La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen se fonde-t-elle sur une base constitutionnelle ou légitime ?

Ali Al-Yaqoobi
Avocat et docteur en droit public, Chercheur associé au Centre Michel
de l’Hospital de l’Université d’Auvergne
Au moment où le Yémen est devenu une arène de luttes pour l’influence internationale, demeure
la question : Y-a-t-il une base constitutionnelle ou légitime autre sur laquelle pourrait s’appuyer
l’Arabie saoudite pour justifier son intervention militaire massive au Yémen? Suivant élaboration
des éléments de réponse disponibles, il ressort qu’à ce jour l’Arabie saoudite n’a pu exposer aucun
motif régulier constitutionnel, régional ou international justifiant encore une intervention militaire
de grande envergure contre son pays voisin.
At the time that Yemen has become an arena for international struggle, the question remains: Is there
any constitutional or other legitimate basis that Saudi Arabia could cite in order to justify massive
military intervention against Yemen? Based on the elements available, it is clear that to this day, Saudi
Arabia has exposed no regular constitutional, regional or international reason justifying yet another
massive armed invasion against its neighbouring country.
Le Yémen est le berceau de l’une des plus anciennes civilisations du Proche
Orient. Le pays est limité au nord par l’Arabie saoudite et Oman au nord-est.
L’Erythrée et Djibouti lui font face de l’autre côté du Golfe d’Aden. Il est bordé sur
les trois côtés par la Mer Rouge qui sépare le Yémen de l’Afrique de l’Est.
Environ 23 580 000 habitants vivent sur ses 485 000 km21
. Ils sont essentiellement
des Arabes sunnites ou chiites zaïdis2
. Le Yémen par sa situation est un pays
très important pour le commerce du pétrole par voie maritime. En effet il a la possibilité
de bloquer l’un des trois détroits qui voient passer chaque jour 2/3 du pétrole
mondial, Bab Al Mandeb, et le pays peut donc fermer l’accès à la Mer Rouge et au
canal de Suez3
.
La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
72
« La révolution de la jeunesse yéménite » de 2011 et la cascade d’événements
ultérieurs, dont la vaste offensive aérienne de l’Arabie saoudite, ont placé le Yémen
au centre de l’attention internationale.
Au moment où il est devenu l’arène des luttes de concurrence pour l’influence
internationale, demeure la question la plus importante : Y a-t-il une base constitutionnelle
ou légitime à la demande, faite par Hadi, argument sur lequel s’appuierait
l’Arabie saoudite pour justifier son intervention au Yémen ?
Pour asseoir notre réflexion nous allons d’abord parcourir l’histoire constitutionnelle
du Yémen (I) puis analyser dans quelle mesure la demande de Hadi est
légitime au regard des textes à portée constitutionnelle écrits après la révolution de
2011 (II).
L’histoire constitutionnelle du Yémen avant la révolution de 2011
L’histoire ancienne du Yémen commence à partir de la fin du deuxième millé-
naire avant notre ère. Il s’appelait suivant l’époque royaume de Saba4
, de Qataban5
,
d’Hadramout6
et d’Himyar7
.
Plusieurs régimes se sont succédés au Moyen Age tels l’État Ziyadid8
, l’État
Yufirid9
, l’État de l’imamat Zaïdite10.
Le nord du Yémen a pris son indépendance par rapport à l’Empire Ottoman
en 1918. Le royaume Mutawakilite Zaïdi a dominé ensuite jusqu’en 1962, date à
laquelle il est devenu la République Arabe du Yémen. Alors que dans le sud le protectorat
britannique a continué à s’exercer jusqu’en 1967. C’est alors qu’un régime
de démocratie populaire s’est établi et a duré jusqu’en 1990. À cette date l’unité s’est
faite entre le nord et le sud.
• La monarchie
En 897, l’imam Yahia bin Al-Hussein Al Zaïdi a fondé le royaume zaïdite qui a
duré jusqu’à l’époque moderne. Cependant après une période de conflits régionaux
pour savoir qui allait prendre le contrôle de cette région, l’Empire ottoman a envahi
le Yémen, sans toutefois que l’imam soit évincé.
