Le Sénégal : une géopolitique exceptionnelle en afrique

le Recteur Gérard-François dumont

Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne. Président de la revue

Population & Avenir

Seydou Kanté

Octobre 2009

Depuis longtemps, le territoire correspondant au Sénégal actuel bénéficie, avec son ouverture sur l’océan Atlantique, d’une situation géographique remarquable. Cette dernière a permis au pays de jouer, très tôt, un rôle de plaque tournante dans les différents échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique1. D’ailleurs, jusqu’en i960, Dakar est la capitale de l’Afrique Occidentale française (AOF). Au nord, le Fleuve Sénégal, qui a donné son nom au pays est depuis toujours une zone de contact privilégiée avec les autres régions africaines. Toutefois, depuis l’indépendance acquise en i960, ces incontestables atouts géographiques ont-ils été valorisés ?

Pour répondre à cette question, il convient d’abord d’examiner les aspects dé­mographiques de la géopolitique du Sénégal, puis de s’interroger sur la nature de sa situation géopolitique interne. Enfin, la question des deux principales crises tra­versées par le Sénégal lors de son premier demi-siècle d’indépendance et la réalité de son rayonnement extérieur seront examinées, sans omettre le rôle de la diaspora sénégalaise dans le contexte de la mondialisation.

Les aspects démographiques de la géopolitique du Sénégal

Au regard de sa population et de sa densité, le Sénégal apparaît peu peuplé. Mais son importance relative apparaît clairement lorsque l’on considère son poids démographique et urbain dans sa région.

Un pays faiblement et inégalement peuplé…

Les différentes études démographiques réalisées au Sénégal s’appuient principale­ment sur les trois recensements de la population réalisés en 1976, 1988 et en 2002. En 2004, la Direction de la Prévision et de la Statistique (DPS) publie « les projec­tions de populations du Sénégal » à l’horizon 2015. Selon cette source comme sur les autres sources disponibles sur le Sénégal, la population de ce pays, qui était de 3 millions d’habitants en 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté interna­tionale, s’élèverait à 12,5 millions d’habitants en 2009, chiffre auquel il faut ajouter près de 3 millions2 vivant hors des frontières du pays et pourrait atteindre près de 15 millions de personnes en 2015, puis près de 18 millions en 2025. Notons que la population du Sénégal se répartit entre quelques principaux groupes ethniques et linguistiques (Wolofs, Peuls, Serer, Mandingue, Diolas, Soninkés) et une multitude de groupes ethniques ne représentant qu’une faible proportion de la population to­tale (Manjack, Balant, Bassari, Bainouk…).

À la faiblesse de la population s’ajoute une modestie de la superficie du pays, 197 161 km2, soit environ le tiers de la France. À l’échelle régionale, le Sénégal est moins étendu que le Mali, la Mauritanie et le Niger. En revanche, le pays est plus vaste que le Bénin ou le Togo. Compte tenu de la faible étendue du pays, la capitale sénégalaise, Dakar, à l’extrême ouest du pays, n’est séparée que de 600 km de Kidira, ville située à l’extrémité orientale du pays, à la frontière malienne. Et, du nord au sud, seulement 460 km sépare la ville de Saint-Louis et celle de Ziguinchor, en Casamance.

En 2009, la densité de la population du Sénégal est de 63 habitants/km2, mais elle est très différente selon les régions du pays. Déjà, en 1960, la population du Sénégal est inégalement répartie, la façade atlantique étant plus peuplée. Depuis l’indépendance, cette inégalité demeure et les régions septentrionale3 et orientale du pays continuent de se singulariser par la faiblesse de leur densité qui ne dépasse guère les 16 habitants/km2. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, dont le premier d’ordre naturel. D’une part, le nord et le nord-est du Sénégal sont soumis au climat sahélien, ce qui a comme conséquence la raréfaction des pluies et l’aridité empêchant les personnes de se sédentariser. À cela s’ajoute la profondeur des nappes phréatiques qui ne favorise pas l’apprivoisement en eau durant la saison sèche qui dure neuf mois. D’autre part, à l’est du Sénégal, le caractère inculte des sols, lié à l’importance des cuirasses latérites et leur caractère pierreux, voire caillouteux, explique en partie le vide démographique. En outre, la présence de plusieurs endémies parasitaires4, avant leur éradication dans les années 1990, rend inhospitalière une bonne partie des vallées de l’est du pays. À ces facteurs, s’ajoute un autre facteur, historique, lié à la faible importance accordée, lors de la mise en valeur coloniale, à l’est du pays, accentuant donc le déséquilibre de peuplement.

Aussi, les principales régions de fortes densités du pays se situent-elles dans le centre ouest, dont Dakar, en basse Casamance et dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Le poids relatif croissant de l’agglomération dakaroise accentue le déséqui­libre de la répartition de la population.

Armature urbaine macrocéphalique et géopolitique interne

En effet, notamment en raison de l’émigration rurale5, l’agglomération dakaroise, qui représente 0,03% de la superficie du Sénégal, concentre à elle seule 2,7 millions d’habitants6, soit plus de 22% de la population du pays. La densité de Dakar dépasse les 4 000 habitants/km2. Sa région regroupe plus de 80% des services du pays et 75% des industries. Depuis 1960, la situation de macrocéphalie héritée de l’époque coloniale s’est accentuée. Dakar, en raison de l’importance de sa population et de son poids économique, joue un rôle géopolitique interne majeur et symbolise, à elle seule, le Sénégal. En 2000, lors de l’élection présidentielle, la défaite du parti au pouvoir (Parti socialiste) à Dakar a eu comme conséquence la défaite du président sortant. Ce rôle de la capitale sénégalaise dans la géopolitique interne s’est également confirmé lors des élections municipales et régionales du 22 mars 2009, remportées par la coalition des partis de l’opposition. Pour la première fois depuis 1960, Dakar n’est plus administrée par le parti au pouvoir et la perte de Dakar s’est accompagnée par la victoire de l’opposition dans plusieurs centres urbains de plus de 100 000 habitants7.

Les autres principales villes, comme du nord au sud sur la frange occidentale, Saint-Louis, Thiès, Kaolack et Ziguinchor, dont la population s’accroît notamment en raison de l’émigration rurale, sont localisées sur la côte ou à proximité d’un lit­toral. Cela accentue les contrastes de peuplement entre les villes et les régions de l’intérieur du pays.

