La Crise Syrienne et les Médias

Christophe Reveillard

Chercheur à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), il est directeur du séminaire de Géopolitique au Collège interarmées de Défense (CID-École militaire).

3eme trimestre 2012

Le traitement de la crise syrienne par les médias a connu une évolution que l’on peut unilatéra­lement scinder en plusieurs périodes distinctes. La première période coïncide avec une réplique quasi-identique de la projection occidentale dans la guerre civile libyenne. Au regard de la réalité locale et la résistance tant du régime qu’une majorité de la population face à la descente aux enfers d’une guerre civile, les journalistes occidentaux durent réaménager leur système d’information. Lors de la deuxième période, un choix de confort fut vite opéré au profit d’organes d’informa­tion à la fois peu fiables en termes de faits avérés et eux-mêmes très engagés dans le processus de déstabilisation du pays. Nous nous trouvons enfin au cœur de la troisième période où la question syrienne a relativement disparu des premiers titres de l’actualité d’urgence et quelques éléments d’informations invisibles lors des premières périodes commencent à filtrer telle que le rôle exact des puissances extérieures, la désinformation médiatique sur les attentats, les enlèvements, la place des éléments djihadistes les plus radicaux, etc.

The management of the Syrian crisis by the media has gone through aprocess that one can unilaterally divide into several distinct periods. The first coincides with a quasi-identical remake of the Western projection into the Libyan civil war. With respect to local reality and resistance as much by the regime as by a majority of the population in the face of the descent into hell of a civil war, western news reporters had to reorganize their information system. During the second period, a choice of comfort was hastily made in favour of information channels that were at the same time not very reliable in terms of confirmed facts while being very engaged in the process of destabilizing the country. We finally find ourselves today at the heart of the third period in which the Syrian question has relatively disappeared from breaking news headlines, whilst information items which were invisible during the first periods have begun to filter in, such as the exact role of outside powers, the media disinformation on the armed attacks, the kidnappings, the place of the most radical djihadist groups, etc.

Le traitement de la crise syrienne par les médias a connu une évolu­tion que l’on peut unilatéralement scinder en plusieurs périodes distinctes. Nous ne prendrons pour illustrer notre propos que quelques exemples considérés comme emblématiques parmi de nombreux autres cas.

Une nouvelle guerre civile libyenne ?

La première période coïncide avec une réplique quasi-identique de la projection occidentale dans la guerre civile libyenne. Il était décidé dans un bel unanimisme par l’ensemble des rédactions que le scenario libyen allait se répéter en Syrie et l’on ne peut que constater combien le premier traitement de l’information sur place fut léger et entièrement orienté vers cette perspective. Ce qui eut pour conséquence d’immédiatement utiliser la méthode de diabolisation à l’encontre du régime, de passer sous silence la réalité des opérations sur le terrain, d’occulter le rôle des puis­sances régionales et internationales pourtant visiblement à l’œuvre, mais surtout, par un phénomène d’auto-intoxication, de ne pas comprendre l’extrême complexi­té de la situation syrienne intérieure, loin de se réduire au schéma binaire proposé.