Les Ottomans ont régné sur le pays jusqu’en 1918, date à laquelle ils ont été
expulsés par les Zaïdis. L’imam Yahia Hamideddin a régné sur le royaume Zaïdite
Mutawakilite. Il est le premier gouvernant yéménite après l’indépendance par rapport
aux Ottomans. Après sa mort en 1948, son fils Ahmed bin Yahia lui a succédé
et a régné jusqu’en 1962.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
73
Cette monarchie n’avait pas de constitution au sens où nous l’entendons mais
elle avait, somme toute, une constitution non écrite basée sur des sources religieuses.
La monarchie Zaïdi a établi une période de stabilité et a travaillé à constituer
une armée moderne durant les années trente du vingtième siècle. Des officiers sont
partis se former à l’étranger.
Le problème le plus important qui s’est posé au royaume a été celui de ses
relations difficiles avec l’Arabie saoudite laquelle lui a fait la guerre de mars à mai
1934. Les villes de Asir, Jizan et Najran dans le sud du Yémen ont été prises par
les Saoudiens. Pour arrêter cette guerre, les Zaïdis ont accepté de signer l’accord de
Taëf avec Ibn Saoud : l’Arabie saoudite pouvait « louer » ces villes moyennant une
certaine somme, avec un renouvellement du traité tous les vingt ans11.
Ces villes yéménites contrôlées par les Saoudiens seront plus tard en permanence
des points de friction entre les Saoudiens et les Yéménites. C’est ce qui explique que
les Saoudiens veuillent toujours interférer dans les affaires du Yémen et cherchent
à le maintenir dans une certaine faiblesse : ils redoutent qu’un Yémen fort exige la
restitution de ces villes.
L’autre défi intérieur auquel a dû répondre la monarchie zaïdite a été la
« révolution de la Constitution » qui s’est terminée par un coup d’État le 17 février
1948 et qui aurait voulu rédiger une Constitution. Ce coup d’État a échoué, l’imam
Ahmed Humaid al Din a reçu le soutien des tribus yéménites qui ont fait avorter
cette révolution ainsi que celui de l’Arabie saoudite qui s’est investie dans cette
lutte contre la Constitution pour des raisons idéologiques. Elle ne voulait pas une
république à sa frontière.
• La république
Un coup d’État militaire contre le royaume Zaidite Mutawakilite du Yémen a
eu lieu en 1962 et a fondé la République arabe du Yémen. Une guerre civile a suivi
entre partisans de la monarchie et partisans de la république durant huit ans de
1962 à 1970.
Cette guerre civile au Yémen a pris une dimension internationale et le pays s’est
transformé en arène de conflits entre les républicains soutenus par Gamal Abdel
Nasser et les monarchistes soutenus par les Saoudiens. Nasser a désigné ce conflit
comme étant celui « des réactionnaires détenteurs de gros moyens financiers », réfé-
rence à l’Arabie saoudite, que, par ailleurs, il estimait être une des causes de l’échec
de l’union de l’Égypte et de la Syrie (République Arabe Unie)12.
La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
74
À cette époque l’Égypte soutenait les mouvements d’émancipation par rapport
à des régimes monarchiques des pays arabes dans une tentative d’exporter son expé-
rience de 1952 contre la monarchie égyptienne. Gamal Abdel Nasser leur ayant
envoyé le renfort d’environ 70 000 soldats, de violents combats ont eu lieu et se
sont terminés par la victoire des républicains et la fin du siège de Sanaa par les
monarchistes. La République arabe yéménite a été fondée au nord.
Depuis la chute de la monarchie, le Yémen a connu une grande instabilité.
Plusieurs constitutions ont été publiées sans être appliquées. En 1963 une
Constitution provisoire a été adoptée, puis en 1964 une Constitution permanente
a été publiée. Un certain nombre de déclarations constitutionnelles ont vu le jour
jusqu’au 28 décembre 1970, jour où la Constitution permanente a été publiée.
Elle est restée en vigueur jusqu’à l’union du Yémen du nord et du Yémen du sud
en 1990.
Nous venons de voir l’histoire du Yémen du nord mais en ce qui concerne le
Yémen du sud, sous protectorat britannique, la guerre qui avait eu lieu dans les
territoires du nord s’était étendue au sud, ce qui a conduit l’Angleterre à accorder
l’indépendance à cette région et les troupes britanniques se sont retirées du pays en
1967.
