La francophonie à petits pas en Afghanistan

Zalmaï HAQUANI

Professeur à l’Université de Caen. Ancien Ambassadeur d’Afghanistan en France.

2eme trimestre 2012

Les relations de l’Afghanistan avec la langue et culture françaises sont bien anciennes et non liées à un passé colonial ou intérêts mercantiles. Ce n’est que depuis 2002 que nos relations se rétablissent, se développent et deviennent multiformes couvrant des domaines très variés : la sécurité et la lutte contre le terrorisme, réformes politiques et institutionnelles, restructuration de l’administration et l’appareil judiciaire, formation de personnels publics et privés, reconstruction économique, sociale et culturelle et c’est là que l’on retrouve la langue française et la francophonie avançant à petits pas, compte tenu également de la place prépondérante, voire dominante, de l’anglais et des Anglo-saxons en Afghanistan.

Francophonie in small strides in Afghanistan

Afghanistan’s relations with the French language and culture are quite ancient and not related to any colonialpast or mercantile interests.Only in 2002 that our relations resumed, developed and became multi-dimensional, covering very varied fields: security and the struggle against terrorism, political and institutional reforms, restructuring of the administration and of the judiciary, public andprivateper­sonnel training, economic, social and cultural reconstruction — and there one finds the French language and Francophonia advancing in small strides, bearing in mind the dominatingplace of English and Anglo-Saxons in Afghanistan.

A PARTIR DE 2003 et jusqu’à la fin de notre mission d’Ambassadeur à Paris, nous avons bien songé, en accord avec le Ministre des Affaires étrangères, le docteur Abdullah ABDULLAH, à la candidature de l’Afghanistan comme observateur à l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.). Cette initiative qui au­rait pu avoir l’appui de la France et d’autres pays membres, n’a pas été suivie d’effet en raison des changements qui ont affecté rn 2006 la composition gouvernementale afghane et de notre propre départ de l’Ambassade d’Afghanistan en France.

Les relations de l’Afghanistan avec la langue et culture françaises sont bien anciennes et non liées à un passé colonial ou intérêts mercantiles. Ce n’est que depuis 2002 que nos relations se rétablissent, se développent et deviennent mul-tiformes[1] couvrant des domaines très variés : la sécurité et la lutte contre le terro­risme, réformes politiques et institutionnelles, restructuration de l’administration et l’appareil judiciaire, formation de personnels publics et privés, reconstruction économique, sociale et culturelle et c’est là que l’on retrouve la langue française et la francophonie avançant à petits pas, compte tenu également de la place prépondérante, voire dominante, de l’anglais et des Anglo-saxons en Afghanistan.

Depuis le lendemain des évènements de septembre 2001, les interventions in­ternationales se précipitent et s’accélèrent à grands pas, avec l’action décisive de la coalition dirigée par les États Unis contre le régime des Talibans et l’intervention civile et militaire – progressivement massive – des Nations Unies et de la commu­nauté internationale dans ce pays. Aujourd’hui encore et avant le retrait militaire international combattant d’ici la fin 2014, l’ISAF, l’OTAN et l’opération Liberté immuable mobilisent plus de 140 000 soldats en provenance d’une quarantaine de pays. Parallèlement, des contributions financières internationales conséquentes -plus de 60 milliards de dollars sur dix ans – sont consacrées à la reconstruction du pays, suite aux conférences multilatérales de Tokyo, Berlin, Londres Paris et Kaboul entre 2002 et 2012[2]

A partir de la deuxième moitié du XIXe et du début du XXe siècle, les Français découvrent l’Afghanistan à travers des cartes postales et des voyages de quelques aventuriers européens admiratifs des paysages beaux et variés du pays et de l’hos­pitalité légendaire de son peuple, ou encore en regardant ses pierres précieuses et ses objets antiques peuplant des musées ou palais à Saint Petersburg, Florence et Lindrohf en Bavière. C’est aussi l’époque du GrandJeu entre Russes et Britanniques considérant l’Afghanistan comme État tampon[3], jusqu’à ce que les Anglais se ré­signent finalement en 1919, après trois guerres désastreuses pour eux, à reconnaître l’indépendance de l’Afghanistan[4].

