Japon-Afrique : genèse d’une relation pérenne

Marc Aicardi de Saint-Paul

Docteur d’État en droit, docteur ès lettres, membre de l’Académie des sciences d’outre-mer, auteur de : Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, CHEAM, La Documentation française, Paris, 1999.

Trimestre 2010

Initialement, la politique africaine du Japon a répondu à plusieurs

préoccupations et s’est orientée dans deux directions : d’une part, la « diplomatie des ressources », qui est une constante pour un pays qui en est totalement dépour­vu, d’autre part, la « diplomatie de l’aide ». Depuis une vingtaine d’années, le Japon tentant d ‘ apparaître sur la scène internationale comme uns puissance globale, il développe l’ambition de j’ouer un rôle d’acteur majeur. C’est ce qui l’a amené à courtiser FArique afin qu’elle lui apvorte son soutien dsns le combat qu’elle iriSne pour obtenir un siège de membre permanent tu (Conseil de sécurité de l’ONU.

Le Japon entretient avec l’Arique nes relations ^csennes. Elle a été présente sur le continent durant la colonisation et, après une ineerruption nue au second conflit mondial, elle nevtivé ces liens dès les années i960. Seconde puisSence économique mondiale, le Japon a été et, dans una certaine mesure, demeure l’un des plus importants fournisseurs d’aide à l’Afrique, et il a joué un rôle moteur dans la diversification des partenaires du continent après l’efionVrement du bloc com­muniste. Les conférences Ve le TICAD (Tokyo ConfCOencV oa Africnn Development), qui eV sont à leur quatrième édition, ont eu un grand succès et ont fait des émules en Asir et en Amérique ioone. Cepend^it, les crises financltSes qui ont mis o mal son économie ontpermis à des outsiders comme la Chine, l’Inde ou la Malaisie de s’introduire en Arique à ses dépens. Le Japon n’en demeure po moinS un acteur important sur le continens africain et il semble décidé à rattraper le terrainperdii ces dernières années au profit de ses concurrents.

Une relation ancienne mais épisodique

D’après les sources qui sont aujourd’hui à notre disposition, il semblerait que les premiers contacts entre Asiatiques et Africains remontent au xe siècle avant notre ère, lorsque a débuté le commerce sino-égyptien. Mais ce sont les expéditions mari­times arabes et européennes qui vont servir d’accélérateur à ces échanges intercon­tinentaux.

À l’occasion de ces déplacements d’hommes et de marchandises, les marchands, surtout arabes et portugais, acheminèrent un nombre significatif d’esclaves noirs dans l’Empire du Milieu entre le IVe et le XIVe siècle. Les navigateurs lusitaniens établirent même un centre de distribution d’esclaves à Canton vers l’an 300. À la faveur de ces expéditions maritimes, l’islam commença à se répandre en Chine au vile siècle, sous la dynastie Suy. Aujourd’hui encore, les Ouigours constituent une minorité musulmane importante en Chine continentale. Un millénaire plus tard, dans la première moitié du XVIIe siècle, nombreux furent les esclaves présents au Japon qui s’établirent à Nagasaki.

Mis à part ces premiers contacts indirects et relativement limités, la véritable première rencontre entre Japonais et Africains se fit plus récemment, à la fin de la période Ashikaga (1335-1573)[1]. À cette époque-là, la soif d’épices, de soie, de sucre, d’esclaves et d’âmes à convertir avait conduit les Portugais en Extrême-Orient. C’est dans cette région du monde qu’ils côtoyèrent les aventuriers nippons qui y sévis­saient, et c’est vers 1510 que les Japonais et les esclaves noirs se rencontrèrent pour la première fois à Goa. Pendant la période Azuchi-Momonyama (1573-1673), les Japonais s’accoutumèrent à voir les Portugais accompagnés de gardes du corps et de serviteurs noirs. Ces derniers suscitaient d’ailleurs à la fois curiosité et admiration de la part des Asiatiques. Toutefois, vers la fin du XVIe siècle, les Japonais manifestè­rent leur hostilité envers l’esclavage et, dans les premières décennies de l’ère Edo ou Tokugawa (1603-1867), l’archipel se ferma progressivement aux influences étran­gères. Néanmoins, des liens continuèrent à se tisser avec les esclaves noirs présents dans le pays.

Il fallut attendre la fin du xvie siècle pour que les premiers Japonais foulent l’Afrique pour la première fois. Ce fut à l’occasion du voyage en Europe entrepris en 1586 par de jeunes nobles de Kyushu, invités à Rome par de jésuites italiens. Dans un premier temps, ils firent une escale au Mozambique pendant six mois, puis s’at­tardèrent au Cap avant de remonter vers leur destination finale. Mais c’est surtout cette colonie qui tissa véritablement des liens durables entre le Japon et le continent noir. Jan Van Riebeek, qui est considéré comme l’un des fondateurs de l’Afrique du Sud, était initialement basé à Nagasaki pour le compte de la Compagnie des Indes néerlandaises durant les années 1647-1648, avant de s’établir au cap de Bonne-Espérance en 1652. En 1860, une mission japonaise de retour des États-Unis fit escale en Angola et sur l’île de Saint-Vincent. En décembre de la même année, trois officiels japonais et leur suite, envoyés en ambassade en Angleterre, effectuèrent une halte de plusieurs jours à Suez. C’est d’ailleurs à cette occasion que les Japonais découvrirent le chemin de fer. À la faveur de l’ère Meiji, en 1868, le Japon s’ouvrit non seulement à l’Europe et à l’Amérique, mais également à l’Afrique. Celle-ci allait passer du statut d’escale obligée à celui de destination à part entière et, malgré l’ou­verture du canal de Suez en 1869, nombreux furent les Japonais qui visitèrent des ports comme Mombassa au Kenya, au Cap et à Luanda. C’est à partir de ces points d’appui que, quelques décennies plus tard, les Japonais commencèrent à prospecter le continent, déjà à la recherche de matières premières et de marchés d’exportation.