Le 30 novembre 1967 la République populaire démocratique du Yémen a été
fondée au sud et le 17 novembre 1970 sa première Constitution a été publiée. Le
14 novembre 1978 le parti communiste yéménite a été créé et il a adopté l’idéologie
marxiste-léniniste avec un changement de Constitution.
• L’unité entre le nord et le sud
Depuis 1972 les négociations ont commencé pour rétablir l’unité entre les deux
États yéménites. Le premier accord pour rétablir cette unité est celui du 28 octobre
1972 au Caire. Celui de Tripoli le 28 novembre 1972, celui de Koweït le 28 mars
1979 et celui de Taizz (au Yémen) le 3 novembre 1989 se sont succédé. Enfin, après
une déclaration de la République du Yémen, il y eut, le 22 avril 1990, l’organisation
d’une période de transition au cours de laquelle le nord et le sud ont convenu de
la création de la République du Yémen le 22 mai 1990. Cette réunion a publié le
22 mai 1990 une nouvelle Constitution13.
Si l’unité du nord et du sud Yémen a reçu la bénédiction des Républiques arabes
comme la Libye, l’Irak et l’Égypte, il n’en a pas été de même de la part de l’Arabie
saoudite qui a adopté à cet égard une position très négative. Elle a rejeté l’unité et
encouragé la sécession du nord et du sud durant la guerre civile de 1994.
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
75
Après la fin de la guerre civile de 1994 et l’échec de la sécession du sud Yémen,
la Constitution de 1991 a été modifiée pour tenir compte des développements
politiques consécutifs à cette guerre. Le Conseil de la Présidence a été remplacé
par un Président et un vice-président. L’accord entre les hommes politiques voulait
que le Président soit du nord et le vice-président du sud. En 2001, à nouveau,
la Constitution a été modifiée pour élargir les compétences du Président de la
République et porter la durée de son mandat à sept ans. La mandature du Conseil
des Députés est de six ans. Durant toute cette période le régime est devenu présidentialiste
avec des caractéristiques totalitaires.
Malgré la domination du Président Saleh et de son parti (le Parti du Congrès
général du peuple) sur la vie politique du Yémen, d’autres forces politiques importantes
existent. Le mouvement Ansarullah (les Partisans de Dieu) basé essentiellement
dans le nord est connu comme étant Houthi selon son fondateur Hussein
Al Houthi, la direction et les membres appartenant aux zaïdis chiites, héritiers des
Zaïdis qui ont dirigé le Yémen pendant des siècles. L’autre mouvement est celui des
Frères Musulmans. Enfin le mouvement du sud. Il y a aussi d’autres partis politiques
mais leur poids n’est pas très important.
Mais le Yémen connaît aussi la menace que représente Al Qaïda, en particulier
dans la région des villes d’Hadramaout.
Textes à portée constitutionnelle après la révolution de 2011
À la suite des révolutions tunisienne et égyptienne, a commencé la révolution
de la jeunesse yéménite contre le régime du Président Saleh. Le 11 février 2011
les manifestations étudiantes à l’Université de Sanaa ont pris de l’ampleur et sont
descendues dans la rue en se dirigeant vers l’ambassade de Tunisie.
Devant la montée des mouvements étudiants et le début d’un affrontement avec
les forces de sécurité qui soutenaient le Président, au pouvoir depuis 1978, celui-ci
a annoncé qu’il ne briguerait pas un autre mandat et qu’il ne transmettrait pas le
pouvoir à son fils. Mais ces annonces n’ont pas calmé les manifestants. Le 18 mars
cinquante-deux civils sont tombés victimes des forces de sécurité.
L’Initiative du Golfe
Suite à la défection d’un certain nombre de membres de l’armée, le Président
Saleh a accepté finalement de signer à Riyad, le 23 novembre 2011, « l’Initiative du
Conseil de Coopération du Golfe » qui visait à résoudre la crise politique au Yémen.
La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
76
Cet accord a été obtenu essentiellement par l’Arabie saoudite au nom du Conseil
de Coopération du Golfe sans la participation du Qatar qui avait refusé.
La clause de cet accord était que le Président Saleh devait charger « l’opposition
» de former un nouveau gouvernement composé pour une moitié des partisans
de Saleh (le Parti du Congrès général du peuple et ses alliés) et pour l’autre moitié
des opposants (le Parti de la Réunion conjointe, c’est-à-dire les Frères Musulmans,
et ses alliés).