Quelques exemples. À Homs, le 11 janvier 2011, le journaliste et grand repor­ter français, Gilles Jacquier est tué par des tirs non identifiés et son confrère, une femme, blessée avant d’être exfiltrée dans des circonstances rocambolesques. La couverture instantanée donne la tonalité de ce qui apparaîtra comme un scénario ficelé : non seulement il est affirmé que le journaliste a été tué par des tirs provenant d’éléments favorables au régime, voire même de positions tenues par l’Armée, mais qu’il s’agit d’un plan délibéré monté par Damas pour intimider les médias alors que Homs est la ville où le soulèvement est le plus déstabilisant pour le régime parce que soutenu par la population et constaté sur place par les émissaires de la Ligue arabe. L’enquête judicaire, doublée par le rapport de la Ligue arabe elle-même et confirmé par des sources du ministère de la Défense français, établiront au contraire non seu­lement une provenance des tirs des positions rebelles mais en plus sur un quartier alaouite favorable au régime. La volonté de désinformation de manipulation n’était pas du côté annoncé. Or, ce élément de fait prouvé et avéré rentrait tellement peu dans l’équation des journalistes et hommes politiques français que les réactions offi­cielles furent inaudibles. De plus, Homs connaissait à ce moment une campagne de terreur sans précédent, de nombreux témoignages, volontairement non relevés sur le moment parce que provenant des populations chrétiennes, indiquant la présence de nombreux et très jeunes djihadistes inconnus à Homs, arrivés très récemment en ville : ces miliciens rebelles (dont on connaîtra plus tard les identités étrangères tchétchène, libyenne, qatarie et séoudienne) se feront détester par l’ensemble de la population de Homs et seront responsables de nombreuses atrocités immédiate­ment et systématiquement attribuées au régime (enlèvements, égorgements rituels, etc.), même et surtout lorsque celles-ci apparaîtront comme commises à l’encontre des opposants à la guerre civile[1], tels que les alaouites, les druzes et les chrétiens, comme celle de Houla (nord de Homs) où 108 personnes (chiites et alaouites) dont 49 enfants trouveront la mort dans des tirs et des bombardements dont les milices anti-Assad furent les véritables auteurs malgré une couverture occidentale l’attri­buant d’abord au régime syrien.

Sources exclusives d’information : OSDH, ASL, CNS, Al-jazeera et Al-arabya

La réalité locale, les différences notables entre les situations libyenne et syrienne, et surtout la résistance tant du régime qu’une majorité de la population face à la descente aux enfers d’une guerre civile, vinrent obliger les journalistes occidentaux à réaménager leur système d’information. Mais, deuxième période, un choix de confort fut vite opéré au profit d’organes d’information à la fois peu fiables en termes de faits avérés et eux-mêmes très engagés dans le processus de déstabilisa­tion du pays. Ce fut le moment où l’information proviendra quasi-exclusivement de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, du Conseil national syrien et des medias inféodés aux régimes séoudiens, qataris et turcs ouvertement hostiles au régime de Damas.

La période de reprise in-extenso notamment par l’AFP d’informations de l’OSDH (Observatoire syrien des droits de l’homme, de l’ASL (l’Armée syrienne libre) du CNS (Conseil national syrien), d’Al-jazeera (Qatar) ou d’Al-arabya (Arabie Séoudite) fut la période la plus pénible pour les observateurs de la crise puisque très humiliante pour les journalistes et rédactions occidentales une fois de plus (volontairement ?) reléguées au rang de faire-valoir d’une thèse sur une autre. Humiliante aussi pour la presse notamment française parce que, inéluctablement dans ces circonstances un espace d’information concurrent aux réseaux classiques se développa sur l’Internet avec une orientation presqu’exclusivement en contrepoint des informations présentées comme « officielles », ce qui ouvrit la voie à tous les dérapages et récupérations habituelles dans ce genre d’exercice lui-même militant.

Cependant pour la presse occidentale, il n’y aura pas de repentance et les faits rapportés sur le CNS et l’OSDH ne sont toujours pas mis en évidence. Selon Alain Chouet[2], ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, reconnu bien au-delà de l’Hexagone pour son expertise du monde arabo-musul-man, si toutes les informations concernant la situation sont sourcées « Observatoire syrien des droits de l’homme »», « il n’a pourtant rien à voir avec la respectable Ligue internationale des droits de l’homme. C’est en fait une émanation de l’Association des Frères musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont été autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L’Osdh s’est installé à la fin des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services anglo-saxons et fonctionne en quasi-totalité sur fonds séoudiens et maintenant qataris. Je ne prétends nullement que les informations émanant de l’OSDH soient fausses, mais, compte tenu de la genèse et de l’orientation partisane de cet organisme, je suis tout de même sur­pris que les médias occidentaux et en particulier français l’utilisent comme source unique sans jamais chercher à recouper ce qui en émane ».

