Le Golan et le retour des néo-conservateurs

Le Golan et le retour des néo-conservateurs

Les dossiers secrets des relations syro-américaines

Sami Kleib

Journaliste et écrivain franco-libanais spécialiste des questions géopolitiques au Moyen Orient

Syrie – documents secrets d’une guerre programmée

Après huit ans de guerre dévastatrice en Syrie, le président américain Donald Trump, a signé, lundi 25mars, un décret présidentiel reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien occupé en 1967 et annexé depuis 1981. La Syrie et ses deux alliés iranien et russe, mais aussi laTurquie, l’Union européenne, la Chine et la majorité de la communauté internationale ont tous refusé la décision américaine. En effet la résolution 497 du conseil de sécurité des Nations Unies considère l’annexion comme “ nulle et non avenue«

Indépendamment des raisons actuelles qui ont motivé le décret de Trump, il serait utile de revenir sur les complications des relations entre les États-Unis et la Syrie, notamment depuis l’invasion de l’Irak en 2003, pour comprendre les fondements de l’acharnement américain contre Bachar AL-Assad.

Le procès-verbal de l’entretien d’Al-Assad avec l’ancien ministre américain des affaires étrangères, Colin Powell le 3 mai 2003, et qui figure parmi les dizaines de documents secrets publiés dans mon livre : » Syrie, documents secrets d’une guerre programmée », nous donne une idée des exigences américaines. Ci-dessous un résumé :

Après un échange de formules de politesse suivi d’une conversation sur le périple de Powell qui l’avait mené en Espagne, en Albanie, à Damas et à Beyrouth, Powell dit :« Je voudrais vous dire, Monsieur le Président, que je souhaite discuter de la feuille de route dans le but d’arriver à un accord global. C’est ce que nous avions déjà clarifié par rapport à la Syrie et au Liban. Il est important que la Syrie y participe. »

Première remarque: Israël est une priorité américaine même au plus fort de la guerre contre l’Irak

La conversation entre Powell et Assad prend ensuite le cours suivant :

Al-Assad : … Comment est la situation actuellement en Irak ?

Powell : Concernant la situation en Irak, il y a eu des opérations militaires extrêmement réussies au point que de nombreuses personnes en étaient étonnées et se demandaient pourquoi l’armée irakienne a-t-elle été aussi rapidement défaite. Il y a plusieurs explications à cela. L’une d’elles est que l’armée n’était pas aussi puissante que ne l’était probablement le pouvoir. La deuxième, l’effondrement précoce du commandement. J’ignore où se trouve Saddam Hussein. Est-il vivant ou mort ? Néanmoins, depuis le tout début de la guerre, il n’était déjà plus capable de contrôler ses forces.

Deuxième remarque : le ton menaçant des propos de Powell á l’égard de son hôte, en lui disant :  

« Les temps étaient durs, Monsieur le Président. Nous avions de sérieuses craintes quant aux actions de la Syrie à ce moment-là. Et vous, vous surenchérissiez avec une dureté de ton inusitée. Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le Président, que M. Rumsfield et moi, avons clairement établi que nous ne souhaitons pas nous engager à l’avenir dans un nouveau conflit ou une nouvelle guerre après celle qui s’achève. Mais en même temps, nos craintes étaient fortes et réelles. Enfin, l’affaire qui nous importe maintenant c’est de faire en sorte que nous surmontions nos différends, de savoir comment les dépasser car il est nécessaire de prendre les mesures qui s’imposent pour arrêter ces actions négatives. Comme vous le savez Monsieur le Président, une nouvelle version de la loi demandant des comptes à la Syrie vient d’être déposée devant le congrès américain ou est sur le point de l’être. Au début de cette semaine, j’étais au Sénat américain qui a appris que je me rendais à Damas. On m’a fait savoir que cette loi, on en avait besoin, qu’il fallait la déposer maintenant. J’ai répondu qu’on attende le résultat de mes conversations avec le Président Al-Assad, ses collaborateurs et certains responsables syriens et qu’à mon retour, la situation sera évaluée pour savoir comment aller de l’avant.