C’est alors que ce dernier, en mauvaise posture et en méfiance à l’égard des Anglais, mais aussi très prudent vis-à-vis de la nouvelle URSS, se tourne vers la France et demande sa présence diplomatique et sa coopération culturelle. La Légation française – future Ambassade de France – est établie à Kaboul en 1922 et dirigée par Maurice FOUCHER. Celui-ci contribue au développement des rela­tions politiques entre les deux pays, mais obtient aussi l’ouverture de la DAFA, Mission archéologique française en Afghanistan. Maurice FOUCHET parcourt et fait la connaissance de ce pays décrit longuement dans ses Notes sur l’Afghanistan[5]. C’est ce chemin que prendra plus tard dans les années 50 et 60 Joseph KESSEL et ses Cavaliers célèbres, avec encore plus d’admiration et d’attachement.

La francophonie en Afghanistan démarre avec le monopole des fouilles archéo­logues accordé à la France, la présence des Français y augmente et l’apprentissage de la langue française s’étend progressivement, et permettent aux Afghans de venir et séjourner en France.

Entre 1922 et nos jours, la France occupent toujours une place prépondérante en matière de fouilles archéologiques, excepté la période de la seconde guerre mon­diale et celle de guerre et de conflit des trente dernières années, donnant lieu à une coopération durable et fructueuse pour les deux pays . En 1982, le gouverne­ment communiste afghan met fin aux activités de la DAFA, lesquelles ne repren­dront qu’en 2002. Ainsi la DAFA devient le 27ème institut de recherche français à l’étranger. Cette réouverture sera suivie par la conclusion le 1e 16 février 2004 d’un nouveau protocole d’accord sur la coopération sur le patrimoine archéologique et architectural afghan, couvrant aujourd’hui une dizaine de projets : prospections et élaboration de la carte archéologique du pays, fouilles archéologiques à Bactres et à Bamiyan, soutien aux fouilles de sauvetage autour des mines de cuivre d’Ayna,k protection de la mosquée de Hadji Piada dans la province de Balkh, reconstruction de l’Institut d’Archéologie à Kaboul, préparation des publications archéologiques, formation des personnels spécialisés afghans du patrimoine, collaboration avec le Musée national de Kaboul et le Département d’Archéologie de l’Université de Kaboul. Enfin, la DAFA possède une bibliothèque riche de 10 000 ouvrages et de 3000 de périodiques sur l’archéologie.[6]

La plus belle illustration de cette coopération est l’exposition en 2006-2007 au Musée Guimet à Paris, après trois années de travail intensif à Paris et à Kaboul auquel les deux Ambassades de France et d’Afghanistan étaient associées, des Trésors retrouvés d’Afghanistan, laquelle a eu un succès immense avant de faire pratique­ment le tour du monde[7].

L’attirance de ce pays, de sa culture et de son histoire pour les Français inconnus ou connus reste indéniable et gravée dans les mémoires. Les photos et commentaires de Roland et Sabrina MICHAUD, sur les Paysages d’Afghanistan, ont marqués plus d’une génération. La dernière édition voyage en voitures restaurées Paris-Kaboul, que nous avons soutenue en 2003 avec Olivier WEBER et Edouard CORTES, reste inoubliable pour tous ceux qui l’ont organisée et pratiquée. À l’Ambassade d’Afghanistan à Paris, nous avons été surpris en 2003 de l’intention de notre ami, le Professeur Claude COLLIN DELAVAUD, célèbre géographe et explorateur, de se rendre à nouveau, avec ses plus de 70 ans et sa jeune épouse, en Afghanistan non encore totalement sécurisé. Ils le traverse de l’ouest au nord et du nord au sud, en y retrouvant non pas ses contemporains d’il y a cinquante ans, avec ses dizaines de voyages et de séjours, mais leurs enfants ou petits-enfants, lesquels le plongent à nouveau dans ses souvenirs et amitiés renouvelés.

