La France face à la subversion islamiste en Algérie Un retour de l’histoire

Roger TEBIB

L’auteur, Roger Tebib, est docteur en droit, docteur ès sciences religieuses, docteur d’Etat ès lettres, est professeur des universités (sociologie) à Reims

Mars 2001

De 1954 à 1962, on n’a pas assisté, en Algérie, à des batailles d’envergure entre les forces militaires françaises et des groupes armés – comme cela a eu lieu, par exemple, en Indochine -mais à une guerre subversive, avec assassinats, routes sabotées, fermes et entreprises incendiées, développement d’un climat d’insécurité accompagné de manipulations politiques. Dans la crise actuelle, l’histoire semble se répéter : attentats spectaculaires et répression étatique vont de pair, avec incantations religieuses et parodies politiques. Ces similitudes peuvent être analysées sous plusieurs aspects et posent encore à notre pays des problèmes difficiles à régler sur les plans de la sécurité intérieure et des relations diplomatiques.

La diversité constante des groupes armés

Il ne faut pas opposer simplement les intégristes islamistes aux forces gouvernementales. La situation est beaucoup plus complexe.

Pendant la guerre d’Algérie, on assistait déjà à des heurts entre les différentes factions en lutte contre la France. Dès 1954, le Mouvement national algérien (M.N.A.) était qualifié de  » contre-révolutionnaire  » et son chef, Messali Hadj, diffamé. S’ajoutaient à cela les conflits au sein du Front de libération nationale (F.L.N.) ainsi que les luttes qui, en 1956, opposaient Ahmed ben Bella et Muhammad Boudiaf à Krim Melkacem, Abbane Ramdane et Larbi ben M’Hidi, avec des massacres comme ceux de Joun Dagen et de Melouza en Kabylie (Wilaya III), les révoltes contre le commandement à l’Ouest (Wilaya V) aussi bien qu’à l’Est dans les Aurès, les tueries perpétrées par le colonel Amirouche…

Actuellement, les groupes terroristes qui évoluent sur le territoire ont des appellations qui changent régulièrement. On peut citer, entre autres :

Al Takfir wal Hijra (L’excommunication et l’exil). Cette bande a copié la formation et l’idéologie d’une association islamiste égyptienne. Il conviendrait, selon ces bandits, de reproduire le geste de Mahomet qui avait quitté La Mecque pour fuir ses adversaires mais était allé ensuite à Médine pour reprendre le pouvoir.

On retrouve la même conception dans toutes les entreprises subversives qui doivent bénéficier d’un soutien extérieur pour avoir quelque chance de succès : sans les bases de Tunisie et du Maroc, la situation militaire de la rébellion algérienne aurait été extrêmement précaire. Actuellement, ce groupe veut utiliser la France, qu’il appelle Wilaya VII, comme base extérieure, ainsi que l’avait fait, avant lui, le F.L.N. Sa tactique est la suivante : quitter la société algérienne impie (hijra), obtenir le soutien des Algériens en France et rédimer ensuite (takfir) par l’usage de la force le régime algérien. Ces intégristes sont implantés à Alger et dans les wilayas de Aïn Defla et de Chlef.

Abtal al Qods (Les héros de Jérusalem). Cette organisation installée dans les régions kabyles est ainsi présentée par son émir :  » Nous menons le jihad pour combattre les ennemis de Dieu, l’armée, la police et les forces de répression. Le Coran dans nos mains, nous récupérons les armes dans les casernes.  » (Algérie actualités, mai 1992). Ces intégristes sont passés maîtres dans la fabrication de bombes artisanales.

Al sunna wal chari’a (Le texte sacré et la loi coranique). Ce groupe a été formé en Iran à l’époque khomeyniste et il continuerait à recevoir des aides de certaines associations de ce pays.

Hizbollah (Le parti de Dieu). Ce groupe tend à justifier certains actes criminels tels que les fusillades dans l’enceinte des mosquées en les présentant comme autant d’expressions d’une  » sentence divine  » (voir El Moudjahid, mars 1992). Ces terroristes sont installés à Alger mais aussi en Kabylie et dans les Aurès.