Il est d’autres lois également qui peuvent avoir des conséquences néfastes et qui requièrent que vous les traitiez, Monsieur le Président. Il s’agit de la collaboration entre les partenaires en vue d’arrêter l’éventuel financement des organisations terroristes. Ces lois pourraient entraver nos relations et rendre la situation entre nous encore plus difficile.

C’est pourquoi je ne suis pas devant vous à titre personnel, Monsieur le Président, mais en tant qu’envoyé officiel du Président des États-Unis qui m’a demandé de vous faire part des problèmes dont nous souffrons et d’échanger nos points de vue sur ces questions. Je lui transmettrai vos réponses à mes propos. Voici pourquoi j’engage ce dialogue avec vous. Je voudrais attirer votre attention sur de nombreuses autres affaires spécifiques dont vous avez connaissance, ayant accueilli, je le sais, de nombreuses délégations américaines durant l’année écoulée. Le Président m’a donc chargé de lui transmettre votre point de vue et m’a demandéde vous faire parvenir le sien….

Le second élément qui modifie la donne ici est l’existence d’un nouveau gouvernement israélien et le transfert du pouvoir palestinien aux mains d’Abou Mazen qui a pris ses fonctions, formé un nouveau gouvernement avec Mohamed Dahlan pour ministre d’État à la sécurité. Nous estimons qu’avec ce transfert de pouvoir, nous aurons des partenaires avec lesquels nous pourrons œuvrer à réaliser la paix dans des conditions meilleures qu’avec Yasser Arafat. Nous essaierons de mettre à profit ce sursis afin d’attirer l’attention sur Abou Mazen dont nous renforcerons le pouvoir et la force afin qu’il apparaisse comme un leader capable de travailler avec les Israéliens. Il devrait néanmoins prouver son leadership aux côtés de M. Dahlan pour mettre fin aux activités terroristes et persuader le peuple palestinien qu’avec le terrorisme on n’atteindra en aucune façon nos objectifs de former un État. Le moment est venu d’en finir avec ce type d’agissements et de commencer à étudier « la feuille de route » avec les Israéliens et de la mettre en œuvre.

J’ai confiance, Monsieur le Président, que s’il agissait et s’exprimait de la sorte, et il ne faudrait pas que cela soit uniquement dans des discours de circonstance mais plutôt un exercice quotidien avec son peuple, cela conduirait tout le monde à l’écouter, ce qui permettrait ainsi de lutter contre Hamas, le Jihad et d’autres organisations qui se caractérisent par leur entêtement. Il collaborerait alors avec les Israéliens, avec nous, avec les Egyptiens et les Jordaniens, afin d’aider à la formation d’une institution dont le rôle serait essentiellement de mettre un terme aux actions terroristes. Après cela, nous disposerions, le Président et moi, de chances sérieuses pour mettre la pression sur le côté israélien à qui nous tiendrions les propos suivants : les actes terroristes se sont arrêtés, à vous maintenant d’y répondre !

Tout le monde réclame des mesures exemplaires. Cependant, la réalité d’un terrain où il y a du terrorisme ne permet de rien réaliser. C’est pourquoi, en attendant qu’Abou Mazen et Mohamed Dahlan prennent leur essor, nous allons, en parallèle, encourager,de notre côté, les Israéliens à persuader les gens de retrousser leurs manches afin de créer leurs propres organisations sécuritaires ce qui ajoutera beaucoup de souplesse à la situation. C’est ce que nous exigerons des Israéliens : prendre ces mesures parallèlement aux actions menées du côté palestinien. Nous sommes en mesure de vous affirmer, Monsieur le Président, qu’en dépit du fait que la feuille de route se focalise nécessairement sur les Palestiniens et les Israéliens, mon Président réfléchit globalement et je vous prie de croire qu’en définitive nous n’ignorons pas les revendications et les exigences syriennes et libanaises. Vous vous souvenez, Monsieur le Président, quand je me suis entretenu avec vous pour la première fois, c’était en ces mêmes lieux, j’affirmai que nous devions agir de manière équilibrée et à cela nous avions, nous deux, agréé que c’était effectivement ce que nous souhaitions mais que nous voulions voir prises, en premier, certaines initiatives sur la voie palestinienne. En vous rappelant ces propos que nous avions échangés, je voulais simplement vous dire que j’ai pleinement conscience de la nécessité d’un accord global qui prenne en compte vos appréhensions notamment dans l’affaire du Golan.

