LES ONG DANS LE SYSTÈME ONUSIEN : VERS UN PARTENARIAT MULTI-ACTEURS ?

Isolda AGAZZI

Mai 2007

Une nouvelle configuration des relations internationales

A l’heure de la mondialisation et d’une érosion certaine de la souveraineté des Etats, la « société civile » est en train de devenir un acteur important des relations internationales.

En effet, depuis le début des années ’90 environ, la gouvernance a commencé à assumer un nouveau visage : d’une part, l’Etat central délègue de plus en plus de responsabilités au niveau local; de l’autre, il se voit dessaisi d’un nombre croissant de compétences au profit d’organisations supranationales.

 

Dans le premier cas on parle de décentralisation et de « gouvernance locale » et ce sont les collectivités locales – municipalités, cantons, régions, départements -qui sont chargées de la mettre en œuvre. Dans le second on parle de « gouver­nance globale » et ce sont les organisations internationales – ONU, OMC, Banque Mondiale, FMI, Union Européenne – qui, dans un monde interdépendant, ont la compétence de prendre des décisions cruciales : réduire la dette des pays pauvres, adopter des programmes d’ajustement structurel, conduire la guerre et la paix, libé­raliser le commerce mondial.

 

Toutefois, nombreux sont ceux qui considèrent que, pour que ces nouvelles formes de gouvernance soient démocratiques, il faut que la société civile y soit étroi­tement associée. Il n’y a pas de définition unanimement acceptée de la société civile, mais nous pouvons considérer qu’elle englobe les entités privées à but non lucratif. Si aujourd’hui par Organisations de la Société Civile (OSC) on entend aussi les collectivités locales, les médias, les instituts de recherche, les églises, les syndicats, etc., la forme la plus classique et la plus connue d’organisation de la société civile est évidemment l’Organisation Non Gouvernementale (ONG).

 

Dans un monde en mutation, la coopération internationale est aussi appelée à changer. D’une forme classique de coopération – d’Etat à Etat – on assiste à l’émer­gence d’une approche multi-acteurs (« multi-stakeholder approach »), où les Etats, les Organisations internationales, les OSC et le secteur privé créent des partenariats multi-acteurs (« multi-stakeholder partnerships ») pour s’attaquer aux grands défis de notre temps, dont le principal est sans doute la lutte contre la pauvreté.

Etats et organisations internationales, organisations de la société civile, secteur privé. Voilà les acteurs principaux de la coopération internationale. C’est dans ce cadre que nous allons nous intéresser de plus près à la question des ONG et à leur action au niveau international

 

Qu’est-ce qu’une association/ONG ?

 

Une organisation non gouvernementale (ONG) est une association de droit privé à but non lucratif, ayant une assise locale, nationale, régionale ou interna­tionale. Le terme d’ « Organisation Non Gouvernementale » apparaît comme tel pour la première fois dans la Charte de l’ONU (art. 71) et, bien qu’il n’y ait pas de définition unanimement admise de l’ONG, le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) stipule, dans sa résolution 1996/31, que « Toute orga­nisation qui n’est pas établie par une entité gouvernementale ou par un convention intergouvernementale sera considérée comme organisation non gouvernementa­le ». Nous voyons donc qu’il s’agit plutôt d’une définition négative – organisation « non » gouvernementale – que d’une approche positive du concept d’association, mais pour l’instant il n’y en a pas d’autre.

 

Malgré ce manque de définition unanime, les traits les plus distinctifs d’une ONG nous paraissent être l’indépendance et le fait d’être à but non lucratif.

 

Il est très important de remarquer les activités et le statut juridique des ONG ne sont pour l’heure pas régies par le droit international, mais que ceux-ci restent déterminés par les lois et la juridiction de l’Etat où l’ONG a été constituée ou où elle a son siège social. Cependant, le terme d’ONG apparaît en tant que tel dans très peu de systèmes nationaux où, la plupart du temps, on parle d’« association ».

 

Association ou ONG ?