Jaych Mûhammad (L’armée du prophète Mûhammad). Ces intégristes s’attaquent surtout aux immigrés revenant, de temps à autre, en Algérie, auxquels ils reprochent leur occidentalisation. Ils en ont assassiné une dizaine qui avaient défilé à Alger en janvier 1992, portant des pancartes avec ce slogan écrit en français :  » Ni Etat intégriste, ni Etat policier  »

Jamaat at tabligh (Association de propagation du message divin). La plupart de ses membres ont été formés en Égypte par les  » Ikhan al Muslimûn  » (Frères musulmans). Leur conception est ainsi résumée :  » Il faut extirper du territoire algérien et du coeur des Arabes tout ce que le colonialisme y a déposé de maléfices et d’ordures  » (tract distribué à Sétif, mars 1997).

Mûdjahidine al islamyyin (Les combattants musulmans). Ils ont été – et sont encore – formés en Afghanistan. Leur prosélytisme se fonde sur l’écoute des enregistrements des prêches du cheikh égyptien Abdelhamid Kichk. Leur propagande se fait en Algérie, mais également en France. Ils distribuent de courts écrits d’auteurs intégristes sous formes de polycopiés, dans les rues, les mosquées, mais aussi dans les écoles, collèges et lycées. Ces textes portent l’appel suivant sur la dernière page :  » Mon frère, ma soeur, quand vous aurez fini de lire cette brochure, prêtez-la à d’autres pour que le bienfait en soit répandu. Dieu vous récompensera.  » Le tout est écrit en français et non en arabe !Al Djazara (Les Algériens). Cette association comprend plusieurs groupuscules et son rôle est d’infiltrer l’armée et de pousser des officiers à la désertion.

Al Jaych al Islami (Groupe islamique armé, G.I.A.). Il comprend plus de trois cents cellules, dont beaucoup sont installées dans la grande Kabylie (Bouira, Lakhdaria [ex-Palestro]) et la petite Kabyle (El Milia, Djijelli).

Il copie les méthodes khomeynistes d’insurrection : utilisation de vêtements tachés de sang de mouton afin de créer une  » psychose de sang  » qui a un effet excitant sur les foules ; organisation de fausses funérailles avec cercueils remplis d’armes, utilisées dès que l’armée arrive pour contrôler ces rassemblements ; combats de rues, la nuit, pour empêcher la population de dormir, incendies de vieux pneus…

Des manipulations politiques

Il faut ajouter des individus qui, depuis plusieurs années, prennent pour cibles les jeunes qui ont des parents dans les mouvements islamistes. Ils semblent être liés directement à la sécurité militaire et agissent sous deux sigles : o OJAL (organisation des jeunes Algériens libres) o OSRA (organisation de sauvegarde de la République algérienne)

On a nommé  » escadrons de la mort  » leurs bandes qui se plaisent à massacrer les intégristes ou ceux qui les soutiennent. Les réactions sont évidemment aussi brutales et l’escalade continue depuis des années.

On a écrit, à ce sujet :  » Au cours des années 1996 et 1997, des villages entiers, acquis aux thèses islamistes ou ayant voté massivement pour le F.I.S. en 1991, sont anéantis à quelques kilomètres des casernes de l’armée. Les populations rurales qui refusent de constituer des  » groupes de patriotes  » pour se préserver des bandes armées, ou celles que les autorités jugent peu sûres en raison de leur soutien au F.I.S. lors des élections sont livrées à leur sort.  » (D. MALTI, La nouvelle guerre d’Algérie, La Découverte, 1999).

La presse algérienne, pourtant proche du pouvoir, a également fait état de ces  » escadrons de la mort « , contrôlés par la hiérarchie militaire. Le quotidien Demain l’Algérie accusera le gouvernement d’avoir ordonné en 1992 la mise en place de ces milices armées dont le nombre est estimé à au moins trois cents pour la seule région d’Alger et la wilaya III.

Un problème étrange se pose actuellement : le gouvernement algérien a signalé que des groupes de jeunes, fils de harkis, se lancent dans le vengeance de leurs parents, horriblement massacrés, à la fin de la guerre d’Algérie

Il semble qu’il s’agisse là encore d’une manifestation semblable à celle qui veut montrer, comme on vient de le dire, que des jeunes s’opposent violemment aux intégristes islamistes. Les harkis étaient environ 230 000 et plus de 150 000 d’entre eux ont été exécutés par le F.L.N. (voir A. MELIANI, Le drame des harkis, Perrin, 1993). Les autres ont pu être sauvés par des officiers qui ont désobéi aux ordres reçus d’en haut.