Si nous voulons que la feuille de route avance pour la cause de la paix dans la région du Moyen-Orient, nous devons en même temps œuvrer pour la stabilité en Irak. Pour notre part, nous souhaitons autant que nous le pouvons en finir avec la violence. Encore une fois, nous voulons que vous mettiez un terme aux actions des groupes palestiniens du front du refus, qui se trouvent en Syrie et à Damas même, qu’il s’agisse du Hamas ou d’autres organisations. Nous en avions déjà parlé. Je sais qu’il faudra fermer ces bureaux dont l’existence sert certaines intentions inutiles quantà intégrer un grand nombre de palestiniens qui se trouvent sur vos territoires ici en Syrie, et qui ne sont évidemment pas des Syriens mais des Palestiniens qui vivent en Syrie. Ce que je crois en même temps c’est que l’existence de ces bureaux en Syrie constitue un feu rouge non seulement pour Israël mais pour le reste des pays du monde. C’est que ces bureaux ne reflètent pas un aspect aimable au sujet de la Syrie, mais au contraire ils entachent négativement la réputation de la Syrie. C’est pourquoi je vous prie, Monsieur le Président, de mettre sous scellé ces bureaux et informer sa direction de chercher ailleurs où mener ses actions. Cela constituerait un signe fort de votre part non seulement en direction de la région, mais aussi en direction des Etats-Unis où il sera très positivement perçu.

Le point suivant que j’aimerais soulever avec vous Monsieur le Président est la question relative au Hezbollah. Nous avions évidemment déjà abordé ce sujet auparavant et je sais que toutes les délégations que vous avez rencontrées ici en ont discuté. Nous disposons bien sûr de certains signaux qui indiquent que le soutien au Hezbollah se poursuit, notamment le transfert à travers la Syrie de matériel qui lui est destinés. Nous réitérons notre demande de faire cesser ce genre d’actions. Nous disposons de moyens de surveillance technologique de pointe pour repérer ces mouvements de transporteurs. Nous avions évidemment déjà auparavant discuté de l’importance qu’accordent les États-Unis au fait de ne provoquer ni troubles ni destructions tout le long de la frontière nord d’Israël. Franchement, il serait préférable que les opérations militaires cessent et, selon un accord déjà convenu, il faudrait que les forces armées libanaises régulières se dirigent vers le sud du pays et qu’elles y prennent leurs positions. Voici ce que nous espérons.

Al-Assad : J’aimerais commencer par les grandes questions avant de passer aux détails. La relation avec les États-Unis en tant que superpuissance est d’un intérêt certain pour tous les États du monde. Vous possédez des intérêts dans le monde, nous en avons néanmoins dans notre région. Il est naturel que les vôtres se réalisent mais que les nôtres se réalisent simultanément. Il est des questions que je soulève dont certaines ont été posées à certains de mes interlocuteurs, membres du Congrès : comment se fait-il que nous réussissions dans des domaines tels que la lutte contre le terrorisme alors que nous échouons à coordonner nos efforts dans d’autres domaines ? Si la Syrie était hostile aux États-Unis, elle n’aurait pas collaboré dans le domaine de la lutte antiterroriste, ni sauvé la vie de citoyens américains l’an dernier. Certaines personnes de votre administration admettent que la Syrie a contribué à sauver la vie d’Américains et qu’elle a combattu El-Qaïda, mais qu’elle soutient le terrorisme. Ce sont des paroles contradictoires.

