La Realpolitik à l’épreuve enfin de la relation France-Iran ?

Emmanuel DUPUY,

Président de l’Institut Prospective et sécurité en Europe (IPSE). Vice-président du Centre pour le Développement de l’Amitié franco-iranienne (CDAFI)[1]

RÉSUMÉ

Indéniablement, France-Iran, c’est une longue histoire solidement ancrée sur 300 ans de relations diplomatiques bilatérales. La première « ambassade » perse remonte à Louis XIV et au Shah Hossein de la dynastie Séfévide. La Révolution constitutionnelle iranienne de 1905 s’est, à titre d’exemple, inspiré de l’universalisme démocratique et philosophique du révolutionarisme français de 1789. L’ancien Majlis (parlement iranien) est ainsi construit sur le plan de l’Hémicycle du Palais Bourbon. Et le chef de la révolution nationaliste iranienne de 1978, l’Ayatollah Khomeiny, visé d’assassinat, a trouvé refuge en France, avant de rentrer glorieusement en Iran. Mais il y a aussi eu des bas, que nous surmontons à présent depuis les négociations nucléaires du début de l’année.

À elle seule, l’Iran possède les réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite, les réserves de gaz naturel de la Russie, le potentiel commercial de la Turquie, et les réserves en minerai de l’Australie… mais il faut une technologie sophistiquée évolutive pour exploiter et sécuriser tout cela.

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Lorsqu’il s’agit de porter un regard à la fois introspectif et prospectif sur la relation franco-iranienne, il convient de mettre en exergue deux notions clefs qui structurent les relations internationales des deux pays et justifient leurs visions communes d’une certaine forme d’universalisme à modéliser et à exporter (profondeurs historiques et stratégiques). Il en résulte, de facto, cinq éléments structurants :

  1. France-Iran : une longue histoire solidement ancrée sur 300 ans de relations diplomatiques, la première « ambassade » perse remonte à Louis XIV et au Shah Hossein de la dynastie Séfévide. Au-delà, l’influence française est solidement ancrée dans l’histoire politique iranienne. La Révolution bourgeoise de 1905 s’est, à titre d’exemple, inspiré de l’Universalisme démocratique et philosophique du révolutionarisme français de 1789. L’ancien Majlis est ainsi construit sur le plan de l’Hémicycle du Palais Bourbon. La geste révolutionnaire de 1979, après le séjour de l’Ayatollah Khomeiny à Neauphle-le-Château en est une résultante également.
  1. Cette histoire s’appuie sur des convergences mais doit aussi tenir compte de divergences mises en exergue à travers le « soutien » français apporté à l’Irak durant la guerre Iran-Irak, véritable traumatisme ayant provoqué la mort de près d’un million de personnes entre 1980 et 1988. Plus récemment, l’asymétrie militaire créée par les contrats d’armements français vis-à-vis du Qatar, de l’Arabie Saoudite et des EAU est perçue comme une « rupture » dans le fragile équilibre stratégique dans le Golfe persique ;
  1. La fin « effective » des sanctions – depuis janvier 2016 – ouvre de nombreuses occasions de coopérations bilatérales, dans le domaine géoéconomique, comme géoculturel, tout comme au niveau de l’approfondissement et la modernisation des coopérations industrielles (reprise des activités de Peugeot Fars et Renault Kodro) en vue de la livraison des voitures de nouvelles générations ;
  1. De nombreux « écueils » demeurent néanmoins. Le plus symbolique réside dans la guerre commerciale franco-européenne-américaine que « révèle » le théâtre iranien. Le seul cas de la guerre commerciale entre Boeing et Airbus au sujet de la livraison des avions visant à la modernisation des flottes des compagnies Iran Air et Mahan Air en est le parfait exemple ;
  1. Il en résulte aussi des perspectives conjointes à engager à l’avenir, en visant à œuvrer à des coopérations « trilatérales », sur le modèle de la coopération franco-chinoise en direction du continent africain. De ce point de vue, un accord identique entre Paris et Téhéran, vis-à-vis du continent africain, serait l’occasion idoine, pour témoigner de l’existence d’espaces stratégiques de convergences entre nos deux pays…