Quant au second favori des médias et des politiques occidentaux, le Conseil National Syrien, créé en 2011 à Istanboul sur le modèle du CNT libyen et à l’ini­tiative non de l’État turc mais du parti islamiste AKP, le même auteur souligne que « censé fédérer toutes les forces d’opposition au régime, le CNS a rapidement annoncé la couleur. Au sens propre du terme. Le drapeau national syrien est com­posé de trois bandes horizontales. L’une de couleur noire qui était la couleur de la dynastie des Abbassides qui a régné sur le monde arabe du IXe au xme siècle. L’autre de couleur blanche pour rappeler la dynastie des Omeyyades qui a régné au VIIe et VIIIe siècle. Enfin, la troisième, de couleur rouge, censée représenter les aspirations socialisantes du régime. Dès sa création, le CNS a remplacé la bande rouge par la bande verte de l’islamisme comme vous pouvez le constater lors des manifestations anti-régime où l’on entend plutôt hurler « Allahou akbar ! » que des slogans démo­cratiques. La place prédominante faite aux Frères musulmans au sein du CNS par l’AKP turc et le Département d’État américain a fini par exaspérer à peu près tout le monde. La Syrie n’est pas la Libye et les minorités qui représentent un bon quart de la population entendent avoir leur mot à dire, même au sein de l’opposition », notamment les Kurdes marginalisés au sein du CNS selon ce qu’ils se sont vus confirmés par le Département d’État américain lui-même, auquel ils étaient venus se plaindre.

Selon l’opposant Samir Aita, économiste, membre du Forum démocratique sy­rien, tout comme Alain Chouet peu suspect de sympathie pour le régime syrien, le CNS est une construction du Qatar de la Turquie et de la France dès octobre 2011. Or, Istamboul a mis en place, avec les finances du Qatar, les Frères Musulmans lesquels ne représentaient pas grand-chose en Syrie depuis leur émigration de la fin des années 70 et début des années 80. Avec les moyens dont ils ont disposé en matière humanitaire, de propagande et en matière militaire, les Frères Musulmans ont pris le contrôle du mouvement en vidant le CNS de sa substance à base de diversité. Le Qatar et le CNS refusent complètement de voir le CNS être une ins­tance diverse avec un pacte national. Le CNS a refusé de changer ses statuts qui indiquent expressément qu’il gouvernera seul la Syrie avec une autorité militaire. Il n’y a pas eu de reconstruction de l’opposition syrienne contrairement à ce qu’ont indiqué dans un premier temps les chefs d’État occidentaux. Le président Hollande a délibérément choisi le schéma turco-qatari islamisant d’une opposition syrienne sous contrôle et sans pacte national ni calendrier de transition en déclarant à France 24, RFI et TV5, « le Qatar soutient l’opposition à Bachar el-Assad (…) l’opposition doit réunir toutes les forces de l’extérieur et de l’intérieur qui demain voudront une Syrie libre et démocratique. Le Qatar a sa place (.) [il] mène des œuvres humani­taires dans un certain nombre de pays ». À la suite de ces déclarations aucun organe de presse français n’a souligné la contradiction avec le fait que le Qatar et l’Arabie Séoudite ne sont pas des démocraties[3] (euphémisme), et qu’il est difficile d’imagi­ner que ces pays non démocratiques travaillent à aider des mouvements démocra­tiques en Syrie ; le Qatar soutient les Frères musulmans au sein du CNS et l’Arabie Séoudite les salafistes, ces deux pays leur réservant l’approvisionnement en armes pour leur donner encore plus d’influence au sein de l’opposition alors qu’ils sont minoritaires ; ces deux pays travaillent l’image de leurs protégés au sein du monde musulman par les chaînes Al Jazeera et Al Arabya. Les djihadistes se retrouvent ainsi, les plus financés, les plus armés et les plus médiatisés.

Le CNS aura donc été créé sur le modèle du CNL (Libyen), auquel les puis­sances régionales et internationales ont donné, en dépit de l’existence d’une extrême diversité intérieure, la souveraineté exclusive de l’opposition. Le CNS a été créé au détriment de la véritable opposition intérieure et diverse. La plupart des membres du CNS sont émigrés depuis très longtemps, Samir Aita indiquant par exemple que l’ancien président du CNS n’est venu en Syrie depuis qu’il a 9 ans que 2 fois 15 jours, certains autres n’y étant allés que 15 jours lors de vacances. Cette contro­verse sur l’illégitimité du CNS reste un des nombreux non-dits de l’information sur la Syrie puisque autocensuré par la presse occidentale.