On ne voit pas comment les enfants de ces exilés en métropole, âgés actuellement au minimum d’une quarantaine d’années, ont pu revenir en Algérie pour venger leurs parents. Le passage de l’idéologie nationaliste à l’intégrisme islamiste

On retrouve actuellement les mêmes interprétations du passé, dit  » arabo-musulman « , de l’Algérie et la même mythologie politique que pendant la guerre de libération.

Les premières histoires de l’Algérie, qui furent écrites en arabe dans les années 1930 s’apparentaient, mutatis mutandis, à des sortes de  » discours à la nation algérienne  » dans le style fichtéen. C’était comme le développement d’une  » historia revelata « , les rédacteurs de ces textes – des ulémas – se plaçant essentiellement sur le plan apologétique. L’histoire de l’Algérie devient un tribunal : le pays expie ses fautes ; la paix ne reviendra qu’avec la foi ; la libération politique suppose la pureté du coeur ; l’infidèle sera chassé lorsque les fils de l’Ifrikia seront revenus à la religion de leurs ancêtres.

En 1929, Al Mubarak Al Mili fit paraître une Histoire de l’Algérie dans le passé et le présent. Le texte s’arrêtait en réalité au seizième siècle, l’auteur se contentant de paraphraser des extraits d’Ibn Khaldûn. Un autre  » alîm « , Tewfi Al Madani, écrivit en 1932 un ouvrage du même genre. Les préfaces de ces deux œuvres sont des manifestes théologico-politiques. Al Mili dit que l’histoire de l’Algérie a été déformée par les savants français.  » Il ne faut accepter ni les dénigrements des dépréciateurs, ni les atteintes des falsificateurs, ni les médisances des gens de parti pris « . Il développe ensuite le thème de l’historia magistra vitae : en admirant les hauts faits de leurs ancêtres musulmans qui ont lutté pendant des siècles contre les infidèles, les jeunes gens pourront former leur coeur et leur esprit. Ainsi l’Algérie, rattachée uniquement à des origines mecquoises, s’intègre à un passé fabuleux et sa libération est recherchée d’une manière extatique.

La préface du livre d’Al Madani affirme l’originalité arabo-musulmane de la nation algérienne et rejette a priori toute idée d’assimilation :  » Ceux qui, par courte vue, manquant d’étude et de connaissance du milieu algérien, pensent qu’il est possible avec le temps de faire de ce peuple musulman foncièrement nationaliste un peuple français dans ses coutumes, ses mœurs, son organisation, ses traditions : ceux-là sont des gens qui se bercent de l’illusion de voir midi à quatorze heures « .

Ces conceptions n’ont pas changé. Depuis l’indépendance, l’histoire en Algérie a été monopolisée par des dirigeants soucieux d’asseoir leur autorité sur ce mythe arabo-islamique. Et les intégristes reprochent alors au pouvoir politique de ne pas se conformer aux principes fondateurs qu’il a lui-même édictés.

C’est ce que dit, par exemple, Abdelatif Soltani dans son livre Sihan Al Islam (Les flèches de l’Islam) :  » Ceux qui sont morts pendant la guerre contre les infidèles iront au paradis comme  » mudjahidin  » s’ils ont défendu la gloire de l’Islam ; quant aux autres, ils ne peuvent plus se prévaloir du titre de  » chûhada  » (martyrs) « .

Sous la conduite des ulémas et d’Ibn Badis, le peuple se serait dressé contre le colonialisme qui attentait à sa religion. Mais, l’indépendance acquise, les gouvernants auraient détourné  » les idéaux du 1er novembre en les remplaçant par une idéologie  » athée « , le socialisme, et ont semé le grain de leurs valeurs anti-islamistes dans l’esprit des Algériens qui furent placés aux commandes du pays. Le pouvoir actuel est ainsi sous l’influence des intérêts du capitalisme et des infidèles. Cela explique l’acharnement des dirigeants contre le projet islamique que le peuple algérien ne cesse pourtant de réclamer « . (in : M. BOUKHOBZA, Octobre 1988, Alger, Bouchère, 1991).