Quelques jours après la visite du ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Jawad Zarif à Paris les 22 et 23 juin 2016 et à quelques jours du premier anniversaire de l’accord sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 entre l’Iran et les membres du groupe dit « P5+1 », groupe créé en 2006, regroupant les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies auquel il convient d’ajouter l’Allemagne et l’UE, l’Iran semble reprendre, en effet, toute sa place sur l’échiquier international. Néanmoins, bien des écueils demeurent pour un retour sur le plan géoéconomique, géopolitique et géoculturel, que d’aucuns, dans le voisinage moyen oriental, notamment, voient toujours d’un mauvais œil.

Il aura fallu, en effet, douze années de crise sur le nucléaire, près de deux ans de négociations intenses ponctuées d’un nombre record de rencontres bilatérales entre l’Iran et les membres du groupe dit « P5+1 » pour que l’on parvienne, enfin, le 16 janvier 2016, à Vienne -siège de l’Agence Internationale de l’Energie Atonique (AIEA) – à un accord complet ouvrant ainsi une nouvelle ère des relations internationales entre l’Iran et la « Communauté internationale » (Plan global d’Action Commun (PGAC)[2]).

L’accord est non seulement « historique » pour l’avenir du système de régulation de la non-prolifération et du désarmement – au regard du Traité de non-prolifération (TNP), depuis son entrée en vigueur en 1970 -, il l’est aussi eu égard à une prise en compte de la Realpolitik au Proche et Moyen-Orient, en Asie du Sud-Ouest, en particulier.

Au-delà, cet accord vient confirmer une nouvelle « gouvernance » dans les relations internationales caractérisée par l’émergence de Nations aux ambitions, contributions, actions et besoins qui iront crescendo.

L’accord scellé à Vienne est aussi déterminant, car il confirme urbi et orbi, l’Iran comme une puissance régionale, globale, tant sur le point stratégique qu’économique. Si, bien que des obstacles demeurent, néanmoins, il convient surtout, pour la France de ne pas manquer ce momentum.

De ce point de vue, douze points peuvent être contextualisés, mettant autant en exergue le rôle que la France autant que l’UE devra jouer de concert avec l’Iran. Il en résulte, du reste, un plan en douze points signés entre Jawad Zarif et Federica Mogherini, le Haut représentant pour la politique extérieure de l’UE.