 

En langage courant, on utilise beaucoup plus souvent l’expression « ONG » qu’« association », mais il convient d’essayer de distinguer les deux. Plusieurs auteurs proposent de réserver le terme ONG aux organisations oeuvrant dans les domaines principaux suivants : aide au développement et humanitaire ; environnement ; droits de l’homme (Rubio 2002), alors que l’ouverture de champs nouveaux (construc­tion de la paix, protection des biens culturels, commerce équitable) correspondrait surtout à une extension des domaines précédents. Cette catégorisation est pertinente parce qu’elle se fonde sur la constatation empirique que c’est surtout dans ces domai­nes que l’action des ONG s’est affirmée de façon spectaculaire depuis les années ’60. La plupart de ces ONG mènent des actions internationales, que ce soit par le plai­doyer ou par la mise en œuvre de programmes sur le terrain. Toutefois, si l’on adopte cette classification, la question reste ouverte pour la vaste majorité des ONG du Sud, auto-proclamées ONG, mais la plupart du temps dépourvues de lien international.

 

Ce flou juridique a comme conséquence que nous assistons à la floraison de nombreux sobriquets :

  • GONGOs (governmental NGOs) : de plus en plus nombreuses, pseudo-ONG, créées par des Etats (généralement peu démocratiques) ou des membres d’élites dirigeantes, du Sud particulièrement. L’objectif de ces GONGOs est d’as­pirer les financements internationaux destinés aux organisations locales ou encore de contrecarrer l’influence d’ONG jugées dérangeantes dans les enceintes interna­tionales (Conseil des droits de l’homme, conférences mondiales sur les femmes, l’environnement, les droits de l’homme, etc) ;
  • MONGOs (My own NGO): ONG composées par une seule personne;
  • BINGOs (business-organized NGOs) : entreprises qui « se cachent » derrière le statut juridique d’une association pour mieux pénétrer les marchés ;
  • DONGOs (donor-organized NGOs) : entités créées à l’initiative de bailleurs de fonds internationaux pour mettre en œuvre des projets de développement ;
  • OVG (organisations véritablement gouvernementales), sobriquet affublé à certaines GONGOs ;
  • QUANGOs (quasi-NGOs): ONG qui sont indépendantes, mais qui reçoi­vent la plus grande partie de leurs contributions des fonds publiques.

 

Riche vie associative = démocratie ?

Si l’existence d’une riche vie associative est un bon indicateur du degré de démocratie d’un système, alors on peut affirmer que le monde est, d’une façon générale, en marche vers la démocratie : bien que le phénomène des ONG existe depuis en tout cas deux siècles, leur nombre a crû de façon exponentielle au cours du XXème et en 2000 il existait plus de 37.000. ONG internationales, auxquelles il faut ajouter les ONG locales, nationales et régionales. Les pionnières ont été les associations charitables à caractère confessionnel, qui couvraient un champ d’action très large. Aujourd’hui nous assistons plutôt à l’émergence d’ONG spécialisées dans des domaines précis – les droits des femmes, des enfants, le combat contre les mi­nes anti-personnel, etc. Celles-ci comprennent aussi bien les organisations de base, agissant au niveau du village, que les ONG nationales, régionales et internationales et elles couvrent pratiquement toutes les sphères d’activité. Par ailleurs, un nombre impressionnant d’associations et de mouvements ont vu le jour après l’échec du Sommet de l’OMC à Seattle (1999).

 

Quelle est l’efficacité d’une ONG ?

 

Les ONG et les associations de base (« grassroots organizations ») ont une connais­sance de la réalité locale et du terrain qui fait souvent défaut aux gouvernements et/ou aux agences internationales. Elles ont une flexibilité, une marge de manoeuvre et une indépendance uniques qui expliquent que leur contribution à la coopération inter­nationale soit unanimement reconnue et que le travail des ONG soit à l’origine de réussites majeures, parmi lesquelles nous citerons à titre d’exemple les suivantes :