Jeunesse et géopolitique interne

La forme de la pyramide des âges du Sénégal est incontestablement celle d’un pays jeune, avec une large base et un sommet rétréci. La population du Sénégal croît assez rapidement avec un indice de fécondité, malgré une légère baisse8, estimé à 5,0 enfants par femme en 20099. De 1960 à 2006, la population du Sénégal s’est accrue de 246% et le taux de croissance de la population est estimé à 2,9% en 2009, chiffre correspondant quasiment à un doublement tous les quarts de siècle. Cette croissance rapide de la population sénégalaise s’explique par une forte natalité, dont le taux brut 2009 est de 39 pour mille habitants. Le taux de mortalité a baissé de 26 décès pour mille habitants dans les années 1960 à 10 en 2009 d’autant que le Sénégal, contrai­rement au reste de l’Afrique subsaharienne, est peu touché par le sida10.

Selon les données de la Direction des prévisions et de la statistique, la structure par âge montre une population jeune où les personnes âgées de 0-14 ans représen­tent plus de 40% de la population, les 15-64 ans 56% et les 65 ans ou plus moins de 4%. Le poids des jeunes adultes dans la population totale a une importance géopolitique ; il a par exemple été décisif lors de l’élection présidentielle de 2000, à l’occasion de laquelle le candidat de l’opposition, Abdoulaye Wade, a misé sur l’électorat des jeunes qui votait très peu lors des précédentes élections. Cette stra­tégie s’est avérée payante car, selon les enquêtes, plus de 65% des jeunes âgés de 18 à 30 ans ont voté pour Me Abdoulaye Wade. Le candidat sortant, Abdou Diouf, a bénéficié plutôt du vote de la tranche d’âge des personnes âgées de 45 ans ou plus.

Population et géopolitique externe

Faiblement et inégalement peuplé, le Sénégal compte néanmoins une impor­tance démographique régionale. Certes, la population du Mali est estimée à 13 mil­lions en 2009, mais sur une superficie plus de six fois supérieure à celle du Sénégal, et donc une densité de seulement 10 habitants/km2. Au nord du Sénégal, la Mauritanie ne compte que 3 millions d’habitants. La Gambie en compte 1,6 et, au sud, la Guinée-Bissau et la Guinée respectivement 1,6 et 10,1 millions. Le Sénégal peut donc être considéré comme un pôle démographique régional d’autant que sa densité, bien que limitée, est la plus élevée que celle de ses cinq pays limitrophes.

Cette fonction régionale se trouve accrue au regard de l’armature urbaine ré­gionale. En, effet, Dakar n’est pas seulement la grande ville nationale, mais la plus grande agglomération régionale. Bamako, au Mali, compte environ 1,6 million d’habitants, comme Conakry, et Nouakchott en Mauritanie moins de 1 million. En considérant l’ensemble de l’Afrique occidentale11, à l’exception des villes de Lagos et de Kano au Nigeria, seule Abidjan apparaît plus peuplée avec près de 4 millions d’habitants, sachant que son peuplement s’est accentué avec le conflit civil qui s’est aggravé en 2002.

Le Sénégal, malgré un peuplement relativement faible en Afrique comme dans le monde, bénéficie en partie de l’un des « lois de la géopolitique des populations » , la « loi du nombre », par un poids démographique significatif par rapport à ses pays voisins et plus encore par l’importance démographique de sa capitale politique et économique.

Les aspects démographiques de la géopolitique appellent également un examen de la composition humaine du Sénégal et du rôle de sa diaspora, aspects que nous examinerons plus loin, après avoir analysé la question de la stabilité politique.

Un modèle de stabilité géopolitique interne en Afrique ?

La description de la géopolitique interne du Sénégal appelle à souligner sa sta­bilité attestée par la capacité du pays à surmonter des crises politiques et par une alternance politique.

Un pays politiquement stable…

N’ayant jamais connu de coup d’Etat, le Sénégal demeure l’un des pays les plus stables du continent africain. Depuis 1960, le modèle sénégalais de stabilité et de démocratie est souvent cité en exemple, même si Amnesty International a dénoncé quelques arrestations et emprisonnement politiques jugés arbitraires, comme celui de l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck en 2005.

En 1960, année de l’accession du pays à la souveraineté internationale, le Sénégal opte pour un modèle politique assez proche du modèle français antérieur à 1958, avec des pouvoirs très importants donnés au Président du Conseil un rôle limité au Président de la République. Cette répartition des pouvoirs va être au cœur d’une grave crise politique.

La crise politique initiale qui a failli déstabiliser le pays

Elle oppose le Président du Conseil Mamadou Dia et le Président de la répu­blique Léopold Sédar Senghor, les deux chefs du premier exécutif sénégalais, en réalité déjà en désaccord à la veille de l’indépendance du Sénégal. En effet, en 1958, lorsque le Général De Gaulle propose un référendum aux différentes colonies fran­çaises débouchant sur une communauté franco-africaine, les deux hommes font état, à Gonneville-sur-Mer, en Normandie, de leurs divergences. M. Dia souhaite la « rupture », alors que le Senghor propose le maintien du Sénégal dans une com­munauté avec la France. La seconde option l’emporte sur la première, mais, après l’indépendance, les divergences entre les deux hommes s’accentuent en outre sur la manière de gouverner le pays.

 

REPÈRES CHRONOLOGIQUES SUR LA GÉOPOLITIQUE DU SÉNÉGAL

 

1857 Fondation de Dakar, point de départ de la conquête coloniale.
1895 CRÉATION DE L’AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE (AOF)
1895-1902 Exil de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme, au Gabon.
1902 Dakar devient la capitale de l’AOF.
1903-1907 Exil de Cheikh Ahmadou Bamba en Mauritanie.
1906 Début de la construction du chemin de fer Dakar-Niger.
1914-1918 Première Guerre Mondiale : des milliers de Sénégalais sont enrôlés.
1923 Achèvement de la ligne de chemin de fer Dakar-Niger.
1927 Mort de Cheikh Ahmadou Bamba.
1939 Deuxième Guerre Mondiale : enrôlement de troupes sénégalaises dans l’armée française.

