représentant le mouvement des Talibans, enrôlaient les réfugiés tadjiks et afghans à Karachi, au Pakistan, pour aller combattre en Tchétchénie, aux côtés de rebelles (le 8 décembre 1999) (232).

Début 2000, l’ex-président tchétchène Zélimkhan Yandarbiev s’est rendu au Pakistan afin de rencontrer les hauts responsables pakistanais, tels le chef de l’exécutif Pervez Musharraf et le ministre des Affaires étrangères Abdul Sattar. Les sources pakistanaises ont rapporté que Yandarbiev devait négocier la possibilité de la formation d’un gouvernement tchétchène en exil au Pakistan. Une source officielle d’Islamabad a indiqué que Yandarbiev est venu en « mission secrète » dans son pays. Cette visite a coïncidé avec les accusations croissantes du Pakistan par les sources russes d’avoir aidé les rebelles tchétchènes. Moscou affirme que le Pakistan servait de refuge et de point de sortie vers le monde extérieur pour les leaders indépendantistes. En automne 1999, un chef de guerre tchétchène Salman Radouëv, par exemple, a été vu au Pakistan. Moscou fait savoir que les combattants tchétchènes blessés recevaient un traitement médical dans ce pays. Les mêmes sources informaient que des agents de l’ISI entraînaient les rebelles tchétchènes dans un camp « Kavkaz », situé dans le Caucase. On rapportait que des combattants tchétchènes étaient entraînés également dans les camps pakistanais dirigés par les Talibans afghans (le 10 février 2000) (233). Après la pression diplomatique de la part de Moscou, les autorités du Pakistan ont proposé à Yandarbiev, de quitter le pays (mi-février 2000) (234). Cependant, la Russie a fait savoir qu’elle a pris la décision de ne pas vendre d’armes au Pakistan, en le sanctionnant ainsi pour son rôle d’intermédiaire dans l’envoi des Moudjahidin afghans en Tchétchénie (235).

En 2000, le ministre des Affaires étrangères du Pakistan a exprimé « une préoccupation profonde au sujet de la catastrophe humanitaire en Tchétchénie ». En réponse, Moscou a rappelé qu’Islamabad ne respectait pas les droits de l’Homme de minorités musulmanes dans son pays, tels les Mohajirs, Shias, Ahmadis et autres (236).

Un certain rapprochement s’est produit entre la Fédération de Russie et le Pakistan après la visite à Islamabad d’un conseiller de Vladimir Poutine, Sergueï Yastrjembski, en septembre 2000. Il a rencontré le Général Pervez Musharraf, le ministre des Affaires étrangères Abdul Sattar et le ministre de l’intérieur Moinuddin Haider. Yastrjembski a remercié Musharraf de la réaction rapide du Pakistan, concernant la présence de Zélimkhan Yandarbiev au Pakistan en février 2000. Alors, Moscou s’est plainte des « activités politiques » de Yandarbiev auprès d’Islamabad, qui a demandé à l’émissaire tchétchène de quitter le territoire pakistanais. Cependant, les autorités pakistanaises ont reconnu qu’à l’instar des Occidentaux et d’autres musulmans, les Pakistanais étaient sympathisants des Tchétchènes. Le but de la visite du conseiller de Poutine était l’isolation internationale des indépendantistes tchétchènes. Pour Moscou, le cœur du problème tchétchène se trouvait dans le lien entre les rebelles tchétchènes et une structure « militante, extrémiste et supranationale », connue sous le nom de « Brigade Internationale ». Yastrjembski a indiqué aux journalistes avant son départ pour Moscou que « le terrorisme n’a pas de religion » et que « le Pakistan, lui-même, est victime du terrorisme », alors que Moscou et Islamabad « ont la compréhension commune de causes du terrorisme » (septembre 2000) (237).

-Iran : soutien ambigu à la cause tchétchène.

L’attitude de l’Iran était ambiguë tout au long du conflit tchétchène. D’un côté l’URSS a été pendant longtemps adversaire et a soutenu l’Irak dans sa guerre contre l’Iran. De l’autre côté, suite à l’embargo, imposé à l’Iran sur l’initiative des Etats Unis, Téhéran a trouvé en la Russie l’unique fournisseur de l’armement moderne et des hautes technologies, notamment des réacteurs nucléaires civils (238). En même temps, le régime iranien s’est proclamé le champion de la révolution islamique dans la région et les musulmans iraniens pouvaient très mal apercevoir le silence de Téhéran alors que Moscou matait le séparatisme d’une République musulmane.