Les exemples emblématiques de cette politique médiatique de suivi exclusif de certaines sources peu fiables concernent essentiellement les attentats et les défec­tions des plus hauts responsables du régime.

À chaque attentat, le régime syrien fut accusé par l’OSDH et le CNS. À la suite des attentats d’Alep (40 morts) en mars, puis de Damas le 10 mai 2012 dans le quartier de Qazzaz (55 morts et 372 blessés) par exemple, l’ancien chef du Conseil national syrien (CNS), Burhan Ghalioun, intime des Frères musulmans, a accusé le régime syrien d’en être le responsable afin de « tuer le plan » de paix proposé par Kofi Annan, en recourant au terrorisme et d’« utiliser la tactique des explosions dans les villes, afin d’effrayer la population ». Or, rien moins que le chef du Pentagone, Leon Panetta, a déclaré à la suite de hauts responsables du renseignement américain, que ces attentats de Damas portaient les empreintes des djihadistes internationalistes et d’Al Qaida[4]. Pour atténuer la portée de ces dénégations, (et comme pour justi­fier l’attentat de Damas), l’OSDH (observatoire syrien des droits de l’homme) a rapporté que la plupart des victimes étaient des éléments des forces de sécurité Or, alors que les victimes d’Alep étaient effectivement principalement des membres des forces de sécurité, celles de Damas étaient, elles, essentiellement des civils. Dans ces deux cas, la presse occidentale aura exclusivement recouru aux informations distillées par l’OSDH et le CNS, avant d’effectuer un démenti discret sans aucune proportion avec la place médiatique utilisée lors de l’accusation du régime d’Assad d’être les commanditaires des attentats.

La désinformation aura joué à plein avec l’accumulation de faits réels ou suppo­sés systématiquement attribués à un seul camp provoquant ainsi l’effet de diaboli­sation et de conditionnement d’abord des journalistes, puis de leurs téléspectateurs, lecteurs et auditeurs.

De même pour les défections, réelles ou supposées, au cœur du dispositif de sécurité de l’État syrien, la manipulation de l’information aura fonctionné à plein qu’il s’agisse notamment de la fausse traduction de la déclaration du vice-Premier ministre syrien, Qadri Jamil, à propos d’un pseudo-départ du pouvoir de Bachar el-Hassad ou de la fausse défection du vice-Président syrien, Farouk el-Chareh, ces deux manipulations de l’information ayant été reprises sans vérification par les jour­nalistes occidentaux sur la foi des organes d’information d’opposition. L’objectif était atteint de faire accroire à l’affaiblissement et à la débandade du régime par des défections et des divisions internes.

C’est également la chape de plomb sur la réalité sociale de la Syrie, beaucoup plus complexe que ce que la presse occidentale n’a cessé d’imposer en simplifiant à outrance par la thèse d’une opposition entre affidés au régime et opposants démo­crates. Alain Chouet souligne bien de son côté que « le régime syrien n’est pas la dictature d’un homme seul, ni même d’une famille, comme l’étaient les régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père, Bashar el-Assad n’est que la partie visible d’un iceberg communautaire complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui deux millions d’Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d’une mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que l’Occident semble encourager et promouvoir dans la région (.). Face à la montée du fonda­mentalisme qui progresse à la faveur de tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur se retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par les autres minorités religieuses de Syrie, Druzes, Chiites, Ismaéliens et surtout par les Chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs frères d’Irak et des Coptes d’Égypte ».