 

1944 Mutinerie au Camp Thiaroye, dans la ville du même nom, dans la banlieue de Dakar, le 1er décembre, de soldats sénégalais réprimée de manière sanglante.
1946 Senghor : « … En 1946, je proclamais, en France, notre volonté d’indépendance, au besoin « par la force », mais, en même temps, notre volonté d’entrer dans une communauté de langue française «. (Liberté 3, p. 80).
1948 Novembre: Senghor émet le vœu de voir se créer « un Commonwealth à la française ».
1958 Senghor qui, dès le mois de juin, est l’un de ses ministres-conseillers de De Gaulle, renouvelle son vœu de 1948 alors que le Général s’apprête à lancer son projet de Communauté franco-africaine. Ainsi s’impose, dès la fin des années 1950, l’idée d’une Francophonie, « fille de la liberté et sœur de l’indépendance », rassemblant, autour de la langue française, les pays libérés de la tutelle coloniale.
1958 Dissolution de l’AOF et transfert de la capitale du Sénégal de Saint-Louis à Dakar
1959 : Assemblée fédérale du Mali (Soudan et Sénégal). Senghor en est le président.
1960 Le 4 avril, signature à Paris de l’accord d’indépendance du Sénégal et du Soudan Français (actuel Mali) au sein de la Fédération du Mali. Le 4 avril est la date officielle retenue par le Sénégal pour célébrer l’anniversaire de l’Indépendance du pays.

Le 20 juin 1960 marque l’indépendance effective de la Fédération du Mali avant son éclatement le 20 août 1960, en raison des divergences entre le Sénégal et le Mali. Le 31 août 1960, Senghor est élu Président de la République du Sénégal et Mamadou Dia devient le Premier Ministre.

1962 En décembre, une crise constitutionnelle entraîne l’arrestation et l’incarcération de Mamadou Dia.
1963 Création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) dont le Sénégal est un membre fondateur. Inauguration de la Grande mosquée de Touba, la ville sainte de la confrérie des Mourides. Le 3 mars 1963, approbation de la Seconde Constitution qui instaure un régime présidentiel.
1966 Premier festival mondial des arts nègres à Dakar.
1968 Réélection du Président Senghor ; à Dakar, mouvements lycéens et étudiants suivis par les syndicats.
1969 Le 25 septembre, création de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) dont le Sénégal est l’un des pays fondateurs.

 

1969 Janvier : intervenant sur le thème : « La Francophonie comme contribution à la Civilisation de l’Universel », Senghor affirme que la langue française, tout en aidant à « l’éclosion de la Négritude », a vocation à fonder un grand projet politique, « [à] édifier, entre nations majeures, une véritable communauté culturelle (…). L’heure est désormais à la coopération. La Francophonie n’est pas une idéologie ; c’est un idéal qui anime des peuples en marche vers une solidarité de l’esprit » (Liberté 3, p. 193-194). En vue de « donner un nouvel élan à [ce]grand dessein », se tient, du 17 au 20 février, la Conférence de Niamey. Sous l’impulsion notamment de Hamani Diori, Habib Bourguiba et L.S. Senghor, respectivement présidents du Niger, de la Tunisie et du Sénégal, les pays francophones affirment à cette occasion le besoin de se doter d’un instrument de coopération interne. Ainsi sera créée un an plus tard (mars 1970), toujours à Niamey,.
1970 Approbation par référendum de la troisième Constitution qui restaure le poste de Premier ministre auquel Abdou Diouf est nommé. Le 20 mars 1970, le Sénégal participe à la création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT, future Organisation internationale de la Francophonie), créée à Niamey.
1971 Colloque sur la Négritude à Dakar sous l’initiative de Senghor.
1972 Réforme territoriale et création des communautés rurales; sécheresse.
1974 1er janvier : naissance officielle de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO) ; libéralisation progressive du régime, amnistie des prisonniers politiques dont Mamadou Dia ; création du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) par Abdoulaye Wade ; transfert du siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) de Paris à Dakar.
1976 Le multipartisme politique est autorisé au Sénégal.
1978 Élections législatives et présidentielles ; Senghor est réélu.
1980 Le 31 décembre, Senghor quitte volontairement le pouvoir et Abdou Diouf lui succède.
1981 En juillet, tentative de coup d’Etat en Gambie ; intervention de l’armée sénégalaise et création par suite de la Confédération de Sénégambie.
1982 Création du Mouvement des forces démocratique de Casamance (MFDC). 26 décembre : manifestations pour l’indépendance de la Casamance
1983 Election d’Abdou Diouf à la présidence du Sénégal ; en décembre, début du conflit en Casamance.
1988 Réélection contestée d’Abdou Diouf, violents affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants.
1989 Conflit sénégalo-mauritanien le long de la frontière ; dissolution de la Confédération de la Sénégambie.

 

1991 Participation des militaires sénégalais à la Première guerre du Golfe, plus de 70 sénégalais y perdent la vie; le Sénégal organise le 6ème sommet de l’OCI.

31 mai : premier cessez-le feu en Casamance.

1994 Janvier : dévaluation du Franc CFA, qui perd 50% de sa valeur.
1996 Lois sur la régionalisation et le transfert des compétences vers les collectivités territoriales.
2000 Alternance politique, élection de Me Abdoulaye Wade à la présidence, mettant ainsi fin à 40 ans de règne des socialistes.
2001 Mort du Président Senghor, membre de l’Académie française, en France. Lors de son enterrement au Sénégal, la France est représentée seulement par un secrétaire d’Etat. Les Sénégalais condamnent et considèrent cette attitude comme du mépris.
2002 Création de l’Union africaine (UA) dont le Sénégal est l’un des pays fondateurs. Naufrage du bateau le Joola qui assurait la liaison entre Ziguinchor (en Casamance) et Dakar. À ce jour, ce naufrage reste la plus grande catastrophe maritime de tous les temps avec plus de 1600 victimes, donc plus que le Titanic.
2004 10 décembre : abolition de la peine de mort. 30 décembre, accord de paix en Casamance.
2007 Réélection d’Abdoulaye Wade ; fort boycott de l’opposition lors des élections législatives ; novembre 2007 : émeutes «de la faim» à Dakar.
2008 11ème sommet de l’OCI à Dakar ; manifestation des étudiants et élèves de Kédougou, dans l’extrême sud-est du pays, riche en minerais, réclamant des emplois, tourne à une émeute. Plusieurs bâtiments appartenant à l’Etat sont incendiés (sous préfecture, brigade de la gendarmerie, les bureaux de l’urbanisme…) ; on dénombre un mort par balle et plusieurs blessés graves.
Elections municipales, régionales et rurales ; l’opposition remporte plusieurs grandes villes dont la capitale Dakar.
2009 Septembre: depuis Washington, sur les ondes de radio «Washington la Voix de l’Amérique «, Abdoulaye Wade, 83 ans, annonce sa candidature pour un troisième mandat présidentiel en 2012.