Force est de constater que, pendant la période précoloniale, les relations entre le Japon et l’Afrique, bien qu’anciennes, furent plutôt faibles et décousues. Le Japon, qui ne prit pas part au dépeçage de l’Afrique, s’y infiltra quand même de façon discrète à la faveur de l’irruption et de l’installation des Européens tant pendant la période coloniale que dans les années qui suivirent.

De la colonisation à la guerre froide : entre neutralité et implication

Alors que la Chine affaiblie fut quasiment absente de la scène africaine entre le congrès de Berlin de 1885 et la division du monde en deux blocs après le second conflit mondial, le Japon réussit à y maintenir un certain nombre de liens. S’il eut un rôle politique assez effacé pendant toutes ces années, il fut assez actif dans le domaine économique. Pourtant, il eut des velléités de se faire attribuer le mandat du Sud-Ouest africain allemand par la Société des Nations après la guerre de 1914­1918. Surtout soucieux de s’assurer une source de matières premières à bon compte et de trouver de nouveaux débouchés pour ses produits d’exportation, le Japon se fraya un chemin en Afrique, dans le sillage des colonisateurs. C’est ainsi qu’il profita des traités relatifs au bassin du Congo[2]. Mais c’est surtout avec l’Afrique du Sud que les relations bilatérales furent le plus fructueuses. Dès 1908, les Japonais faisaient escale au Cap, alors qu’ils étaient en route vers l’Amérique du Sud. D’ailleurs, avant que la colonie du Cap ne devienne l’Union sud-africaine, un consul honoraire, Julius Jeppe, y représentait le Japon. Dès 1930, les Japonais purent jouir d’un statut particulier, puisqu’ils furent désormais considérés comme des « Blancs d’honneur ». Ce statut dérogatoire à l’Union Immigration Act de 1913 leur permit également d’échapper aux discriminations imposées aux « Non-Blancs », bien avant que le National Party ne légifère sur l’apartheid en 1948. Enfin, une légation nippone fut ouverte à Pretoria le 25 octobre 1937[3]. Toutefois, la déclaration de guerre de l’Afrique du Sud à l’Empire du soleil levant, le 8 décembre 1941, mit un terme pro­visoire aux excellentes relations bilatérales entre le Japon et l’Union sud-africaine.

La période de l’après-guerre qui s’étendit jusqu’à la fin des années 1950 vit la marge de manœuvre diplomatique du Japon être limitée, puisque l’archipel passa d’une quasi-administration directe par les États-Unis à une « liberté surveillée » jusqu’au début des années 1960. Ce n’est qu’à partir de la vague des indépendances des années 1960 que le Japon commença timidement à intervenir sur le continent pour monter progressivement en puissance.

L’analyse de cette période qui s’étend de la colonisation à la chute du commu­nisme et à son corollaire – la fin de l’Afrique du Sud blanche – nous conduit à envisager deux théories antagonistes : la thèse de la « politique des mains propres » versus celle de la « collusion avec les colonisateurs ». La première est bien évidem­ment soutenue par le ministère des Affaires étrangères (MOFA), qui publiait dans son rapport annuel de 1961 sa vision des relations avec l’Afrique colonisée : « […] L’Afrique n’était pour le Japon rien d’autre qu’un marché d’exportation pour des produits de consommation, essentiellement des produits textiles[4] […]. » Cette ver­sion est battue en brèche par des chercheurs qui se situent plutôt dans la mouvance progressiste et anticolonialiste, comme Jun Morikawa[5]. Ainsi, le Japon se serait-il accommodé de la colonisation pour exploiter les richesses africaines et y développer de fructueux échanges commerciaux. La réalité se situe probablement entre ces deux thèses, le Japon se contentant tout simplement de l’ouverture de l’Afrique au monde pour essayer d’en tirer le meilleur parti. Les flux commerciaux entre le Japon et l’Afrique après guerre illustrent bien cette opinion. Entre 1945 et 1960, la pro­gression fut vertigineuse, puisqu’elle passa de 21 à 217 millions de yens. Pendant cette période, l’Afrique de l’Ouest prit le pas sur l’Afrique de l’Est, ce qui s’explique essentiellement par l’importance des navires battant pavillon de complaisance libé­rien.

Les liens développés entre le Japon et ses partenaires africains avant les indé­pendances furent certes modestes. Ils préfiguraient néanmoins ce que seraient les futures relations entre l’archipel et les nouveaux États. Au plan politique, les auto­rités nippones avaient tendance à considérer le continent noir comme l’arrière-cour des Européens ; et à ce titre, la diplomatie japonaise avait tendance à harmoniser ses positions avec celles des anciens tuteurs. Au plan économique, les entreprises japonaises, qui n’avaient aucune « dette morale » vis-à-vis de l’Afrique, se sentaient libres de commercer et d’investir où bon leur semblait.

Du début des années 1960 jusqu’à l’effondrement du bloc communisme, qui rendit obsolète la défense de l’Afrique du Sud blanche par les Occidentaux, la di­plomatie nippone se fit très discrète en Afrique. D’une part, parce qu’elle ne voulait pas gêner les Occidentaux, d’autre part, son « pré-carré » était traditionnellement l’Asie. En revanche, sur le plan économique, elle adopta le principe des « pays phare », à l’inverse de la République populaire de Chine qui avait adopté celui des « pays frères[6] ». Cette politique duale conduisit le Japon à établir des relations pri­vilégiées avec l’Afrique du Sud et la Rhodésie blanche. Plus longue et plus étroite, la collaboration avec la République sud-africaine évolua cependant en fonction[7] de la condamnation de l’apartheid par la communauté internationale. Jusqu’au milieu des années 1970, des relations économiques, culturelles et sportives fructueuses se développèrent sans aucun complexe entre les deux pays. Même l’interdiction des investissements directs n’affecta pas les relations bilatérales. Si le MOFA était plutôt favorable à une application stricte des sanctions, le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (MITI), et le ministère des Finances (MOF) étaient d’un avis contraire. En tout état de cause, quelles que fussent les gesticulations des partisans d’une ligne dure à l’égard de l’Afrique du Sud, le Japon devint son premier partenaire commercial en 1987.