Ce serait la cause de la collusion qui existerait actuellement entre les Algériens  » occidentalisés  » et la France, ennemie d’hier et d’aujourd’hui, et qui donc rester  » dar al harb  » (territoire de guerre).

Les tendances régionalistes

Elles se sont développées depuis les années 1950, suscitant des solidarités spontanées et des regroupements ethniques et géographiques. On peut distinguer plusieurs étapes :

En 1949, les culturalistes berbères protestent au sein du PPA MTLD (Parti du peuple algérien. Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) dirigé par Messali Hadj. Ils réclament un débat national pour défendre leur langue et leur identité. Ils ne sont pas écoutés et le parti s’appuie d’une part sur les ulémas et, d’autre part, sur des chefs kabyles intrigants (Krim, Ouamrane, Bellounis, Abbane, Radjeff et Boumaza) qui changeront ensuite de comportement au gré de leurs ambitions politiques.

En 1956, lors du congrès du F.L.N. organisé dans la vallée de la Soummam, on reprochera à la wilaya III (Kabylie) de vouloir instaurer son hégémonie ; lui sont opposés alors les Aurès, le sud algérien et la zone de Souk-Ahras. Contre elle, les dirigeants invoqueront encore le mythe de la  » nation arabo-musulmane  » en occultant totalement la notion d’identité berbère.

En 1956 également, le colonel Amirouche, depuis son quartier général à l’est de la Djurdjura, contrôlera terriblement la wilaya III. Dans le cadre des  » règlements de comptes  » entre le F.L.N. et le M.N.A., il engagera un combat sans merci contre les maquis du M.N.A. -comprenant une majorité de Berbères – qu’il parviendra à repousser vers le Sud. Il ne réussira pas contre les pièges tendus par le colonel Yves Godard de l’armée française et sera tué en 1959 (voir Y. GODARD, Les paras dans la ville, Fayard, 1972).

Amirouche est connu pour avoir torturé et tué des Kabyles et d’autres maquisards des wilayas I, IV, V et VI. Les désirs de revanche des Berbères qui se manifestent aujourd’hui en sont la conséquence.

En 1960, c’est la création de l’ « Armée des frontières  » par le Conseil national de la révolution algérienne (C.N.R.A.) : des contingents des wilayas stationnés en Tunisie et au Maroc seront mêlés à ceux des Aurès, des Nementchas et de la base de l’Est, le tout pour affaiblir la wilaya III.

Le 3 juillet 1962, éclate la crise entre le G.P.R.A. (Gouvernement provisoire de la République algérienne) et l’A.L.N. (Armée de libération nationale) , celle-ci étant essentiellement composée, à l’époque, de l’armée des frontières. Cette dernière était forte d’environ 36 000 hommes arrivés surtout, comme on vient de le dire, de la Tunisie et du Maroc, alors que les maquis de l’intérieur – tel celui de la wilaya III – avaient été décimés par l’armée française au terme d’une lutte de plusieurs années. L’armée des frontières contrôle donc, à l’indépendance, les wilayas de Constantine, de l’Oranais et du Sud, et ses bataillons blindés sont déployés aux portes de l’Algérois et de la Kabylie.

L’opposition de certaines wilayas, dont la wilaya III, va évidemment se développer et connaître de multiples soubresauts qui laissent les plaies à vif, comme : o la révolte du colonel Mohand Oul Hadj en Kabylie, en septembre 1963 ; o celle du colonel Mûhammad Chaabani dans le Sud, en juin-juillet 1964 : o la tentative de coup d’Etat du colonel Zbiri en décembre 1967…

Les régionalistes kabyles sont également marginalisés par les manipulations du pouvoir politique. La stratégie consiste à accuser la minorité berbère d’atteinte à l’unité d’une nation définie par l’arabisme.  » Les services secrets iront jusqu’à faire circuler un faux grossier : une carte de Kabylie autonome. Cet argumentaire sera réutilisé en 1980 contre la revendication culturelle du  » printemps berbère  » et aussi en 1992, après l’interruption des élections législatives le 26 décembre 1991 : une certaine presse accuse ouvertement Hocine Aït-Ahmed de réclamer la poursuite du processus électoral pour transformer la Kabylie en un  » Kurdistan algérien  » avec la complicité de François Mitterrand qui pourrait alors intervenir au nom du droit d’ingérence humanitaire.  » (Y. TASSIDIT, in : Le drame algérien, La Découverte, 1994)

L’intérieur et l’extérieur dans l’agitation islamiste

Pendant la guerre d’indépendance, les maquis algériens bénéficiaient de l’aide des pays limitrophes qui, théoriquement neutres, ne pouvaient être attaqués sans qu’il en résultât des complications internationales redoutables.