  • La Convention sur les droits des enfants : l’idée que les enfants aient des droits et que ceux-ci méritent d’être protégés remonte à Eglantyne Jebb, une quaker an­glaise fondatrice de Save the Children qui, en 1923, formula la Charte des enfants. Celle-ci mena, en 1990, à l’entrée en vigueur de la Convention sur les droits des enfants, seul traité international à avoir été presque universellement ratifié (par 192 Etats). Save the Children et Terre des Hommes sont deux exemples d’ONG très actives dans la promotion et la protection des droits des enfants.
  • Le Traité d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel est un autre exemple de l’efficacité et la bonne coordination du travail des associations : d’abord, une formidable campagne de mobilisation des ONG, lancée en 1992, a amené à l’adoption du traité. Aujourd’hui encore, le réseau de la Campagne compte 1300 organisations dans 90 pays qui jouent un rôle crucial dans la surveillance de la mise en oeuvre de la Convention par les Etats.
  • La remise de la dette du Tiers-Monde. A la fin des années ’80, une coali­tion d’ONG suisses a lancé une campagne d’annulation de la dette et remis au Conseil fédéral une pétition dans ce sens, signée par 250.000 citoyens. C’est grâce à cette campagne que la question de la dette est devenue un élément important de la coopération suisse au développement et depuis lors la Suisse a entièrement effacé sa dette publique bilatérale et instauré un mécanisme novateur par le biais des « Fonds de contrepartie ». Par ces fonds, l’Etat à qui la dette suisse est remise s’engage à allouer l’équivalent, en monnaie locale, à des projets de développement socio-économique et de lutte contre la pauvreté. Plus tard, dans les années ’90, la Campagne Jubilée 2000, lancée par des ONG britanniques, a reçu le soutien de la société civile internationale et a contribué à réduire de façon significative la dette des pays du Tiers-Monde.
  • Enfin, il faut rappeler que c’est au travail de pression des ONG que l’on doit l’entrée en vigueur de la Cour pénale internationale le 1er juillet 2003.

 

Les principales fonctions d’une ONG

Si on catégorise les ONG selon leurs fonctions, on peut distinguer essentielle­ment deux types d’organisations :

  1. Les ONG qui sont opérationnelles sur le terrain, qui font donc ce qu’on appelle en anglais le « service-delivery », c’est à dire qu’elles exécutent des projets de développement dans des domaines aussi variés que la santé, l’acheminement de l’aide humanitaire, le micro-crédit, etc.
  2. Les ONG qui agissent comme groupes de pression, c’est à dire qu’elles font ce qu’on appelle en anglais de « l’advocacy » (du pladoyer) et du lobbying au niveau national et international, notamment :
  • En sensibilisation et mobilisant l’opinion publique autour de thèmes liés à la politique de développement (« advocacy ») ;
  • En faisant du lobbying en faveur de l’adoption de conventions internationales ;
  • En surveillant la mise en oeuvre par les gouvernements des engagements aux­quels ils ont souscrits lors de Sommets internationaux ou par la ratification de traités (« watchdog activity »).

Bien que certaines ONG se concentrent uniquement sur l’une ou l’autre acti­vité, beaucoup d’entre elles allient les deux fonctions (Ex en France : Fédération Sud, ou en Suisse Swissaid, qui a certainement contribué au succès de l’initiative populaire instaurant un moratoire sur les OGM).

 

Quelle est la légitimité d’une ONG ?

Face à ce rôle accru et aux nouvelles attentes qui pèsent sur elles, les ONG sont de plus en plus sollicitées par les bailleurs à se questionner sur leur légitimité et à être « accountable », càd à rendre des comptes. A l’heure actuelle, un débat très riche remue le monde des ONG :

  • La question de la légitimité. Si la légitimité d’un gouvernement démocrati­quement élu peut être difficilement remise en question, du moins dans la conduite des affaires intérieures – le gouvernement étant tenu de rendre des comptes au parlement – on ne peut en dire de même d’une association dont on ne saurait pas trop qui elle représente et au nom de qui elle parle. Alors que d’autres organisa­tions de la société civile, comme les syndicats, ont une représentativité démocrati­que, les ONG sont appelées aujourd’hui à dire clairement quel est leur mandat et quels intérêts elles représentent. Cette question est aussi intimement liée à celle des GONGOs et de l’indépendance que toute ONG devrait avoir.

 

En général les ONG du Nord sont redevables (« accountable ») à leur conseil d’administration, à leurs membres, à leurs bailleurs de fonds, à d’autres ONG du Nord et du Sud avec lesquelles elles travaillent et aussi aux bénéficiaires, càd aux collectivités et aux groupes censés profiter de leurs activités. Ces responsabilités peuvent être parfois conflictuelles. Les ONG du Sud sont redevables aux mêmes sources, mais souvent elles dépendent en plus d’un financement externe. La reddi­tion de comptes Nord – Sud est particulièrement essentielle.