Ce gouvernement devait être formé dans les sept jours suivant la date à laquelle
avait été confiée cette charge. Il devait préparer un climat de dialogue. Ensuite
le Parlement yéménite devait voter une loi garantissant l’immunité du Président
Saleh, et de ses collaborateurs, contre toute poursuite judiciaire visant les actions
menées sous son pouvoir. Après l’adoption de cette loi le Président Saleh devait
démissionner, le vice-président prenant son poste et appelant à des élections présidentielles
dans les soixante jours. Le président qui serait élu chargerait un comité
constitutionnel d’écrire une nouvelle Constitution à présenter au suffrage universel.
Si la Constitution était adoptée, un calendrier des élections parlementaires devait
être fixé pour constituer un nouveau parlement selon la nouvelle Constitution. Puis
le président devait charger le chef de la majorité élue de former un gouvernement14.
Le Conseil de Coopération du Golfe, les États-Unis d’Amérique et l’Union
Européenne devaient témoigner de la réalisation de « l’Initiative du Conseil de
Coopération du Golfe ». La rubrique « mise en œuvre » était considérée comme un
guide pour la période de transition15.
Les Nations Unies ont participé à l’application du processus en nommant Jamal
Benomar, diplomate marocain, envoyé spécial du Secrétaire Général.
L’Initiative du Golfe a pratiquement remplacé, pour le Yémen, une Constitution
provisoire après la révolution de 2011. En effet à l’article 4 de l’Appendice à l’Initiative
du Golfe on peut lire : « L’accord de l’Initiative du Golfe et son Appendice
remplacent toute disposition constitutionnelle ou légale préexistante, aucune de
leurs dispositions ne peut être portée en appel ».
Alors se pose ici la question de savoir si un accord entre une partie des mouvances
politiques d’un pays, signé dans un autre pays, a une valeur supérieure à la
Constitution préexistante du pays et si cet accord peut être protégé de l’appel.
L’Initiative du Golfe a décrit les différentes étapes de la période transitoire : la
démission du Président Saleh, la nomination de son vice-président Hadi au poste
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
77
de président, la charge confiée à l’opposition de former un « gouvernement d’union
nationale ».
Elle a également donné l’immunité judiciaire au Président Saleh. Cette mesure
de l’immunité a été contestée par la plupart des partis ayant fait la révolution, mais
aussi par le Qatar qui était en concurrence d’influence sur les pays du printemps
arabe avec l’Arabie saoudite.
Dans les faits, l’Initiative du Golfe n’a pas atteint ses objectifs. La raison la
plus importante de l’échec de l’Initiative tient au fait qu’elle avait prévu le partage
du pouvoir entre deux partis, le Parti du Président Saleh et celui de la Réunion
Conjointe qui regroupait différents mouvements sous la bannière des Frères
Musulmans. Dans une tentative pour maîtriser le résultat de la révolution, l’Arabie
saoudite avait écarté les Houthis « Ansarullah » et le Mouvement du Sud qui étaient
les principaux opposants.
Finalement l’Initiative du Golfe a renforcé la tutelle permanente de l’Arabie
saoudite sur le Yémen. Le Président Hadi est devenu un instrument docile entre ses
mains. Cette situation a favorisé la concurrence régionale sur le Yémen.
Cependant l’Initiative qui prévoyait la mise en œuvre de ses dispositions selon
un calendrier précis n’a pu atteindre que quelques-uns de ses objectifs. Ainsi, le
Président intérimaire, dont le mandat ne devait pas excéder deux ans, est toujours
au pouvoir depuis trois ans.
L’accord de paix et de solidarité
Après cela le Yémen est entré dans une nouvelle étape, celle de l’accord de paix et
de solidarité, signé le 21 septembre 2014, alors que les Houthis venaient, après des
manifestations importantes, de prendre le contrôle de la capitale Sanaa.
La signature de cet accord par tous les partis du Yémen, les deux signataires de
l’Initiative du Golfe et les autres, en présence du Président Hadi, du Président du
Parlement, des conseillers du Président et du Secrétaire général adjoint des Nations
Unies, sous le contrôle de Benomar, a signifié la « mort » de l’Initiative du Golfe.