En même temps qu’il entretenait des relations avantageuses avec l’Afrique du Sud blanche, le Japon cherchait à améliorer celles qui existaient avec les autres pays africains. Ce fut d’abord l’ère de l’apprentissage de l’Afrique, du début des années 1960 au premier choc pétrolier de 1973. Puis la « diplomatie des ressources » s’im­posa et les missions commerciales nippones se multiplièrent sur le continent noir. Enfin, à Manille, la doctrine Fukuda révéla l’importance de l’Aide publique au développement (APD) en tant qu’instrument privilégié du rayonnement interna­tional du Japon.

Le Japon sut mener, pendant toute cette période, une habile politique que l’on peut qualifier de funambulesque, mais qui porta ses fruits à la chute du mur de Berlin. Le Japon qui avait su adopter un profil bas était quasiment présent partout sur le continent, qu’il s’agisse de l’ancienne Afrique « blanche » ou de l’Afrique à majorité noire.

Les ambitions d’une puissance globale

La chute du mur de Berlin et la fin de la division du monde en deux blocs an­tagonistes ont ouvert la boîte de Pandore des ambitions planétaires de pays comme le Japon. Déjà, à la fin des années 1970, le gouvernement Ohira (1978-1980) avait affirmé le rôle du Japon dans le monde, en se penchant sur le concept de « sécurité globale » qui reflétait une mondialisation des préoccupations japonaises. Celle-ci ne devait pas être envisagée stricto sensu, mais dans un sens plus large. Elle partait du principe selon lequel l’économie japonaise dépendant du reste du monde, tant pour ses approvisionnements en matières premières que pour ses débouchés, le Japon de­vait prendre une responsabilité plus grande dans sa stabilité et son développement. Il s’agissait donc là d’une mondialisation des préoccupations japonaises. Ainsi, la politique globale avait pour but d’affermir les valeurs traditionnelles des Japonais sur le plan intérieur, tout en ouvrant largement le pays au monde, afin qu’il y joue un rôle à la mesure de sa puissance.

Mais ce sont les bouleversements géopolitiques planétaires du début des années 1990 qui ont aiguisé les appétits de puissance du Japon. D’ailleurs, il est indéniable que le débat sur la place du Japon sur l’échiquier mondial évolue en faveur d’une plus grande prise de responsabilités de sa part, malgré les contre-feux allumés par sa grande rivale : la Chine. Toutefois, des hésitations se sont fait jour entre l’évocation permanente de sa politique onusienne et ses actions pratiques sur la scène interna­tionale, notamment à l’occasion de la guerre du Golfe. Aujourd’hui, la contribution du Japon aux efforts de paix et de prospérité dans le reste du monde ne s’envisage plus ni comme un « partage du fardeau », ni comme une alliance inconditionnelle avec les États-Unis, mais comme une prise de responsabilité accrue dans les affaires de la planète. Avec l’avènement du monde multipolaire, le Japon n’aura de cesse de développer une ambition planétaire, dont la consécration serait l’obtention d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. L’offensive diplo­matique japonaise aux Nations unies s’est manifestée par la proposition dite du G4, présentée conjointement par l’Inde, l’Allemagne et le Brésil, d’instaurer un nouveau Conseil de sécurité porté à 6 membres permanents et 25 non permanents[8]. Pour ce faire, le Japon se devait de rallier à sa cause le plus grand nombre de partenaires. Compte tenu du fait que l’Afrique compte une cinquantaine d’États, soit un quart des membres de l’Assemblée générale de l’ONU, il était tentant, comme d’autres grandes ou moyennes puissances avant lui, de rechercher leurs bonnes grâces, de manière à obtenir leur soutien tant à l’Assemblée générale qu’au Conseil de sécurité, où les membres non permanents africains ont parfois un rôle déterminant. Cette stratégie de la diplomatie nippone, qui a fait partie de ses fondamentaux depuis les années 1980, mais qui est maintenant exposée au grand jour sans complexes, l’a conduit à maintenir une politique de l’aide généreuse, que nous évoquerons plus loin.

Longtemps accusé de s’être abrité derrière sa Constitution pour ne pas intervenir sur le terrain dans le cadre des opérations de la paix et de privilégier la « politique du chéquier », le Japon a dû faire évoluer son implication lors des crises africaines. C’est ainsi qu’il a accru depuis les années 1990 sa participation aux Opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU[9].