  • Cet ébauche d’accord préfigure ainsi la « réintégration» de l’Iran dans la communauté internationale C’est une victoire diplomatique et politique faite de compromis mutuels. L’option éminemment risquée de la négociation diplomatique ouvrant la voie à une levée des sanctions, une détente, la réintégration dans la communauté internationale s’est avérée gagnante. Bien sûr, le diable résidant dans les détails, tout dépendra de l’application de ce compromis ;
  • Sur le plan intérieur iranien, le président Rohani (qui jouait gros, face à un Parlement hostile à d’inacceptables compromis) est sorti considérablement renforcé, à l’aune des élections législatives et à l’Assemblée des Experts en février 2016 (Parlement le plus féminisé et le plus modéré depuis la Révolution de 1979).
  • Ce nouveau paysage politique semble préfigurer une élection présidentielle en 2017 dans lequel semble émerger de nouvelles personnalités politiques, à l’instar du ministre des Affaires étrangères, le réformateur Jawad Zarif, accueilli en « héros » à Téhéran, qui pourrait lui faire prendre un destin à la Davotoglu (passé du MAE à la Primature turque)… peut-être un destin présidentiel à l’horizon 2017. Il en va de même, dans le camp conservateur, avec le Général Qasem Souleymani, chef de la Force Al Qods, auréolé par les victoires de Tikrit en Irak en 2014 et celles plus récentes ouvrant la voie à la reconquête de Mossoul.
  • Pour les investisseurs et opérateurs économiques français, cet accord ouvre un marché de 80 millions d’habitants (100 millions à l’horizon 2050) marqué par une relation « particulière » avec la France (ouverture des relations diplomatiques entre la Perse et la France à la moitié du XVIème siècle, l’exil de l’Iman Komeyni à Neauphle-le-Château en 1978…), engage à recommencer d’étudier des projets, sachant, néanmoins que les sanctions ne seront levées que fort progressivement ;
  • Le texte définitif signé le 14 juillet 2016, permettra à Barack Obama d’exhiber une réussite sur le plan extérieur au moment où il accumule les difficultés avec la Russie, au Moyen-Orient sur le dossier israélo-palestinien. Il pourra même se vanter de disposer d’un appui bienvenu pour s’extraire des bourbiers irakiens, syriens, afghans ;
  • À l’égard de l’Arabie Saoudite, il lui faudra faire preuve de pédagogie pour convaincre Riyad de consentir à une amélioration des relations avec Téhéran et ce au moment où après plusieurs mois, l’opération « Tempête décisive» a fait place à une nouvelle phase au Yémen (davantage politique « Restaurer l’Espoir »). Washington et Téhéran, s’en sont, du reste, réjouis de concert…
  • Le rapprochement entre les Etats-Unis (ÉU) et l’Iran inaugure, aussi, une nouvelle phase des Relations internationales, celle dans laquelle la Russie se préoccupe de cette nouvelle amitié, qui pourrait se faire aux dépens d’une solidarité forgée dans une économie contrainte par des sanctions trentenaires et vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, qui voit le rapprochement ÉU/Iran viendrait remettre en cause une proximité stratégique, forgée à l’aune du Traité de Quincy, en février 1945, scellant une coopération économique, énergétique et sécuritaire.
  • Entre temps, le contexte de la vente par la France de 24 Rafale au Qatar, de deux Frégates multi-missions (FREMM) et de deux Mistral à l’Egypte, ainsi que la signature des volants 2 et 3 du contrat Sawari avec l’Arabie Saoudite, le tout à hauteur de 15-16 milliards d’euros, est venu sensiblement et durablement modifier la donne stratégique dans la région.

  • Livraison des missiles balistiques S300 par la Russie (suspendu en 2010) à l’Iran offre une illustration de cette réalité stratégique : Les États-Unis, ont d’emblée fait savoir que cela ne remettait en cause ni l’accord, ni ne contrevenait aux conventions onusiennes. D’ailleurs, le budget défense des Etats-Unis (600 milliards de dollars) contre celui de l’Iran (17 milliards de dollars) est sans comparaison !
  • Perspective stratégique plus large, qui resitue l’Iran, dans sa place de carrefour stratégique ouvrant une nouvelle relation eurasiatique, et ce, au moment où la Chine ne cesse de se confirmer comme un acteur géopolitique et géoéconomique plus vertueux (lancement par le président Xi-Jiping à Shangxi en décembre 2014, chez lui, du vaste projet « La stratégie : une région, une voie »[3] englobant 60 pays à travers une nouvelle route de la Soie…/création de la banque Asiatique d’Investissement sur les Infrastructures (AIIB), qui avec 58 Etats, dont la France, pourrait faire de l’ombre à la Banque mondiale et remet en cause le système financier de Bretton Woods (BM- FMI)/ signature de 36 milliards de dollars de contrat, il y a quelques jours, entre le Pakistan et la Chine !) ;
  • Mais cette négociation laisse aussi encore quelques zones d’ombres (la plus évidente concerne Israël. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou n’a, non seulement, pas réussi à bloquer l’accord, mais il en résulte un hiatus grandissant entre Israël et les États-Unis (comme en témoigne l’épisode de la prise de parole du Premier ministre israélien devant le Congrès, il y a quelques semaines) ;
  • Concernant, l’accord (sur le plan technique) : Il s’agit d’un « accord politique», quoique, les rédacteurs ont fixé des objectifs techniques précis et quantifiés pour les obligations à charge de l’Iran. Il semble à la première lecture que l’Iran a consenti de très importantes concessions et que, du moins à ce stade provisoire, il n’a pas reçu de garantie de suppression des sanctions, mais se voit accordé la possibilité de suspensions réversibles au fur et à mesure du respect de ses engagements.

