Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après

Jacques Benoist-Mechin par Jean-Paul CHARNAY
président du Centre de philosophie de la stratégie CNRS – Université Paris IV Sorbonne
Géostratégiques N° 7 -Avril 2005

L’histoire a peu rapproché de la France le centre de la Péninsule
arabique. Les Croisades n’ont pas percé au-delà de la zone
côtière du Proche-Orient méditerranéen. L’Expédition de
Bonaparte en Egypte n’a pu remonter au-delà de Saint-Jean d’Acre.
Après la première guerre mondiale les Mandats attribués à la France,
Syrie et Liban, n’avaient pas de frontière commune avec l’Arabie.
La percée du Canal de Suez, donc l’entrée dans la Mer Rouge,
avait été réalisée par une initiative française. Mais la France perdait
rapidement le contrôle du canal au profit de l’Angleterre, et installait
ses bases sur la côte africaine (Obock, Djibouti). Dès le début du 19e
siècle au contraire la Grande-Bretagne menait une stratégie périphérique
en s’installant à Bahreïn, au Koweït et à Aden. A l’inverse la France laissait
à la fin du 19 siècle se distendre ses liens traditionnels avec Mascate.
Certes le public français lettré, le romantisme, pouvaient rêver
sur « 1’Arabie heureuse », « le Yémen enchanté ». Mais à l’exception
du voyage dans l’Arabia Deserta (le Nedj) (1823) d’un ancien soldat de
l’expédition d’Egypte, Jomard, il ne s’agissait pas du centre de l’Arabie.
Certes les deux Villes saintes, La Mecque et Médine, avaient été décrites
par le Suisse Burckhardt (Travels in Arabia, 1829) et au cours de la
période coloniale, les autorités françaises ont parfois demandé des fetwâ
aux cheikhs de La Mecque, et veillaient (aux deux sens du terme) à
l’organisation du pèlerinage annuel pour les ressortissants de 1’Empire.
Mais au-delà à l’exception des universitaires spécialisés, de quelques
diplomates et journalistes (Albert Londres), de quelques aventuriers
romanciers (Henri de Monfreid) et de quelques commerçants, rares
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étaient en France les esprits ayant quelques connaissances concrètes
sur la péninsule – sans oublier, ou en oubliant, Arthur Rimbaud et Paul
Nizan à Aden. Les textes mythiques de Malraux sont très postérieurs :
Saba dans les Anti-Mémoires en 1967, Lawrence d’Arabie, posthume.
Pourtant, après la Première Guerre mondiale, les problèmes du
centre arabique sont perçus en France mais par le biais de « la révolte
arabe dans le désert » contre l’Empire ottoman, par la proclamation du
chérif Hussein de la Mecque réclamant l’indépendance. Ce fut grâce à
l’épopée contée par Lawrence dans The Seven Pillars of Wisdom et
d’une manière plus limitée, la relation des opérations menées par le
contingent français en grande partie composé de soldats nord-africains)
aux côtés de Lawrence (qui n’en parle guère), contingent commandé
par le commandant Brémond (général Brémond, Le Hedjaz dans la
guerre mondiale Paris 1931). Mais ceci est l’histoire de la dynastie
hachémite. La France pourtant reconnaissait en janvier 1926 Ibn Séoud
comme « Roi du Hedjaz et du Nedj». Plus tard les relations diplomatiques
furent rompues de 1957 (expédition de Suez) à 1962 (indépendance
de l’Algérie). Ensuite s’espacent les rencontres entre chefs d’Etat : De
Gaulle-Fayçal à l’Elysée avant la Guerre des Six Jours; l’envoi du GIGEN
pour délivrer la mosquée la Kaaba de ses assaillants en 1979; les visites
de Mittérand et Chirac en Arabie en 1981 et 1996 après leur élection
respective. Les relations économiques se nouaient peu à peu au-delà
des accords pétroliers : accord global de 1975. Membre de la coalition
secourant le Koweit envahi par l’Irak, la France avait envoyé la division
Daguet (1991).
Certes par les premiers ouvrages de Philby (The heart of Arabia
1922 ; Arabia of the Wahabis, 1926 ; A Pilgrim in Arabia, 1946, Arabian
Days, 1948 ; Arabian Jubilee, 1956…) et de Douvhty, Arabia Deserta,
1949), ouvrages en anglais dont certains furent tradui en français,
l’opinion publique cultivée avait abordé les problèmes de l’Arabie
contemporaine.