Ainsi, l’apparition de nombreux djihadistes internationalistes non syriens aurait dû être relayée par la presse occidentale comme la volonté expresse de confession-naliser le conflit. D’abord contre les chrétiens comme le montre l’extrême violence à l’encontre des communautés chrétiennes d’Orient, notamment à Homs, lors d’attentats par exemple à deux reprises, les 3 septembre et 29 octobre, à Jaramana, (banlieue de Damas) ou d’un certain nombre d’assassinats d’ecclésiastiques tels que, par exemple le père Fadi Jamil Haddad, prêtre grec orthodoxe, curé de la paroisse Saint Elie à Qatana, enlevé, torturé et assassiné, et dont les obsèques seront l’occa­sion d’un autre attentat causant la mort de plusieurs personnes. Mais il faut aussi relever la tendance violemment antichiite de la rébellion avec cette anecdote révé­latrice : l’Armée syrienne libre donne des noms a ses bataillons et l’ASL reçoit des financements par les pays du Golfe, ces noms étant donc marqués par l’islamisme ; or, un bataillon de l’ASL a pour nom « Saddam Hussein », les kurdes s’en sont indignés et les koweitiens aussi ; le chef de ce bataillon a donc diffusé une vidéo sur Youtube pour s’excuser auprès d’eux et notamment des Koweitiens qui le financent aussi : mais comme il s’en explique, il n’avait pas l’intention d’offenser ni les kowei-tiens ni les kurdes, ce nom avait été donné au bataillon tout simplement parce que Saddam Hussein était resté d’abord comme celui qui a tué un grand nombre de chiites. Défavorable à la thèse d’une opposition démocratique et représentante de la population syrienne sans exclusive des confessions et des communautés, cette anecdote, connue de tous ne pouvait, dans l’autocensure que s’inflige la presse occidentale, percer le mur du silence médiatique. Enfin, nous n’insisterons pas sur la fuite en avant concernant le nombre réel de morts depuis le commencement du conflit, le décompte d’abord apocalyptique établi par les opposants et validés sans vérification (comment ?) ne pouvant, sans remises en cause, être réduit et conti­nuant donc d’être alimenté en dépit d’une étude sérieuse et indépendante de la réalité meurtrière de la guerre civile.

 

La troisième période

Nous nous trouvons enfin, au moment d’écrire ces lignes, au cœur de la troisième période où la question syrienne a relativement disparu des premiers titres de l’actua­lité d’urgence et apparaît en position modeste dans les rubriques internationales ou d’analyses diplomatiques dans lesquelles quelques éléments d’informations invi­sibles lors des premières périodes commencent à filtrer un peu sur des sujets tels que le rôle exact des puissances extérieures, les financements américains d’organes d’information de l’opposition syrienne à Londres (Barada TV par le Washington Post, par exemple), ceux qataris des éléments djihadistes les plus radicaux, la désin­formation médiatique sur les attentats, les enlèvements, des cas passés de désinfor­mation avérés, etc.

Plusieurs éléments d’interprétation sont possibles. Le manque de fiabilité des sources secondaires est maintenant devenu trop visible pour continuer la diffusion sans précaution d’un flux de ce qui apparaît maintenant avec le recul comme de la pure propagande. La prudence (relative) nouvelle des États occidentaux eux-mêmes a pu faire effet auprès des agences de presse et des rédactions. Le sérieux d’un certain nombre d’analyses indépendantes et la remontée plus ou moins filtrée d’éléments fournis par des informateurs de terrain ont également pu toucher un certain nombre de journalistes de la grande presse. La maladresse dans l’application de leur stratégie subversive contre Damas des agents séoudiens, qataris et turcs liés à l’impossibilité de cacher plus longtemps l’implication massive sur place du djiha-disme internationaliste ont ensuite joué un rôle de modération. Enfin, le fait qu’une grande partie de la population, alaouites, chrétiens, classe moyenne sunnite des grandes villes, population des petits villages frontaliers soumis à la terreur, etc., ait pu résister au processus de guerre civile sans être indissociablement lié au régime, a pu convaincre de la réalité d’une situation propre à la Syrie nécessitant un effort de compréhension se dégageant de tout parti pris simpliste.