Une fois l’accord mis en œuvre, le succès de la diplomatie du « compromis acceptable » entre Téhéran et les capitales occidentales, au premier chef desquels, Washington, Londres, Berlin et Paris, est une chance inédite à ne pas manquer, car une telle configuration stratégique est unique.

Aujourd’hui, la principale menace qui préoccupe l’Iran est la même que celle qui obère la sécurité des pays occidentaux, à savoir Daesh et sa cohorte de groupes terroristes se revendiquant de l’idéologie takfiriste et prônant un wahhabisme djihadiste, dont l’Arabie Saoudite est le centre névralgique.

Les sept dossiers suivants, qui pourraient rapprocher diplomaties et communautés stratégiques françaises et iraniennes sont, en effet, quelques-uns dont l’incidence est fortement liée à l’application effective de l’accord de Vienne :

  • convergence d’intérêt à lutter contre Daesh en Irak (septembre 2014) comme en Syrie (depuis l’engagement militaire aérien à partir de septembre 2015), tout en veillant à juguler son expansion sur le continent africain, notamment en Libye. L’épineuse question de la reconstruction syrienne (estimée par l’ONU à plus de 300 milliards de dollars !) offre ainsi une occasion évidente de coopérations internationales. De ce point de vue, le « remplacement » du vice-ministre des Affaires étrangères Hussein Amir-Abollarian, chargé des dossiers arabes et africains offre une perspective positive de coopération dans ce sens.
  • nécessité de stopper un conflit au Yémen qui s’enlise « inutilement » depuis 2004 et aggravé depuis l’intensification des combats par le jeu des « proxis » entre Ryad et Abou Dhabi – soutenant le Président Abo Rabbo Mansour Hadi – et Téhéran – soutenant l’ancien président Ali Abdallah Saleh, qui dirigea le pays grâce à l’appui des milices chiites Houthis, et ce, hélas, au prix de nombreuses vies humaines (1850 morts) et de nombreux réfugiés;
  • opportunité d’œuvrer de concert à des médiations, facilitations en faveur de la résolution et prévention, des conflits (à l’instar de la récente crise au Haut-Karabakh entre Arménie et Azerbaïdjan voisins, qui s’est soldée, par la rupture du cessez-le-feu début avril, 64 morts, dans le cadre d’un conflit « gelé » depuis 20 ans) ;
  • urgence de trouver enfin une issue politique et institutionnelle au Liban après plus de 35 tentatives infructueuses d’élire un Président depuis près de deux ans et le départ du Président Michel Sleimane. Sans le soutien actif ou même passif du Hezbollah, aucun président ne pourra être choisi au Parlement. Comme en 1986, l’Iran a d’ailleurs, dit sa disponibilité à agir de concert, avec la diplomatie française pour trouver une issue acceptable par toutes les parties. Le MAE iranien, a, du reste, indiqué, lors de la venue du Président Rohani à Paris, en janvier dernier; qu’un nouveau Taef devrait servir d’étalon a la stabilisation tant au Liban (comme c’est le cas au Liban, depuis 1989) et potentiellement ailleurs, comme en Syrie ;
  • perception commune du besoin de stabiliser la situation en Afghanistan, à l’aune d’un nouveau cycle électoral toujours aussi fragilisé par la puissance retrouvée des talibans et une conflictualité-concurrence croissante entre Daesh et Al Qaïda. Le soutien de « revers » que les Iraniens entendent apporter aux talibans, comme en témoigne le soutien tacite au Mollah Mansour (avant son élimination par un Drone américain, début mai dernier) révèle la ligne rouge de la politique étrangère sur sa frontière occidentale : profiter de son profondeur territoriale (via les communautés Hazaras et par le truchement des quelques 1,5 millions de réfugiés afghans résidant en Iran) pour éviter à tout prix un entrisme de Daech sur son propre territoire ;
  • Alors que se tient le Sommet de Tachkent (23-24 juin 2016) venant clore la présidence annuelle de l’Organisation de Coopération de Shanghai et célébrant son 15ème anniversaire, nécessité de penser les relations énergétiques et économiques sur une base nouvelle, à mesure que d’autres acteurs, à l’instar de la Chine, de l’Inde, de la Russie, témoignent elles aussi d’une volonté de mise en exergue d’un approfondissement des interdépendances eurasiatiques. Il en résulte une mise en exergue de la perspective de la création d’un espace économique, diplomatique et stratégique eurasiatique, et ce, alors que la Chine a lancé, depuis novembre 2013, son projet de nouvelle Route de la Soie – terrestre et maritime (« une région, une voie» reliant la Chine à plus de 60 pays asiatiques, africains et européens) et que la Russie, avec la création de l’Union économique eurasienne (Traité d’Astana, du 29 mai 2014 qui a succédé à la Communauté Economique Eurasienne, crée en octobre 2000) vise aussi à être un acteur majeur ;
  • Le contexte des relations avec l’Iran doit, enfin, tenir compte des évolutions récentes liées aux fluctuations des marchés pétroliers. Alors que le cours du Brut semble se stabiliser autour du prix de 50 Dollars/Baril (après une période d’intenses fluctuations depuis une douzaine d’années), les récentes déclarations du ministre des hydrocarbures Zanganeh, à l’issue de la dernière réunion de l’OPEP à Vienne, au sujet de la préférence iranienne pour la détermination de quotas de production (plutôt que la fixation d’un plafond de production) doit ainsi être pris en compte dans le contexte de la reprise de la production iranienne (3,6 millions de Barils/jours dont 2 millions exportés en 2016 ; 4,8-5 millions barils/jours d’ici 2021) à un niveau sensiblement égal à celui qui était le sien avant les sanctions lancées en 2006. Le préalable de la nécessité d’injecter 80 à 100 milliards de dollars pour y parvenir semblerait relativiser, néanmoins, ces déclarations !