De leur côté, les chefs ne voulaient pas laisser l’extérieur accaparer les résultats de l’insurrection.

Ainsi, durant les derniers mois de la guerre d’Algérie, du fait de l’imperméabilité du barrage de la frontière tunisienne, les wilayas étaient pratiquement coupées des autres pays arabes. Sur le plan militaire, elles ne recevaient plus ni armes ni matériels et les responsables politiques du G.P.R.A., installés en Tunisie, en Libye et en Égypte, prenaient des décisions que l’intérieur critiquait comme  » contraires à l’esprit de la Soummam « , c’est-à-dire à la ligne de conduite fixée en 1956.

A l’heure actuelle, la situation n’a pratiquement pas changé. Les groupes islamistes armés ont des ramifications dans différents pays musulmans, en Europe et aux États-Unis. Quelques exemples :

– C’est seulement en avril 1992, après la contagion terroriste et la dissolution du F.I.S. par le tribunal administratif d’Algérie que l’Arabie saoudite accepte de fournir la liste des  » Afghans  » algériens qui ont été enrôlés par les intégristes sur son territoire.

– Présumé coupable de l’attentat de l’aéroport d’Alger en août 1992, Rabah Kébir, réfugié en

Allemagne, enseignait la théologie islamique à l’Union islamique européenne de Cologne. En décembre 1994, il a fini par condamner le détournement de l’avion d’Air France.

– Anouar Haddam, réfugié aux États-Unis, présidait le parlement du F.I.S. en exil. Expulsé en décembre 1994, il participa aux négociations de Rome en janvier 1995.

– Boujemaa Bounoua dirigeait en Arabie saoudite le bureau de recrutement des  » Afghans « algériens, les Mudjahidine al islamyyin.

La France, base arrière stratégique

Exploitant la tolérance de notre pays libéral, les intégristes algériens y stockent des armes ou y collectent de l’argent.  » Les policiers ont ainsi saisi, outre de faux papiers, de l’argent, des jumelles de vision nocturne et des moyens de transmission, une impressionnante collection d’armes : des fusils d’assaut Kalachnikov, des fusils de chasse, des fusils à pompe, des fusils à lunette de visée, des revolvers et des pistolets de tous calibres, des grenades, des munitions, des explosifs et des détonateurs.  » (Journal Le Figaro, 27 décembre 1994). Cette violence trouve son financement d’une part dans le racket des commerçants musulmans par  » l’impôt de la révolution  » ( » tawra « ) et, d’autre part, par la délinquance et le trafic des stupéfiants.

C’est une situation préoccupante car les armes stockées en France peuvent très bien, un jour ou l’autre, être utilisées sur notre territoire.

A la suite des attentats de l’été 1995 à Paris, les pouvoirs publics français ont eu des doutes sur l’identité réelle des commanditaires de ces actes criminels. Les enquêteurs français n’ont, en effet, pas réuni des preuves formelles sur le rôle joué par la sécurité militaire algérienne, mais les services de renseignement, en particulier la D.S.T. en sont convaincus : Alger a commandité ces explosions afin de contraindre Paris à s’impliquer dans la lutte contre les islamistes…  » De leur côté, les membres du réseau de Chasse-sur-Rhône du groupe islamique armé (G.I.A.), responsables de la campagne d’attentats de 1995, ont, au cours de leur procès, accusé Alger de les avoir  » téléguidés « .  » (D. MALTI, La nouvelle guerre d’Algérie, ouvrage cité).

Ajoutons que des actions d’endoctrinement contribuent à la formation des commandos :

– La Fraternité algérienne de France a été créée en décembre 1990 par Jaafar Al Houari, imam de la cité universitaire d’Antony. Il collectait de l’argent pour les maquis et fut expulsé en 1994.