Mais la splendeur littéraire de Lawrence occulta quelque peu pour
les milieux intellectuels les travaux plus spécialisés de Philby. Or Lawrence
(et l’Arabian Office) avait soutenu la dynastie hachémite et la protection
de la route des Indes par la mer, tandis que Philby (et l’Indian Office)
avait soutenu la dynastie séoudienne et la protection de la route des
Indes par la terre. Converti à l’Islam, résident en Arabie où il recherchait
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Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin 223
également les gisements pétroliers, Philby frappait moins les
imaginations que le départ sans retour de Lawrence hors de la terre
arabe, et son refuge dans l’armée comme simple troupier.
Il fallut attendre les années 50 pour que paraissent une série
d’ouvrages sur les remodelages du Moyen-Orient en fonction des
Séoudiens : ceux de Jacques Benoist-Méchin :
 Mustapha Kamal où la mort d’un Empire (1954)
 Ibn Séoud ou la naissance d’un Royaume (1955 ; éd.
augmentée, 1990)
 Le Roi Saud ou l’Orient à l’heure des relèves (1960)
 Un printemps arabe (1962)
 Fayçal Roi d’Arabie (1975)
(Tous ces ouvrages publiés aux éditions Albin Michel, Paris)
Ces livres offrent à l’opinion publique française une première
fresque historique et politique, plus que sociale et culturelle, de la montée
de la dynastie séoudienne. Mais pourquoi ? La vie de l’auteur explique
en partie son œuvre : le destin de Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)
a été très contrasté, et très controversé.
Après la victoire des Alliés en 1918 sur l’Allemagne, les démocraties
européennes paraissent usées, alors que de nouveaux régimes
autoritaires s’affermissent en Europe, Italie de Mussolini, Portugal de
Salazar, Allemagne de Hitler, Pologne de Pilsudski. Comme un certain
nombre de jeunes intellectuels français Benoist-Méchin est attiré par
cette nouvelle forme politique qui lui semble plus efficace. La défaite
française de 1940 le conduit à la collaboration avec l’Allemagne nazie.
Ministre (secrétaire d’Etat aux affaires étrangères), ambassadeur à
Ankara du régime de Vichy, il est condamné à mort après la Libération
en 1947. Gracié par le président de la République Vincent Auriol
(socialiste), il est libéré en 1954. Il meurt en 1983.
Il était déjà connu pour une autre œuvre, une grande fresque
racontant la résurrection de l’armée allemande, de sa défaite de 1918
au début de la campagne de Russie en 1942 :
 Histoire de l’armée, allemande 1918-1939
 Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident (la victoire
allemande sur la France de mai à juillet 1940)
 De la défaite au désastre (de juillet 1940 à novembre 1942)
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
224 Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin
Voyageur, journaliste, écrivain, Benoist-Méchin avait cru à la victoire
de l’Allemagne. Issu de milieu aisé, esthète (il a écrit sur l’art des jardins,
sur Marcel Proust, l’immortalité et la musique), ayant rompu son destin,
il a été fasciné par d’autres « destins rompus » : se terminant par la
mort ou l’inachèvement de l’œuvre projetée : Alexandre, Cléopâtre,
Julien l’Apostat, Frédéric II de Hohenstofen (qui se réinstalla à Jérusalem
par diplomatie), Napoléon Bonaparte, Lawrence, Lyautey.
Peut-on donc poser en hypothèse que, repartant après sa libération
pour de nouveaux voyages en Orient, il ait été à l’inverse fasciné par
ces destins ascendants, bien qu’idéologiquement divergents ? Mustapha
Kemal qui pour forger une Turquie moderne et laïque accepte le
démantèlement de l’empire ottoman, donc 1’indépendance de l’Arabie,
et les trois premiers rois séoudiens, créateurs, d’une dynastie dominante
dans la péninsule arabique ?
A la lumière de ces réflexions, tentons l’analyse des trois ouvrages
respectivement consacrés à IBN SEOUD, SAUD et FAYCAL.
UNE VISION ÉPIQUE
Les trois ouvrages ne respectent pas strictement la chronologie
des trois règnes, de la proclamation d’Ibn Séoud roi d’Arabie (8 octobre
1928) à l’assassinat de Fayçal (25 mars 1975), soit près d’un demisiècle.
Ils la débordent par leurs perspectives historiques et géopolitiques
et esquissent un parallèle entre les œuvres respectives de chaque roi.