Bref, l’Iran, forte de ses 80 millions d’habitants, 100 millions en 2050, compte-tenu de son PIB à parité de pouvoir d’achat qui la place au 17ème rang des puissances économiques mondiales, offre nombre de garanties pour qui veut bien s’en saisir, avec réalisme et pragmatisme.

C’est désormais à ce chantier que la France doit s’atteler avec célérité, mais délestée des obstacles institutionnels et des perceptions idéologiques qui l’ont contrainte ces dernières années. Le contexte favorable né des dernières élections de février devrait accélérer cette « normalisation », loin des postures « néo-conservatrices » que certains observateurs de la scène diplomatique franco-iranienne ont perçu comme étant venue « perturber » le bon cours des négociations sur le nucléaire.

La visite, le 28 juillet dernier, de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, n’ayant, semble-t-il pas réussi à faire oublier l’intégrisme de ses prises de parole durant les deux années de négociations, ni la « ligne dure » qu’il semblait incarner sur ce dossier.

Il y a urgence, car la diplomatie française a placé nos intérêts stratégiques et économiques en position inconfortables, et ce, par ses positions plus intransigeantes que celle de ses partenaires couplée à sa fermeté affirmée – qui a pu certes séduire nos alliés « diplomatiques » traditionnels en Israël et « commerciaux » avec lesquels la France s’est rapprochée, à l’aune d’une coopération militaire inédite, à l’instar de l’Arabie Saoudite et vis-à-vis des Emirats, sultanats du sud du Golfe Persique – mais qui marque une rupture récente dans notre politique d’équilibre au Levant et au Moyen-Orient.