– L’Association éducative des musulmans de France avait été constituée en 1992 dans le Val-de-Marne. Ses militants, arrêtés en 1994, étaient des délinquants déjà connus des services de police pour trafic de drogue, vols, etc.

– Les Phalanges de l’unicité de Dieu (Kataeb al-Tawhid) sont une organisation de l’Armée islamique du Salut (A.I.S.) maintenant implantée en France.

– Certains militants suivent des stages d’entraînement dans des coins reculés de la campagne française : il y a quelques années, la police en a arrêté au fin fond du Vaucluse et de la Lozère, dans la banlieue lilloise et à Mantes la jolie.

– De jeunes islamistes passent par l’Afghanistan ou le Pakistan, puis la Bosnie et  » on assiste à l’invention d’une  » ummâ  » fantastique avec la circulation de militants cosmopolites en quête de cause.  » (O. ROY, Généalogie de l’islamisme, Hachette, 1995).

Toutes les techniques – égyptiennes, iraniennes, afghanes… – des intégristes fournissent des exemples de la manipulation des populations et d’émeutes pouvant être perpétrées en France dans les zones suburbaines.

Ajoutons que les Algériens immigrés en France n’ont nullement envie, dans leur immense majorité, de servir de cobayes pour des entreprises révolutionnaires aveugles. Ils n’éprouvent pas le besoin de transformations politiques dans un pays livré aux luttes de factions. Mais la situation reste préoccupante et exige une veille ardente. Il y a quelques années, l’Armée islamique du salut a déclaré :  » La guerre contre la France est devenue un devoir légal, une obligation dictée par la  » charî’a « … La nation algérienne est aujourd’hui directement en conflit avec la France et tous ceux qui l’aident parmi les juifs et les chrétiens dans le monde.  » (Journal El-Feth al-Mûbine (La victoire éclatante), n° 30, 30 décembre 1994).

Les  » hiérarchies parallèles  » et la tactique actuelle de la négociation

Les techniques de la guerre subversive désorganisent,  » déstructurent  » les cadres habituels de la vie collective, coupent les populations de l’autorité établie, défont tous les liens les unissant à l’ordre que l’on s’est donné pour tâche de détruire.

Mais, parallèlement à cet effort de liquidation, les militants révolutionnaires se donnent pour objectif de reconstituer un nouveau système politique, un autre appareil administratif avec des cadres sortis de la subversion. (voir R. TRINQUIER, Guerre, subversion, révolution, Laffont,1968).

Fonctionnant depuis les révolutions indochinoises, ce système a connu son apogée après le congrès de la Soummam (20 août 1956), pendant la rébellion algérienne. L’ensemble du territoire était divisé en départements (wilaya), zones (mintaka), régions, (mahia) et secteurs (kism) avec un chef politico-militaire à chaque niveau. Le commandement comprenait un chef politico-militaire entouré de trois adjoints s’occupant des branches militaire ou politique ainsi que des renseignements et des liaisons.

Ainsi, petit à petit, les responsables nommés par le pouvoir légal –  » bachagas « , gardes-champêtres, gardes-barrières,  » mudérés « , etc. – se trouvaient dessaisis de leurs attributions.

On assiste actuellement en France à des processus similaires. L’époque est à la discussion en cas de conflit avec la nomination de médiateurs organisant des tables rondes, prenant divers contacts, écoutant les parties, proposant un nouveau modus vivendi…Ce système se comprend dans un État libéral, avec des citoyennes et des citoyens admettant des principes constitutionnels fondamentaux et opposés à toute subversion des institutions. Ces conditions montrent déjà la difficulté d’établir le dialogue avec certains partenaires de mauvaise foi ou des groupes recherchant d’abord la capitulation du pouvoir établi devant des revendications toujours renouvelées.

La situation devient très grave lorsqu’en cas de troubles dans des quartiers – meurtres, incidents divers, protestations contre des  » bavures  » policières, etc. – les autorités  » négocient  » avec des notables, des présidents d’associations ou des représentants religieux. Ceux-ci voient ainsi leurs positions confortées vis-à-vis de leurs coreligionnaires. On a remarqué aussi qu’il se trouvait toujours des personnes de ce type pour prendre contact avec le sous-préfet ou le commissaire de police dès qu’un incident était signalé dans un quartier à forte population étrangère.