 

En effet, selon la constitution initiale, Mamadou Dia, en sa qualité du Président du Conseil, représente le Sénégal sur le plan international. Senghor, qui, initiale­ment, ne souhaitait pas être en charge de l’exécutif, finit par trouver cette situation inconfortable, lui l’Homme de lettres mondialement connu, car elle le prive d’une tribune internationale. En décembre 1962, après la tenue à Dakar d’un colloque international où Mamadou Dia tient un discours en totale contradiction avec les visions de Senghor et des ministres, la crise entre les deux chefs du pays atteint son paroxysme. Une grande partie des députés dépose une motion de censure. Le Président du Conseil Dia s’y oppose en faisant évacuer l’Assemblée par l’armée. Le 17 décembre 1962 au soir, la motion est néanmoins votée au domicile d’un député. Le lendemain, Mamadou Dia est arrêté avec plusieurs de ses amis. Du 9 au 13 mai 1963, il est jugé pour haute trahison par la Haute Cour et condamné à la déporta­tion perpétuelle à l’extrême sud-est du Sénégal (Kédougou), à plus de 750 km de la capitale. Cet éloignement de Mamadou Dia12 le prive du soutien de ses partisans qui se rassemblaient préalablement devant l’endroit où il était détenu à Dakar.

Il résulte de cette crise politique une importante révision constitutionnelle en 1963 avec la suppression du poste de premier Ministre et l’instauration d’un régime présidentiel. Les révisions constitutionnelles suivantes sont nettement moins im­portantes : en 2001, suppression du Sénat et mandat présidentiel ramené de 7 ans à 5 ans (avec effet pour les futurs mandats, donc à compter de 2007) ; en 2007, ré­tablissement du Sénat ; en 2009, création d’un poste de vice-président du Sénégal. Mais elles suscitent diverses réactions au sein de la classe politique sénégalaise entre partisans et opposants d’une part, et entre les intellectuels et constitutionalistes du pays d’autre part.

L’instauration du multipartisme

L’autre changement majeur concerne les partis politiques. De 1964 à 1974, il n’existe au Sénégal qu’un parti politique, le parti au pouvoir de Senghor, l’Union progressiste et socialiste (UPS) qui s’intitule ensuite Parti socialiste (PS). En 1974, le multipartisme commence à être établi. Me Abdoulaye Wade crée la même année le PDS (Parti Démocratique Sénégalais), parti de contribution aux débats poli­tiques avant de devenir, après le départ de Senghor en 1981, un véritable parti d’opposition. En effet, en 1978, Senghor remporte les élections présidentielles, mais quitte le pouvoir deux ans plus tard et est remplacé par son Premier ministre d’alors, Abdou Diouf. Ce dernier est élu, en 1981, pour un nouveau mandat, de 5 ans désormais.

De 1981 à la première entrée de Me Abdoulaye Wade dans un gouvernement, en 1995, la géopolitique interne du Sénégal est marquée par quelques crises politiques. En particulier, le résultat des élections de 1993, remportées par le Président Abdou Diouf13, est contesté par le principal opposant, Me Abdoulaye Wade, qui est alors arrêté et emprisonné en compagnie de plusieurs autres dirigeants de l’opposition. Ces élections sont également marquées par l’assassinat du premier vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Seye, en charge de la proclamation définitive des résultats. Et les deux camps s’accusent mutuellement du meurtre du vice-président du Conseil constitutionnel. Le motif de l’interpellation de Wade tient à sa déclaration suivante : « je ne donne aucun crédit aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l’influence des hommes d’Abdou Diouf, en particulier de son vice-président, Me Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps un député socialiste. Ce n’est pas sérieux »14.

Cependant, faute de preuves concrètes le reliant au meurtre, le 18 mai 1993, Me Wade est relâché. Deux ans plus tard, en 1995, la situation politique du pays s’apaise. Le président Diouf, forme un gouvernement d’union nationale où Me Wade occupe le poste de Ministre d’Etat auprès du Président de la république. Mais, à la veille des élections législatives de 1998, soit deux ans avant l’élection présidentielle, Me Wade démissionne, avec les ministres de son parti, de ce gou­vernement.

Alternance démocratique

En 2000, le champ politique sénégalais connaît une évolution majeure et fort rare en Afrique, avec l’alternance dans une ambiance presque euphorique dans le tout le pays. Le 19 mars, lors du deuxième tour des présidentielles, Me Abdoulaye Wade, à la tête d’une coalition de partis politiques, met fin à 40 ans de règne so­cialiste. Avant même la proclamation des résultats définitifs, le Président sortant Abdou Diouf, très soucieux de la paix sociale, prend de court ses partisans et les membres de son directoire de campagne en téléphonant à Me Abdoulaye Wade pour le féliciter. Ce geste renforce l’image du Sénégal sur le plan international en tant que pays de référence en matière de démocratie en Afrique15.

La défaite du Président sortant Diouf peut s’expliquer, d’une part, par la si­tuation économique difficile que traverse le Sénégal et, d’autre part, par la défec­tion dans son parti, le PS, de figures emblématiques, comme Djibo Kâ, ancien directeur de cabinet du Président Senghor, et Moustapha Niasse, ancien Premier ministre. Ces deux personnalités se sont présentées au premier tour de l’élection présidentielle, obtenant respectivement plus de 7% et près de 17% des voix, pui­sées essentiellement dans l’électorat du Parti Socialiste. Malgré le revirement de Djibo qui appelle à voter Diouf au second tour, l’alternance survient grâce au report des voix de Moustapha Niasse pour le candidat de l’opposition.

