La recherche de la stabilité chilienne

Richard Magué

Richard Magué est diplômé du Master de relations internationales en Sciences politiques de l’ICES. Il s’est spécialisé dans l’analyse du Chili contemporain et il a longuement séjourné à Santiago.

4eme trimestre 2013

Le Chili récent montre une image contrastée. Aux indiscutables réussites sur les plans de l’éco­nomie et de la stabilité du Chili des vingt dernières années répond un malaise croissant dans le domaine social. La contestation a progressivement pris un tour politique notamment lors de la contestation récente de la politique de privatisation tous azimuts. C’est la problématique de ce paradoxe que veut développer les développements de cet article.

« Entre el dichoy el hecho, hay mucho trecho »’

Quelques paradoxes viennent illustrer le Chili contemporain.

Surtout celui du contraste entre sa réussite économique et politique sur le plan international et la tension sociale qui ébranle le pays depuis 2006 et qui gagne constamment en intensité. Depuis le changement de régime au début des années 1990, le Chili a parcouru un long chemin et est peu à peu devenu l’un des pays les plus performants de la région, en termes de stabilité économique et de transparence de ses institutions. Car il est vrai qu’en Amérique Latine, les bons exemples tendent à manquer et le Chili fait figure de cas unique en son genre, sur un continent où l’organisation de la vie politique et sociale est parfois chaotique. Depuis le retour à la démocratie en 1990, le Chili a apporté des preuves solides de sa stabilité. Il a su s’insérer dans l’économie mondiale, grâce à l’assurance et à l’expérience qu’il avait jusqu’alors accumulées en matière d’économie avec l’adoption du système néoli­béral dès l’apparition du régime militaire et malgré les défiances liées à l’exercice du pouvoir d’une junte militaire. En s’insérant dans l’économie internationale, le Chili a continué d’aiguiser sa compétitivité et s’est progressivement construit un leadership, et ce à plusieurs niveaux. Dans la région premièrement, en l’espace d’une vingtaine d’années, le pays a su récupérer le retard qu’il avait avec ses voisins pour revenir en tête de peloton. Cette vigoureuse remontée lui a aussi assuré un succès international et une grande reconnaissance et grâce à une politique économique internationale intelligente, il apparaît comme l’un des partenaires économiques les plus fiables de la région et dans le monde. Cette stabilité est un atout de taille à tous les niveaux et contribue à faire du Chili une plateforme économique en Amérique Latine, un pont entre les différents marchés, ce qui, sur le long terme et malgré cer­taines difficultés d’ordre structurel, assoie d’autant plus la stabilité économique du pays qu’elle a pu créer les ressources nécessaires à une croissance à tous les niveaux.

L’affirmation du développement économique

Durant les trois dernières décennies, l’insertion internationale est devenue l’un des composants les plus importants de la stratégie de développement du Chili et l’ouverture au marché mondial a dynamisé le commerce et augmenté les flux d’in­vestissements, permettant en outre, et particulièrement à partir de l’année 1990, une croissance soutenue de l’économie. L’ouverture unilatérale du marché à l’étranger, par la réduction des barrières douanières et un traitement du capital étranger similaire au capital national, a été appliquée au Chili dès la moitié de la décennie 1970. Cette ouverture, lancée au début de la dictature militaire, a contribué à l’accroissement des exportations et des importations. Cette internationalisation de l’économie chilienne n’a eu de cesse d’être approfondie par les gouvernements de Patricio Aylwin et par celui du président Eduardo Frei Ruiz-Tagle. La politique concernant le commerce international est peu à peu devenue la pièce centrale de la croissance économique chilienne. Au regard de la taille relativement restreinte de son marché interne, son potentiel de croissance est directement associé à la réussite de son ouverture.