Sa première intervention sur le continent africain s’est déroulée au Sud-Ouest africain/Namibie d’avril 1989 à mars 1990, au sein du Groupe d’assistance à la tran­sition (UNTAG). Puis ce fut la contribution, uniquement financière d’ailleurs, du Japon à l’ONUSOM 2, au début de l’année 1992. Mais la bonne foi des Japonais ne peut être mise en doute dans leur refus d’engager des hommes en Somalie, dans la mesure où deux conditions devaient être réunies : qu’une demande des autorités locales (inexistantes à l’époque) soit effectuée et que la situation ne soit pas trop conflictuelle, car les militaires nippons n’auraient pas été autorisés à faire usage de leurs armes, même dans le cas de légitime défense. Si la participation du Japon à l’UNAVEM 2 en Angola fut quasi symbolique (trois personnes dans le cadre de la surveillance des élections), il en fut autrement au Mozambique. Le Japon s’était déjà mobilisé pour ce pays dans les années 1980, alors qu’il était en proie à une guerre civile qui avait occasionné des centaines de milliers de morts en 1984-1985. Quelques années plus tard, le Japon participait à l’UNOMOZ avec un contingent de 53 militaires sur les 354 observateurs internationaux. Dans ce cas d’espèce, c’est le ministère des Affaires étrangères qui emporta la décision, alors que le Premier mi­nistre Miyasawa était plutôt opposé à cet engagement. Le drame rwandais donna indirectement l’occasion au Japon d’affirmer sa présence militaire en Afrique. Il semble incontestable que la nomination de l’universitaire Sadako Ogata à la tête du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 1991 ne fut pas étrangère à la décision du Japon d’envoyer un contingent de 260 hommes des Self DefenceForces (SDF), pour la première fois sous commandement japonais, à Goma. Les raisons que nous avons évoquées précédemment dans l’exemple de la Somalie s’appliquant au Rwanda, les militaires nippons furent basés de l’autre côté de la frontière, au Zaïre voisin. Le carcan constitutionnel japonais, et en particulier son article 9, étant trop contraignant, une réflexion sur son abandon ou sa modifica­tion a constitué un sujet d’opposition entre le Parti libéral démocrate (droite), au pouvoir jusqu’à il y a quelques mois, et l’opposition de gauche. Un premier pas a été franchi dans la « normalisation » des institutions japonaises le 9 janvier 2007, lorsqu’il s’est doté pour la première fois depuis 1945 d’un ministère de la Défense. Il n’en demeure pas moins que la participation militaire du Japon aux interventions de l’ONU n’est pas systématique. Ainsi, en 2007, le Japon a décliné l’offre qui lui a été faite de transporter les troupes burundaises au Darfour.

La diplomatie de l’aide

Parallèlement à son action diplomatique classique, le Japon a mis en œuvre des actions tendant à renforcer son image de puissance globale au niveau international ; en cela, il a emboîté le pas aux partenaires traditionnels de l’Afrique. La philosophie de l’aide japonaise n’est pas une création ex nihilo, mais elle s’inscrit dans le cadre d’une politique étrangère qui a fortement évolué depuis une soixantaine d’années. La mise en œuvre de l’Aide publique au développement (APD) nippone peut s’ex­pliquer par des motivations diverses, qui tiennent compte à la fois du contexte international et de préoccupations spécifiques[10]. Au fil des années, l’engagement du Japon à l’égard des pays en développement a évolué. Si, avant 1989, sa motivation était plutôt économique, après la disparition de l’Empire soviétique, celle-ci s’est complétée d’un volet diplomatique, dans sa quête de devenir un acteur majeur de la politique internationale[11]. Lors de ce changement de cap, l’approche de la politique d’aide du Japon est devenue plus multilatérale, majoritairement par le biais des Nations unies et de ses agences spécialisées, et l’aide s’est progressivement « déliée ».

Pour mettre en œuvre sa politique d’aide, il s’est doté d’instruments spéci­fiques, qui ont été chargés de mettre en œuvre la politique d’aide, essentiellement en Asie et aussi de plus en plus en Afrique. Nous constaterons que, depuis sa mise en œuvre, elle a connu différentes évolutions et que le Japon a été le premier pays non colonisateur à lancer un cycle de conférences bilatérales avec les pays africains, les TICAD[12], dont d’autres pays comme la Chine, Taiwan, l’Inde et la Corée du Sud s’inspireront quelques années plus tard.

Une vingtaine de ministères et d’agences spécialisées participent à des degrés divers à l’élaboration et l’exécution de la politique d’aide nippone aux pays en dé­veloppement. Chacun d’entre eux ayant des objectifs et des priorités propres, ces intérêts parfois divergents peuvent occasionnellement être source de tensions. Ils compliquent l’élaboration d’une politique cohérente censée être le fruit d’une colla­boration permanente entre les principaux acteurs que sont le MOFA (ministère des Affaires étrangères), le MITI (ministère de l’Industrie et du Commerce), le MOF (ministère des Finances) et l’EPA (Economic Planning Agency)[13].

L’Agence japonaise de coopération internationale (Japan International Cooperation Agency, JICA), inspirée de l’International Development Cooperation Agency (IDCA) des États-Unis[14], qui est l’une des plus importantes agences d’aide bilatérale au monde, constitue le bras armé de la diplomatie de l’aide nippone. Créée en 1971[15] , JICA s’est vu assigner plusieurs tâches : la coopération technique, la promotion des activités des Jeunes Volontaires japonais (JOCV), organisation calquée sur le Peace Corps américain[16], mise à la disposition d’entreprises privées nippones de fonds nécessaires à la réalisation de projets pilotes, au recrutement et à la formation de personnels d’encadrement technique. Deux lois vinrent compléter les missions de JICA : la première du 28 avril 1978, sur la Grant Capital Assistance (dons), la seconde du 6 septembre 1987, sur le Disaster Relief Team (aide en cas de désastre naturel). En octobre 2003, elle devint administrativement indépendante ; enfin, le 1er octobre 2008, la « nouvelle JICA » est née de la fusion de JICA avec la Banque japonaise de développement international (Japan Bank for International Cooperation, JBIC), dont la mission était d’octroyer des prêts bonifiés aux pays en développement. À cette occasion, la « nouvelle JBIC » a vu ses missions évoluer : promotion à l’étranger du développement des ressources naturelles stratégiques, aide aux efforts de l’industrie japonaise pour le développement de ses affaires inter­nationales, et réponse aux désordres financiers dans l’économie internationale. La JBIC dispose de deux moyens pour attribuer ses prêts : les International Financial Operations (IFO), destinées à la fois aux pays développés et aux pays en développe­ment, et les Overseas Economic Operations (ODA), essentiellement consacrées aux PVD[17]. Depuis sa réorganisation, JICA dispose de 97 bureaux qui élaborent des programmes dans 150 pays, d’un montant d’environ 8,5 milliards de dollars[18].