L’accord de paix et de solidarité comprenait un certain nombre d’éléments, notamment
l’obligation faite au Président de choisir des conseillers parmi les Houthis
et dans le Mouvement du Sud. Il devait aussi charger le nouveau premier ministre
de former un nouveau gouvernement, puis les conseillers qui avaient été choisis
devaient présenter des candidats aux différents ministères. Le président devait,
La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
78
parmi ces candidats, choisir le ministre des Affaires étrangères et de l’Intérieur, de la
Défense et des Finances. Le Premier ministre devait choisir les titulaires des autres
portefeuilles. Dans les trente jours un programme consensuel de gouvernement
devait être établi pour permettre le dialogue national et dans les quinze jours après
la signature de l’accord, le Président devait signer un décret élargissant le Parlement.
Le Président devait superviser le comité de rédaction de la Constitution. L’accord
comprenait également un volet économique. Le gouvernement devait faire appel à
un comité d’experts en économie et en finances pour étudier la situation et développer
un programme complet et détaillé de réformes. Il devait aussi augmenter le
budget consacré à la santé et à l’éducation16.
Tous ces « beaux projets » sont restés lettre morte, ils avaient été prévus mais ne
furent jamais réalisés quelle qu’en ait été la raison.
Après de longues discussions, le 7 novembre 2014 le Président Hadi a annoncé
la formation d’un nouveau gouvernement dirigé par Khaled Bahah. Mais ce
gouvernement n’a pas été formé de tous les partis politiques, comme cela avait
été convenu. Il était prévu la répartition suivante : 9 ministères pour la Réunion
conjointe, les Frères Musulmans, et ses partenaires, 9 ministères pour le Congrès
général du peuple, parti de Saleh, et ses alliés, 6 ministères pour le mouvement du
Sud et 6 ministères pour les Houthis.
Cependant le Président Hadi a décidé qu’il voulait un gouvernement de « technocrates
». Le parti du Président Saleh n’a pas voulu participer à ce gouvernement
en arguant du fait qu’il n’avait pas été consulté. Les Houthis, de leur côté, n’ont pas
voulu y entrer non plus « car il comprenait des corrompus »17.
Auparavant l’Arabie était l’alliée du Président Saleh et elle avait fait six fois la
guerre aux Houthis. Mais ensuite elle avait écarté Saleh. Elle avait donc des relations
conflictuelles avec Saleh et les Houthis. Suivant le principe « l’ennemi de mon
ennemi est mon ami », Saleh et les Houthis se sont retrouvés dans le même camp.
Le Yémen est alors entré dans une impasse. Les Houthis représentent une force
importante et disposent d’une base populaire. L’armée les soutient à cause de l’impact
de Saleh qui, chez elle, est encore fort. On peut dire que le Président Hadi est
un président fantoche avec cependant une base populaire dans le sud, mais beaucoup
moins importante que celle de Saleh et des Houthis.
Face à cette situation le gouvernement a démissionné le 22 janvier 2015. La
démission du Président Hadi a suivi immédiatement, mais en fait il aurait déjà dû
quitter le pouvoir qu’il détenait depuis trois ans alors qu’il avait été élu pour deux
Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015 Le Yémen, victime collatérale de la crise systémique Arabe
79
ans. On en est donc à un vide politique au Yémen, la période de transition se solde
donc par un échec.
Les Houthis ont annoncé, dans une déclaration qu’ils ont appelée « Déclaration
Constitutionnelle » le 6 février 2015, la création d’un « Comité Révolutionnaire »
composé des principaux partis du Yémen pour diriger le pays jusqu’à l’adoption
d’une Constitution et l’organisation des élections.
Puis le Président a donné sa démission, il a quitté Sanaa pour aller dans le sud
à Aden le 21 février et, arrivé à Aden, il a annoncé qu’il retirait sa démission et que
les Houthis avaient fait un coup d’État. Après cela il est parti en Arabie saoudite où
il réside actuellement.
Le 8 mars 2015 l’Arabie saoudite a invité les parties en conflit à venir à une
rencontre à Riyad. Les Houthis ont refusé, non la rencontre mais le lieu où elle
devait se tenir, au motif que l’Arabie saoudite, finançant Al Qaïda et Daesh dans le
sud, n’était pas un lieu neutre. Ils voulaient que la rencontre se tienne à Oman, pays
indépendant, ou dans un autre lieu comme Genève, sous la direction de l’ONU18.