Le grand nombre de Traités de libre échange qui se sont créés, et ceux qui sont aujourd’hui discutés, vont donc permettre de renforcer le fait que le Chili est ac­tuellement considéré comme l’économie la plus ouverte en Amérique Latine[2]. Le pays a un grand potentiel d’investissements et de services, il se fait le pont entre les économies latino-américaines et d’autres régions du monde avec l’Asie et les pays qui composent la Cuenca del Pacifico. Des études internationales ont montré la capacité du Chili de se faire plateforme sur le continent, comme celle d’Heritage Foundation qui, en 2003, a positionné le Chili comme étant le pays latino-améri­cain ayant la plus grande liberté économique et en quatrième position entre les pays émergents au niveau mondial. À son tour, l’International Institute for Management Development (IMD) de Suisse, par le biais d’une étude sur la compétitivité publiée en 2008, a placé le Chili à la vingt-sixième position sur cinquante-cinq, s’éloignant largement du Pérou, à la trente-cinquième place, laissant ce dernier à la deuxième place au niveau sud-américain.

Il ne fait aucun doute que le long chemin parcouru est le produit d’une poli­tique extérieure efficace. Elle lui a permis de se développer en Amérique Latine et au-delà des frontières sud-américaines et l’on peut prendre l’exemple des neuf accords commerciaux que le pays a signés avec le Panama, le Japon, la Chine, les États-Unis, le Canada, le Mexique, la Corée du Sud, l’Amérique Centrale (Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua) et l’EFTA (Norvège, Islande et Suisse) en plus des accords complémentaires d’association avec l’Union Européenne.) Bien sûr, ces accords commerciaux ont donné un cachet, et de sérieux et de confiance, au gouvernement chilien.

En effet, il est possible d’observer qu’avec le régime démocratique moderne, les indicateurs de variables économiques ont entamé un très net mouvement d’ascen­sion rapide. Lorsque Patricio Aylwin prend la présidence le 11 mars 1990, les chan­gements sont immédiats. Commence dès lors l’ouverture politique dans lequel le « régionalisme ouvert »[3] a été l’un des mécanismes appliqué, permettant un meilleur échange commercial, technologique et culturel avec les pays de la région et aussi de l’extérieur, comme les États-Unis et le Japon. En seulement deux ans après le début de cette politique, le Chili avait déjà signé des Accords de Complémentation économique avec l’Argentine (1990), le Mexique (1992) et la Bolivie (1993). Dans le même temps, le Chancelier de l’époque, Alejandro Foxley, signalait l’importance d’établir des relations diplomatiques et commerciales avec la région asiatique, en s’incorporant à la Coopération économique Asie-Pacifique[4]. À cette époque, le Pérou et le Mexique étaient en meilleure position que le Chili.

La rigueur et la clarté avec lesquelles fonctionnent les institutions ont fait du Chili un pays reconnu dans la région, sa notoriété institutionnelle et le bon fonctionnement de celles-ci en étant les caractéristiques les plus fondamentales. L’indépendance des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires ont donné de vrais gages de stabilité et de confiance comme aucun autre pays en Amérique Latine ne l’avait fait jusqu’à présent. Cette caractéristique a une relation directe avec la politique économique de libre marché, se positionnant directement comme un pays libre, stable et cohérent avec sa politique extérieure. Grace à ce pragmatisme, le Chili s’est bien positionné au niveau international, et les nombreuses entités internationales, gouvernementales, organisations, investisseurs et entrepreneurs du secteur privé ont pu considérer le Chili comme le pays ayant les meilleurs résultats en termes de stabilité institutionnelle et de gouvernance démocratique d’Amérique Latine.

Au cœur de ce processus de démocratisation latino-américaine, le Chili s’est transformé en un exemple en la matière, en devenant une destination privilégiée et sûre pour les investissements. C’est ainsi que l’ont signalé certaines études d’orga­nismes internationaux comme la Banque Interaméricaine de Développement, qui par le biais d’une enquêtes d’investisseurs espagnols, dans laquelle ils demandaient quel était le pays qui démontrait le plus de confiance en Amérique Latine, ont choisi le Chili principalement pour « la clarté et la stabilité des cadres régulateurs, la professionnalisation et la qualification de l’administration centrale et des agences de régulations, ainsi qu’un système judiciaire fiable ».[5]