IBN SEOUD (ABDUL AZIZ), 1881-1925-1953 1881-1925-1953
La première partie de l’ouvrage brosse une large fresque de « la
mobilité et l’immobilité des Arabes de 5000 av. JC à 1880 ». Les idées
principales en étant :
a) la considération générale des flux humains montant du Yémen
vers le centre de la péninsule pour atteindre au nord les plaines
du Croissant fertile
b) les traits culturels influant sur le déroulement politique des
événements : guerriers et poètes se transcendant parfois en prophètes
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin 225
c) les deux grandes secousses que furent les premières « conquêtes
musulmanes » puis le traumatisme des Croisades
d) enfin, l’émergence de la réforme « wahhabite ». Ce terme est
récusé par les Séoudiens, au profit de celui «d’unicistes» (de
tawhid, unicité de Dieu), car tiré du nom propre d’une personne,
or cette réforme avait pour but de rétablir la pureté de
l’observance coranique contre ses dérives, et de lutter contre la
domination turque. Débutant au 17ème siècle elle résulta de la
rencontre entre un théologien Muhammad Ibn Abdul Wahhab
(18E
siècle)et un chef nedji Muhamad Ibn Séoud, dont le petitfils,
Séoud le Grand, réussit à régner sur toute la péninsule
arabique, en cela favorisé par l’Expédition française en Egypte
qui fixe les armées ottomanes. Mais ensuite le projet d’alliance
avec Napoléon vient trop peu de temps avant la défaite finale de
l’Empereur ce qui permet à la Porte et à Méhmet Ali de détruire
ce premier Etat séoudien (1815). Un essai de résurrection de cet
Etat par des princes séoudiens, fut noyé dans le sang en 1836-
1837. Sa bourgade – capitale Dereya avait été rasée par Ibrahim
fils de Méhémet.
La seconde partie est consacrée à « la conquête du Nedj » (1886-
1905). Elle décrit la jeunesse d’Abdul-Aziz le futur roi Ibn Séoud,
descendant direct de ces princes. L’auteur insiste sur la vision mystique
qu’il aurait eue au désert, à l’âge de treize ans et sur l’énergie qu’il
montra dans les guerres. Energie et spiritualité qui pourraient évoquer
celles d’Abdel Kader et qui débouchent sur l’éviction des Turcs hors de
l’Arabie centrale et sur la défaite de ses ennemis Shammars et leur
chef Rashid. Ibn Séoud devient « roi du Nedj et émir des Wahhabites ».
La troisième partie décrit « la conquête » de l’Arabie (1905-1928)
dite « l’unification » par les Séoudiens : la réduction des révoltes tribales,
la création de l’Ikhwan (Les Frères : l’armée) qui permet à Ibn Séoud
de conjoindre la force militaire à l’influence religieuse des ulémas, le
retard apporté par la Première Guerre mondiale à sa marche vers le
Hedjaz et les Villes saintes car l’Angleterre procédant avec la France au
partage des terres arabes en Mandats, projette une Confédération arabe
en faveur de la dynastie hachémite de la Mecque. Elle s’oppose donc à
l’expansion séoudienne. Mais les prétentions du roi du Hedjaz, Hussein,
son auto-proclamation comme calife après l’abolition du califat ottoman
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226 Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin
par Ankara (mars 1924) indisposent les Anglais qui ne le soutiennent
pas lorsque les Séoudiens reprenant l’offensive s’emparent de la Mecque
(février 1925), où ils purifient les mosquées et les tombeaux de leurs
décorations non coraniques. Peu soucieuse d’entrer en conflit terrestre
avec l’Ikhwan, l’Angleterre interdit à Ibn Séoud de s’étendre sur les
principautés périphériques de la péninsule arabique (Yémen, Oman et
Mascate, Emirats de la Trucial Coast) mais le reconnaît comme roi
d’Arabie Séoudite, et Protecteur des Lieux Saints, concrétisation de
l’illumination mystique qu’il avait eue adolescent au désert.
La quatrième partie décrit « l’Arabie séoudite de 1928 à 1945 » :
une modernisation maintenant la religion, les premiers contrats avec
les sociétés pétrolières américaines plus qu’avec les anglaises, une nonimplication
au cours de la Seconde Guerre mondiale lors de la révolte
irakienne anti-britannique, l’entrevue d’Ibn Séoud avec Roosevelt, ce
qui va orienter la politique étrangère du royaume.
La cinquième partie (1945-1953) décrit « l’Arabie Séoudite bastion
avancé de l’hémisphère Occidental ». Alors entre le développement de
l’enseignement et des infrastructures financées par les pétro-dollars
plus que par les pétro-sterlings, et l’inclusion par les Américains de
l’Arabie dans sa zone de défense lors de la Guerre froide. Mais l’unité
arabe n’est plus poursuivie alors que les changements de leaders, de
régimes et d’idéologie bouleversent la plupart des autres pays arabes.
