La guerre du pétrole

Par le Général (cr) Henri PARIS

Seion une multitude de légendes, le feu serait le don d’un dieu à l’homme. Prométhée, pour suivre les Grecs, déroba le feu au char du soleil, malgré l’interdit de Zeus, afin de le remettre à l’homme. Les Aztèques, quant à eux, adoraient directement le dieu Soleil, tout comme les adeptes de Zoroastre, Zarathoustra, vénéraient le feu issu du soleil générateur aussi de Mazda, la lumière. Seule la Bible est muette sur l’origine du feu, puisqu’il fait partie d’un monde qu’a créé Dieu. Et dans le lot, pourquoi pas le soleil ?

Qu’importe ! L’homme est bien le seul animal qui sache faire du feu, qui a su le domestiquer, particulièrement son allumage, au lieu de s’en écarter par peur et c’est ce qui lui a donné l’empire du monde. Grâce au feu, l’homme a su transformer en quelques instants, en énergie calorifique, une énergie solaire accumulée naturellement par photosynthèse dans les arbres et plus généralement dans la végétation, au long des années, voire des millénaires.

Par la suite, ce ne sont que des progrès lents mais conséquents, en matière de domestication de l’énergie, à partir de combustibles différents, mais ayant tous une origine solaire première. Et c’est bien exact, c’est la domestication de l’énergie qui est la source comme la très simple continuation du progrès humain. Sans l’énergie calorifique, celle du feu, pas plus de hache de bronze que d’acier et donc d’éolienne et pas plus de centrale nucléaire ou hydraulique ! En revanche, pas plus d’arme nucléaire que de mousquet, mais l’homme aurait continué à estourbir son semblable, du croc et des dents ou à main nue, comme le font toujours les animaux. Dans une suite logique, l’homme utilise, comme source d’énergie, des carburants de plus en plus sophistiqués, en fonction d’une recherche de rentabilité : bois, charbon de bois, houille, pétrole, uranium, plutonium,… L’exploitation des énergies naturelles, vent, eau, marée,…nécessitent un premier investissement dans les énergies premières précitées. Sans énergie, pas d’homme, pas de civilisation humaine, rien qu’un animal, des animaux en troupeaux, en hardes.

Le problème crucial de l’énergie demande à être abordé sous l’angle de la rentabilité de la ressource puis des besoins disponibles en pétrole, ressource prioritaire. Dans une phase ultérieure, il est nécessaire de traiter de la lutte contre la pénurie qui s’annonce et de la répartition de cette pénurie comme, dans ce cadre, des rapports de forces militaires entre Iraniens et Américains pour aboutir à la prospective qu’offre le golfe de Guinée.

Les critères de rentabilité

Le problème des ressources énergétiques, fondamental, permanent et aussi vieux que l’humanité, est quadruple. Cela détermine autant de critères discriminants.

D’abord, la production d’énergie réclame l’existence d’un primat, à savoir un combustible dont la constitution exige des années pour du bois, jusqu’à des millénaires pour la houille et le pétrole. C’est ainsi que certaines contrées dépourvues de matières premières énergétiques accessibles n’ont donné lieu à aucune civilisation. Le Sahara et l’Arctique en sont des exemples frappants, et certes le climat est en cause. D’autres, pourvues, ont procuré une surface possible à un essor civilisationnel : l’Europe occidentale ou l’Amérique du Nord, entre autres. Or, le primat énergétique n’est pas renouvelable, au moins à vue humaine. La déforestation anglaise du XVIIIème siècle a commencé par être une catastrophe, menaçant d’extinction la révolution industrielle britannique jusqu’à la découverte de la houille. La désertification forestière de l’Afrique subsaharienne est, au début du XXIèmesiècle, un danger tout aussi tangible que la disparition de la forêt amazonienne pour des séries de raisons dépassant la disparition du bois comme source d’énergie. En mai 2003, cela a amené le Conseil de sécurité des Nations unies à imposer un embargo sur le bois du Libéria. Avec quel effet ?