Mentionnons aussi la stabilité et la force du système bancaire, qui comme ins­titution financière remplit un rôle fondamental dans le processus d’attraction des capitaux étrangers. Le pays est même à la première place, suivi par le Mexique. De l’extérieur, sur la scène internationale, le Chili a donc conquis une place impor­tante en Amérique Latine pour son image rassurante auprès des investisseurs qui choisiront bien sûr un pays plus stable. Autre indicateur qui nous permet de confir­mer l’image du Chili projetée au monde est le niveau de corruption existant. En 2011, sur 183 pays, l’organisation Transparency International classait le Chili à la 22e position, devant la France classée en 25e position, à la même hauteur que l’Uru­guay. La Colombie et le Pérou arrivent 80e, l’Argentine à la 100e position…[6]. Le Chili s’est toujours à peu près tenu à ce niveau, toujours à la première position par rapport à ses pairs latino-américains, ce qui sans aucun doute aide à l’importance de l’image que le Chili projette au monde.

Au cours de ces vingt dernières années, le pays a effectué de grands progrès éco­nomiques et a acquis une grande stabilité, gage de sérieux et attractif pour tous les investisseurs. Dans la critique actuelle de l’efficacité du système chilien, cet aspect est relativement mis de côté, par rapport aux thèmes sociaux. Elle est aujourd’hui une condition nécessaire dans le monde et le Chili remplit correctement cette fonc­tion. En ce sens, l’on remarque que le pays se trouve sur une pente à l’ascendance stable, et propose une gestion intéressante de ses ressources.

La menace sociale sur la stabilité politique

Cette réussite non négligeable de la société chilienne doit cependant être nuan­cée. Notamment par le maigre recul de la grande pauvreté et le relatif échec des politiques publiques mises en œuvre pour endiguer celle-ci, et à un manque certain de représentation politique. La pauvreté dans le pays est un état de fait et contre­balance l’efficacité de la réussite économique au Chili. Elle est un contrepoids de taille et il semble que sa réussite économique ne permette pas, seule, un bon déve­loppement de la société. En effet, avec le retour à la démocratie, toutes les carences de l’État de la citoyenneté laissées par dix-sept ans au pouvoir du régime mili­taire se retrouvent exposées. Ce sont les gouvernements de Patricio Ailwin (1990­1994), Eduardo Frei Ruiz-Tagle (1994-2000) et de Ricardo Lagos (2000-2006) qui doivent alors se charger de diminuer l’inégalité sociale, restituer la démocratie et les processus démocratiques. Dans cette période, la dépense publique sociale marque le cachet des gouvernements post-dictatoriaux, en s’instaurant comme un instru­ment fondamental dans la stratégie de croissance de l’équité et d’intégration de ces secteurs qui étaient restés jusqu’à lors en dehors des réformes économiques, c’est à dire, les secteurs pauvres du pays.

Le changement institutionnel et économique développé au Chili, conséquence directe de la dictature, a généré de hauts indices de précarité dans la citoyenneté, ce qui s’est reflété dans les nouvelles politiques sociales mises en œuvre pour combattre la pauvreté, comme l’a été Crecimiento con equitad de Patricio Aylwin, puis par le Programme national pour vaincre la pauvreté du président Eduardo Frei et finale­ment le gouvernement de Ricardo Lagos qui a introduit le nouveau modèle d’inter­vention sociale Chile Solidario. Afin de parvenir à diminuer les indices de pauvreté et éventuellement d’en terminer avec elle, chaque gouvernement en a cherché les moyens, et pour cela, de nouvelles institutions ont été créées par l’État orientées vers la formulation des programmes sociaux et entités qui allaient s’en charger.

Un des défis du pays dans les prochaines années est de continuer son avancée en matière de réduction de la pauvreté et de l’extrême pauvreté, afin aussi de réduire les disparités sociales et ainsi devenir une démocratie plus équitable. Le diagnostic des dernières années indique que la réduction de la pauvreté est entrée dans une étape plus lente, produit de la nature même du problème. Les objectifs proposés par le gouvernement actuel ne sont pas très distincts de ceux proposés par les gouver­nements antérieurs et s’alimentent fortement d’une espérée croissance économique soutenue, pour les prochaines années. En effet, vaincre l’extrême pauvreté en 2014 se présente comme un défi d’une extrême complexité. Pour une première raison, elle s’est montrée très difficile à repérer et pour la seconde, elle a été très peu sensible aux politiques sociales déjà mises en œuvre, qu’elles soient oui ou non originaire de l’assistanat et du régime citoyen de Michelle Bachelet.