L’Arabie saoudite a déclaré que le Président Hadi lui avait demandé une intervention
militaire au Yémen contre les Houthis. Riyad a formé une alliance de certains
pays pour bombarder le Yémen. C’est l’opération « Tempête décisive » commencée
le 25 avril 2015.
L’Arabie saoudite est soutenue par d’autres pays. Ce faisant, ce soutien d’une
guerre contre l’armée régulière du Yémen et les Houthis, opposés à Al Qaïda, apporte
une aide indirecte mais réelle à Al Qaïda. Il y a là une incohérence de la
politique contre le terrorisme.
Il est clair que l’ancien Président Hadi n’a pas un statut constitutionnel lui
permettant de demander une intervention étrangère au Yémen. Il ne tire pas sa
légitimité d’une Constitution mais d’un accord politique, sans valeur constitutionnelle,
qui s’arroge le droit d’annuler les dispositions constitutionnelles précédentes
(Constitution de 1990). Et dans l’accord lui-même le mandat de Hadi était fixé
à deux ans et non trois ans au cours desquels la transition n’avait pas été assurée.
De plus ni dans la Constitution de 1990, ni dans l’accord de l’Initiative du Golfe
ne figure, bien sûr, la possibilité de demander l’intervention militaire de l’étranger
contre une révolution intérieure.
Il y a plus de deux cents ans, le motif le plus grave de la condamnation du roi
et de la reine de France, par le Tribunal Révolutionnaire, avait été leur demande de
La demande d’Hadi d’une intervention saoudienne au Yémen… Géostratégiques n° 45 • Juillet 2015
80
l’aide étrangère pour juguler le mouvement révolutionnaire. Or, si Hadi a demandé
l’aide de l’Arabie saoudite, c’est exactement la même situation, donc tout aussi
condamnable que dans ce cas historique.
En fait, la politique de l’Arabie saoudite envers le Yémen n’a pas été une action
positive. Elle n’a pas accueilli l’unité yéménite entre le nord et le sud, alors qu’elle a
soutenu la guerre civile en 1994, en violation flagrante de la Constitution yéménite
et de la légitimité constitutionnelle de ce pays, dans le but d’aider la sécession du
sud, mais ses efforts ont été infructueux.
En ce qui concerne le respect de la légitimité constitutionnelle de Hadi, l’Initiative
du Golfe établie par Riyad avait pour but essentiel de circonscrire la révolution
yéménite. C’est pourquoi des acteurs importants n’ont pas été conviés à entrer dans
le processus de transition mais les Frères Musulmans, qui sont les alliés de l’Arabie
saoudite, ont été soutenus pour arriver au pouvoir.
Nous pouvons donc dire que la révolution yéménite n’est pas achevée. Les mouvements
politiques de ce pays ont encore besoin de dialoguer dans un pays neutre
comme prélude à la mise en place d’une nouvelle Constitution qui aura le soutien
de la majorité du peuple yéménite et ouvrira une nouvelle étape.
Il est donc difficile de comprendre la stratégie saoudienne qui se bat contre
l’armée yéménite, dont elle était l’alliée il y a peu de temps, et contre les Houthis
zaïdis qui ont défendu le royaume zaïdi dans les années soixante contre Gamal
Abdel Nasser, guerre qui a fait des milliers de morts parmi les soldats égyptiens à
cause du soutien saoudien.
C’est une stratégie « à géométrie variable » motivée, suivant les circonstances,
par des raisons religieuses ou idéologiques quand il s’agit de lutter contre des tendances
démocratiques.
L’Arabie saoudite dans ses multiples interventions (tantôt dans un sens, tantôt
dans l’autre, selon ses intérêts) agit comme si elle ignorait le principe de souveraineté
des États voisins. Qu’il s’agisse de Bahreïn ou du Yémen, elle se donne le droit
de régler les problèmes de ses voisins, en franchissant les frontières ou les espaces
aériens dans des conflits intérieurs qui ne la concernent pas.
La situation actuelle du Yémen est tragique : l’attaque saoudienne a fait des
milliers de morts et blessés yéménites19. Les conséquences humanitaires sont incalculables
en terme de santé, logements, routes etc. La volonté de démocratie de la
révolution yéménite a donc été écrasée par les intérêts de l’étranger proche.

Article précédentL’Arabie saoudite, prochaine victime du renversement du monde : vers une guerre de mille ans pour la Mecque?
Article suivantL’intervention saoudienne au Yémen et le droit international

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.