LA PROBLÉMATIQUE ÉNERGÉTIQUE EN INDE

André PERTUZIO

Avril 2008

L’Inde n’est pas seulement un grand pays de plus de 1 milliard d’habitants (17 % de la population mondiale) et de plus de 3 300 000 km2, en voie de déve­loppement rapide qui, pour n’être pas aussi spectaculaire que celle de la Chine, n’en est pas moins remarquable. C’est aussi un sous-continent occupant le centre sud du continent asiatique, dominant le nord de l’océan Indien et la route des pétroliers et des méthaniers est-ouest et vice versa. D’où sa grande importance géopolitique que nul aujourd’hui ne conteste.

Quelle est donc la situation actuelle ? On peut la résumer ainsi : Comme la Chine, l’Inde s’est réveillée d’un long sommeil. Aujourd’hui elle pèse de plus en plus lourd sur la scène internationale et les Etats-Unis notamment ne peuvent que la courtiser comme contrepoids stratégique à la Chine. Les ambitions de l’Inde, attisées par la réussite chinoise, la pousse aussi vers l’Occident car son développement économique passe nécessairement par des investissements étrangers importants. Il est à noter à cet égard que l’Inde, actuellement, ne reçoit qu’environ 10 % des capitaux qui s’investissent en Chine.

 

La situation économique

La situation de l’Inde en la matière est donc celle d’un pays en pleine croissance économique au point de se situer en quatrième position derrière les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Cette croissance a augmenté régulièrement au cours des 30 dernières années atteignant depuis 2000 un taux annuel moyen de 7 % en rai­son d’investissements accrus dans la production industrielle. Seule la Chine donne l’exemple d’un développement plus rapide. La Russie atteint des taux analogues mais dus principalement à ses exportations d’hydrocarbures. C’est, comme dans un pays pleinement développé, dans le secteur des services que se situe la part la plus importante de l’économie nationale : 54 % du PIB tandis que l’industrie représente 27 % et l’agriculture 19 % bien que 60 % de la main d’œuvre y soit employée.

Le potentiel de l’économie est ainsi très élevé mais la productivité moyenne reste basse, les infrastructures encore trop peu développées et une main d’œuvre agricole beaucoup trop importante. La modernisation rapide du pays est cependant éviden­te et de grandes entreprises industrielles, telles Mittal, se créent et concurrencent sur le marché international celles des plus grandes des pays industrialisés.

la situation énergétique

Il est évident que les avancées économiques rendent indispensable une consom­mation accrue d’énergie. Celle-ci est donc en constante augmentation, elle est passée de 209 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 1980 à environ 540 millions aujourd’hui, analogue à celle du Japon. Son accroissement est de l’ordre de 3,2 % par an mais il faut souligner que la consommation per capita de 0,5 % reste très faible.

De ces 540 millions de tep, le charbon représente 300 millions soit 55 %, le pétrole 130 millions soit 24 % et le gaz naturel 34 millions soit 6 %, la biomasse et autres énergies représentent le solde.

La production locale assure 76 % de cette consommation d’énergie soit 13 % du charbon, 70 % du pétrole et 11 % du gaz naturel. Cette dépendance des impor­tations qui n’est que de 24 % ne pourra qu’augmenter avec le temps car les réserves de chacune de ces sources d’énergie si elles sont importantes pour le charbon avec 255 milliards de tep, sont beaucoup plus limitées pour le pétrole avec 767 millions et pour le gaz avec 1 400 milliards. Une forte augmentation des importations d’hy­drocarbures sera donc nécessaire au fil des ans, la position géographique de l’Inde lui facilitant les importations du Moyen Orient. Il est à noter qu’en ce qui concerne le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) – car la liquéfaction est nécessaire pour traverser les mers – des importations ont commencé dès 2004 et représentent 17 % des appro­visionnements de gaz naturel. Il est à prévoir que, compte tenu des réserves de gaz relativement limitées de l’Inde, les importations de GNL augmenteront fortement et sans doute du Qatar proche (3e réserves mondiales), voire de l’Iran (2e réserves mondiales) qui n’a pas encore entrepris ce type d’exploitation.

L’une des caractéristiques de la situation énergétique consiste donc dans l’im­portance du charbon, situation analogique à celle de la Chine.

 

Enfin, ce qui concerne l’électricité, sa production place déjà l’Inde à la cin­quième place mondiale après les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie mais à la troisième en ce qui concerne la production à base de charbon. Pour ce qui est du nucléaire, il ne représente encore que 2,6 % de la génération d’électricité.

Une autre caractéristique de la production d’énergie en Inde est qu’elle est essen­tiellement étatique, c’est-à-dire provenant d’entreprises contrôlées par l’Etat. Ainsi Coal India produit 80 % de la consommation de charbon, Oil and Natural Gas Corporation (O.N.G.C.) et Oil India dominent la production pétrolière et gazière tandis qu’India Oil Corporation est responsable du raffinage et de la distribution.