De manière générale, les gouvernements chiliens ont successivement montré un véritable intérêt dans la réduction de la pauvreté, ce qui s’est traduit par la création de nouvelles institutions. Au fur et à mesure des années, la pauvreté à elle aussi nettement diminué et, encore une fois, cette tendance ne peut pas être mise à l’écart. Néanmoins, si nous prenons véritablement en compte ces chiffres, force est de constater que la bataille contre la pauvreté semble elle aussi s’essouffler face à un problème qui paraît alors bien plus structurel. En parallèle, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de droite a alimenté la critique, face à des politiques s’étalant nettement sur la courte durée, et dans un contexte social tout à fait particulier.

Même si les progrès économiques ont pu permettre, dans une large mesure, à stabiliser le pays et à réduire le phénomène de la pauvreté, cette dernière prouve aussi qu’au Chili, subsiste un problème de distribution des ressources et qu’il existe une forte indigence. Ce qui fait aussi du pays le membre de l’OCDE disposant des plus bas niveaux d’égalité de revenus. Cependant, nous noterons tout de même l’évolution positive sur les trente à quarante dernières années. Celle-ci met en évi­dence certains progrès en la matière et que la pauvreté a elle-même diminué dans une large proportion. Cette diminution est bien sûr un aspect très positif, bien que le phénomène semble aujourd’hui stagner, malgré les dernières politiques mises en œuvre. En réalité, après avoir largement baissé, le phénomène semble aujourd’hui plus difficile à combattre, caractère qui dénote de la complexité dudit phénomène et de la relative incompréhension de ce dernier par les gouvernements démocra­tiques. C’est le premier élément de remise en cause de la stabilité politique.

Le second concerne bien sûr le manque évident de représentativité politique qui, dans une démocratie, oppose un frein considérable à la bonne marche du sys­tème- rappelons qu’il est né quelque peu avant le retour à la démocratie, donc, sous le régime militaire – et que sa stabilité sur les vingt-dernières années est, bien entendu, tout à fait critiquable dans la mesure où elle n’apporte pas de réponse fon­damentalement positive et ne permet pas l’essor d’un débat politique entier. Cette

stabilité dans la durée est donc bien relative, dès lors que nous nous intéressons aux effets que ce système induit dans la société. Ces deux exemples apportent donc une réponse différente à la stabilité du système que nous observions et fait ainsi preuve de contrepoids dans la balance face à la réussite économique du Chili depuis 1990.

Le besoin d’une nouvelle transition démocratique ?

Si d’un point de vue plus général, l’on peut penser que le pays ait terminé sa transition démocratique depuis plusieurs années, l’on se demande si elle ne prend pas aujourd’hui un nouveau tournant. Le passage à la démocratie n’a pas marqué de rupture, l’ancien régime s’en est allé de manière relativement douce, en conti­nuant d’approfondir ses réformes lancées des années auparavant, de sorte que dans le pays subsistent, jusqu’aujourd’hui, de nombreuses facettes de ce régime militaire : sa constitution, son système binominal et surtout, la privatisation complète de tous les secteurs de la société. Les gouvernements successifs de l’aile gauche chilienne au pouvoir ne se sont jamais réellement éloignés du néo-libéralisme des Chicago-Boys du régime militaire, au contraire, ils ont bien plutôt continué l’ouvrage économique du régime. Les privatisations continuent d’être l’un des thèmes centraux dans la po­litique Latino-Américaine et dans le cas du Chili en particulier. En 1973 et avant le coup d’État militaire, le monde est déjà depuis longtemps entré dans la guerre froide et dans le clivage idéaliste entre communisme et libéralisme et l’élection (même minoritaire) au pouvoir d’un socialiste, dans la personne de Salvador Allende, va bouleverser la stratégie américaine qui se félicitera d’ailleurs de la prise du pouvoir par les militaires. Si l’Histoire sacra vainqueur le libéralisme plutôt que le commu­nisme, force est de constater qu’en certains endroits du globe, ses principes ont été appliqués par la force, comme au Chili. Cependant, le retour à la démocratie ne va pas s’effectuer facilement puisque la dictature continuera de garder le contrôle d’un certain nombre d’institutions inspirant toujours une certaine crainte aux gouverne­ments successifs et entraînant même l’approfondissement de réformes économiques commencées sous le régime militaire[7]. Ainsi, la transition ne s’effectue pas facile­ment et le retour à la démocratie moderne ne peut pas être considéré comme une rupture réelle avec le régime précédent. Cette rigidité dans la transition a été mar­quée par une grande inertie dans le processus de privatisation (continué bien après le régime dictatorial). Sur dix-sept années de régime militaire, la privatisation[8] a touché tous les secteurs, des entreprises agricoles et industrielles, à la santé et à l’éducation.[9]