Paradoxe tragique, si la houille est à la base de la révolution industrielle et a rendu possible l’essor des pays industrialisés et développés au XIXème et au XXème siècle, il n’en est pas de même des pays producteurs de pétrole. Les uns ont su utiliser l’énergie de la houille à leur disposition, puis dans la continuité, ont adjoint, voire substitué, à la ressource houillère celle du pétrole. Et c’est encore dans une continuité semblable que ces mêmes pays ont découvert encore d’autres sources d’énergie, telles que l’énergie nucléaire. Les autres, les pays producteurs de pétrole, n’ont pas su utiliser la réserve énergétique à leur disposition pour conduire l’essor d’une industrie pétro­chimique d’envergure ou plus simplement un développement industriel, gage de l’élévation du niveau de vie de la population. Les exemples affluent en masse : Vénézuéla, Arabie Saoudite, Insulinde, Irak, Iran,… Une exception cependant : la Russie, grand producteur de pétrole et de gaz naturel ! Elle est bien un pays industrialisé et développé, dont le décollage, bien que tardif, se produit au début du XXème siècle et trouve sa base dans la houille et l’acier au même titre que les autres pays industrialisés et développés. La production pétrolière ne viendra qu’après, tout comme pour les Etats-Unis. La Russie, à la différence des autres pays industrialisés et développés, n’aura pas besoin d’importer des hydrocarbures. L’exception russe a néanmoins ses limites. Ses performances industrielles sont très concentrées dans des secteurs déterminés. Au sein des pays industrialisés et développés, le niveau de vie est relativement bas, si ce n’est le plus bas.

Que faut-il en déduire ? La ressource énergétique est bien une condition sine qua non au développement, mais faut-il encore savoir et vouloir l’utiliser. Invinciblement, on songe à la parabole des Talents de l’Evangile.

En deuxième lieu, l’énergie, pour être utilisée, demande du savoir-faire humain. Gaulois, Romains et Chinois des Empires Combattants savaient forger et possédaient du combustible. Les Aztèques et les Incas en possédaient bien, du bois comme du minerai de fer, mais ils ne savaient pas l’utiliser. Ils fabriquaient des haches en obsidienne et n’avaient pas trouvé le principe de la roue. Les Saoudiens ont de l’énergie pétrolière à revendre, mais peinent à bâtir une industrie. Les Chinois, au premier siècle de l’ère chrétienne, utilisaient la poudre, mais pour s’en servire comme feu d’artifice ou système d’autopropulsion réactif. Ce sont les Européens qui, maîtrisant la fabrication de la poudre, plus de dix siècles après, auront l’idée de l’employer comme système de détente, provoquant la propulsion brutale d’un projectile hors d’un tube.

Troisième question, le transport et le stockage de la matière productrice d’énergie doivent être aisés. C’est le cas du transport de l’électricité, mais pas de son stockage. La facilité du transport n’était pas le cas du bois et de la houille ! Les forges du XVIIème siècle exigeaient à proximité immédiate un cours d’eau, non seulement parce que l’eau était indispensable à la fabrication du fer, mais aussi parce que le flottage était la seule possibilité d’acheminer, en quantité suffisante, les bois aux fourneaux. Sans la facilité de la voie ferrée, jamais l’extraction de la houille n’aurait connu un tel essor au point d’être la condition première de la révolution industrielle. La principale qualité du pétrole est d’être liquide. Cette qualité permet l’acheminement facile du pétrole des lieux d’extraction aux centres de consommation, par oléoducs, gazoducs et tankers et offre les conditions les plus favorables et les moins onéreuses qu’il soit. En sus, sa liquidité fait du pétrole la source d’énergie la plus facile à stocker, à la différence absolue de l’électricité. Le volume de stockage est variable, selon la nature voulue pour le réservoir, ce qui fait du pétrole un carburant particulièrement approprié pour l’automobile et l’avion, voire indispensable en l’absence d’une autre source d’énergie fiable.

En revanche, l’étendue et les ramifications du réseau ferré et encore plus de celui des hydrocarbures sont extrêmement vulnérables à une attaque.

Le dernier critère caractérisant une source d’énergie est la densité de puissance dégagée. Sous quel volume, le plus faible possible, et sous quel poids un combustible est-il susceptible de libérer la plus grande capacité d’énergie ? Ce critère est au moins aussi important que les trois autres car il conditionne la rentabilité du combustible utilisé et commande son choix. S’il est bien clair qu’un mètre cube d’un bois quelconque dégage plus d’énergie qu’un mètre cube de paille, très longtemps, la houille était considérée comme la source d’énergie la plus concentrée qu’il soit. Cela cesse d’être vrai avec le pétrole : l’équivalent énergétique d’une tonne de charbon est procuré par les deux tiers de pétrole. Dernier élément, les matières fissiles n’ont strictement plus aucune importance pondérale et procurent la capacité énergétique la plus rentable qu’il soit, pratiquement inépuisable. En revanche, les installations nucléaires sont lourdes et vulnérables. Par ailleurs, le problème des déchets nucléaires présente un impact très lourd de conséquences matérielles et psychologiques en termes d’opinion publique, unique en son genre, à nul autre pareil par rapport à toutes les autres sources d’énergies. De plus, l’énergie nucléaire n’est pas apte à alimenter directement un moteur miniaturisé, celui de l’automobile par exemple, pas plus que la houille ou l’énergie hydraulique.