Les quatre années qui suivent l’alternance politique sont marquées par une si­tuation politique calme. Le Président Wade dirige le pays sans grande difficulté et plusieurs ténors de l’ancien régime rejoignent le Parti au pouvoir. Mais cette transhumance politique crée des tensions dans la mouvance présidentielle. Et la coalition qui a porté Wade au pouvoir commence à s’effriter, notamment avec le limogeage du ministre Ahmet Dansokho, dirigeant du parti Marxiste Léniniste PIT (Parti de l’Indépendance et du Travail). D’autres membres de la coalition au pou­voir, dénonçant le non-respect du programme de campagne du Président Wade, ainsi que la corruption et le népotisme, s’éloignent du pouvoir.

En 2004, la situation politique du pays connaît un conflit ouvert au sommet de l’Etat entre le Président Wade et son sherpa, à l’occurrence Idrissa Seck, ancien directeur de campagne, ancien ministre d’Etat et directeur de cabinet du Président, et alors Premier ministre. Pour cause de dualité d’opinion au sommet de l’Etat, Idrissa Seck est limogé. Il est accusé de détournement de fonds dans les chantiers de la ville de Thiès, située au centre-ouest du pays, et d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il fait ensuite 7 mois de prison avant de bénéficier d’un non-lieu partiel en 2006, puis d’un non-lieu total en 2009. Cet imbroglio politico-judiciaire, très suivi par l’opinion publique, a failli remettre en cause la stabilité du pays. Néanmoins, en 2007, le président Wade est réélu pour un deuxième mandat.

La nouvelle carte politique

Deux ans plus tard, le 22 mars 2009, une nouvelle carte politique du Sénégal se dessine, lors des élections municipales et régionales. En effet, ces élections se pouvoir en place. Ce dernier a félicité son adversaire et il n’y a eu aucne violence post-électorale. Cf. Bernard, Philippe, « Démocratie : le « yes we can » africain », Le Monde, 17 janvier 2009,

  1. 2. soldent par la perte des grandes villes du pays, dont la capitale Dakar, par le parti au pouvoir. Ce dernier connaît l’échec en face d’une coalition des partis d’opposition, renforcée par l’ancien numéro 2 du parti présidentiel et Premier ministre (2004­2007), Macky Sall. Plusieurs observateurs imputent cette défaite à l’incapacité du gouvernement en place de répondre à la demande sociale, ainsi qu’aux ambitions, officiellement cachées, du Président Wade de voir lui succéder son fils, Karim Wade. La liste sur laquelle ce dernier est candidat à la mairie de Dakar essuie une défaite. Ces résultats électoraux poussent depuis le Président Wade à reconsidérer sa stratégie politique. Son parti au pouvoir, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS), cherche à se restructurer à la manière de l’UMP en France, et un rôle important en vue des élections présidentielles et législatives de 2012 semble assignée à l’ancien Premier ministre Idrissa Seck.

En dépit d’une grave crise politique dans les toutes premières années de l’indé­pendance et des tensions politiques périodiques dues au jeu des rapports de force, le Sénégal se caractérise par une remarquable continuité institutionnelle et par une stabilité politique qui méritent des explications. L’une d’entre elles tient au contexte religieux.

Le rôle et la place d’un Islam atypique

La population du Sénégal est pour l’essentiel musulmane, à 95% selon la Direction de la statistique et des prévisions (DSP), même si ce pays connaît deux minorités chrétienne et animiste, qui représentent respectivement environ 4% et 1% de la population. La religion dominante se caractérise par un Islam atypique et par d’importantes confréries religieuses.

La vie quotidienne des Sénégalais est fortement marquée par l’Islam dans toutes leurs activités sociales, culturelles, dans les arts, dans l’architecture, dans le langage, comme dans la vie politique. Cette forte influence de l’Islam tire ses origines d’une longue histoire, « plus de dix siècles de diffusion d’un Islam qui, tout en restant ancré dans les traditions sunnites les plus orthodoxes, emprunte ses traits caractéris­tiques aux cultures locales »16. En réalité, la population musulmane est répartie entre différentes confréries religieuses soufis : Quadiriya, Tidjanes, Mouride et Layenne.

Répartition de la population musulmane du Sénégal par confrérie

Layennes Autres Quadiriyens

Certaines confréries sont d’origine arabe (Quadiriya et la Tidjaniya) : d’autres, comme les Layennes et le Mouridisme, sont de création locale. Les confréries ont chacune leurs villes saintes, leurs dignitaires et disciples. Le Mouridisme est la se­conde confrérie sur le plan numérique, après les Tidjanes, mais il est le plus dyna­mique sur le plan économique, culturel, politique. Le grand Magal de Touba, jour célébrant le retour de l’exil du fondateur en 1893, regroupe chaque année plus de 3 millions de personnes à Touba, la ville sainte du mouridisme.
Les confréries, « des régulateurs sociaux et politiques » ?

Les confréries musulmanes du pays apparaissent comme des « régulateurs sociaux » mais aussi politiques, et leur rôle dans la géopolitique interne du pays s’est accru depuis l’indépendance. Leurs dignitaires, très écoutés par les disciples, interviennent souvent dans le champ politique, soit pour apaiser les tensions entre les hommes politiques, soit pour donner un mot d’ordre en faveur d’un homme politique ou pour régler une situation critique. Du Président Senghor au Président Wade, en passant par le Président Diouf, les chefs d’Etat sénégalais ont tous joué la carte des confréries pour mieux asseoir leur légitimité ou pour bénéficier de leur soutien. Les confréries entretiennent et confortent des relations spécifiques avec l’Etat. « L’attachement des populations à leurs marabouts, qui détiennent un pouvoir de décision fort sur leurs fidèles, a favorisé cette situation. L’État sénégalais s’est consolidé en les utilisant pour renforcer sa légitimité et, en retour, leur octroie des avantages »17.

Par exemple, en 2000, après sa première élection à la présidence de la République, le Président Wade accorde la primeur de sa première sortie au khalife général des Mourides à Touba. L’image du président s’agenouillant devant le marabout suscite alors beaucoup de débats au sein de la classe politique et parmi les observateurs du pays, puisque le Président Wade, contrairement à son prédécesseur, affirme ainsi ouvertement son appartenance à la confrérie des Mourides, ce qui crée un climat de malaise et frustration dans les autres confréries.

Notamment en raison du rôle des confréries, le Sénégal, depuis 1960, connaît, malgré les crises internes au sein des partis au pouvoir, une situation politique glo­balement stable. Néanmoins, cette stabilité du pays a traversé deux crises majeures, hormis la première de 1962.