Le conflit politique concernant l’éducation au Chili commence en 2006 et met en relief les composantes clés de la démocratie du pays. De ces manifestations a émergé un esprit de participation et un grand engagement politique dans de divers secteurs de la société, mais aussi des réactions autoritaires et élitistes. Le mouve­ment de protestations des élèves du secondaire marque un point important dans un contexte supposé d’apathie politique. Il commence à se manifester de manière visible en avril 2006 même s’il était depuis fort longtemps en gestation.[10] Ce mou­vement a rendu public les questions et critiques au modèle néolibéral et à mis en avant l’iniquité du système éducatif. Ce sont les étudiants qui ont introduit un nouveau discours politique, et non pas les parlementaires. Ils ont d’ailleurs été les premiers au Chili à questionner la segmentation sociale du système, la dérégulation du secteur privé, ou encore les problèmes liés aux transports en commun.

Si ce mouvement est en perte de vitesse à la fin de l’année 2012, il doit cepen­dant être relié aux autres mouvements sociaux qui ont été lancés la même année et nés du même contexte politique. À Santiago les mouvements contestataires se sont couplés, entre manifestations étudiantes ou pour la reconnaissance des droits des Mapuche ou encore le fort conflit social opposant le gouvernement et les habitants de la région d’Aysén, en Patagonie Australe contre le projet de barrages hydroé­lectriques Hydroaysén mais aussi contre la centralisation. De la même manière, une frange de la population se soulève contre de grands groupes privés, comme dans le secteur éducatif, et contre la construction de complexes en Patagonie, et la construction notamment d’une ligne à haute tension reliant ces centres à la capitale. La réaction autoritaire du gouvernement afin de ramener l’ordre est critiquée par l’opinion publique et relativement peu relayée par les médias. Le pays subit depuis 2011 une amplification du phénomène contestataire et ce dans tous les secteurs de la société. Ses manifestations sont unies par le combat contre la privatisation et contre le centralisme chilien.

Il existe une forte contestation sociale, qui aurait pour cause les fortes inégalités de revenus, dans un pays qui s’enrichit beaucoup plus que tous ses voisins. C’est là que surgit le paradoxe de la société chilienne. Si la réussite économique ne peut être négligée, la réalité du problème social vient cependant nuancer celle-là. Avec le phénomène contestataire, le Chili semble être à un nouveau tournant de son his­toire sociale et politique, dans la mesure où la population chilienne ne néglige plus l’action politique et le manifeste à grande échelle.