Les quatre critères, pris un à un, ne déterminent pas la prééminence d’une source d’énergie plutôt que d’une autre. Cependant additionnés, ces quatre critères font du pétrole la meilleure source d’énergie, ce qui explique qu’elle ait pris le relais de la houille lors de la poursuite de la révolution industrielle initiée au XIXème siècle, avec ses prolongements au XXIème siècle, siècle encore plus exigeant en énergie.

Les besoins énergétiques en pétrole

La demande mondiale en énergie est condamnée à croître dans une mesure exponentielle, ce qui induit une consommation sans cesse accrue de pétrole. Diverses raisons militent en ce sens. En premier lieu, la croissance économique des pays développés, indispensable au maintien de leur stature, sous peine de récession conduisant à des désordres sociaux graves, pousse la consommation et donc la demande. Les pays émergents, tels au premier chef la Chine et l’Inde, au second chef le Brésil, multiplient la demande. A noter que l’ensemble de ces pays, à l’exception des Etats-Unis, n’est pas ou peu producteur de pétrole, et encore de toutes les manières en quantité nettement insuffisante. L’exemple américain est particulièrement illustratif. Historiquement, les Etats-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole. L’extraction y a débuté en 1859 et n’a jamais cessé. Or, la production pétrolière américaine, à l’aube du XXIème siècle, est largement inférieure à la consommation interne. Cela fait des Etats-Unis, le premier importateur mondial de pétrole. Et cela n’est pas près de cesser, bien au contraire : en effet, les réserves initiales des Etats-Unis et du Canada ont été évaluées à 36 milliards de tonnes sur lesquelles 31,5 ont été extraites et consommées de 1860 à 2002. Il en reste donc 4,5 milliards, ce qui est très largement inférieur à ce que réclame la consommation américaine à venir. Face à cette insuffisance, reconnue de longue date, les Américains s’efforcent de maîtriser leurs besoins par l’importation et considèrent leurs gisements propres comme des réserves stratégiques qu’il convient de maintenir.

La croissance de la demande mondiale tend à faire bondir les prix. Et c’est beaucoup plus cette demande croissante qui conduit le prix de vente du brut à osciller autour de 50 $ le baril, puis à redescendre autour de 40 $, plutôt que le choc pétrolier de l’automne, en 2004, lorsqu’il s’est avéré que la guerre d’Irak se prolongeait et que la guérilla s’en prenait aux installations pétrolières.

Cela impose un rapide survol de la géopolitique de la production pétrolière mondiale, en prenant en compte deux considérations capitales. L’énergie fournie par la houille a été à la base de la révolution industrielle qui a permis l’envolée des pays industrialisés et développés pour leur donner une position dominante qu’ils veulent conserver. Il en découle une stratégie visant un approvisionnement pétrolier coûte que coûte, dont les pays développés sont tragiquement dépourvus. Et il en est de même des pays émergents. L’énergie est un enjeu capital, dont la possession devient un gage presque de survie pour les pays industrialisés et développés. Et cette énergie est pétrolière ! Les énergies de remplacement, hydraulique, nucléaire, photovoltaïque, éolienne,… ne sont pas quantitativement et qualitativement en mesure de suppléer celle fournie par le pétrole et le gaz. Le moteur à hydrogène offre une perspective certes très réelle, mais lointaine. Dans ces conditions, la maîtrise de la ressource pétrolière devient très naturellement un objet du rapport de force dans l’arène internationale.

Deuxième considération, tout aussi capitale, il n’y a pas de renouvellement de la ressource pétrolière et il est indispensable d’envisager son épuisement.

