La diplomatie bonapartiste de Bush et l’avenir du monde

Par Ali RASTBEEN
Président de l’Institut International d’Etudes Stratégiques
Géostratégiques N°7 -Avril 2005

L’histoire future -si elle est écrite un jour- dira que la troisième guerre mondiale débuta avec l’attaque de l’administration
Bush fils contre l’Irak. Cette attaque avait commencé en 1991 par Bush père sous couvert de « guerre propre » annonçant « le nouvel ordre mondial » dont le monde aurait du prévoir les conséquences. Or, de façon immédiatement perceptible, l’avènement et l’insolence de Bush fils avaient rendu cette situation prévisible.
L’agression contre l’Irak est différente de la guerre en Afghanistan lors de laquelle Washington bénéficiait du soutien général et de l’accord dû aux événements du 11 septembre. L’Irak avait été longtemps l’allié des pays occidentaux et de la Russie. L’objectif de l’équipe Bush était justement de couper ce lien ombilical. Dans son agression, Washington savait pouvoir bénéficier du soutien de Londres. Cette approbation semblait lui suffire pour obtenir l’élimination de l’Organisation des Nations Unies et l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale. Il est important de souligner qu’au lendemain de la IIème Guerre mondiale et par l’action de conservateurs tels que Winston Churchill, une politique d’influence à l’échelle mondiale discrète mais active fut créée. Celle-ci, à travers le plan Marshall et le traité de l’Atlantique Nord, se faisait sentir partout : dans la lutte contre le bloc de l’Est, pour la reconstitution des régimes affaiblis d’Europe, dans les luttes pour l’indépendance des colonies. Pour la bonne compréhension du monde contemporain, il apparaît que cette question n’a pas été suffisamment étudiée par l’histoire politique contemporaine. Sans ce travail d’analyse, de nombreux points obscurs de l’histoire contemporaine ne peuvent être élucidés. Il est notable que l’une des bases de cette puissance se soit trouvée naturellement à Londres. Dans une perspective du prolongement de ce processus de puissance essentiellement anglo-saxonne, la présence du Premier ministre socialiste et du dirigeant du parti travailliste anglais auprès de l’équipe de Georges Bush lors de sa phase actuelle, n’est donc pas fortuite.
La politique de conciliation de l’équipe Bush à l’égard de l’Europe, au cours des derniers mois, ne doit pas être considérée, contrairement aux dires des politiciens optimistes, comme un revirement vis-à-vis de la politique annoncée depuis deux ans. Washington tente en réalité de faire admettre aux « alliés européens » ses avancées en Irak -malgré les difficultés rencontrées et celles à venir- et sa volonté d’ignorer, de mépriser, l’Organisation des Nations Unies, en les plaçant devant le fait accompli et les obliger à soutenir ses acquis. Elle veut faire supporter au monde -à l’instar de l’« Afghanisation »– la charge de ses responsabilités dues à la guerre en Irak. L’administration Bush ne se soucie guère des populations de la Syrie, de l’Iran et du Liban. L’objectif qui prime tout autre considération de l’hyperpuissance est la domination de l’Asie et de l’Afrique. Cette fièvre « bonapartiste » a également été instillée dans la société américaine, si hétérogène, car elle permettrait à préparer le terrain à d’autres actions sans permettre au « pragmatisme » américain de prendre le dessus.
La Première Guerre mondiale n’avait besoin d’aucune justification. Son objectif apparaissait clairement : la nécessité d’un nouveau partage. La Seconde Guerre mondiale a trouvé une justification idéologique. L’impasse économique avait rendu nécessaire un nouveau partage entre les grandes puissances. Le parti nazi en Allemagne a utilisé l’arme idéologique du racisme pour sacrifier les juifs et les tziganes, de même que les communistes. Les fours crématoires sont devenus l’un des symboles du Vingtième siècle.
Tout à sa guerre de représentation, l’administration Bush, en référence à la guerre du Bien contre le Mal s’efforce de faire admettre la guerre des civilisations et, depuis un demi-siècle, les Palestiniens rendent des comptes à Israël -ce gouvernement créé par les Nations unies- dans un nouveau conflit idéologique. Aujourd’hui ses voisins sont également tombés dans son piège. Pour assurer son « espace vital » et son « espace de sécurité », Israël occupe une partie du territoire de chacun d’eux, ce qui sera certainement appelé le grand Israël dans les nouveaux calculs de remodelage du « grand Moyen-Orient ».
C’est un fait indéniable que les régimes du Proche et du Moyen-Orient sont issus des pouvoirs tribaux ou des forces militaires subordonnées aux puissances coloniales ce qui constitue l’une des principales causes de l’éloignement de ces régimes avec leurs populations autochtones. A l’instar de l’Afrique, le Vingtième siècle n’a pas permis à cette vaste région de poursuivre une évolution sociale et économique en vue de conduire les peuples de l’étape tribale à celle nationale. Cette destinée fut également partagée par la Turquie et l’Iran. Cependant, la solution ne consiste pas dans l’exportation de la démocratie tel que préconisée par l’administration Bush. Référons nous à l’histoire. Quel a été le bilan de l’action des puissances victorieuses de la Première guerre mondiale qui avaient en charge le transfert des territoires de l’empire ottoman vers des pays indépendants ? Cet échec ne fut pas spécifique aux vainqueurs de la Première guerre mondiale, car en effet, le régime révolutionnaire de l’Union soviétique n’a pas fait mieux pour ce qui concernait les territoires asiatiques de l’Empire tsariste.
Cette situation ne relève pas des populations de la région. Or, si les régimes en place ne sont pas les authentiques représentants des sociétés nationales, ce n’est évidemment pas le cas des peuples qui sont présents sur la scène politique. Dans les spécifications d’un monde unifié, un monde sur lequel pèse le poids du partage entre le Nord et le Sud, les peuples doivent être comptés comme des « nombres absolus », ce qui a été exclu aujourd’hui des prévisions de l’administration Bush.
L’infrastructure des pays qui, actuellement, au nom de l’Islam, subissent l’« ordre démocratique » des Etats-Unis, leur a été imposée durant les siècles derniers par des agresseurs comme ceux aujourd’hui afin de les asservir. Cela ne peut plus être réalisable, compte tenu des concentrations de population et du nouveau rapport espace / temps.
UN NOUVEAU SIÈCLE AMÉRICAIN
Dans la région appelée «Grand Moyen-Orient» par l’administration Bush, les problèmes sont très différents. Bien qu’elle ait été soumise au pouvoir des califes abbassides et secouée de conflits tribaux puis une destinée unique sous l’égide du colonialisme occidental, les problèmes que connaît cette région sont aussi différents que l’est l’histoire de chacun des peuples qui la compose.