Des deux principales crises à la géopolitique régionale et mondiale

Une première crise est interne. La seconde se situe à la frontière sénégalaise avec la Mauritanie.

Le conflit casamançais

La région de la Casamance, séparée d’une grande partie du reste du territoire du Sénégal par un État étranger, la Gambie, occupe la partie méridionale du Sénégal et couvre trois régions administratives : Ziguinchor, Kolda et Sédhiou. Sa situation géographique lui vaut d’être la région la plus verdoyante du Sénégal, avec le climat le plus humide du pays, la végétation la plus forestière et le réseau hydrographique le plus dense de tout le pays.

Dès 1960, année de l’indépendance du Sénégal, une partie de la population de la Casamance souhaite l’autonomie pour leur région, au nom de son identité spécifique. Ainsi, la Casamance, dans les siècles passées, a-t-elle rejeté aussi bien l’esclavage arabe qu’européen. Elle s’est aussi farouchement opposée aux ambitions de l’administration coloniale. En outre, l’enclave gambienne, sous forme de doigt de gan, à l’intérieur du territoire sénégalais, souligne sa marginalité géographique et explique son sentiment d’insuffisante considération par le pouvoir central. De plus, les Diolas qui habitent la Casamance n’apprécient pas d’y voir arriver des Wolofs souhaitant pouvoir venir y cultiver de l’arachide.

Dans ce contexte, le 26 décembre 1982, des manifestants séparatistes, avec à leur tête l’abbé Diamancoune Senghor, armés de coupe-coupe et autres armes blanches, pénètrent à Ziguinchor, la capitale régionale de la Casamance, pour ré­clamer l’indépendance. Les forces de l’ordre arrêtent leur dirigeant avec plusieurs de ses compagnons. Le Sénégal découvre alors l’existence de cet homme d’église qui prend la tête d’un mouvement séparatiste dénommé MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance). En 1987, l’abbé est libéré de sa prison. Trois ans plus tard, en 1990, d’importants affrontements, causant environ 150 morts, opposent l’armée sénégalaise et les séparatistes. Puis, le 31 mai 1991, un premier cessez-le-feu est signé entre le gouvernement sénégalais et les rebelles tandis que l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, emprisonné une seconde fois en 1990, est libéré. Cependant, cet accord n’empêche pas les troubles de reprendre en 1993, causant environ mille morts. Le 8 juillet 1993, un deuxième cessez-le-feu inter­vient. Deux ans plus tard, l’année 1995 marque la disparition de quatre touristes français dans la région : les rebelles et les forces gouvernementales s’en rejettent la responsabilité.

De 1996 à 2009, des pourparlers de paix se déroulent périodiquement entre le MFDC et une commission nationale. Après différents nouveaux combats, un nou­vel arrêt est décidé le 26 décembre 1999. Puis la maladie du dirigeant charismatique du MFDC crée des luttes de pouvoir au sein du mouvement. Elles aboutissent, en 2003, au meurtre de l’un de ses fidèles lieutenants, Sidy Badji. Toutefois, un accord de paix est signé le 20 décembre 2004. À la fin de l’année 2006, l’abbé Diamacoune Senghor, rongé par la maladie, est évacué à Paris par les autorités sénégalaises afin d’y subir des soins, et il meurt en janvier 2007 à Paris, à l’hôpital militaire du Val de Grâce.

Depuis, la situation géopolitique de cette partie méridionale du Sénégal semble apaisée. Cependant, les anciennes zones d’affrontement sont semées de mines anti­personnel et le conflit a poussé une partie des populations à migrer vers l’intérieur du pays ou dans les pays voisins où des rebelles se réfugiaient en temps de combats avec les militaires. Le conflit casamançais a donc eu des répercussions externes, car il a également touché des pays voisins comme la Guinée-Bissau et la Gambie. En outre, en France, en Espagne et même aux États-Unis, certains immigrés en pro­venance de la Casamance ont demandé et obtenu le statut de réfugiés politique.

Depuis 2004, la Casamance cherche à se reconstruire, même si la paix y reste fragile. Le gouvernement du Sénégal, les intellectuels et dignitaires religieux du pays œuvrent pour la consolidation de la paix.

Au conflit casamançais, épisode marquant de la géopolitique du Sénégal indé­pendant, s’est ajoutée une crise avec un pays voisin, la Mauritanie.

 

La crise sénégalo-mauritanienne

De 1989 à 1991, ce conflit oppose, le long du fleuve Sénégal, les deux pays mitoyens. En avril 1989, à Diawara, localité frontalière avec la Mauritanie, située dans la région de Tambacounda (sud-est sénégalais), des affrontements opposent des bergers peuls mauritaniens et des paysans Soninkés sénégalais. L’armée mauri­tanienne intervient : deux Sénégalais sont tués et plusieurs blessés. En représailles à ces attaques, des centaines de boutiques détenues par des Mauritaniens au Sénégal sont pillées, et des Mauritaniens vivant au Sénégal sont même tués par des popula­tions sénégalaises en colère. Fin avril, le bilan à Nouakchott indique des centaines de Sénégalais tués ou mutilés et près de 20 victimes mauritaniennes au Sénégal.

Face à cette situation, les deux pays décident de rapatrier leurs ressortissants grâce à l’appui de l’Algérie et le Maroc qui mettent en place un pont aérien pour évacuer de Mauritanie 70 000 Sénégalais et du Sénégal 170 000 Mauritaniens. Le 21 août 1989, le Sénégal rompt ses relations diplomatiques avec la Mauritanie.

Hormis le bilan humain, cette crise exerce des conséquences géopolitiques ma­jeures dans la région de la vallée du fleuve Sénégal. Les déplacements et migrations forcées perturbent les modes de vie de gestion de la production de ressources des deux côtés. Par exemple, en Mauritanie, les secteurs du bâtiment de la pêche, lar­gement exploités par les Sénégalais, souffrent de leur départ. Du côté sénégalais, l’arrivée de réfugiés accroît la population de certains villages, jusqu’à plus de 10% dans des villes comme Podor et Matam. Par ailleurs, cette crise favorise l’ascension du président actuel, Abdoulaye Wade, qui critique sa mauvaise gestion par le ré­gime en place. Le pays se trouve également fragilisé vis-à-vis de ses voisins, comme la Gambie et la Guinée-Bissau.