Il serait présomptueux d’affirmer que ces méthodes améliorent la situation des immigrés condamnés à être pris en charge – souvent malgré eux – par divers types d’associations formant autant de  » hiérarchies parallèles  » au pouvoir de l’Etat français. On a dit, à ce sujet :  » À l’image des chefs mafieux et des dealers, les éminences grises du communautarisme n’hésitent pas à recourir aux mêmes stratégies de prise de contrôle des associations existantes. La prise de contrôle d’une association commence le plus souvent par une tentative de mainmise s’un ou de quelques activistes sur la jeunesse bénéficiaire des activités de la structure convoitée.  » (R. BOUSQUET, Insécurité : nouveaux risques. Les quartiers de tous les dangers, tome I, L’Harmattan, 1998).

Intégration et non population à la dérive

Le fait est que le maintien de l’ordre et les appels réitérés aux forces de police ne constituent pas des solutions à ce problème à la fois politique, social et culturel. Il exige des interventions d’une autre nature, en amont et à long terme, avec une lutte contre les obstacles à l’assimilation, c’est-à-dire les structures familiales archaïques, la rigidité des intégrismes religieux et les menées du pays d’émigration. Il est nécessaire d’intervenir au moins dans deux directions :

Suppression des contacts entre les rebelles et la population, en détruisant les bandes et en éliminant l’infrastructure politique que celles-ci veulent mettre en place grâce à des associations et au développement d’une propagande bafouant le libéralisme de la nation française. Cette action doit être menée aussi bien dans les zones suburbaines, repaires actuellement de toutes sortes de marginaux que dans les régions rurales : terroristes, collecteurs et agents de liaison sont regroupés dans les bandes armées.

Maintien du dialogue avec l’ensemble de la partie saine de la population et développement d’une oeuvre médico-sociale et scolaire, car la propagande des activistes islamistes spécule sur les traumatismes consécutifs à l’inadaptation de beaucoup de jeunes à l’essor trop rapide de la société technologique ainsi qu’aux méfaits du mercantilisme. Dans tous ces domaines, les associations des anciens supplétifs musulmans ont un rôle fondamental à jouer, en négociant avec les pouvoirs publics pour mettre en place des structures adaptées, des centres de formation de jeunes pour des polices de proximité, des foyers culturels et sociaux, etc.

Regarder vers la Méditerranée

Il est indispensable de comprendre que les États du Maghreb, dont l’Algérie, riverains de la Méditerranée, occupent une zone stratégique prioritaire pour la sécurité de la France. En matière de coopération militaire, notre pays envoie régulièrement des conseillers techniques en Algérie et reçoit chaque année des stagiaires. Les échanges sont aussi importants sur le plan de l’exportation d’armements : hélicoptères, équipements de défense antiaérienne, avions de combat, blindés légers, etc. sont vendus au gouvernement algérien. La France tient ainsi à garder un espace indispensable à une politique de présence en Méditerranée, souvent mer des affrontements.

On a dit, à ce sujet :  » Ni la colonisation, ni les ‘décennies du développement’ qui ont suivi la décolonisation n’ont réellement opposé un bloc du Nord à un bloc du Sud ; la Méditerranée ne faisait pas frontière. Au début de la construction européenne, dans les années 50, c’est l’Est et non le Sud qui constituait une menace, et c’est face à l’Est que les pays d’Europe occidentale ont forgé leur conscience d’appartenance commune. Depuis, la disparition du rideau de fer, à la fin des années 80, a ouvert à l’Europe un horizon presque illimité d’intégration vers l’Est.  » (J.R. HENRY, La Méditerranée, nouvelle frontière européenne, in : Sciences humaines, n° 18, décembre 1996).

Il convient de maintenir la Méditerranée comme zone des échanges, telle qu’elle l’est depuis des siècles et de ne pas laisser les pays qui l’entourent sombrer dans les conflits ethniques et sociaux ni dans les manipulations politiques du religieux.

Appliquer le droit international d’ingérence

L’intégrisme islamiste porte atteinte aux différents groupes ethniques et religieux installés dans ces régions depuis les temps les plus reculés, parfois des millénaires.