Remarque préliminaire, le pétrole s’apprécie en dollars. Aucune autre monnaie n’a cours dans le système, même si le dollar est forcé, en 2004, de laisser des points à l’euro. Mais l’euro est bien jeune par rapport au dollar qui fixe le prix du pétrole depuis 1859.

Le pétrole et le gaz naturel, qui lui est lié, proviennent de la dégradation de matières organiques, telles que les végétaux et le plancton, dans des eaux pauvres en oxygène. La transformation de ces matières, accumulées en couches sédimentaires durant des millions d’années, donne naissance à des molécules formées exclusivement d’hydrogène et de carbone, des molécules d’hydrocarbure. Il y a toujours mélange de gaz et de pétrole. C’est que le pétrole ne se trouve pas toujours là où il a été formé. Plus léger que l’eau, le pétrole et a fortiori le gaz ont tendance à remonter vers la surface du sol, où la pression est plus faible. Dans sa remontée, le pétrole, piégé par une couche imperméable, est stocké naturellement à des profondeurs variables, allant de 300 mètres jusqu’à affleurer la surface du sol par suintement, ce qui est le cas en Mésopotamie. Les gisements pétroliers se trouvent ainsi aussi bien à terre qu’au fond des mers. Les progrès en matière de technique d’extraction permettent l’exploitation de gisements terrestres situés à plus de 3000 mètres de profondeur comme les gisements sous-marins jusqu’à près de 2000 mètres de profondeur d’eau, l’offshore ultra-profond. Les coûts d’extraction sont fonction des difficultés et du montant de l’investissement nécessaire aux installations. En 2004, les coûts, en moyenne, s’étagent de 2 $ le baril extrait en Arabie Saoudite à 10 $, en provenance de l’utra-ofShore. Le baril est une mesure, équivalante à presque 159 litres, qui tire son nom d’un tonneau standard employé pour le stockage et le transport du pétrole lors de la période héroïque de sa découverte au Texas, dans la deuxième moitié du XIXème siècle.

L’essor des technologies pétrolières autorise un taux de réussite des forages d’exploitation de un à trois pour cinq après une recherche poussée basée sur l’échographie sismique et la géologie. L’investissement est considérable en exigeant non seulement des millions de dollars mais aussi des qualités humaines spécifiques.

Il n’en demeure pas moins que le coût d’un baril apte à la consommation ne dépasse jamais une trentaine de dollars, en adjoignant au coût de l’extraction et à la part des pays producteurs, celui des coûts techniques induits par le raffinage, le stockage et le transport. Un prix oscillant autour de 50 $ le baril est dû aux fluctuations du marché, voire à la spéculation inhérente à la loi de l’offre et de la demande et laisse une marge confortable aux compagnies pétrolières. En ajoutant les taxes prélevées par les pays importateurs, on aboutit à un baril rendu au consommateur européen à un prix moyen de 200 $ en novembre 2004. Les taxes américaines étant moindres, le consommateur aux Etats-Unis est facturé deux fois moins.

En étudiant sur le long terme les fluctuations du baril de pétrole extrait et raffiné, on détermine qu’en dollars de 2002, le prix d’un baril en 1860 avoisinait 100 $, pour se stabiliser à une quinzaine de dollars de 1933 à 1970 dans un marché contrôlé étroitement par les sept compagnies pétrolières majeures. Ensuite se succéderont les chocs et contre-chocs pétroliers, et les guerres d’Irak de 1991 et de 2004 pousseront certes les prix vers le haut, mais la hausse est plus due à une demande accrue que l’offre ne peut satisfaire. Cette satisfaction ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai relativement long, une dizaine d’années, nécessaires pour adapter la production à la demande, en rapport d’ailleurs avec des investissements conséquents.

Les grandes zones de production pétrolière se répartissent principalement au Moyen-Orient, en Russie, dans le golfe de Guinée, en mer du Nord et dans quelques régions situées sur le continent américain, Texas, Venezuela, Mexique, Alaska. Le progrès technologique permet des recherches de plus en plus poussées et une exploitation de gisements jugés encore radicalement inaccessibles à la fin du XXème siècle.On a aussi détecté un gisement pétrolier au large de la Corse.