En avril 1992, l’apaisement vient avec le rétablissement des relations diploma­tiques. Cette normalisation explique que le Sénégal puisse jouer depuis un rôle ma­jeur dans le dialogue politique en Mauritanie : négociations sur la transition après un coup d’État en 2008, rencontre entre putschistes et opposants, organisation des élections.

Malgré les deux crises géopolitiques, internes et externes, qu’il a traversées de­puis son indépendance, le Sénégal a su surmonter les épreuves en faveur d’une co­hésion sociale à l’intérieur et d’une paix durable avec ses pays voisins, ce qui est un des éléments qui lui vaut une forte présence dans la géopolitique régionale et mon­diale. Laura internationale du Sénégal se mesure par son ouverture internationale, à travers des réussites comme des tentatives sans suite, et par le rôle de sa diaspora.

Un pays actif dans les organisations régionales et internationales

Le Sénégal est intégré au sein des instances de plusieurs organisations inter­nationales et d’intégration régionales et sous-régionales. Malgré une population et des moyens limités, le pays entend jouer un rôle important en s’appuyant sur sa position géographique stratégique, sur sa stabilité politique et sur la qualité de ses ressources humaines. Ainsi, le Sénégal est-il membre de l’ONU (adhésion du 28 septembre 1960), du groupe des 15 (G15 ), de l’Organisation internationale pour la francophonie (OIF), de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), etc. Il entretient des relations privilégiées avec l’Union européenne dans le cadre du Groupe Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) .

Le Sénégal est également membre de l’Union Africaine, de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEOMA)… À l’échelle régionale, le pays joue un rôle significatif dans les différentes organisations dont il est membre fondateur. La diplomatie sénégalaise au sein de ces différentes organisations est souvent reconnue.

L’union faisant la force, le Sénégal souhaite, avant même son indépendance, la création d’organismes régionaux entre les pays africains. Dans ce dessein, en jan­vier 1959, la Fédération du Mali regroupant le Sénégal, le Soudan français (futur Mali), le Dahomey (futur Bénin) et la Haute-Volta (futur Burkina Faso) est créée, sous l’impulsion des fédéralistes Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita, qui sera ensuite premier Président du Mali. Cependant, le Dahomey et la Haute-Volta se retirent de ladite fédération deux mois après. Le Gouvernement de la Fédération est alors présidé par Modibo Keita et l’Assemblée par Senghor. Puis, durant l’été 1960, les divergences sur les orientations politiques entre Sénégalais et Maliens entraînent l’éclatement de la Fédération du Mali et chaque pays déclare son indépendance, le Soudan français sous le nom de Mali.

Néanmoins, le souci d’ouverture géopolitique régional du Sénégal demeure. Par exemple, en 1974, il participe à la création de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CDEAO). Quelques années plus tard, le 17 décembre 1981, le Sénégal crée une confédération, dénommée la Sénégambie, avec un autre pays voisin, la Gambie. Cette confédération a pour objectif de resserrer les liens entre les deux pays, de promouvoir la coopération dans les domaines des affaires étrangères et de la communication interne. Pour le Sénégal, l’objectif est aussi de géopolitique interne : il s’agit aussi de désenclaver la Casamance, dont plus de la moitié de la superficie se trouve isolée du reste du Sénégal par la Gambie. Mais, d’une part, les intérêts trop divergeant entre le Sénégal et la Gambie et, d’autre part, l’éclatement de la crise avec la Mauritanie sonnent le glas de la Sénégambie qui est dissoute le 30 septembre 1989.

Depuis 2000, année de l’arrivée du Président Wade au pouvoir, le Sénégal conti­nue de s’activer pour faire entendre sa voix dans les relations internationales. En 2003, la fusion du plan Omega18 de Wade et du Millenium African Plan, de l’ancien Président Sud-africain Tabo Mbeki, est à l’origine de la création du Nouveau par­tenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Même si ce dernier tarde à atteindre ses objectifs, il est le premier véritable plan de développement écono­mique du continent africain élaboré par et pour les Africains. Le Sénégal s’active également pour la réalisation effective d’une Union africaine qui posséderait une véritable gouvernance et des instances fonctionnelles.

Voulant valoriser ses fonctions internationales, en 2005, le Sénégal déclare sa candidature pour l’obtention d’un siège au Conseil de sécurité de l’Onu afin de porter la Voix de l’Afrique. Cette candidature est motivée par la stabilité politique du pays, son modèle démocratique, son armée républicaine, sa longue expérience dans le domaine du maintien de la paix (plus de trois généraux sénégalais ont commandé des forces onusiennes), sa diplomatie et son engagement en faveur des causes africaines.

Le rayonnement international du Sénégal et le dynamisme de sa diplomatie sont renforcés par le rôle majeur de sa diaspora.

La diaspora sénégalaise, acteur géopolitique externe et… interne

Comparé à nombre de pays du continent africain, le Sénégal est assez pauvre en ressources naturelles. Ses principales recettes d’exportation proviennent de la pêche et du tourisme. Mais, compte tenu de sa situation géographique et de sa stabilité politique, le Sénégal fait partie des pays africains les plus industrialisés, avec la pré­sence de multinationales, majoritairement d’origine française et dans une moindre mesure américaine. Néanmoins, l’essentiel de la production se concentre dans les services et la construction et se localise à Dakar et dans sa périphérie.

Le secteur agricole emploie environ 70% de la population sénégalaise, mais la part du secteur primaire dans le Produit Intérieur Brut est en constante dimi­nution. Dans les années 2000, la baisse de la pluviométrie et la crise du secteur de l’arachide, principale culture de rente du pays, ont réduit la contribution de l’agriculture à moins de 20% du PIB. La pêche, qui reste cependant un secteur-clé de l’économie familiale sénégalaise, subit également les conséquences de la dégrada­tion des ressources halieutiques, due à la surexploitation qui peut provenir de flottes originaires de pays très éloignés, comme le coût de la facture énergétique.

Le développement économique19 limité du Sénégal, malgré une aide interna­tionale conséquente, pousse depuis l’indépendance du pays une frange importante de la population à émigrer. La volonté de partir répond aussi à des facteurs « de re-poussement dus aux difficultés éprouvées dans les [régions] de départ »20 marquées par une pauvreté endémique, un sous-développement chronique et une politique économique nationale insuffisamment efficace.