Le royaume fait jouer la concurrence technologique internationale pour
poursuivre sa modernisation, dans le strict respect de la tradition
coranique. Ibn Séoud meurt le 9 novembre 1953, laissant le pouvoir à
son fils Saud.
SAUD IBN ABDUL AZIZ (1902-1953-1964-1969) (1902-1953-1964-1969)
Lors de l’ascension politique et géographique d’Ibn Séoud, l’Arabie
avait été l’un des très rares pays musulmans, avec la Turquie, la Perse
et l’Afghanistan, à ne pas avoir subi une domination coloniale directe.
Mais après la Seconde Guerre mondiale ces pays accèdent à
l’indépendance et subissent des mutations profondes : croissance
démographique et expansion urbaine, montée en puissance des jeunes
(des étudiants), prise du pouvoir par des militaires, les «Officiers libres»,
Guerre froide entre les USA et l’URSS qui permettra à ces pays de
desserrer leurs liens avec l’Occident, apparition de nouvelles strates
LIVRES
227 Géostratégiques N°7 – Avril 2005
sociales négociants, fonctionnaires, entrepreneurs, professions libérales.
Ainsi se produisent de profondes transformations dans l’ensemble du
Moyen Orient dépassant en vitesse celles de l’Arabie Séoudite.
Abandonnant l’histoire exclusive de celle-ci, le volume intitulé Le
Roi Saud contient une série de monographies consacrées au « relèvement
de la Turquie », au « Pacte de Bagdad », à « la fondation d’Israël », à «
la révolution égyptienne », au « drame de Suez ». Il ne décrit donc que
les débuts du règne de Saud, de 1953 à 1957, en insistant sur quelques
événements majeurs : l’avènement du nouveau roi selon la volonté d’Ibn
Séoud et son accord avec son frère Fayçal (le 4ème fils) nommé président
du Conseil ; l’affermissement des liens avec l’Amérique par le pétrole de
l’Aramco mais aussi un certain retrait envers elle par la création de la
Saudi Arabia Maritime Tankers (Onassis) pour le transport autonome du
brut, et par le non-soutien américain face au sultanat d’Oman et aux
Anglais dans l’affaire de l’oasis de Buraïmi ; l’exploitation de « l’eau
préhistorique » facteur de sédentarisation des nomades ; la difficile
répartition des redevances pétrolières sur l’ensemble de la population, la
naissance d’un capitalisme financier par certains princes ou certains
entrepreneurs ; les travaux architecturaux du souverain : aménagement
des alentours de la mosquée de la Kaaba, de la mosquée du Prophète à
Médine et aussi palais somptueux, de prestige et de caprice.
Mais en 1957, se produit un dur clivage au Moyen-Orient. Saud
se rallie à la doctrine Eisenhower destinée à bloquer l’influence de
l’URSS sur les pays arabes « progressistes » partisans du « neutralisme
positif », fut-ce par l’emploi des forces armées des Etats-Unis contre
toute agression du « communisme international » sur l’intégrité
territoriale des pays qui souscrirait à cette doctrine. Or Saud ne convainc
ni Nasser ni Kouatly (le Syrien) et doit sauver Hussein de Jordanie
d’une sédition militaire nationaliste. Ce qui réalise la réconciliation entre
les dynasties ennemies hachémite et séoudienne mais scinde en deux
camps les pays arabes du Proche-Orient.
FAYCAL IBN ABDUL AZIZ (1906-1964-1975) (1906-1964-1975)
Troisième roi du nouveau Royaume d’Arabie Saoudite, quatrième
fils d’Ibn Séoud dont il avait été ministre des affaires étrangères, Premier
ministre de son frère Saud, formé aux voyages à l’étranger et aux
relations internationales, poète, sa figure émaciée contraste avec les
hautes statures, la vigueur de vie au désert de son père et de son frère.
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L’ouvrage reprend donc l’histoire de l’établissement du nouveau
Royaume en y insérant la jeunesse guerrière (campagne au Yémen en
1934) et diplomatique de Fayçal puis la manière dont il mit fin (dont on
lui suggéra de mettre fin ?) à « 1’interrégne de Saud » et à sa politique
incertaine en matière de défense et sécurité du royaume lors de
l’intervention égyptienne au Yémen coupé en deux entre les partisans
de l’imam Badr au nord et les nationalistes appuyés par l’URSS au sud
pouvant constituer une base communiste contre l’Arabie. Comme en
matière économique et financière à l’encontre des dépenses personnelles
incontrôlées et de la perte de valeur du rial.