Situation quelque peu paradoxale quand on sait que les entreprises françaises ont parfaitement saisi l’importance des enjeux et ont déjà commencé à se repositionner sur le marché iranien.

Notre « diplomatie économique » ne saurait donc être pervertie par une certaine idéologisation de notre diplomatie, encore faudrait-il faire plus désormais qu’en témoigner. La difficulté à mettre en place le raccordement des transactions vis-à-vis de l’Iran au système de transfert financier Swift, ainsi que l’érosion de la confiance de la part des banques françaises (échaudées par les sanctions financières que n’a pu éviter BNP – Paribas, eu égard aux opérations réalisées en dollars entre 2002 et 2009 vis-à-vis de l’Iran et les 800 millions qu’elle a dû régler aux tribunaux américains) viennent témoigner que lorsqu’il s’agit d’appréhender le marché « vierge » iranien, il s’agit plus d’une guerre économique entre UE et Etats-Unis, qu’autre chose.

S’il est indéniable que la position géostratégique de l’Iran est un facteur clef de la sécurité régionale, alors le commerce et les échanges économiques, scientifiques et culturels poseront un socle permettant d’ancrer ses voisins d’Asie du Sud-Ouest (Afghanistan et Pakistan en lutte avec les talibans, les narcotrafiquants ou encore des groupes armés sunnites comme Judallah dans le Baloutchistan), comme ceux du Moyen et Proche Orient (principalement l’Irak qui lutte contre son délitement politique et militaire) dans une aire de stabilisation – à court terme – et de prospérité – à plus long terme.

Sachons, accompagner ce mouvement, car la France a une place particulière en Iran. Nos entreprises sont bien implantées et connaissent bien le marché iranien et son potentiel exponentiel.

A elle seule, l’Iran possède les réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite, les réserves de gaz naturel de la Russie, le potentiel commercial de la Turquie et les réserves en minerai de l’Australie…

Il faut donc faire, désormais, la part des choses et retrouver les ressorts d’une longue et riche tradition diplomatique entre nos deux nations, et ce, trois cents ans, après l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Perse.

La position du gouvernement français sur les questions de non-prolifération ne doit pas freiner les intérêts de la France et la volonté de nos industriels de s’implanter à nouveau dans ce marché de 80 millions d’habitants, au très fort potentiel issu d’une jeunesse instruite et formée, qui représente 60 % de la population, avide de biens de consommation comme en attente impatiente d’infrastructures.

La bonne exécution de l’Accord du 14 juillet, et sa mise en œuvre concrète permettra de sortir de cette confrontation qui a, du reste davantage frappée nos entreprises que celles de nos partenaires d’Outre-Atlantique.

[1] Emmanuel DUPUY est professeur de géopolitique associé au sein de plusieurs universités (Université Paris-Saclay – Paris 11) et écoles privées spécialisées en relations internationales (ILERI – Institut d’Etude des Relations Internationales). Il est aussi chercheur associé au sein du ROP (réseau des chercheurs francophones sur les opérations de la paix) de l’UQAM (université francophone de Montréal) et appartient au REFFOP (réseau francophone des opérations de maintien de la paix de l’Organisation Internationale de la Francophonie). Spécialiste des questions de sécurité et de défense, il préside le think tank IPSE – Institut Prospective et Sécurité en Europe. Il fut auparavant Chargé d’Etudes à l’Institut de Recherche Stratégiques de l’Ecole militaire (IRSEM) ainsi que Chargé de mission « Recherche – défense » auprès du Secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens combattants (2008-2010). Il a enseigné précédemment à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, à l’Université de Webster (Genève, Suisse), à l’Ecole Supérieure de Commerce de Dijon, à l’IUT de Cergy ainsi qu’à l’Institut de Préparation à l’Administration et à la gestion (IPAG, Paris).

[2] « Joint Comprehensive Plan of Action » (JCPOA)

[3] « One Belt, One Road Strategy »

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