On ne compte plus le nombre de spécialistes et experts français qui ont écrit ou écrivent toujours de ces professeurs sur l’Afghanistan[8], pas plus que celui de ces pro­fesseurs de différentes matières qui, durant des décennies, ont pu former, à travers les âges, ces centaines d’Afghans aux différents niveaux d’enseignement secondaire et supérieur à Kaboul. Jusqu’à une époque récente, les passeports et timbres postaux étaient rédigés en français.

Depuis le début du conflit afghan, des ONG françaises, les premières, sont devenues bien et utilement actives en Afghanistan, avec risques et parfois sacri­fices subis : Médecins sans frontière, Médecins du monde, AFRANE (Amitié France-Afghanistan), MADERA, présidée par l’Ambassadeur Pierre LAFRANCE, CEREDAF (Centre d’études et de recherches documentaire sur l’Afghanistan), fondé par l’Ambassadeur Mohammed AKRAM[9].

Nombre .de chercheurs, enseignants, élèves et étudiants afghans étaient for­més en France. Le Roi ZAHER SHAH, suivi par des membres de sa famille, avait bien sorti d’un lycée parisien et hébergé, près de l’hôtel de Crillon, par un député français,, sous la troisième République. Depuis le règne du Roi AMANULLAH, de futurs dirigeants et cadres afghans faisaient ou complétaient leur formation, toutes disciplines confondues, dans l’Hexagone : le général Abdul WALI, gendre, TEMOUR SHAH et H. ASSEFY, les beaux-frères de ZAHAER SHAH, les princes Mohammed DAOUD et Mohammed NAIM, ses cousins, Mohammed AKRAM et plus tard ses enfants, Mahmoud HABIBI, Ravan FARHADI, Sadullah GHAUSSY,

Mohammed HAIDAR, pour ne citer que ces quelques noms parmi tant d’autres, célèbres ou moins connus.

Deux lycées avec l’enseignement du français et des matières enseignées en fran­çais furent créés à Kaboul : Esteklal ouvert en 1923 pour les garçons et Malalay en 1942 pour les filles. L’enseignement supérieur sera touché plus tard dans les années 50 et 60: médecine, pharmacie, droit, lettres.

Une nouvelle impulsion est donnée aux relations franco-afghanes, avec la visite d’État du Roi ZAHER SHAH en France en 1965 à l’invitation du général DE GAULLE – une première après celle du Roi AMANULLAH en 1928 – suivie par la conclusion d’un accord-cadre de coopération entre les deux pays[10]. Georges POMPIDOU, alors Premier Ministre, pose la première pierre des nouveaux bâti­ments du lycée Esteklal, la coopération s’étend désormais aux domaines de le santé et de l’agriculture, et le nombre de chercheurs et d’étudiants afghans en France augmente de façon significative.

Cette coopération est maintenue sous le régime républicain de Mohammed DAOUD entre 1973 et 1978, mais interrompue après le coup d’État communiste d’avril 1978.

Après une longue interruption, la coopération reprend, à partir de 2002, son cours normal et même s’intensifie, avec le rétablissement des relations diploma­tiques au niveau d’ambassadeurs, après 25 ans d’absence, et la pleine implication de la France dans le processus de paix et de reconstruction du pays : réouverture des deux lycées mentionnés à Kaboul, création de deux nouvelles antennes à Jalalabad et à Mazar-é-Sharif[11] ; participation active à la formation d’enseignants[12], d’admi­nistrateurs du Parlement, de députés et sénateurs, de juges et procureurs, d’admi­nistrateurs civils à l’ENA et dans l’administration centrale et locale en France, ainsi qu’à la préparation de textes juridiques fondamentaux, tels les codes e procédure par exemple.