Vous connaissez, notre position. Nous sommes clairement opposés à la guerre. Je crois que la première question est la suivante : qu’a donc obtenu la Syrie en échange de sa collaboration dans la lutte antiterroriste ?La réponse est la suivante : Rien du tout. Et les messages qui lui sont adressés sont inacceptables. Il faudrait d’abord comprendre ce pays puis en comprendre les intérêts…

Avant la guerre, nous vous réclamions constamment de nous fournir des renseignements détaillés quant à n’importe quelle cargaison expédiée vers la Syrie. Nous avons vérifié de nombreuses livraisons dans les ports sans jamais rien intercepter. Les Irakiens ont menacé alors qu’ils seraient prompts à orienter leurs cargaisons vers d’autres ports…. Nous avons à plusieurs reprises demandé à M. O’Brien de nous transmettre les noms des personnes que vous aurez formellement identifiées ; nous leur demanderons des comptes ici pour des raisons internes, car celui qui s’implique dans des trafics d’armes à travers les frontières syriennes pourrait également agir contre la Syrie. Ce dossier-là est ainsi à suivre. Toutefois, à ce jour, aucun renseignement sérieux ne nous a été fourni…

Autre chose : une rumeur a couru selon laquelle les armes de destruction massive étaient passées dans notre pays ! Je puis dire que ceci n’est que dérision. Vous qui êtes militaire savez que ces propos n’ont pas de sens. Si Saddam voulait dissimuler ces armes, il les aurait fait détruire. Et s’il voulait les utiliser, il les aurait gardées afin de les jeter dans la bataille contre vous. Ce sujet nous ne le discuterons donc pas parce qu’il ne mérite pas d’être discuté.

Quant à la paix, nous sommes l’unique pays à n’avoir pas changé notre position depuis la conférence de Madrid. Nous ne nous fourvoyons pas dans des affaires qui ont trait à des individus ; nous sommes demeurés fidèles aux principes fondamentaux. En même temps, nous ne pouvons considérer comme positifce qui ne traite pas positivement notre cause essentielle, le Golan…

Vous aurez à en discuter avec les Palestiniens et les Israéliens, mais si vous n’êtes pas animés d’une volonté de faire pression de manière équilibrée sur les Israéliens et non pas uniquement sur les Palestiniens, vous n’aurez pas la paix au Moyen-Orient. Le problème du Golan, comme je l’ai dit, représente le fond du sujet et, à partir de là, tous les autres détails sont faciles à résoudre.

Nous voulons que vous retourniez personnellement de cette visite avec des résultats positifs, car nous savons que c’est la seule manière de faire face aux autres parties. Je veux dire que nous n’avons aucune difficulté à obtenir votre conviction relative à nombre de sujets, vous pouvez vous-mêmes les comprendre. Mais comment mettrez-vous cela à profit de manière positive au sein de l’administration américaine dans l’ensemble de ses départements ? Si nous prenons en compte deux points de départ :

Que les États-Unis fassent une proposition relative à la solution de paix du côté syro-libanais : évidement j’entends la poursuite des négociations de paix sur la base des mêmes principes, ceux de la conférence de Madrid, et des résolutions du Conseil de Sécurité bien connues.

Mon deuxième point de départ consiste à constater l’absence de confiance jusqu’à présent entre la Syrie et les États-Unis. C’est ce qui peut être illustrépar notre expérience en matière de combat contre le terrorisme ainsi que les garanties qui ont été signifiées à la Syrie sans avoir été respectées jusqu’ici…

Pour en revenir à la question des locaux autorisés aux Palestiniens, puisque vous l’évoquiez…

Powell : Au sujet des locaux, il faut les fermer et leur interdire de les rouvrir sous d’autres enseignes et en d’autres lieux. Il faut clore cette affaire de permanences qui ont causé pas mal de problèmes à tous. Et si vous consentez à faire quelque chose de concret en la matière cela aura une grande signification, non seulement aux yeux des milieux politiques de notre administration et de la capitale américaine, mais aussi un impact significatif eu égard au processus de paix au Moyen-Orient. Je crois personnellement que ceci conduira le Premier ministre Sharon à dire à son peuple que les choses sont en train de changer. Il ne faudrait donc pas sous-estimer cette disposition.

Bien évidemment, nous vous remercions d’avoir affirmé qu’aucune des armes de destruction massives n’a été transmise à la Syrie, car l’explication que vous avez donnée est très logique : pourquoi devraient-ils les faire passer en Syrie alors qu’il est possible de les cacher en Irak ou encore les utiliser dans la guerre. Je peux vous affirmer que nous aurons les moyens de prouver la justesse de notre cause en ce qui concerne les armes de destruction massives irakiennes. Permettez-moi ici de vous remercier encore une fois pour la collaboration de la Syrie avec nos services de renseignement et vous avez raison quand vous dites que cette collaboration est bénéfique, et elle a effectivement sauvé la vie à des citoyens américains.