La réaction de Téhéran était plus que modérée, lorsqu’elle exprimait des « regrets et inquiétudes » sur la situation en Tchétchénie, au moment même où les militaires russes lançaient un assaut sur la capitale tchétchène (le 23 décembre 1994) (239). A peu près sur la même longueur d’onde s’exprime le président Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani, qui déclare que l’opération de l’armée fédérale portait préjudice aux relations de la Russie avec les pays islamiques, et allumait « le feu de vengeance » (le 5 janvier 1995) (240). Cette déclaration était trop floue pour être considérée comme une critique directe. Par la suite, l’Iran est resté fidèle à sa ligne, consistant à limiter ses critiques au minimum, pour ne pas gâcher ses relations avec son grand voisin du Nord. En parlant du développement des affrontements russo-tchétchènes, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Maleki s’est borné à déclarer : « La guerre est tragique. Il faut régler la situation par des mesures pacifiques ». Téhéran fait savoir qu’il s’agit d’une affaire intérieure de Russie (le 27 janvier 1995) (241).

Par la suite, l’Iran a progressivement augmenté les critiques de la politique russe en Tchétchénie. Moscou a riposté en faisant de même vis-à-vis du régime iranien. Cependant, les relations russo-iraniennes n’en ont pas souffert considérablement. Un journal londonien possédé par les Saoudiens, Al-Sharq Al-Awsat, accuse l’Iran d’avoir « poignardé dans le dos la République tchétchène », parce que Téhéran continue à souligner que la guerre tchétchène était une affaire intérieure russe (le 27 janvier 2000) (242). Les Saoudiens n’étaient pas seuls à condamner l’inaction de Téhéran. Par exemple, à la télévision qatarie Al-Jazira l’ex-président tchétchène Zélimkhan Yandarbiev a accusé l’Iran « d’avoir trahi les intérêts du monde musulman », parce qu’il ne soutenait pas la cause tchétchène. Yandarbiev a rajouté que « tous les pays musulmans devraient participer au djihad tchétchène, en le supportant militairement et en offrant un soutien humanitaire » (le 6 juillet 2000) (243).

Par contre, il semble que le refus par les autorités iraniennes de condamner les actions russes en Tchétchénie n’ait pas empêché Téhéran d’aider les réfugiés tchétchènes. On rapportait que Téhéran était le plus important donateur aux réfugiés, originaires de cette République indépendantiste. Dans le cadre de l’Organisation de la Conférence Islamique, OCI, l’Iran a essayé d’influencer la ligne dure de Moscou en Tchétchénie. L’Iran a dirigé une délégation, comprenant les délégués du Qatar, de Turquie, du Maroc et du Burkina Faso. La délégation a transmis aux autorités russes une demande du Président Mohammad Khattami pour « une solution de long terme, durable et appropriée » du conflit (janvier 2000) (244).

Une directrice de recherche du programme des Etudes Caspiennes au Kennedy School of Government de l’Université d’Harvard, Brenda Shaffer, considère que l’Iran, non seulement ne s’est pas opposé à l’opération militaire russe en Tchétchénie, mais a fait tout pour exclure des agendas de nombreux forums islamiques le problème tchétchène. Par exemple, l’OCI, que l’Iran présidait en 2000, n’a pas discuté, sous la pression iranienne, la situation en Tchétchénie. Téhéran a « sacrifié » les Tchétchènes en échange de la coopération de Moscou dans le développement de l’industrie nucléaire (245).

Conclusion.

La communauté internationale ne s’intéresse à la Tchétchénie que si celle-ci est en conflit ouvert avec la Russie. La Tchétchénie est vue comme une sorte de levier, capable de provoquer la désintégration de la Russie. Cependant, les gouvernements de pays occidentaux et musulmans n’envisagent pas de reconnaître cette République sécessionniste. Ils se limitent à un soutien politique et une pression diplomatique dans le cas de l’Occident, ou à une aide indirecte dans le cas du monde musulman. La reconnaissance par les Talibans afghans de la Tchétchénie n’a rien changé à la position russe. Cependant, la situation changerait radicalement si les Talibans arrivaient au pouvoir à Islamabad et faisaient fusionner l’Afghanistan et le Pakistan, sous le nom de Califat. Le Pakistan est un jeune Etat qui cherche à se renforcer face à son voisin géant, l’Inde, et la « talibanisation » du Pakistan peut être acceptée comme une solution par les militaires pakistanais. Et c’est entre le Califat taliban afghano-pakistanais et l’Inde qu’un conflit peut se produire pour le contrôle du Cachemire. C’est alors que la Tchétchénie, reconnue par un Etat nucléaire, pourra être soutenue ouvertement par le monde islamique. Et dans ce cas-là, les Tchétchènes pourraient entraîner dans le sillage du Califat 20 millions de Musulmans de Russie. En fait, c’est dans la zone montagneuse pachtoune, contrôlée par les Talibans que se décide aujourd’hui le destin de la cause tchétchène, alors que les pays musulmans, malgré les sympathies croissantes de leurs populations envers les Tchétchènes, préféreront encore pendant longtemps ne pas fâcher la Russie.

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