Le nombre d’Afghans en France – en général facilement intégrés – étudiants, chercheurs, exerçant des activités professionnelles diverses, ou simples résidents, reste toujours très limité, en comparaison de leur présence dans d’autres pays euro­péens : moins de 5000 en France, plus de 150 000 en Allemagne, plus de 100 000 au Royaume-Uni, plus de 50 000 aux Pays Bas etc. Il en va de même pour les Français en Afghanistan : un peu moins de 4000 militaires dont 2500 environ devraient quitter l’Afghanistan d’ici fin 2012 sur décision du nouveau Président français, François HOLLANDE, et moins de 1000 coopérants et intervenants civils.

De deux côtés, afghan et français, on peut souligner une proximité indéniable, un sentiment de partage, l’attachement à la liberté et à la solidarité de traits com­muns et d’amitié entre les deux peuples. C’est ce que nous avons pu observer, nous mêmes, tout le long de notre vie passée en France, et notamment dans nos relations à tous les niveaux et dans le cadre de nos activités professionnelles, Professeur d’uni­versité ou Ambassadeur en France.

A notre grand regret, l’Afghanistan qui a l’usage du français depuis très long­temps, ne fait pas partie de la Zone francophone. Comme un peu partout dans le monde, la place de la langue française devient de plus en plus restreinte et limitée par rapport à la puissance des Anglo-saxonnes et de l’anglais. Les grands pays fran­cophones et les organisations internationales spécialisées dans ce domaine n’ont que des moyens d’action limités. Un pays comme l’Afghanistan totalement immergé dans l’anglophonie ne peut faire exception. Certes, l’extension des domaines de coopération, devenus largement pluridimensionnels ces dix dernières années, a pu contribuer à nouveau au maintien de la langue et de la culture françaises en Afghanistan.

Cependant, pour différentes raisons largement connues, les moyens disponibles ou annoncés ne suivent pas toujours les ambitions voulues ou affichées. Des ca­rences ou insuffisances sont régulièrement constatées ici et là. La crise financière et économique internationale et européenne a évidemment des conséquences sur tous les projets et programmes d’aide au développement, y compris dans le domaine qui nous intéresse présentement. Il faudrait être attentif et vigilent, dans les années et décennies à venir, à la fois du côté français, mais également du coté afghan, pour que l’Afghanistan ne cesse d’être un enjeu prioritaire mondial en matière de recons­truction et de développement ; et c’est dans ce cadre que la francophonie pourrait conserver sa place et avancer dans ce pays.

[1]Voir notre article « Les relations entre la France et l’Afghanistan », Géostratégique n° 27 mai 2010.

[2]Ibid.

[3]Aux termes notamment du Traité de 1907 conclu entre la Russie et la Grande-Bretagne.. Ibid

[4]Ibid.

[5]Maisonneuve et Frères, Paris 1931.

[6]Pour plus de précisions, cf. www.ambafrance-af.org/la-delegation-archeokogique

[7]Voir, Afghanistan, les Trésors retrouvés, Musée Guimet Paris 2006. Et Afghanistan, une histoire millénaire, ibid 2002.

[8]L’éditorialiste de la présente revue, Jacques BARRAT et Gille ROSSIGNOL avaient bien préparé leurs thèses de doctorat sur l’Afghanistan

[9]Le CEREDAF vient d’organiser à Paris en mars 2012 un excellent colloque sur les 90 ans de

relations diplomatiques France-Afghanistan (à paraiAtre).

[10]Accord remplacé par un nouveau traité plus large signé à Paris en janvier 2012 entre les Présidents SAKOZY et KARZAI.

[11]Grace notamment aux efforts inlassables d’une remarquable Française, Patricia LALONDE

[12]On peut citer par exemple, deux projets de coopération technique dans ce domaine

couvrant les périodes 2004-2007 et 2008-2011.

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