Troisième remarque : la carotte après le bâton

Powell :  Fermer donc vos frontières et livrer les fuyards aux autorités syriennes. Quant à la mesure de fermeture des locaux Palestiniens, elle fournira à elle seule la preuve qu’il y a une nouvelle orientation dans la politique syrienne et aura un écho favorable dans les milieux politiques de Washington. On dira que c’est l’avènement d’une nouvelle ère dans les relations américano-syriennes, à l’instar de ce qui advient avec l’Irak….

Je souhaite vous faire savoir que nombreux sont ceux qui m’ont demandé, à propos de ma visite en Syrie, si j’exigerais ceci ou cela. Je répondais toujours que nous avions une double question à discuter avec vous et que j’allais à Damas pour discuter d’une stratégie avec les Syriens et rapporter leurs opinions à mon administration. Vous n’êtes pas sans savoir, Monsieur le Président, que je suis contrôlé en ce moment depuis Washington comme cela a été le cas il y a trois ans. Soyons francs ici, lorsque je vous avais rendu visite ici et avions évoqué la question du pétrole et que j’étais retourné à Washington pour essayer de faire quelque chose au sujet des contrats pétroliers avec les Nations Unies, nombreux sont ceux qui m’avaient dit :« Powell tu as été en Syrie et tu n’as rien fait ».Quelle que soit votre décision concernant les permanences palestiniennes, je ne m’empresserai pas de l’annoncer publiquement. À chaque fois, plus tôt la décision sera prise, plus facile seront ma mission et la défense de ma cause.C’est alors que nous tracerons la voie menant à une solution pacifique globale.

Al-Assad : Revenons à la question du pétrole. Il est vrai que vous aviez demandé des choses, et nous en avions demandé d’autres en contrepartie,lesquelles consistaient en une action préférentielle, et nous étions convenus de collaborer à ce propos. Nous avons fait connaître alors notre volonté, celle d’être traités comme l’ont été les Turcs. Nous ne sommes pas en Syrie de ceux qui disent ce qu’ils ne pensent pas. Nous sommes francs. Personne ne comprend comment nous avons maintenu notre opposition à la guerre pendant que le régime irakien était renversé. C’était évident pour tous. Mais nous étions conséquents avec nous-mêmes. Voilà ce que nous pensons. Nous nous opposons à la guerre. C’est avec cette même franchise que nous nous adressons aujourd’hui à notre peuple. Nous nous comportons ainsi franchement et avec transparence. Je serai également franc avec vous : Si la paix n’est pas faite, nous ne prendrons aucune mesure. Soyons clairs. Mon objectif n’est pas de gagner le soutien de l’administration américaine et de perdre en Syrie. Nous sommes incapables maintenant d’expulser les dirigeants palestiniens ; nous pouvons traiter leur visibilité médiatique, mais nous ne les expulserons jamais. Je crois que vous pouvez comprendre cet aspect.

Powell : Bien, ils ne peuvent plus désormais paraître sur les chaînes de TV, mais tant qu’ils sont ici, ayant la possibilité d’avoir des contacts avec leurs partisans et avec ceux qui sont attachés à eux, il y aura toujours la croyance qu’ils seront capables de mener des actions susceptibles de menacer la stabilité en Israël, et alors je ne pourrai pas prouver le contraire.

Al-Assad : Prenons à titre d’exemple Khaled Mechaal qui est l’un de leurs leaders ; si vous voulez parler d’une feuille de route vous aurez à lui parler et vous ne pourrez ignorer ces personnalités.

Powell : Éloignez-le à la Bekaa ou ailleurs… je ne sais où.

Al-Assad : Nous ne pouvons pas les expulser, nous croyons que si l’on veut renvoyer quelqu’un, il faut le reconduire chez lui dans son pays. Notre volonté est qu’ils regagnent leur pays, la Palestine, aujourd’hui sans tarder, et c’est aussi la leur. Quant à expulser quelqu’un vers une destination quelconque de par le monde, c’est ce que nous ne saurions accepter. Je vois tout le contraire, à savoir que le dialogue avec eux engendrerait des résultats positifs. Je pense que vous devriez considérer ce point.