La désinformation semble être une des nombreuses clefs de compréhension des conflits contemporains. Mais ses symptômes et ses techniques auraient dû être justement mis en évidence par la presse des pays démocratiques attachée à une information vérifiée et indépendante. Ce ne fut pas le cas lors du conflit syrien où l’auto-intoxication des médias aura connu une intensité rare : diabolisation d’un camp, non vérification des sources elles-mêmes peu diversifiées, occultation d’élé­ments fondamentaux de compréhension de la nature du conflit, etc. Les organes de presse, loin de faire leur travail, auront surtout donné l’impression de travailler involontairement à la réalisation d’objectifs géopolitiques de puissances étatiques en se mettant de facto à leur service. Dès lors pouvaient-elles comprendre les der­niers développements du conflit ? Les forces militaires rebelles du nord ont pour mission de prendre Alep et les zones du Nord lorsque Istanboul et Washington les y autoriseront puisque le régime syrien s’est surtout appliqué à défendre la zone Ouest (région alaouite), Damas et ses environs. Les djihadistes ont pour objectif la création d’un nouveau Benghazi ou d’un nouveau Kurdistan syrien dans le Nord, pour l’établissement d’un gouvernement islamiste provisoire en exil inté­rieur, solution qui prouve la nature étrangère de cette stratégie puisqu’elle serait infiniment meurtrière. Mais elle aurait un intérêt inégalable pour les puissances régionales et internationales engagées qui en seraient les bénéficiaires : elle devrait provoquer le fractionnement du pays et donc la remise en cause de ses frontières, comme dans l’ensemble du Proche Orient selon une perspective prévue depuis longtemps et qui dépasse le seul cas syrien. Ne comptez pas sur la presse occiden­tale pour vous en informer.

[1]Il s’agit réellement d’opposition à la guerre civile et non forcément de soutien au régime, ce que ne veulent pas prendre en compte une bonne part des medias occidentaux. Une citation de l’entretien de Mgr Ignace Éphrem Joseph III Younan, patriarche catholique syriaque sur le site de l’AED (http://www.aed-france.org/actualite/joseph-iii-younan-nous-voulons-la-primaute-des-droits-de-lhomme-et-non-la-primaute-dune-religion/) peut aider à la comprendre : Selon lui, le « destin des chrétiens au Proche-Orient n’a aucune importance pour l’UE. Nous ne sommes partisans de personne. Je le répète : Nous voulons seulement jouir des mêmes droits que tous les autres. À supposer que nous prenions parti, ce serait pour le peuple syrien. Mais de nos jours, si quelqu’un ne s’exprime pas contre Assad, on dit immédiatement qu’il est partisan d’Assad. Savez-vous exactement qui se trouve de l’autre côté et si ces forces reconnaîtront les droits civils, la Charte
des Nations-Unies ?

L’Union européenne se trompe-t-elle en prenant parti pour les rebelles ?

Permettez-moi d’être franc. Nous sommes en présence de beaucoup d’hypocrisie. De nombreux gouvernements ne pensent qu’à leurs intérêts économiques. Le destin des chrétiens au Proche-Orient n’a aucune espèce d’importance pour eux, sinon, ces gouvernements s’engageraient en faveur de l’égalité devant la loi, du respect des droits de l’Homme pour tous, même dans des pays où le soi-disant printemps arabe n’a pas eu lieu. Il y a plus d’un an, nous avions déjà affirmé que le printemps arabe apporterait le chaos et la guerre civile. Cela n’a rien d’une prise de parti pour ou contre Assad ou l’un des autres potentats de la région. C’est une question de droits identiques pour tous. C’est une question relevant de la primauté des droits de l’Homme et non de la primauté d’une religion. L’intégration et la coexistence ne peuvent fonctionner que si la première primauté est respectée. Je l’ai dit au Gouvernement français à Paris et je vous le répète. À long terme, l’islam fondamental refuse le dialogue d’égal à égal. Si l’Union européenne prenait au sérieux ses principes des droits de l’Homme, elle s’engagerait ouvertement en faveur

[2]Conférence donnée à l’Association Régionale Nice Côte d’Azur de l’IHEDN (AR29), le 27 juin 2012.

[3]Cf. l’ouvrage Les droits de l’homme en Arabie Saoudite, Académie géopolitique de Paris, Paris, 2012.

[4]Vr. l’intéressant dossier d’Afrique Asie, mars 2012, le dossier « L’exception syrienne », p. 46 et sq.

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