Selon une évaluation établie en 2002, le total des réserves mondiales prouvées restantes est de 143 milliards de tonnes qui se répartissent notamment à raison de 93 pour le Moyen-Orient, 11 pour la Russie, autant que pour l’Afrique, essentiellement dans la grande région du golfe de Guinée, à terre et offshore et 16 pour l’Amérique latine. De 1860 à 2002, la production et la consommation mondiale ont été de 133 milliards de tonnes, soit presque autant que ce qui reste de réserves prouvées. Les grands consommateurs sont surtout les Etats-Unis, à raison de 31, 5 milliards de tonnes, le Moyen-Orient pour 36, la Russie pour 21, l’Europe pour 9,5, l’Amérique latine pour 16, l’Extrême-Orient pour 8 et l’Afrique pour 11.

Ainsi, en un siècle et demi, un peu plus de la moitié de la réserve initiale prouvée, soit 276 milliards de tonnes à l’origine, a été consommée, d’ailleurs principalement dans la deuxième moitié du XXème siècle. En prévision, avec la croissance de la demande, l’épuisement interviendra vers 2050, en prenant encore en compte la possibilité d’une augmentation des réserves prouvées et d’une amélioration de la rentabilité de l’extraction.

Le gaz naturel, déjà exploité, offre une perspective intéressante, bien que la rentabilité soit moindre. En effet, ce gaz est en fait un pétrole tellement léger que dans des conditions ordinaires, il devient gazeux. Son énergie est très peu concentrée et le coût de son transport, soit à l’état naturel, soit après conversion en liquide, est cinq fois supérieur à celui du pétrole. Les réserves prouvées restantes calculées en tonnes équivalent pétrole, sont d’un ordre de grandeur semblable à celles du pétrole : elles atteignent 135 milliards de tonnes. Cela donne un sursis à l’épuisement des ressources en hydrocarbures. La géopolitique du gaz est différente de celle du pétrole : elle place la Russie en première position, suivie de l’Iran et du Qatar. L’Histoire de la Terre est capricieuse !

Il découle de ces évaluations de ressources et de la prospective de la consommation, établies au début du XXIème siècle, que la planète dispose d’un potentiel temporel d’énergie en hydrocarbures allant d’une cinquantaine d’années à un siècle. Mais pas au-delà !

De plus, à l’aurore du XXIème siècle, la géopolitique des gisements les place dans des zones instables. Le Moyen-Orient est en ébullition permanente et les Américains, s’enlisant en Irak dans une guérilla sans fin, ferment par là même le robinet pétrolier irakien. La gangrène de l’instabilité menace l’Arabie Saoudite. C’est bien en partie à la recherche d’une solution de substitution que les Etats-Unis se sont lancés dans la conquête de l’Irak, sans pressentir les difficultés de l’occupation. L’Amérique latine, avec le Venezuela et le Mexique, grands pays producteurs, présente autant de foyers permanents d’instabilité que de pays.

Dernier élément, la croissance de la demande en énergie provient de pays émergents comme la Chine et l’Inde, également dépourvus à peu près totalement de ressources propres en hydrocarbures. La raréfaction de l’offre devient ainsi une donnée permanente avec en corollaire une hausse des prix du baril.

La lutte contre la pénurie et sa répartition

Les compagnies pétrolières, ayant pour stratégie de conserver leur monopole de l’énergie, ont lancé des axes de recherche afin de trouver des énergies de substitution. Des pays comme la France, instruits par le premier choc pétrolier, ont développé à outrance la production d’énergie nucléaire, au point qu’en 2004, 80 % de l’électricité produite provient de centrales nucléaires, ce qui, en y ajoutant l’énergie hydraulique, laisse très peu de place à des centrales fonctionnant au fioul. Cependant, le défi est des plus sérieux : l’énergie pétrolière reste irremplaçable pour l’aviation et l’automobile. A vue humaine, en prospective, le moteur à hydrogène ou le moteur électrique ne sont pas près d’assurer la propulsion courante d’un avion, cers 2070, au plus vite ; d’une automobile peut-être plus rapidement. Au constat donc, il s’agit d’organiser une pénurie de la ressource pétrolière. Dans ce cadre, le contrôle des gisements devient un enjeu vital. Cela n’a pas échappé, entre autres, aux Américains, pas plus aux Chinois et aux Russes d’ailleurs.

La visée pétrolière stratégique américaine consiste à assurer le contrôle des pays producteurs, autant que faire se peut. Cette visée vient en combinaison avec d’autres facteurs, mais n’est jamais absente.