Powell : Nous y réfléchirons, mais je voudrais seulement vous affirmer que l’affaire des locaux de ces gens-là et la limitation de leurs activités, est d’importance majeure dans les milieux politiques ;leur fermeture permet de tester la volonté de la Syrie de nouer de meilleures relations avec les États-Unis. Par conséquent, si ces permanences persistent et si ces personnes continuent à manifester leur opposition au processus de paix et à faire échec à la feuille de route, cela aura un très mauvais impact non seulement au sein de l’administration mais également au sein du Congrès….

Al-Assad :Ce qui vous concerne en Amérique se résume,pour l’essentiel,dans l’affaire des locaux, alors que, pour nous en Syrie, l’essentiel réside dans la paix. Quant aux locaux, nous devons parfois faire la distinction entre la permanence et la personne. Fermer une permanence est différent d’expulser une personne….

Powell :…Je n’ai pas l’intention de limiter mon intervention à la question des locaux. J’ai toujours été heureux de parler d’une solution de paix globale dans la région. C’est vous qui déciderez si vous êtes désireux de réaliser ce dont nous avons parlé durant notre entretien ou pas. Ce n’est pas une exigence américaine, mais un moyen ou une suggestion d’issue afin de sortir de ces temps très difficiles et de convaincre les Américains. Il s’agitde convaincre, non seulement le Président ou l’aile droite du Parti Républicain, mais aussi les arrogants, que la Syrie essaie d’ouvrir une nouvelle page dans ses relations avec les USA. J’attendrai votre réponse.

Al-Assad : Déclencher le processus de paix, voici la réponse.

Powell : Le Président Bush a supervisé l’élaboration de la feuille de route.

Al-Assad ; Pas avec la Syrie.

Powell : Ce que j’ai toujours dit, c’est que la feuille de route est la voie qui permet aux Israéliens aussi bien qu’aux Syriens d’avancer et ce n’est qu’une partie d’une solution globale qui doit inclure la Syrie.

Al-Assad : Mais il n’existe aucun passage où la Syrie soit citée.

Powell : Donc, ce que veut Bush, ce sont des changements fondamentaux.

Al-Assad : Jusqu’à présent nous nous sommes acquittés de trois étapes en matière de redéploiement de nos forces. L’armée libanaise est désormais capable de prendre la relève. La situation politique est meilleure. Nous avons en effet appliqué les dispositions de l’accord de Taëf et il n’en reste que très peu à appliquer. Il est évident qu’il est préférable que notre arméene soit plus présente au Liban, pour des raisons se rapportant à son entraînement en premier lieu, à celles de sonrôle en Syrie en second lieu.

Powell : Nous essayons de tourner une page et d’en ouvrir une nouvelle en matière de relation américano-syrienne, mais en même temps nous attendons des réponses de votre part concernant ces questions. Nous poursuivrons nos contacts et notre dialogue.

Al-Assad : Vous avez toujours exigé davantage. Cette fois c’est nous qui vous en demanderons plus.

Powell : Monsieur le Président, le Président Bush vous demande de prendre des initiatives plus courageuses en ce moment, et il connaît bien vos exigences politiques et votre politique intérieure. De même pense-t-il qu’il est temps d’adopter des initiatives courageuses afin qu’il puisse faire quelque chose pour vous. La Syrie a devant elle une chance à saisir pour jouer un rôle important dans la région, si nous sentons que vous agissez en partenariat avec les USA. Bien sûr que nous avons besoin de la Syrie pour aider à créer les conditions convenables non pas seulement dans la formation d’un nouveau gouvernement en Irak, mais dans la réalisation de la paix pour les Palestiniens et trouver une solution au problème des plateaux du Golan.

Je remercie votre excellence pour cet entretien.