En complément de JICA, il convient également de noter l’existence de Y Over­seas Economic Cooperation Fund (OECF), dont les activités en Afrique sont assez limitées. Cette agence accorde des prêts à long terme et à taux préférentiels, et prend des parts dans des projets du secteur privé qui relèvent du champ de ses missions[19].

Au plan quantitatif, l’aide au développement du Japon a subi des fluctuations tant dans son montant que dans sa répartition géographique. Le Japon, qui était devenu le premier pourvoyeur d’aide au niveau mondial entre 1993 et 2000, n’était plus que troisième en 2001 après les États-Unis et le Royaume-Uni, pour tomber à la cinquième place en 2007, derrière l’Allemagne et la France. Et si l’on tient compte du ratio aide/PNB, la performance est encore moins honorable, puisque l’aide nippone ne représentait que 0,25 % en 2006 et plaçait l’archipel au 19e rang des pays de l’OCDE. À la décharge des autorités japonaises, il convient de rappeler que la crise qui avait ébranlé l’économie nippone dès le milieu des années 1990 ne permettait plus au Japon d’accroître le volume de son aide. Mais les sinusoïdes de l’aide japonaise ont évolué au gré des décisions prises par les Premiers ministres successifs, qu’il s’agisse de Ryutaro Hashimoto, qui les diminua de 1997 à 2000, ou de ses successeurs, qui annulèrent la réduction du budget pour l’année 2000, ou de Junichiro Koizumi qui à son tour diminua l’aide en 2001 de 3 %, pour la réduire de 10 % supplémentaires l’année suivante (910 millions de yens)[20]. Pour l’année fiscale 2008, elle était tombée à un peu plus de 600 millions de yens.

Pendant des décennies, l’Asie fut le continent qui bénéficia le plus de l’aide au développement japonaise. Pour la première fois, en 2006, la part de l’Afrique s’est élevée à 34,2 % de l’aide globale, alors que celle de l’Asie ne représentait plus que 26,8 %[21]. En d’autres termes, comparativement à son niveau de l’année 2000, la part de l’aide japonaise accordée à l’Afrique a été multipliée par 2,5 jusqu’en 2006, alors que la part de l’Asie décroissait de 51,1 % pendant la même période. En 2005, le Japon s’était engagé à doubler son aide à l’Afrique dans un délai de trois ans. Ayant atteint son objectif, à l’occasion de la TICAD 4, le Premier ministre Yasuo Fukuda déclara : « Je prends l’engagement selon lequel d’ici à 2012 – dans cinq ans – le Japon double son aide au développement à l’Afrique. […] Le Japon devrait attribuer à l’Afrique des prêts allant jusqu’à 4 milliards de dollars pour améliorer les infrastructures africaines. De surcroît, je promets que le Japon doublera son aide et sa coopération technique pour l’Afrique dans les cinq prochaines années[22]. » Bien entendu, cet intérêt marqué pour le développement de l’Afrique n’était pas le fruit du hasard. Le Japon, qui avait été le premier acteur de poids à inaugurer des grands-messes avec l’Afrique, s’était aperçu, au milieu des années 2000, que d’autres, comme la Chine, lui avaient emboîté le pas et lui avaient ravi des positions stratégiques, surtout dans des secteurs clefs comme l’énergie. Il devenait vital pour le Japon de réactiver ses liens avec un continent qui contenait les matières premières qui lui faisaient cruellement défaut. Le Japon compte faire bénéficier l’Afrique de son savoir-faire en matière de centrale alimentée par des turbines à gaz à haute vi­tesse ou de son expérience en matière de réseau électrique[23].

Compte tenu des nouvelles ambitions planétaires du Japon et de ses besoins croissants en matières premières, le Japon a compris, certes après les partenaires traditionnels de l’Afrique, mais avant ses concurrents asiatiques, qu’il fallait établir un cadre qui permettrait aux deux parties – le Japon et l’Afrique – de se rencon­trer régulièrement et de faire progresser leur coopération. C’est ainsi qu’est née l’idée de l’organisation de la TICAD, à l’occasion d’un discours de M. Nakayama, alors ministre japonais des Affaires étrangères à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 1991 ; cette initiative tombait à point nommé, puisque, à cette époque, les Africains, craignant de se voir abandonnés au profit de l’Europe de l’Est, étaient en quête de nouveaux partenaires. Le Japon a ainsi pu apparaître à certains Africains comme une planche de salut. Ce contexte explique indubitablement l’en­thousiasme qu’ils manifestèrent dans le soutien apporté à la conférence de Tokyo[24].