Vingt-deux années après la fin du régime militaire, le retour de la crédibilité et de la confiance manifesté au Chili sur la scène internationale, est directement lié à la stabilisation institutionnelle et au travail des gouvernements. On peut affirmer que le pays a emprunté une voie économique globalement vertueuse et paraît être un cas unique en son genre. Elle se base sur des infrastructures stables qui permettent au pays de se consolider en tant que plateforme économique dans la région. Une grande partie de ces infrastructures fait partie de l’appareil politique de l’ancien régime militaire puisque c’est de lui qu’elles sont nées et qu’elles ont survécu à travers la constitution de 1980, garante de leur stabilité. Ils semblent qu’elles aient garanti la croissance et la stabilité politique du Chili, et ce jusqu’à nos jours. Elles ont notamment contribué à fortement réduire la pauvreté depuis 1990, en démon­trant une certaine efficacité sur le plan social, bien que cette baisse semble radicale­ment freinée depuis le gouvernement « citoyen » de Michelle Bachelet. En ce sens, il sera très intéressant d’observer les résultats des nouvelles politiques d’assistanat mises en place sous son gouvernement de gauche et continuées par celui de droite de Sebastian Pinera, ce dernier s’étant engagé à éradiquer l’extrême pauvreté dans la perspective de 2014, l’année prochaine, et la pauvreté en général pour 2018. Cette stabilité est pourtant aujourd’hui fortement remise en question notamment par la critique du système binominal. Né peu avant le retour à la démocratie, il avait pour but de créer deux grandes forces politiques mais avec le défaut de ne pas représenter toutes les aspirations politiques et les franges de la société. Dans les faits, les débats furent le plus souvent tronqués et le pouvoir répond en s’appuyant sur la légitimité contrastée du Parlement. Depuis, le phénomène contestataire ne tend pas vers l’accalmie. Au contraire, depuis l’année 2006 c’est à une intensification et à une complexification générale de ces phénomènes que l’on assiste. L’Éducation, l’environnement et la reconnaissance des droits du peuple Mapuche en forment les principaux, tous reliés par la critique du néo-libéralisme, contre la non-régulation du secteur privé et le manque certain d’interventionnisme économique de l’État chilien. La richesse du pays ne semble toujours pas correctement mise au profit de tous les secteurs de la société, ce qui serait l’apanage d’un pays développé. La rigi­dité du système chilien nuirait à cette redistribution du revenu, malgré les très bons chiffres économiques. Les déficiences sociales aujourd’hui mises à nu, la démocra­tie chilienne est à une charnière de son histoire politique et sociale. Ce qui nous amène à nous poser la question de sa transition démocratique, la stabilité politique chilienne à semblant cristalliser les inégalités sociales. Le manque de représentativité au sein d’institutions difficiles à réformer freine considérablement la bonne marche de sa transition démocratique, même si elle ne l’empêche pas directement. Si les pays paraissait fonctionner correctement depuis une vingtaine d’années, c’était sans compter sur l’augmentation constante d’une pression sociale qui semblait endormie comme un volcan que l’on croit éteint. Le pays va devoir aujourd’hui se confronter à cette réalité avec intelligence, sous peine, sinon d’explosion, de s’enfoncer progres­sivement dans plus de contestation sociale encore.

[1]Proverbe chilien : « Entre ce qui est dit et ce qui est fait, il y a une bonne distance ».

[2]Cf. Banque Mondiale, 2006

[3]Alberto Van Klaveren, vice ministre chargé des Affaires étrangères, 2007.

[4]En anglais : APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation)

[5]BID, p. 14, 2004.

[6]http://cpi.transparency.org/cpi2011/results/

[7]Marques-Pereira et Garibay, p. 116, 2011.

[8]Une affiche ainsi libellée, « Trabajo terminado : todo privatizado » (« travail terminé, tout est privatisé ») voit représentés tous les Présidents de la République du Chili depuis le retour à la démocratie en 1990 (Ricardo Lagos, Michelle Bachelet, Sebastian Pinera, Patricio Aylwin et Eduardo Frei). Cette photo reflète, bien sûr, la critique visant les gouvernements du Chili à n’avoir pas agi contre la privatisation qu’ils soient de droite (Sebastian Pinera) mais surtout de gauche (tous les autres).

[9]Au Chili existe un énorme espace dédié à la publicité.

[10]Depuis 2001, les étudiants du secondaire commencèrent à manifester publiquement, contre le coût élevé du pase escolar, la carte d’étudiant. Cette manifestation est appelée el mochilazo, le sac-à-dos.

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