L’émigration internationale est considérée comme un moyen de lutte contre la pauvreté et un gage de sécurité sociale pour les populations demeurant au pays. Ces dernières bénéficient amplement des retombées économiques de l’émigration. En effet, les transferts financiers venus de la diaspora sénégalaise représentent une rente non négligeable, puisqu’on estime que le flux financier généré par l’émigration sé­négalaise est au moins égal au volume d’aides de la coopération internationale, soit 37 dollars par habitant et par an. Néanmoins, quantifier le volume de l’émigration sénégalaise depuis l’indépendance est un exercice difficile en raison de la sponta­néité de son caractère et de la suppression, depuis 1981, de l’autorisation préalable de sortie de territoire national. Au fil des années, la géographie de cette émigration s’est étendue sur l’ensemble du territoire national. En conséquence, son centre de gravité s’est déplacé de la vallée du fleuve Sénégal (région de Matam, Tambacounda et Saint-Louis) vers le bassin arachidier (région de Louga et Diourbel). Il faut noter, par ailleurs, la participation active de groupes qui, auparavant, émigraient peu, en l’occurrence les Mourides.

Auparavant orienté, pour des raisons historiques et linguistiques, vers la France et les anciennes colonies françaises d’Afrique, le champ migratoire sénégalais est devenu multipolaire et fluctuant. Si l’Afrique reste la principale destination des Sénégalais, devant la France, certains pays occidentaux, comme l’Italie, les Etats-Unis et l’Espagne, occupent depuis les années 2000 une place de choix dans le champ migratoire sénégalais.

Les statistiques estiment à près de 3 millions le nombre des Sénégalais installés hors des frontières du pays, dont environ la moitié en Afrique, 20 à 30% en Europe, 10% en Amérique et le reste dans les autres pays.

La diaspora sénégalaise reste fortement attachée à son pays d’origine et est sou­vent dynamique dans les pays d’accueil. Prenons l’exemple des États-Unis où l’émi­gration sénégalaise y est récente par comparaison à la France. Dans ce pays, la place économique et culturelle des Sénégalais a joué un rôle clé sur le choix porté sur le Sénégal lors du voyage du Président Bush en Afrique en 2003, visite qui avait sus­cité beaucoup d’interrogations auprès des autorités françaises, ces dernières consi­dérant toujours le Sénégal comme étant le « pré-carré » de la France. Certes, cette visite répondait aux intérêts géostratégiques des Etats-Unis en Afrique, mais elle a également été motivée par l’émergence de la diaspora sénégalaise au pays de l’Oncle Sam. Par ailleurs, la communauté sénégalaise de nationalité américaine installée aux Etats-Unis a voté massivement pour les candidats du parti démocrate, donc pour Barak Obama, aux élections de novembre 2008. D’ailleurs, le président des Jeunes Démocrates est un Sénégalais, Thione Niang21, qui a émigré au Etats-Unis seulement en 2000.

La diaspora sénégalaise constitue également un acteur majeur pour la géopoli­tique interne du Sénégal, car elle est un porteur de voix. Non seulement elle vote lors des élections sénégalaises dans son pays de résidence, mais elle donne également des consignes de vote aux parents restés au pays.

En outre, notamment en raison de l’importance de la communauté sénégalaise en France, une grande partie des décisions politiques du Sénégal qui concernent les Sénégalais est prise à Paris par le Président actuel, ce qui ne fait que perpétuer une habitude instituée par ses prédécesseurs depuis i960.

Le Sénégal est un pays faiblement peuplé dans le monde, mais pouvant être considéré comme relativement peuplé dans son environnement régional proche et comme disposant de la plus grande ville de la sous-région. Il apparaît à plusieurs égards, depuis son indépendance en 1960, comme un pays à la géopolitique in­terne stable, ce qui contraste fortement avec celle de la plupart des pays du conti­nent africain. Par exemple, en un demi-siècle d’indépendance, contrairement à la plupart des Etats africains, le pays n’a jamais connu ni de régime militaire, ni une domination de la vie politique par les militaires. Depuis l’accession à la souverai­neté internationale, la situation politique et géopolitique du Sénégal est marquée, à l’exception de deux crises très localisées, par une paix civile quasi-totale, ce qui contraste là encore avec la plupart des autres pays africains. Cette situation peut s’expliquer, entre autres, par la maturité de sa classe politique et le rôle politico-so­cial des confréries et de leurs chefs au sein de la société sénégalaise.

Au tournant des années 2010, le Sénégal apparaît sans menace extérieure, comme ce fut le cas pendant quelques années avec le conflit avec la Mauritanie. Il lui faut cependant continuer de gérer avec doigté la question de la Casamance. Peut s’ajouter le manque de bon sens de certains hommes politiques, de l’oppo­sition ou du pouvoir, qui sont parfois prêts à prendre le pays en otage en créant des tensions pour satisfaire leurs intérêts personnels. Ainsi, en ces années 2009 et 2010, au moment où le Sénégal doit faire face à nombreuses difficultés financières, où le chômage touche trois jeunes sur quatre, certains hommes politiques et leurs proches affichent-ils une opulence injuste et injustifiée. Cette situation présente un risque d’attiser la tension sociale et d’entraîner des mouvements sociaux qui pourraient déstabiliser le pays, alors que le niveau de développement du Sénégal est encore très insatisfaisant, qu’il soit mesuré par le PIB par habitant ou par l’indice de développement humain.

Au plan géopolitique externe, le Sénégal diversifie ses soutiens en modérant ses liens avec l’ancienne métropole coloniale et en s’approchant davantage des pays du Golfe ou des Etats-Unis. Dans le contexte de la mondialisation[1], la diaspora séné­galaise, bien qu’encore très présente en France, se trouve de plus en plus dispersée à travers le monde. Aussi joue-t-elle un rôle important dans cette nouvelle stratégie du pays vis-à-vis d’autres pays que l’Hexagone.

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[1]Dumont, Gérard-François, « Les nouvelles logiques migratoires », in : Université de tous les savoirs, sous la direction d’Yves Michaud, Qu’est-ce que la Globalisation ?, Paris, Editions Odile Jacob, 2004.

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