La première TICAD qui se déroula en septembre 1991 se conclut par l’adop­tion de la Déclaration de Tokyo sur le développement de l’Afrique, texte assez va­gue et sans grande portée pratique, mais qui avait l’avantage de faire émerger le Japon comme une puissance globale[25]. La seconde TICAD (19-21 octobre 1998) se caractérisa par l’institutionnalisation de la relation entre les deux partenaires. Le « plan d’action » qui y fut dévoilé contribua à apporter des réponses concrètes aux multiples questions que pose le développement du continent africain[26]. La troi­sième TICAD (29 septembre-1er octobre 2003) a contribué à pérenniser une re­lation indispensable pour les deux parties : le Japon en a désormais fait un axe de sa politique étrangère et l’Afrique est toujours à la recherche de nouveaux moyens pour se développer[27]. En outre, la TICAD 3 avait innové, dans la mesure où elle prenait désormais en compte les priorités de chaque région d’Afrique. À l’occa­sion de cette conférence, les 53 pays africains, les autres États représentés au fo­rum, les institutions internationales et les ONG ont demandé à ce que les ob­jectifs du Millénaire pour le développement se concrétisent à l’horizon 2015. Ils ont également insisté pour qu’ils soient en harmonie avec l’approche du Nouveau Partenariat pour l’Afrique (NEPAD), élaboré en 2001 et accepté par le Japon[28]. La TICAD 4, qui s’est déroulée à Yokohama du 28 au 30 mai 2008, était placée sous le titre accrocheur de « L’Afrique qui gagne ». Elle a attiré les représentants de 51 États africains – dont 41 chefs d’État – et s’est achevée par la « Déclaration de Yokohama » qui a élaboré un plan d’action pour les cinq années à venir. Comme à l’accoutumée, après un état des lieux tant au plan de la « gouvernance » que dans le domaine économique, plusieurs résolutions ont été prises, en plus de celles concer­nant l’augmentation de l’APD nippone que nous avons déjà envisagée. Afin d’ac­célérer la croissance économique, la Déclaration de Yokohama souhaite développer les ressources humaines africaines, l’industrie, les infrastructures, l’agriculture, le commerce et les investissements. Elle s’engage également à accomplir les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Rien de bien novateur pour cette quatrième édition de la TICAD, qui doit faire face à la surenchère de nouveaux bailleurs de fonds, comme les Émirats arabes unis, ou d’autres géants asiatiques comme la Chine, l’Inde et dans une moindre mesure la Malaisie.

 

Le commerce et les investissements

Les TICAD ont sans nul doute contribué à projeter l’image d’un Japon sou­cieux du devenir du continent africain, grâce à une activité diplomatique soutenue et une aide au développement conséquente. En revanche, les échanges commer­ciaux entre les deux partenaires et les investissements directs sur le continent n’ont jamais eu aucune commune mesure avec les relations économiques que l’archipel entretient avec les autres parties du monde. Ceux-ci sont réduits et concentrés tant géographiquement que par domaines. Les causes de cette relative désaffection des firmes nippones pour l’Afrique sont multiples et diverses. Parmi les obstacles régu­lièrement avancés par les entrepreneurs japonais opérant sur le continent, figurent : l’instabilité politique croissante qui fait craindre des changements de législation, voire des nationalisations, des guerres civiles et la pauvreté endémique, et leur corol­laire, l’insécurité pour les personnes et les biens, des infrastructures inadéquates et obsolètes (mis à part en Afrique du Sud), des risques sanitaires importants et, enfin, la multiplication des unions douanières qui sont au nombre de huit, ainsi que des monnaies aux cours fluctuants, y compris le rand sud-africain, mais à l’exception notable du franc CFA, lié à l’euro[29].

Si le second conflit mondial avait porté un coup d’arrêt à l’expansion du com­merce japonais en Afrique, les échanges reprirent timidement à partir de 1945. L’accession à l’indépendance des territoires africains sous tutelle va encore accélérer cette tendance. Toutefois, le volume des échanges entre les deux partenaires est demeuré désespérément faible, surtout dans l’Afrique nouvellement indépendante. Les années 1960-1970 ont connu une progression parsemée d’embûches : si éton­nant que cela puisse paraître aujourd’hui, entre 1960 et 1964, l’Afrique importait plus de produits japonais que le Marché commun ou l’Association européenne de libre-échange (AELE). Alors que, jusqu’en 1961, il existait un déficit commercial en faveur de l’Afrique, à partir de cette date, la tendance s’inversa : l’Afrique conti­nuait à importer massivement du Japon, alors que l’archipel n’absorbait pas assez de matières premières pour compenser. Entre 1961 et 1970, les exportations japo­naises passèrent de 400 millions à 1,4 milliard de dollars ; dans le même temps, les importations firent un bond de 300 à 850 millions[30]. Dans les années 1980 et 1990, un certain rééquilibrage s’est progressivement effectué dans les échanges commer­ciaux. L’année 1981 établit un record en la matière : les importations atteignirent 4,8 milliards de dollars et les exportations 10 milliards. Mais le renchérissement du yen ainsi que la baisse spectaculaire des cours du pétrole eurent des conséquences néfastes sur les relations commerciales bilatérales dès l’année suivante. La transfor­mation de l’industrie lourde nippone et le fléchissement de la production d’acier japonais eurent pour conséquence une désaffection pour le minerai de fer. Dans

les années 1980 et 1990, les principales exportations japonaises étaient majoritai­rement constituées par le secteur des transports (automobiles, camions, navires), les équipements électriques, les produits métalliques et les machines. Quant aux importations, elles étaient représentées à 50 % par le charbon, le pétrole, le platine, le cuivre, l’acier, l’or, le cobalt et les produits de la mer. Les principaux partenaires du Japon sur le continent – hors Afrique du Sud – étaient : Égypte, Liberia, Nigeria, Zimbabwe, Kenya, Mauritanie, Gabon, Ghana et Tanzanie[31].