Cette rencontre décisive entre Al-Assad et le secrétaire d’État américain révèle qu’à travers la guerre contre l’Irak, les USA mettent les intérêts d’Israël au centre de leurs préoccupations. L’Administration Bush veut fermer les permanences du Hamaset du Jihadet autres organisations palestiniennes -tel que le Front Populaire/Direction générale- qui continuent à mener la lutte armée, et expulser leurs chefs de Damas, ainsi que l’arrêt de toute sorte de soutien au Hezbollah, pour parvenir à déployer l’armée libanaise le long des frontières avec Israël, de sorte à mettre un terme ultérieurement au rôle du Hezbollah. Il nous suffit de voir, à titre d’exemple, combien de fois Powell a évoqué la question des permanences palestiniennes durant cet entretien, censé être le premier du genre et le plus important entre un responsable américain et le Président syrien immédiatement après l’occupation de l’Irak, pour comprendre le but ultime des États-Unis. Il est également remarquable que Powell ait cité trois fois le nom de Mohamed Dahlan, comme s’il voulait dire que voici la nouvelle direction avec laquelle il faudra composer après avoir expulsé les autres. Mahmoud Abbas et Mohamed Dahlan et personne d’autre.

On voit, dans ce contexte, que Powell, qui avait le souci de faire savoir qu’il était un simple porteur de message du Président G. W. Bush, a tout de même utilisé l’expression « nous voulons, et nous demandons », et non nous souhaitons, contrairement à l’usages diplomatique en vigueur dans ce genre de rencontres avec le président d’un pays souverain, rencontres où il ne s’agit pas de deux personnes de même rang dans la hiérarchie protocolaire. En outre Powell s’adressait au Président tantôt en proférant des menaces, des mesures et des lois que le Congrès serait amené à adopter, tantôt en évoquant une solution à l’Irakienne. Quant à la contrepartie compensatoire promise à la Syrie, elle a consisté à lui accorder un rôle plus important au Moyen-Orient, sans en esquisser la moindre ébauche, et l’ouverture d’une nouvelle page dans les relations américano-syriennes. Tout celaest conditionné par la fermeture des locaux des organisations palestiniennes et l’expulsion de leurs leaders.

Le Département d’État américain essayait de convaincre Al-Assad d’opérer un changement stratégique et de collaborer réellement avec les USA à l’instar de Hafez Al-Assad lorsqu’il a pris position pour les USA dans sa guerre contre Saddam Hussein lors de son invasion du Koweït. Des messages de sollicitation étaient alors adressés à la Syrie par l’intermédiaire de son ambassadeur à Washington, Walid El-Moallem. Celui-ci faisait partie de l’équipe restreinte qui était en relation avec celle qui était constituée autour de Bill Clintonpour mener des négociations entre lui, Hafez Al-Assad et Israël. Cette relation a été interrompue lorsqu’El-Moallem fut rappelé à Damas avant sa nomination à la tête du Ministère des Affaires Etrangères de son pays. Mais les Etats-Unis n’avaient pas cherché à la reconduire avec le nouvel ambassadeur de la Syrie.

Colin Powell fut envoyé à la rencontre de Bachar Al-Assad,pour lui demander d’assouplir sa position vis-à-vis des USA en Irak, de cesser d’aider Hezbollah et les organisations palestiniennes et de s’aligner sur les positions du groupe des pays arabes dits modérés et ouverts à Israël.Son but était d’obtenir son consentement d’une part, celui des faucons du Pentagone et de la Maison blanche de l’autre. En réalité, ces derniers ne voyaient pas d’un bon œil de tels contacts, ils prônaient plutôt l’usage de la force contre la Syrie. C’est à eux que le ministre faisait allusion à plusieurs reprises comme il est manifeste dans le procès-verbal.

Les néo-conservateurs américains et les tenants de la division manichéenne du monde entre axe du bien et axe du mal, considéraient implicitement Al-Assad et l’Iran comme des ennemis qui allaient être leurs cibles après l’Irak. Ils s’étaient beaucoup rapprochés d’Israël sous Sharon et avaient lancé une campagne accréditant l’existence de menaces syriennes contre l’Irak,reproduisant un discours d’Al-Assad contre Israël et sa politique raciste, lors de la visite du Pape Jean-Paul II à Damas le 5 mai 2001.

Le décret de Trump n’est donc que le signe manifeste et flagrant du retour des néo-conservateur à la maison blanche avec des intentions plus dangereuses quand á l’avenir des relations entre Washington et Damas.

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