C’est dans ce cadre que la Maison Blanche a engagé les deux guerres du Golfe de 1991 et de 2003. Le résultat n’est pas à la hauteur des espérances, puisqu’en 2004, la stabilité militaire et politique indispensable à une extraction pétrolière correcte est loin d’être acquise en Irak. L’attaque sur l’Afghanistan et le remplacement du régime des Talibans par un système ami de Washington répond partiellement au même objectif. Il s’agissait de détruire une base du terrorisme international certes ! Mais aussi d’installer des systèmes d’évacuation des hydrocarbures que produit le bassin de la Caspienne. Or, la chute des Talibans n’a pas pour autant ramené la paix dans la région. Et le régime du président Hamin Karzaï, soutenu par Washington, est en butte aux attaques, tant des Talibans que des seigneurs de la guerre locaux. De plus, l’exploitation de ce bassin de la Caspienne offre des obstacles. En premier lieux, les Russes sont plus que jamais présents, avec qui il faut négocier et qui entendent rester maîtres de leur zone d’influence. En second lieu, le projet d’un oléoduc, aboutissant au port turc de Ceyhan sur la Méditerranée, se heurte à des menaces d’instabilité concernant les territoires traversés où plane la lutte séculaire entre Turcs et Kurdes. Finalement, le moyen le plus sûr d’acheminer le pétrole de la Caspienne est l’évacuation par les ports de la mer Noire, mais on en revient au problème tchétchène et russe. Reste aussi une négociation à mener avec les Chinois qui, dans leur besoin d’énergie pétrolière, cherchent à nouer des relations intéressées avec les riverains du bassin de la Caspienne. Il est même question de construire un oléoduc qui reprendrait le vieux tracé de la route de la soie.

C’est encore dans ce même cadre que les stratèges américains avaient imaginé le projet d’un «Grand Moyen-Orient», englobant tous les Etats musulmans des rives de l’Atlantique à l’Afghanistan. Le but était de faire évoluer ces pays, de gré ou de force, vers un système démocratique, à l’image de celui des Etats-Unis. Il en aurait découlé une alliance de fait. L’entreprise était de taille, puisqu’à l’examen, un seul pays de cette grande zone peut être qualifié d’adhérer réellement à une démocratie parlementaire. Mais il n’est pas musulman puisqu’il s’agit d’Israël. La continuation de la guerre en Irak amène Washington à repousser le projet d’autant plus que se dresse un nouvel obstacle avec l’Iran et que l’instabilité antiaméricaine gagne de proche en proche l’ensemble du «Grand Moyen-Orient».

Les Etats-Unis s’étaient intéressés depuis longtemps à l’Iran et à son pétrole. Ils avaient ainsi machiné la chute de Mossadegh, coupable d’avoir nationalisé la production pétrolière. Le Schah rétabli allait se montrer quelque peu indocile. Ainsi, la Maison Blanche ne s’opposera pas à sa destitution au profit de l’ayatollah Khomeiny et à l’instauration d’une théocratie qui se révélera profondément hostile aux Etats-Unis, au grand dam des stratèges de la Maison Blanche qui espéraient le contraire. Téhéran s’affiche en opposition avec le régime Baas irakien et en soutien des chiites irakiens, sans pour autant se rapprocher un tant soit peu de Washington.

Bien plus, Téhéran maintient ses prétentions à l’accession à des capacités nucléaires avec l’aide des Russes et est suspecté, non sans raisons, de vouloir maîtriser à une puissance nucléaire militaire. Cela lui vaut d’être porté par Washington sur la liste des Etats-voyous, les rogue states susceptibles d’être l’objet d’une intervention militaire au même titre que la Corée du Nord et l’Irak en son temps, autant d’Etats parties prenantes à l’axe du Mal. La déclaration iranienne du 14 novembre 2004 faisant état de la suspension de toute activité liée à l’enrichissement d’uranium est de nature à barrer la voie d’accès à l’arme nucléaire. L’accord négocié par les Français, les Britanniques et les Allemands, devrait donner satisfaction à Washington, sous réserve de vérification. Washington perd ainsi un prétexte valable pour attaquer Téhéran qui n’en reste pas moins un adversaire déterminé dont la sincérité, en outre, est douteuse.

Le contrôle absolu américain sur le Golfe exige celui de l’Irak et, au moins, d’amener l’Iran à résipiscence. Les pressions de l’Agence internationale de l’énergie atomique et les bons offices des Européens ne donnent rien quant à l’abandon des ambitions nucléaires iraniennes. Cela amène Washington à envisager une solution militaire, mais le rapport des forces lui est défavorable.