Isolement, discrimination, massacres ne peuvent pas durer ; et le fondamentalisme islamiste s’attaque même à des régimes politiques musulmans dont il critique les tendances laïques ou multiconfessionnelles.

La France, qui a quitté beaucoup de pays après les avoir gérés pendant de longues périodes, a un rôle à jouer dans ce domaine et aussi des responsabilités humaines, car la décolonisation ne doit pas conduire à des génocides face à des États indifférents.

Pour lutter contre l’inaction de certains, assurer la sécurité des sauveteurs et des victimes, mais aussi dénoncer les politiques totalitaires, la présence d’une organisation militaire internationale est indispensable.

Il ne s’agit pas d’intervenir dans un domaine réservé à l’État où se déroule la mission, mais d’alerter l’opinion publique sur les exactions dont les médecins et leurs assistants ont connaissance lorsqu’ils se trouvent dans une région où les observateurs n’ont pu pénétrer, ni les armées intervenir.

Fidèle à ses principes, valables dans des pays vraiment libéraux, le Comité international de la Croix-Rouge n’a rien pu faire contre l’Allemagne nazie pour les déportés, ni auprès des États-Unis pour les prisonniers italiens internés préventivement, ni pendant certains conflits qui ont suivi la seconde guerre mondiale (voir J. PICTET, Une institution unique en son genre, le C.I.C.R., Pédone, 1985).

Actuellement, après avoir créé un problème juif avec les minorités qui ont survécu aux massacres, les intégristes islamistes posent la question des chrétiens et, plus généralement, de la liberté de conscience de tous les peuples qui refusent d’être englobés dans une  » ummâ  » quelconque

La justice doit toujours l’emporter sur les atermoiements diplomatiques dans notre époque d’horreurs et de lâchetés. L’action des  » Casques bleus  » demeurera inefficace tant qu’ils ne seront pas soutenus par des moyens militaires et des règles d’engagement leur permettant de faire face à tous les types de forces entravant la distribution des secours et faisant régner la terreur.

Pour une Force communautaire d’ingérence (F.C.I.)

Une intervention rapide et efficace dans des pays dévastés par de tels conflits ne dépend pas seulement des actions sur le terrain mais aussi de la mise en place préalable,  » en amont « , d’un système d’assistance globale. Il faut, dans cette optique, tenir compte de plusieurs facteurs : les techniques de  » mobilisation  » groupant les informations journalistiques, les influences politiques, le soutien de l’opinion.

À ce sujet, le gouvernement français a lancé une idée originale, celle d’une  » force d’action africaine  » qui serait susceptible d’intervenir sur le continent, sous mandat de l’Organisation des Nations Unies ou de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.).

Le ministre de la défense, François Léotard, avait fait ce commentaire d’actualité :  » Si cette force avait existé en avril dernier, peut-être aurions-nous évité les massacres au Rwanda… Cette force serait partagée entre l’Afrique et l’Europe à travers une coopération avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie. Les Européens doivent faire aujourd’hui ensemble et différemment, ce que pendant trente ans chaque ays a fait séparément…et mal.  » (Impact, lettre d’information du ministère de la Défense, août 1994).

La communauté internationale doit demander au gouvernement algérien de se conformer aux engagements qu’il a lui-même signés, comme le pacte international relatif aux droits civils et politiques (P.I.D.C.P.). Celui-ci prévoit :

– un rapport annuel sur la situation des droits de l’homme dans le pays, que le pouvoir politique algérien finit par remettre, au bout de trois ou quatre ans, après les plaintes des O.N.G., dont Amnesty international ;

– la visite de rapporteurs spéciaux des Nations unies, au sujet de la torture, des assassinats extrajudiciaires, des camps de concentration, de la détention illégale, etc., ce que le gouvernement algérien a toujours refusé.

Pays des droits de l’homme, la France doit intervenir à ce sujet auprès des instances internationales.

En tout état de cause, la stabilisation est bien improbable, mais il convient de tout mettre en œuvre sur le plan international pour lutter contre le calvaire d’une population.

Article précédentCommerce international : le régionalisme menace t-il l’universalisme?
Article suivantVers une nouvelle guerre froide Chine-USA

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.