  • Gouvernance et transparence. Les ONG doivent pouvoir indiquer clairement leurs sources de financement et être gérées de façon transparente et démocratique.

 

Ces questionnements sont légitimes, mais ils ne doivent pas servir d’alibi et discréditer le dynamisme de la société civile, comme essaient de le faire certains groupes de pression conservateurs.

 

Le lobbying au niveau international : l’ONU

Au niveau international, l’importance croissante des ONG dans les processus globaux de prise de décision et dans la démocratisation de la gouvernance globale n’a pas été reflétée adéquatement en droit international ou dans la structure for­melle des institutions internationales. Les ONG n’ont pas la personnalité juridique internationale – à la seule exception de la Convention 124 du Conseil de l’Europe, intitulée « Reconnaissance de la personnalité juridique des ONG internationales », à l’heure actuelle ratifiée seulement par 9 Etats – si bien que le clivage entre leur activisme international et leur statut légal en termes de droits et d’obligations inter­nationales ne cesse de croître.

 

Base légale de la consultation des ONG avec le système onusien

 

A l’intérieur du système onusien, les ONG nationales, régionales et internatio­nales peuvent obtenir le statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC), sur la base de :

  • L’article 71 de la Charte des Nations Unies

« Le Conseil économique et social peut prendre toutes dispositions utiles pour consulter les organisations non gouvernementales qui s’occupent de questions rele­vant de sa compétence».

  • La résolution 1996/31 de l’ECOSOC

Qui a ouvert les portes de l’accréditation aussi aux ONG nationales et régio­nales, pourvu que leurs « objectifs soient en conformité avec l’esprit, les buts et les principes de la Charte de l’ONU » et qui a encouragé l’accréditation d’ONG de pays en voie de développement. Pour obtenir le statut consultatif, une ONG doit répondre à certaines conditions : avoir un siège établi, une constitution adoptée dé­mocratiquement, une assemblée, un organe exécutif, une structure représentative, être redevable à ses membres et avoir des représentants autorisés à parler en son nom à l’ONU.

 

Le statut consultatif est accordé par le Comité des ONG1, un comité perma­nent de l’ECOSOC composé de 19 Etats membres et qui se réunit 2 – 3 fois par an à New York. Cependant, le statut consultatif peut aussi être suspendu ou retiré, notamment dans le cas d’« actes infondés ou politiquement motivés contre des Etats membres de l’ONU, incompatibles avec ses buts et principes ». Il y a trois catégories différentes de statut consultatif : général, spécial et roster, pour un total de presque 2800 ONG accréditées à l’heure actuelle.

 

La résolution 1996/31 de l’ECOSOC fixe aussi les modalités d’accréditation aux conférences onusiennes des ONG qui n’ont pas le statut consultatif.

 

A quoi sert le statut consultatif ?

 

Les ONG accréditées peuvent être consultées par l’ECOSOC et ses organes sub­sidiaires, notamment ses commissions fonctionnelles (comme la feu Commission des droits de l’homme) ou ses commissions régionales, mais elles n’ont pas de pou­voir décisionnel. Ce dernier est exclusivement du ressort des Etats et les ONG peu­vent influencer les processus de prise de décision surtout de la façon suivante :

  • Plaidoyer en présentant à la plénière des communications avec leurs positions sur des questions particulières;
  • Lobbying en essayant d’approcher les gouvernements « sympathisants » pour les convaincre d’inclure certaines dispositions dans le texte en cours de négociation ;
  • Provision d’expertise et de témoignage (scientifique, technologique, profes­sionnel ou personnel).

 

Qu’est-ce que CONGO ?

 

La Conférence des ONG ayant des relations consultatives avec les Nations Unies est une association faîtière d’ONG en statut consultatif (membres à part en­tière), ou accréditées auprès d’autres organes ou agences onusiennes ou impliquées dans les processus et conférences onusiens (membres associés). Son mandat est de promouvoir la participation de la société civile dans les activités de l’ONU. Créée en 1948, CONGO a à l’heure actuelle environ 500 ONG membres – nationales, régionales et internationales du Nord et du Sud – et notre but est d’accroître la participation des ONG du Sud. Au fil des ans, la Conférence est devenue l’une des principales contreparties de l’ONU pour les ONG Nos activités principales consis­tent dans la formation, le « outreach » – accroître la conscience des ONG sur le ter­rain à propos des questions inscrites à l’agenda de l’ONU, comme les ODM – les services à nos membres, le plaidoyer.