De la même manière la société GAIL est responsable du transport du gaz na­turel par gazoducs mais n’en a plus le monopole depuis l’an dernier. Il en est de même de la production d’électricité largement à base de charbon. A cette pesanteur étatique de l’industrie énergétique s’ajoute, comme dans tous les pays en voie de développement (même rapide), un système de subventions pour la distribution de certains produits, notamment le gaz naturel à destination industrielle.

Déjà, la désétatisation et la libéralisation du système contractuel pour la recher­che et la production pétrolières ont été entreprises depuis 1997 et mises en œuvre dès 1999. C’est ce que l’on appelle « the New Exploration Licencing Policy ». Aux termes de ces dispositions, les investisseurs privés, donc les sociétés pétrolières, peu­vent détenir 100 % du capital de l’entreprise et vendre librement le pétrole brut et le gaz naturel dans le pays au prix du marché. En ce qui concerne la recherche pétrolière « offshore » en eau profonde, la redevance (royalty) à payer au gouverne­ment est ramenée à 5 % pour les 7 premières années de production au lieu de 10 % en offshore et de 12,5 % à terre qui sont les taux habituellement pratiqués.

Cette libéralisation des dispositions des contrats pétroliers internationaux a déjà donné des résultats encourageants. C’est ainsi qu’en 2002, le consortium Reliance-Niko a mis au jour un gisement de 10 millions de tep de gaz naturel et qu’a été découvert un important gisement de brut (350 millions de bl.) dans le Rajasthan, lequel entrera en production en 2009.

Le mouvement de privatisation de l’industrie et du commerce des hydrocarbu­res est cependant assez lent comme le montrent les pourcentages de participation privée dans les diverses sources d’énergie : électricité 7 %, hydrocarbures 19 %, charbon 7 %, soit 11 % en moyenne. Ils sont encore très faibles.

 

Perspectives énergétiques

La prospective est une science difficile mais il est indispensable en matière éner­gétique de s’y livrer. Les experts en général prennent comme objectif l’évolution des productions et consommations jusqu’à 2030.

En ce qui concerne l’Inde, il est généralement prévu que la consommation d’énergie à usage industriel doublera pour cette année là à un rythme de 4,7 % an­nuellement jusqu’en 2015 et 3,7 % ensuite jusqu’en 2030. C’est là un rythme par­ticulièrement élevé, nettement supérieur à celui des pays de l’OCDE, 1,5 à 1,7 % l’an, mais il est certain que la croissance des pays développés sera évidemment infé­rieure à celle des pays comme la Chine ou l’Inde.

L’augmentation de la consommation pétrolière se fera notamment sentir dans le domaine des transports où l’on prévoit une croissance annuelle pour atteindre 162 millions de tep en 2030, alors que l’énergie à usage résidentiel ne connaîtra plus qu’un accroissement de 1,6 % l’an.

Le charbon restera l’énergie dominante dans le secteur industriel, passant de 262 millions de tep à 687 en 2030 ce qui nécessitera une importation annuelle de 105 millions de tep, le charbon assurant un coût de production d’électricité plus modéré que celui d’électricité produite à base d’hydrocarbures alors que la produc­tion doit passer de 699 Twh (trillions de watt/heure) à 2774 en 2030.

L’on peut résumer ainsi qu’il suit les prévisions de l’Agence Internationale pour l’Energie à l’horizon 2015 et 2030 (en millions de tep) :

 

2015 2030
Charbon 334 620
Pétrole 188 328
Gaz naturel 48 93
Electricité Primaire nucléaire 16 33
Electricité Primaire hydraulique 13 22
Bonasse et autres 171 194
Total énergie 770 1 290

 

En ce qui concerne les perspectives pétrolières et gazières, elles ne sont pas très encourageantes, 80 % des réserves prouvées de pétrole brut ayant déjà dépassé le seuil maximum de production et la production de gaz naturel devant elle-même atteindre ce seuil maximum entre 2020 et 2030 pour atteindre 50 milliards de m3 soit 45 millions de tep.Il est donc prévu que bientôt l’Inde dépassera le Japon comme troisième importateur mondial de pétrole le plus important après les Etats-Unis et la Chine.

Le sous-développement en matière d’électricité est aussi un problème majeur si l’on considère qu’en dépit de l’importante production électrique de l’Inde, 40 % de la population soit plus de 400 millions de personnes n’ont pas aujourd’hui accès à l’électricité. Les investissements dans ce domaine seront ainsi fondamentaux pour les années à venir.

D’une manière générale, le plus important problème à résoudre est celui du financement des investissements nécessaires pour développer les ressources éner­gétiques elles mêmes nécessaires pour la croissance économique du pays : l’Agence Internationale pour l’Energie a calculé qu’un investissement minimum mondial de 16 trillions de dollars (calculés en 2003) dont 60 % pour les infrastructures électri­ques devra être effectué d’ici 2030. L’Inde devra pour sa part investir 1,25 trillion de dollars dont 1 pour les infrastructures électriques. C’est là un défi essentiel pour le développement économique futur du pays.