Le rapport des forces militaires iraniennes et américaines

Une défaite militaire et l’occupation du pays conduirait à la destruction du régime iranien, tel qu’il existe en 2004. C’est en prenant en compte cette hypothèse d’une intervention armée américaine contre l’Iran qu’il convient d’analyser le potentiel militaire dont dispose d’abord Téhéran, puis Washington. Aucune autre analyse que matérielle ne peut être engagée. Toute tentative de jauger le moral des forces iraniennes, aussi bien qu’américaines, est subjectif. La référence historique est celle de la guerre irako-iranienne de 1979-1989 : elle a démontré la force de résistance des deux parties. Ce n’est pas pour autant que la partie irakienne a su faire face aux attaques américaines en 1991 comme en 2003. A remarquer aussi que la guerre irako-américaine engagée en 2003 s’est transformée en une guérilla généralisée qui met en exergue le maintien d’un moral d’une résistance armée opposée à la coalition sous commandement américain.

Les forces armées iraniennes développent essentiellement une puissance terrestre. Basée sur la conscription, l’armée de terre aligne un effectif de 350.000 hommes dont les deux tiers sont des conscrits, répartis en 4 corps d’armées comprenant au total 12 divisions blindées et d’infanterie. Le matériel est dépassé : les blindés datent d’une trentaine d’années au mieux. Il en est de même de l’artillerie. Quelques missiles Scud sont susceptibles d’être opérationnels.

En appui, le corps des Pasdarans, une force de volontaires islamiques chiites, ajoute quelque 120.000 combattants tout aussi médiocrement armés.

La marine est côtière, bien incapable de s’opposer à une force conséquente. Trois vieux sous-marins Kilo, d’origine soviétique représentent l’essentiel de cette force navale.

Les forces aériennes développent quelque 300 avions de combat en y comprenant les avions irakiens ayant cherché refuge en Iran lors de l’attaque américaine de 1991. Cette force est disparate : le nombre d’avions modernes est faible. La défense antiaérienne est à peine plus sérieuse.

La faiblesse des forces armées iraniennes surtout en matière d’équipement s’explique partiellement par l’embargo auquel a été soumis l’Iran en tant que rogue state.

En revanche, l’Iran, par moyens internes, en s’inspirant des systèmes Scud et No-Dong acquis auprès des Soviétiques en leurs temps comme auprès des Nord-Coéens, s’est doté de missiles Shihab 2 et 3 à portée stratégique régionale, aptes à emporter une tête nucléaire. Mais, faut-il encore posséder l’arme nucléaire.

Les forces armées iraniennes se révèlent dans l’impossibilité de mener une lutte offensive contre un Etat, un tant soit peu industrialisé et développé. Tout au plus, peuvent-elles conduire un combat retardateur, défensif, avec des chances sérieuses de succès, face à une force moderne d’invasion du type de l’armée américaine, mais à la condition absolue d’adopter une tactique adéquate. En d’autres termes, il s’agirait de refuser tout combat rangé en rase campagne au profit d’une guérilla généralisée. Une telle option a été nécessairement envisagée en regard de la menace d’une attaque américaine.

Dans ces conditions, se comprend pourquoi Téhéran cherche tant à acquérir une capacité nucléaire militaire.

Les Américains, en 2004, empêtrés dans leur guerre d’Irak, peinent à y maintenir un corps expéditionnaire de 140.000 hommes. Il leur faut, en effet, entretenir quelque 38.000 hommes en Corée du Sud, presque autant dans l’archipel japonais, presque le double en Allemagne, sans compter d’autres

– 55­-implantations militaires et conserver et instruire aux Etats-Unis des forces aptes à intervenir et assurer la relève des troupes engagées en Irak, sous peine d’une dégradation d’un moral déjà atteint par l’enlisement. Dans ces conditions, une intervention américaine terrestre ne peut tout simplement être envisagée : elle exigerait la constitution d’une force opérationnelle d’au moins 200.000 hommes, ce qui dépasse les capacités américaines qui comptent, en tant que forces terrestres, Army et Marines réunis, 677.000 hommes. A moins de revenir à la conscription, ce à quoi l’opinion publique américaine est majoritairement opposée ! Tout autant qu’en ce qui concerne la mobilisation généralisée des réserves des forces terrestres ajoutant quelque 150.000 hommes.