L’Asie centrale qui, suite à la décadence des tribus mongoles, fut soumise aux Tsars et connut soixante-dix ans de pouvoir bolchevique, est aussi différente du Proche-Orient arabe que le suggère son éloignement géographique. Il en est de même des questions sociales en Turquie et en Iran que les deux autres régions. Dans cette étendue géographique, l’Islam ne constitue pas une entité. On y observe des islams mélangés à des croyances locales et tribales dans des frontières géographiques données.
L’Islam, le Christianisme et toute autre croyance, sont liés à l’histoire des territoires sur lesquels ils se sont établis. L’expérience de la guerre mondiale a démontré les méfaits qu’ils peuvent provoquer pour les civilisations et les cultures quand, malgré eux, ils font l’objet d’une instrumentalisation idéologique. L’Afghanistan est un exemple contemporain et l’Iran n’en n’est pas encore débarrassé, mais l’histoire comptera ces méfaits au titre de la diplomatie américaine.
Une voie de réconciliation ouverte par la France et les EtatsUnis, dans le cadre des Nations unies pour mettre un terme à la présence des forces syriennes sur le territoire libanais, a entraîné une réaction positive dans la région. Cependant, il ne faut pas croire, par excès d’optimisme, que le retrait éventuel de 14 000 soldats syriens du Liban écartera le danger qui menace la Syrie, le Liban et toute la région. Cette menace subsistera aussi longtemps que les Nations unies ne seront pas en mesure, sur la base des résolutions restées sans suite à ce jour, de fixer les frontières entre Israël et ses pays voisins, d’instaurer et de garantir un État palestinien dans le territoire reconnu de la Palestine et faire en sorte qu’Israël n’ait plus besoin de s’appuyer sur la plus grande puissance du monde. Dans les conditions internationales actuelles, ceci semble plus relever du souhait que de l’approche réaliste de la situation sur le terrain et dans les chancelleries.
REMODELAGE DU MOYEN-ORIENT ET EXPANSION
DÉMOCRATIQUE DU PARADIGME AFGHAN
Le comportement de l’armée américaine en Afghanistan d’abord, en Irak ensuite, semble révéler les objectifs pour lesquels elle a été formée. Le dernier avatar de ce comportement a été le mitraillage de la voiture transportant la journaliste italienne libérée après sa capture par des preneurs d’otages. La journaliste fut blessée et son garde du corps -officier des services de sécurité italiens- tué. N’oublions pas qu’en Irak, l’Italie est l’alliée des Etats-Unis. Il est tout à fait naturel, en réaction à cet événement, que l’opinion publique européenne ait la volonté de se détacher toujours plus de la politique américaine.
Alors que les régimes arabes, pour leur propre survie, tentent ensemble de satisfaire Washington -leur soutien de toujours-, les sentiments anti-américains fulminent au sein de leurs populations. La liberté et la démocratie expédiées par Washington dans la région via l’Irak, sont appropriées uniquement formellement comme sésames d’honorabilité par les régimes, sans que les peuples en soient les véritables destinataires.
Après la « guerre propre » et le « nouvel ordre mondial », les peuples ont connu la véritable image du colporteur de « la démocratie et de la liberté ».
En Irak, les intégrismes religieux et ethniques n’ont fait que commencer à s’allumer et c’est cette menace qui constituera la principale difficulté pour les années à venir : Chiites, Sunnites, Kurdes, Turcs, Turkomans, Arabes… En Afghanistan, le régime et son soutien américain tendent la main aux Talibans, tandis que les intellectuels afghans éparpillés à travers le monde n’ont plus de place dans leur pays. En Irak, le Premier ministre actuel tente une « réconciliation nationale » avec les baasistes qui tirent les ficelles du terrorisme dans le pays et sont présentés comme les ennemis des Etats-Unis.
Ceux qui observent de loin les résultats funestes du « nouvel ordre » américain en Afghanistan, en Irak et en Iran, les catastrophes subies par les populations dans cette région -le « Grand Moyen-Orient » de Monsieur Bush- feraient mieux de réfléchir aux lendemains que ce scénario réserve pour l’Europe et le monde entier.

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