L’Afrique du Sud, quant à elle, a toujours été un partenaire commercial pri­vilégié du Japon. Dépourvu d’accès privilégié à des sources de matières premières depuis sa défaite de 1945, le Japon ne pouvait s’abstenir de commercer avec l’État le plus avancé, le plus riche et le plus solvable du continent. Tout en se livrant à des déclarations de principes hostiles à l’apartheid, il se contenta d’adopter vis-à-vis de la RSA une attitude qualifiée de business as usual. Malgré les sanctions, d’ailleurs adoptées à contrecœur par le Japon, les échanges économiques ont crû de façon significative, au point que l’archipel devint le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud en 1987. Entre 1962 et 1980, le commerce bilatéral avait été mul­tiplié par deux. Mais cette progression phénoménale des échanges conduisit la com­munauté internationale à inciter le Japon à réduire ses échanges avec l’État paria ; il quadrupla entre 1973 et 1987, pour atteindre 4 milliards de dollars. Officiellement, le commerce bilatéral déclina rapidement, mais de nombreuses violations des sanc­tions furent relevées pendant cette période. Cette année-là, six sociétés de com­merce japonaises effectuaient la moitié des échanges avec la RSA : Mitsui, Nissho Iwai, Sumitomo, Mitsubishi, Itoh et Marubeni, pour un total cumulé de 18,5 mil­liards de dollars[32].

La fin de la guerre froide et de l’affrontement à fleurets mouchetés entre l’Est et l’Ouest sur le sol africain avaient eu pour conséquence directe la chute du régime blanc qui avait freiné le développement des échanges économiques entre la RSA et le reste du monde. Fort de sa présence économique ancienne, le Japon a conforté sa présence en Afrique du Sud, dès l’abolition des sanctions économiques qui prirent effet le 22 octobre 1991, avant même que Nelson Mandela n’accède à la magistra­ture suprême trois ans plus tard. Dès lors, les échanges commerciaux reprirent leur ascension mais n’ont jamais retrouvé leur niveau record de 1987.

Le commerce entre le Japon et l’Afrique, qui était au plus bas entre 1999 et 2001, progresse à nouveau, sans atteindre le point culminant de l’année 1981. En 2007, il était en augmentation de 16,3 % par rapport à l’année précédente ; les ex­portations japonaises en direction de l’Afrique doublèrent entre 2003 et 2007, pour atteindre 11,6 milliards de dollars, alors que les importations atteignaient leur plus haut niveau pendant trois années consécutives, avec un montant de 14,8 milliards de dollars. À la suite de l’augmentation progressive des matières premières, jusqu’à la crise financière de 2008, la balance commerciale traditionnellement favorable au Japon s’est changée en déficit ; en 2007, il était de 3,2 milliards de dollars. En 2006, le brut et le platine étaient les principaux produits d’importation, et ils repré­sentaient respectivement 21 % et 8 % des 13,26 milliards de dollars achetés par l’ar­chipel. La majeure partie du pétrole provenait du Soudan, d’Angola et du Nigeria, alors que les métaux rares provenaient d’Afrique du Sud, d’Ouganda et de Zambie. Comme par le passé, l’Afrique du Sud demeure le partenaire commercial le plus important du Japon sur le continent, avec 50 % des échanges, suivi par le Soudan (11 %), l’Égypte (8 %) et le Nigeria (5 %)[33] . Quant aux exportations japonaises en direction du continent noir, elles sont majoritairement constituées par les véhicules automobiles (24 % du total), les navires (6 %) et les machines-outils (4 %)[34]. Bien qu’une cinquantaine de chefs d’entreprise nippons aient accompagné le Premier ministre Shinzo Abe en Égypte et que la TICAD 4 ait souhaité accroître le com­merce bilatéral, il ne représente aujourd’hui que 2 % des flux globaux japonais.

Les investissements japonais en Afrique ont suivi peu ou prou la même ten­dance que les échanges commerciaux. Pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut, la prudence a été de mise chez les investisseurs japonais. Bien que, entre 1990 et 1994, le retour sur investissement ait été plus élevé en Afrique qu’en Asie (24 % à 30 % contre 16 % à 18 %), l’Afrique a peu attiré les investisseurs étran­gers. En 1993, les investissements directs étrangers (IDE) qui y étaient effectués ne représentaient que 2,3 % de ceux réalisés dans le monde. Les Japonais étaient encore plus réservés, puisqu’ils n’y auront investi que 7,351 milliards de dollars en 1994, soit 1,74 % de leurs IDE totaux[35]. Aujourd’hui encore, les IDE japonais en Afrique demeurent faibles et sont même en baisse depuis les années 1990, puisqu’ils ne s’élèvent qu’à 1,5 %, pour des investissements de 1,1 milliard de dollars en 2007.

Jusqu’en 2005, la majeure partie d’entre eux étaient investis en Afrique du Sud, essentiellement dans le secteur minier et automobile, et en Égypte – 85 % de l’IDE nippone sur le continent – ainsi qu’à Maurice, au Nigeria, au Kenya et en Angola[36]. Cependant, depuis trois ans les investissements japonais se dirigent un peu plus vers d’autres pays africains.

Partenaire le plus ancien de l’Afrique en dehors des anciens colonisateurs et des États-Unis, le Japon a été le premier pays asiatique à s’y intéresser, tant au plan économique qu’à celui de la coopération. Il a fait de son offensive diplomatique en direction des États africains, matérialisée par les conférences de la TICAD, une des lignes de force de sa politique étrangère qui a pour vocation de faire du Japon une puissance globale. Pendant longtemps, le Japon a été l’intervenant asiatique majeur sur le sol africain, exception faite de Taiwan et de quelques opérations ponc­tuelles de la Chine, comme la construction du TANZAM, chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie entre 1970 et 1975. Cependant, la crise économique qui a durement frappé l’archipel dans les années 1990 lui a fait baisser la garde, à un moment où d’autres puissances régionales se développaient rapidement. Le Japon a ainsi vu ses positions concurrencées par des outsiders comme la Chine[37], Taiwan, l’Inde ou la Malaisie.