 

Trois générations de relations entre l’ONU et la société civile

 

Tony Hill, Chef du UN Non Governmental Liaison Service (NGLS), distingue trois générations de relations entre l’ONU et la société civile :

 

La première génération

La première génération, qui va environ de 1945 à la fin de la guerre froide, impli­quait presque exclusivement des ONG internationales avec statut consultatif formel auprès de l’ECOSOC. Comme la guerre froide paralysait les délibérations à l’ONU, les ONG n’étaient concrètement pas impliquées beaucoup dans les activités de l’Or­ganisation. Il est vrai que des fora d’ONG avaient été organisés en parallèle à des sommets internationaux, mais ils étaient plus ou moins autonomes et avaient peu d’impact sur les délibérations intergouvernementales. Une exception importante a été, pendant les années ’70 et le début des années ’80, celui des ONG impliquées dans le dialogue Nord – Sud sous les auspices de la CNUCED pour promouvoir un Nouvel ordre économique international (NOEI). Ces ONG de la première géné­ration avaient donc une relation plus formelle et cérémoniale plutôt que politique avec l’ONU, mais elle a quand même contribué à concrétiser les règles contenues dans l’article 71 de la Charte et détaillées, à l’époque, dans la résolution de 1968 de l’ECOSOC.

 

La deuxième génération

Pendant les années ’90, avec la fin de la guerre froide, l’ONU a pu organiser une série de conférences mondiales qui ont inauguré un nouveau type de relations avec les ONG non seulement internationales, mais surtout nationales et régionales, provenant aussi bien de pays de l’Ouest que du Sud et, dans une moindre mesure, du bloc de l’Est.

 

Si les ONG ont commencé à être vraiment intéressées par le travail de l’ONU c’est parce que de nombreux thèmes qui étaient traités pendant ces conférences ne l’étaient pas suffisamment au niveau national, ou du moins pas de façon satisfai­sante. Contrairement au premier type d’ONG, ces nouvelles ONG nationales et régionales essayaient d’être directement impliquées dans les délibérations intergou­vernementales et, par le lobbying et la mobilisation, d’en influencer les issues.

 

De nouvelles formes d’organisations transnationales et internationales ont com­mencé à émerger, comme la famille Oxfam, Third World Network et la Coalition pour la Cour pénale internationale. On commença a parler de l’émergence de la « société civile globale », de sa participation aux délibérations internationales (« dé­mocratisation de la gouvernance globale ») et de l’ONU comme la cheville ouvrière de cette nouvelle architecture internationale. C’est aussi à cette époque que le sec­teur privé commença a faire son apparition à l’ONU.

 

C’est ainsi qu’en 1996 une nouvelle résolution de l’ECOSOC redéfinit la re­lation avec les ONG, ouvrant l’accréditation aussi aux ONG nationales. Le nom­bre d’ONG qui ont demandé le statut consultatif a explosé dans les sept années suivantes (de 744 in 1992 à 2350 en 2003). Juste pour donner une idée, plus de 700 ONG ont participé à la première phase du Sommet mondial sur la société de l’information (décembre 2003) et 606 à la deuxième (pour un total de plus de 6000 individus).

 

Les ONG de la deuxième génération ont un caractère plus « politique » et elles visent à démocratiser les processus de prise de décision au niveau global (« global governance »). La deuxième génération se caractérise par l’augmentation de rela­tions opérationnelles entre les agences onusiennes, le secrétariat lui-même et les ONG. Des agences telles que le PNUD, l’UNICEF, la FAO, l’UNFPA, financent des projets et programmes dans les pays en développement directement par les ONG, contrairement à ce qui se passait auparavant, quand les fonds allaient ex­clusivement aux gouvernements. Ceci est encore plus vrai pour les programmes d’aide humanitaire et d’urgence. Des agences telles que le PNUD essaient aussi de promouvoir la participation de la société civile directement sur le terrain, même si cette coopération se concentre surtout sur les délibérations intergouvernementales et sur leurs conséquences opérationnelles au niveau national.