 

Energie nucléaire

Assez paradoxalement l’Inde – mais aussi la Chine et le Pakistan – ont dévelop­pé et acquis le nucléaire militaire avant le nucléaire civil. C’est assez dire que pour ces pays à l’économie émergente quoique déjà puissante pour deux d’entre eux, le développement économique passe après le déploiement d’une force politique et mi­litaire qui les fait écouter dans le concert international. C’est ce que les responsables pensent en disant que les essais nucléaires de 1998 ont plus apporté à leur pays en terme de prestige que d’être la plus grande démocratie du monde…

Le résultat à l’époque avait été un embargo à l’instigation des Etats-Unis d’autant plus que l’Inde avait refusé de signer le Traité de non-Prolifération Nucléaire. Depuis lors, et bien que l’Inde persiste dans son refus de signer le dit traité, les deux pays se sont considérablement rapprochés depuis 2000 avec la visite du Président Clinton et singulièrement après le 11 Septembre 2001. L’intérêt politique et géostratégique des Etats-Unis, politique et économique de l’Inde, ont évidemment amené ce rap­prochement marqué par la signature d’accords, notamment en matière de nucléaire civil avec la coopération des Etats-Unis et l’acceptation du statu quo en matière militaire par ces derniers, l’Inde, pour sa part, permettant l’accès de ses installations nucléaires à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).

Depuis lors, le programme nucléaire civil indien a pris de l’ampleur. Il avait dé­marré dès 1960 avec un réacteur à eau (General Electric et Bechtel), il se poursuivit ensuite, notamment avec l’aide de la Russie et désormais avec une coopération plus étroite avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, l’Inde dispose de 15 centrales nucléaires d’une puissance installée totale de 3 040 MW donc modeste qui ne produisent qu’environ 2,8 % de l’électricité requise par le pays.

La mise en service des nouveaux réacteurs augmentera ce pourcentage mais, comme nous l’avons vu, la production d’électricité à base de charbon est moins chère et, compte tenu des ressources du pays dans cette matière, il est peu probable que le nucléaire représente un pourcentage important de la production d’électricité à court ou moyen terme.

 

Considérations géopolitiques

Des éléments ci-dessus, il ressort que non seulement l’Inde est un des princi­paux consommateurs d’énergie mais qu’elle est appelée à rester l’un des 4 grands consommateurs de la planète avec les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Cela im­plique nécessairement une plus grande dépendance des importations de charbon, de gaz naturel et surtout de pétrole. Sa situation à cet égard est analogue à celle de la Chine avec une énergie principalement à base de charbon dont elle est le troisième producteur mondial mais dont la production ne représente que 18% de la production chinoise. L’environnement géopolitique de l’Inde est cependant dif­férent de celui de la Chine, d’abord par une proximité plus grande des producteurs du Moyen Orient, favorisant par exemple l’importation du GNL du Qatar, des relations affermies avec les Etats-Unis et normalisées avec la Chine qui est à la fois un concurrent et un modèle pour les élites indiennes naturellement en proie à un certain vertige de puissance. L’Europe qui jouit d’une moindre considération est d’ailleurs supplantée par l’Asie comme partenaire commercial.

 

Dans un cadre géopolitique global, les dirigeants indiens donnent une preuve de pragmatisme qui relègue l’idéologie tiers-mondiste de Nehru, loin dans le passé.

Il ne faut pas omettre, avec les partenariats de l’Inde avec les Etats-Unis et la Chine – bien loin de la guerre de 1964 entre les deux pays – le rôle important de la Russie avec laquelle les relations ont toujours été étroites et qui est considérée par l’Inde comme importante pour sa sécurité énergétique. Les relations à cet égard en­tre les deux pays ont depuis longtemps été établies non seulement dans le domaine nucléaire mais aussi pétrolier. C’est ainsi, notamment, que la Société d’Etat ONGL participe d’ailleurs à l’exploration et l’exploitation du pétrole en Sakhaline. Il ne faut pas oublier enfin que l’Inde a un programme de coopération technique et mi­litaire avec la Russie et que celle-ci est son premier fournisseur d’armements mais, pragmatisme oblige, Israël est le second fournisseur en importance.

Ainsi l’Inde est géopolitiquement courtisée comme une grande puissance dé­sormais acteur important dans le grand jeu politique, économique et stratégique planétaire.

* Consultant pétrolier international avec une carrière internationale de plus de 30 ans dans l’in­dustrie pétrolière dont 20 ans au sein d’un grand groupe pétrolier français. Il a été aussi Conseiller juridique pour l’énergie à la Banque Mondiale.

 

 

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