Conscient d’avoir perdu du terrain et voyant son rang de deuxième puissance économique mondiale menacé par la Chine, le Japon tente de remobiliser toute son énergie en direction de l’Afrique. C’est ainsi que la TICAD 4 qui s’est déroulée en 2008 a vu le Japon prendre des engagements concrets, qu’il multiplie les missions officielles auxquelles participent de nombreux représentants du patronat japonais, le Keidanren, et qu’il ouvre de nouvelles ambassades, comme celle de Ouagadougou en 2008. Une partie du combat pour la première place en Asie se joue en Afrique. Le Japon s’en est aperçu après la Chine et il s’avère qu’il aura du mal à lui ravir son pouvoir d’attraction sur les Africains, à moins que les méthodes contestées de son grand rival finissent par lui attirer de trop fortes inimitiés.

 

[1]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, CHEAM, La Documentation française, 1999, pp. 13-15.

[2]Article III du traité de Berlin de 1885 et de la convention de Saint-Germain-en-Laye de 1919, qui furent ratifiés au Japon.

[3]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique, op. cit., p. 20.

[4]Morikawa Jun, « The myth and reality of Japan’s relations with colonial Africa », Journal of African Studies, publié par l’African Studies Center, UCLA, Los Angeles, printemps 1985.

[5]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La Chine et l’Afrique entre engagement et désintérêt », Géopolitique africaine, n° 14, avril 2004, pp. 51-65.

[6]Aicardi de Saint-Paul Marc, « Le Japon, Taiwan et l’Afrique du Sud », numéro spécial Afrique-Asie, Afrique contemporaine, octobre 1995, pp. 42-58.

  1. Couraye Hervé, « Le Japon, lointain et proche », Géopolitique africaine, n° 21, janvier 2006,
  2. 209.

[8]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La contribution du Japon à la sécurité en Afrique », La sécurité collective en Afrique, colloque international, Brazzaville, 28-29 novembre 2003, pp. 121-126.

[9]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit.,

  1. 77-89.

[10]Van Wyk Hesté, Human Security as an Influence on Japan s Contemporary Africa Policy. Principles, Patterns and Implications, http://hdl.handle.net/10019/727.

[11]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit.,

  1. 87-88.

[12]Tokyo International Conference on African Development.

[13]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit., p. 91 ; Aicardi de Saint-Paul Marc, « Un donateur atypique : le Japon », Les aides à l’Afrique en question, Afrique contemporaine, La Documentation française, n° 188, octobre-décembre 1998,

  1. 147-159.

[14]Aicardi de Saint-Paul Marc, La politique africaine des États-Unis : mécanismes et conduite, Economica, « Nouveaux Horizons », 3e édition, Paris, 1989, pp. 47-48.

[15]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op.cit.,

  1. 93.

[16]Aicardi de Saint-Paul Marc, La politique africaine des États-Unis : mécanismes et conduite, op. cit., pp. 42-43.

[17]Japan Bank for International Cooperation, Wikipedia, janvier 2010.

[18]Japan International Agency, Wikipedia, janvier 2010.

[19]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit., pp. 96-98, et http:// www.bizconnections.com/oecf.htm.

[20]Kamo Shozo, « De l’engagement économique à l’engagement politique : les nouvelles orientations de la politique africaine du Japon », dossier Japon-Afrique. Afrique contemporaine, n° 21, hiver 2004, pp. 63-64.

[21]Burgschweiger Nadine, « Towards a vibrant Africa : The beginning of a new era of Japanese-African partnership ? » Afrika Spectrum, GIGA, Institute of African Affairs, Hambourg, 2008,

  1. 418-420.

[22]Discours d’ouverture à la TICAD 4 prononcé par le Premier ministre Yasuo Fukuda.

[23]Mayusyama Toshikazu, « Economic diplomacy in Africa », HighlightingJapan, avril 2008,

  1. 14-15.

[24]Marc Aicardi de Saint-Paul était présent aux deux premières TICAD en tant qu’invité du gouvernement japonais. Pour les deux premières TICAD, voir Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit., pp. 56-61.

[25]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La TICAD et la Déclaration de Tokyo », Marchés tropicaux et méditerranéens, n° 2503, 29 octobre 1993, pp. 2624-2625.

[26]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La TICAD II, 19-21 octobre 1998 », Marchés tropicaux et méditerranéens, n° 2767, 20 novembre 1998, pp. 2415-2416.

[27]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La Chine, le Japon et l’Afrique : entre convergence et spécificité », Mélanges offerts au professeur Edmond Jouve, à paraître en 2010 ; Lehman Howard P., « Japan’s national economic identity and African development, An analysis of the Tokyo International Conference on African Development », Research Paper, n° 2007/61, United Nations University, Helsinki, octobre 2007.

[28]Couraye Hervé, « Le Japon, lointain et proche », Géopolitique africaine, n° 21, janvier 2006,

  1. 208-209.

[29]Burgschweiger Nadine,« Towards a vibrant Africa : The beginning of a new era of Japanese-African partnership ? », op. cit., p. 424.

[30]Sono Themba, Japan and Africa : The Evolution and Nature of Political Economic and Human Bonds, 1543-1993, HSRC, Pretoria, 1993, p. 286.

[31]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit., pp. 105-107.

[32]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit., pp. 105-109.

[33]Source : MOF, 2008.

[34]Burgschweiger Nadine, op. cit., pp. 420-422.

[35]Aicardi de Saint-Paul Marc, Le Japon et l’Afrique : genèse d’une relation atypique, op. cit.,

  1. 112.

[36]Androuais Anne, « Japon et Afrique : la genèse de relations économiques », dossier Japon-Afrique, Afrique contemporaine, op. cit., pp. 113-128.

[37]Aicardi de Saint-Paul Marc, « La Chine et l’Afrique : entre engagement et désintérêt », Géopolitique africaine, n° 14, printemps 2004, pp. 51-65, et du même auteur : « Pékin capitale de l’Afrique ? », Géopolitique africaine, n° 25, pp. 305-310.

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