 

Vers une troisième génération ?

Aujourd’hui nous assistons peut-être à l’émergence d’une troisième génération de relations entre l’ONU et la société civile : des coalisations de gouvernements et de OSC « like-minded » (comme pour la Cour pénale internationale ou la Convention internationale contre les mines anti-personnel), de partenariats pu­blic-privé comme le Pacte global, les plus de 200 partenariats de « type II » lancés à Johannesburg et différentes formes de partenariats multi-acteurs, comme dans le cadre du Sommet mondial sur la société de l’information. Cependant nous avons remarqué que ces nouvelles formes de partenariats laissent sceptiques beaucoup d’ONG de deuxième génération, particulièrement concernant le secteur privé.

 

Quelques exemples concrets de partenariats multi-acteurs

 

Le Sommet mondial sur le développement durable

Au Sommet mondial sur le développement durable, qui s’est tenu à Johannesburg en août 2002), les « partenariats multi-acteurs » (appelés aussi « type 2 outcomes ») ont été acceptés comme partie officielle de la Déclaration finale et du Plan d’action. Il s’agit de partenariats ou initiatives lancés entre différents acteurs – gouvernements, organisations internationales, société civile et secteur privé – dans le but de mettre en œuvre l’Agenda 21 adopté à Rio en 1992. Concrètement, ceci représente aussi un pas en avant décisif dans l’admission du secteur privé dans les activités de l’ONU.

 

Le but de ces partenariats est de renforcer les issues de « type 1 », à savoir les engagements intergouvernementaux négociés dans la Déclaration et le Plan d’ac­tion. 220 partenariats avaient été identifiés avant le Sommet et 60 ont été annoncés pendant celui-ci, pour un total de $ 235 moi. Des initiatives ont été lancées dans le domaine de la protection de l’environnement et de la lutte contre la pauvreté parmi les 9 « major groups » de la « société civile », à savoir :

 

1. les femmes ;
2. les enfants et les jeunes ;
3. les populations autochtones ;
4. les autorités locales ;
5. les travailleurs et les syndicats ;
6. le secteur privé ;
7. les communautés scientifiques et technologiques.

 

Cependant, il faut remarquer que si ces partenariats ont potentiellement ouvert la porte de l’ONU au secteur privé, de fait la très large majorité de ceux qui ont été enregistrés jusqu’à présent par la Commission mondiale sur le développement durable concernent des organisations de la société civile, des agences des Nations Unies et des autorités locales.

 

Le partenariat sur l’eau

L’un des partenariats les plus controversés lancés à Johannesburg a certainement été celui sur l’eau, car il a ouvert la voie à l’idée que les « biens publics » et services de base – tels que l’accès à l’eau – pouvaient être privatisés. Cette initiative se heurta à la forte opposition de nombreuses ONG, pour lesquelles l’accès à l’eau doit être considéré comme un droit de l’homme et contribuer réduire la pauvreté

 

De nombreuses ONG ont exprimés des doutes très sérieux sur les véritables moti­vations des entreprises, notamment multinationales, à participer à des partenariats sur le développement durable, en affirmant que ces derniers ne serviraient qu’à « green-wash » ou « laver de vert », l’image de ces multinationales, c’est-à-dire à leur donner une meilleure image. Ces ONG craignent que les gouvernements ne se déchargent encore plus de leurs responsabilités vis-à-vis du secteur privé, en l’absence, du moins pour l’heure, de mécanismes adéquats de régulations, coercition et mise en œuvre.

 

Au SMDS différentes ONG ont donc insisté pour que des partenariats sur l’eau ne soient lancés que :

  • en réponse à des besoins exprimés localement et démocratiquement par la population (approche « de bas en haut ») ;
  • si en syntonie ave les « outcomes de type 1 », càd les négociations intergou­vernementales ;
  • en présence de standards coercitifs de responsabilité sociale des entreprises.

 

A Johannesburg il y eut aussi un débat très vif sur le mode de financement de cet accès à l’eau – taxes, coûts pour les utilisateurs, etc. Si la position du secteur privé était que les pauvres aussi peuvent se permettre de payer, certains pouvoirs publics étaient d’avis que ceci n’est pas toujours possible et que des subventions peuvent se révéler nécessaires.