La seule solution est donc d’appuyer l’intimidation par des frappes aériennes. A cela s’opposent deux considérations. En premier lieu, rien n’assure que des frappes aériennes puissent conduire le régime iranien à capituler. L’hypothèse d’un raidissement, consécutif à une union sacrée constituée sous l’égide du régime est même assez probable. En deuxième lieu, les Américains renouraient avec leur concept de guerre préemptive et préventive, sans grand espoir d’obtenir un blanc-seing du Conseil de sécurité de l’ONU. Alors, ils risqueraient de se mettre à dos l’ensemble de la communauté internationale pour un temps indéfini. La toute puissance américaine a des limites !

Le golfe de Guinée,, objet de la quête pétrolière américaine

Dans leur quête pétrolière, les Etats-Unis seraient-ils condamnés à accepter un repli au Moyen-Orient pour se concentrer sur leur arrière-cour latino-américaine et la tenir, au nom d’une doctrine de Monroe rénovée ? Mais comment juguler une instabilité interne chronique dans cette zone ? La diversification de la ressource s’impose absolument.

Les gisements de la mer du Nord sont d’une part en voie d’épuisement constaté, d’autre part, il est inconcevable à Washington de s’en prendre à Londres. Reste alors comme dernière grande zone pétrolière à maîtriser le golfe de Guinée avec ses approches immédiates et lointaines, dont le Nigeria et l’Angola.

La production pétrolière offshore offre un potentiel très intéressant. Si elle est nettement plus coûteuse, surtout en ce qui concerne l’ultra-profond, elle présente l’avantage considérable d’être facilement sécurisée. En effet, des plates-formes en mer peuvent être défendues beaucoup plus efficacement que des installations à terre. Il suffit pour cela d’avoir quelques navires pour arrêter toute tentative d’attaque ou de sabotage. La marine des Etats-Unis peut facilement y pourvoir. De plus, le trajet entre le golfe de Guinée et les ports de la côte ouest des Etats-Unis est moitié moindre que celui à partir du Golfe.

il n en demeure pas moins qu une exploitation emcace ou pétrole orrsnore exige un contrôle des pays riverains, ne serait-ce que pour y établir des bases nécessaires à la logistique et aux forces navales de sécurité. Le problème n’a pas échappé aux Américains. C’est pourquoi, dans les premières années du XXième siècle, ils ont établi un commandement de l’Afrique occidentale, d’abord dépendant du commandement en Europe, puis indépendant. Les forces affectées suivent.

Le golfe de Guinée est ainsi un enjeu primordial dans la première moitié du XXième siècle. En s’y intéressant fortement, Washington introduit un paramètre supplémentaire dans l’instabilité permanente qui endeuille la région. Par ailleurs, inévitablement, l’influence américaine désormais directement appliquée entre en concurrence avec celle des Européens, notamment des Français, traditionnellement présents dans la région comme avec celle des Chinois qui tentent leur pénétration, poussés par leur propre soif pétrolière. il faut bien intégrer ces éléments d’explication aux convulsions qui ont secoué la Côte d’ivoire en novembre 2004

La raréfaction des hydrocarbures est une donnée acquise et marquante du XXième siècle. L’offre ne suit pas la demande et ne la suivra pas, ne serait-ce que du fait de pays émergents dépourvus de ressources pétrolières. Or, ces pays émergents, Chine, inde entre autres, en dehors de leur poids démographique et industriel, sont, d’ores et déjà, des puissances militaires importantes, dotées de capacités nucléaires.

Les zones d’affrontement du XXième siècle sont, pour une part, déterminées par les contours des gisements pétroliers. Sur ces enjeux et les luttes ouvertes ou indirectes qu’ils provoquent, se greffe la donnée nouvelle qu’est le terrorisme transnational.

La série de conflits à prévoir, issue de l’enjeu pétrolier, ne peut cesser qu’avec la mise en place d’énergies de substitution au pétrole. La perspective s’établit pour la fin du XXième siècle.

Avec l’épuisement de la ressource pétrolière et l’apparition d’énergies de substitution, le golfe de Guinée cessera graduellement d’être un enjeu et retrouvera sa grisaille, mais à la fin du XXième siècle !

Article précédentDéstructurations au Moyen-Orient
Article suivantDes économies du Moyen-Orient marquées par la malédiction de la rente pétrolière

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.