 

Le Sommet mondial sur la société de l’information

 

Peut-être à cause de la complexité et de la technicité des enjeux – combler le fos­sé numérique et reformer le système de gouvernance d’Internet – le Sommet mon­dial sur la société de l’information (Genève 2003 et Tunis 2005) est allé le plus loin dans la mise en oeuvre de « l’approche multi-acteurs » souhaitée par le Panel Cardoso sur les relations entre l’ONU et la société civile. Pour la toute première fois, les gouvernements, les OI, la société civile et le secteur privé ont travaillé main dans la main pour l’organisation et le déroulement du Sommet lui-même. La société civile s’est auto-organisée dans un Bureau de la société civile, une Plénière et un Groupe thèmes et contenus et elle a été autorisée à parler en plénière, à participer dans les sous-comités et à contribuer de façon ad hoc aux groupes de rédaction.

 

CONGO, par le biais de sa présidente, Renate Bloem, a eu l’honneur de co-présider le Bureau de la société civile pendant les deux phases.

 

Il est intéressant de remarquer que ce ne sont pas seulement les ONG qui ont pu participer au Sommet, mais la société civile, entendue dans un sens beaucoup plus large que, par exemple, lors du Sommet mondial sur le développement dura­ble, le dernier sommet en date qui, quant à lui, avait identifié 9 groupes majeurs.

 

Le Bureau de la Société Civile du SMSI se composait en effet des « familles » suivantes : milieu universitaire et éducatif ; communauté scientifique et technolo­gique ; médias ; créateurs et acteurs de la culture ; villes et pouvoirs locaux ; syndi­cats ; ONG ; jeunes ; groupe « genre » ; volontaires ; peuples autochtones ; réseaux et coalitions ; partenariats multi.- acteurs ; institutions philanthropiques ; think tanks ; personnes handicapées ; 5 groupes régionaux. Cf. http://www.wsis2005. org/wsis/index_c01_2_08.htm

 

Du point de vue thématique, le but du Sommet était de combler le fossé numé­rique et de mettre les technologies de l’information et de la communication (TIC) au service du développement. La deuxième phase était plus spécifiquement dévolue aux questions restées en suspens à Genève, à savoir la question de la gouvernance d’Internet, celle du financement et du suivi et celle de la mise en œuvre.

 

Pour ce qui est du suivi su Sommet, les principales décisions prises à Tunis ont été de créer un Forum pour la gouvernance d’Internet et de laisser la question du suivi du Sommet à la Commission sur la science et la technologie pour le dévelop­pement (une commission fonctionnelle de l’ECOSOC).

 

La Global Alliance on ICTs for Development n’est pas à proprement parler un mécanisme de suivi du Sommet (elle n’est pas prévue par les documents finaux), mais elle constitue un effort du Secrétariat de l’ONU pour mettre les TIC au ser­vice du développement, notamment pour essayer d’atteindre les ODM. C’est un mécanisme multi-acteurs.

 

Les gouvernements ont adopté leur propre déclaration et plan d’action à chacu­ne des deux phases, qui ont été influencés par les propositions de la SC. Cependant, la société civile a aussi adopté ses propres déclarations2.

 

Déclarations de la SC au SMSI (Phases I et II)

Les Déclarations de la SC adoptées à Genève en décembre 2003 et à Tunis en novembre 2005 sont des expressions assez typiques des revendications de la société civile, en ce qu’elles insistent sur l’importance de mettre l’être humain au cœur des sociétés de l’information et de la communication (SIC). Celles-ci doivent respecter le principe de diversité, d’inclusivité et de participation. Les technologies ne doivent par être utilisées comme des fins en soi, mais comme des outils pour atteindre le dé­veloppement centré sur les droits humains. Le savoir doit être considéré comme un bien public, ce qui est loin d’être le cas dans un monde où l’information et le savoir sont transformés en ressources privées pouvant être contrôlées, vendues et achetées comme si c’étaient de simples marchandises et non les éléments fondateurs de l’or­ganisation et du développement social.

 

En termes de justice sociale et développement durable centré sur l’être humain, le Déclaration de Genève insiste sur le fait que le fossé numérique existe entre le nord et le sud, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes, les populations urbaines et rurales, ceux qui ont accès à l’information et ceux qui en sont privés, non seulement entre Etats, mais aussi à l’intérieur de ceux-ci. Reprenant le Plan d’action de Pékin, la Déclaration réaffirme l’importance de l’égalité de genre, de la non discrimination et de l’autonomisation des femmes. Les medias traditionnels, l’information communautaire et les initiatives communautaires jouent un rôle très important, notamment pour garantir l’accès à l’information des groupes margina­lisés (réfugiés, déplacés, requérants d’asile).

 

Un des points cruciaux affrontés par la société civile concerne la centralité des droits humains, notamment les droits de la communication : la liberté d’expression (art. 19 DUDH), le droit au respect de la sphère privée (art. 12 DUDH), le droit de participer dans les affaires publiques, les droits des travailleurs, des femmes, des enfants et des personnes handicapées. Par ailleurs, l’accès du public à l’information produite ou gérée par le gouvernement devrait être renforcé, en s’assurant qu’elle arrive à temps, qu’elle soit complète et accessible dans un format et une langue que le public peut comprendre.

 

En termes de connaissance, culture et accès au savoir, la société civile insiste sur l’importance du respect et de la promotion de la diversité culturelle, souli­gnant que le pluralisme et la diversité des médias devraient être garantis par des lois appropriées afin d’éviter une concentration excessive. Le savoir des populations autochtones doit être protégé: les régimes de propriété intellectuelle existants ne sont pas suffisants pour protéger la culture des indigènes, leurs droits de propriété intellectuelle, la diversité du savoir et leurs ressources culturelles de l’exploitation commerciale et de l’appropriation.

 

« L’environnement dont nous avons discuté pendant le SMSI est le domaine pu­blic de la connaissance globale. Des monopoles limités, comme les droits d’auteur et les patentes, étaient conçus à l’origine comme outils pour servir ce domaine pu­blic du savoir global pour les bienfaits de l’humanité… Il est devenu clair que cette balance a été déséquilibrée par les intérêts de l’industrie qui détient les droits et par la digitalisation du savoir ». La SC encourage l’accès et la diffusion des logiciels libre pour le développement.

 

Pour ce faire, la Déclaration insiste sur l’importance d’un environnement favo­rable, à savoir une gouvernance démocratique: engagement en faveur de l’ouver­ture, la transparence, « l’accountability », l’Etat de droit, le développement humain, l’éducation et la communication.

 

Aujourd’hui l’ONU a évolué d’une organisation où seuls les gouvernements parlaient aux gouvernements à une organisation qui rassemble le pouvoir politique des gouvernements, le pouvoir économique du secteur privé et le pouvoir d’in­fluencer l’opinion publique de la société civile. Même si la société civile a encore seulement un « statut consultatif » avec les NU, on assiste sans aucun doute à une évolution vers un partenariat multi-acteurs qui pourrait impliquer une participa­tion plus proche. Nous sommes à un tournant historique où la société civile doit pouvoir jouer un rôle plus marqué dans les processus de prise de décision pour démocratiser la gouvernance globale.

 

* Titulaire d’un master en relations internationales de l’Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) et elle travaille depuis douze dans le secteur de la coopération inter­nationale : pour la coopération suisse au développement DDC, la coopération technique al­lemande GTZ en Tunisie et en Egypte, le Programme de Gestion Urbaine/Tunisie, l’Institut du Fédéralisme de l’Université de Fribourg et depuis 2002 la Conférence des ONG ayant des relations consultatives avec les Nations Unies, dont elle est la Chargée de programme senior. A côté de cela, depuis l’année académique 2004 – 2005 elle enseigne le droit international à l’Université de la Calabre (Italie), dans le cadre d’un master en coopération au développement et donne d’autres cours ad hoc dans différentes institutions et universités. Elle est aussi journaliste free-lance pour Infosud (www.infosud.org).

 

 

 

Notes

  1. Actuellement les membres du Comité sont: Cameroun, Chili, Chine, Colombie, Côte d’Ivoire, Cuba, France, Allemagne, Inde, Iran, Pakistan, Pérou, Roumanie, Fédération de Russie, Sénégal, Soudan, Turquie, USA, Zimbabwe.
  2. Pour le site officiel du Sommet, www.itu.int/wsis . Pour les déclarations et plans d’actions, aussi bien officiels que de la société civile, cf. http://www.worldsummit2005.

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