A la demande des princes de la maison royale et du conseil des
ulémas Saud abdique (2 novembre 1964 ; il mourra à Athènes en
1969) mais stipule que Fayçal, devenant roi, le Prince héritier serait
leur frère Khaled.
L’ouvrage expose rapidement la politique intérieure de Fayçal :
pas de constitution au sens occidental puisque le Coran existe mais
formation d’une administration moderne avec les jeunes diplômés issus
des universités anglo-saxonnes; distinction entre l’Armée régulière et
la Garde nationale ; développement de l’éducation, de l’université, de
l’agriculture, des voies de communication, de la santé publique, etc …
Contrairement à de nombreux observateurs, Benoist-Méchin estime que
dans ces réformes postulant une avancée technologique et le maintien
des moeurs et de la morale musulmanes, le souverain est en réalité
plus «progressiste» que son peuple encore «réactionnaire».
Benoist-Méchin insiste surtout sur la conduite internationale de
Fayçal, sur sa nouvelle politique arabe en 1973-1974. D’après lui Fayçal
voulait concilier deux objectifs fondamentaux en partie contradictoires :
1- Maintenir l’alliance fondatrice stratégique, économique et
technologique, avec les Américains, car plus performants,
plus sûrs et plus croyants contre le matérialisme athée et le
communisme international.
2- Prier à Jérusalem, ce qui pose le problème du soutien arabe
aux Palestiniens et du soutien américain à Israël. BenoistMéchin
veut démontrer comment Fayçal appuie les EtatsUnis
lors du premier choc pétrolier en 1973, la hausse du
prix du baril leur permettant d’assurer la rentabilité de leur
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
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propre production nationale en baisse. Et comment il inspire
Sadate lors de la guerre d’octobre 1973 : faire une guerre
aux objectifs limités afin de n’effrayer ni les Israéliens ni
les Américains quant à la survie d’Israël, mais les
persuader d’entamer une négociation sur les Territoires
occupés en vue de leur restitution aux Palestiniens.
Une mort «incompréhensible» frappe Fayçal le 25 mars 1975 abattu
par l’un de ses neveux; mort «incompréhensible» car selon l’auteur
personne tant à l’intérieur qu’à l’extérieur n’avait intérêt à la disparition
du souverain.
Autre fils d’Ibn Séoud, le Prince héritier Khaled devient roi, un
autre fils, Fa’ad devenant Prince héritier.
EVALUATION
Ainsi Jacques Benoist-Méchin a-t-il décrit l’émergence et
l’extension régionale du Royaume d’Arabie Séoudite, donnant à
l’opinion publique française sinon des clés, au moins des
éclaircissements sur l’évolution rapide et complexe d’une nouvelle
entité internationale. Tentons son évaluation.
√ Quant au type d’histoire, les ouvrages de Benoist-Méchin ne
ressortent ni à l’histoire universitaire (méthodologique et érudite),
ni à la philosophie de l’histoire. Il s’agit d’une présentation aisée,
d’une bonne « vulgarisation », attrayante à lire, suivant en
général un plan chronologique. Une historiographie insistant sur’
les événements brillants ou symboliques, rapportant souvent
des anecdotes significatives. Bref certainement pas du roman
historique, ni même de l’histoire romancée, mais une histoire «
animée » par des portraits physiques et psychologiques, par
des récits en forme de dialogues, des discussions, des
conversations peut être en partie reconstitués à partir de
témoignages oraux, de mémoires écrits. Cette forme facilita
l’impact de l’œuvre sur l’opinion publique.
√ Quant aux sources l’auteur a collationné les ouvrages (rares)
français, anglais, allemands, et les principaux organes de presse,
outre (dans la mesure où i1s apparaissent en bibliographie)
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
230 Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin
quelques travaux universitaires. Mais il a été en rapport avec
certains membres de la famille royale et avec de nombreux
auteurs ou témoins. Certes s’agissant de plus en plus au fil des
ans « d’histoire immédiate » (le livre sur Fayçal parait l’année
même de sa mort) il n’a pas consulté d’archives encore fermées.
Et sachant qu’il ne peut percevoir « la réalité complexe » des
influences entre les milieux princiers et gouvernementaux, il
rêve d’un « Saint-Simon ou d’un Balzac Séoudiens » qui en
ferait l’analyse, comme l’ont fait ces grands écrivains pour la
cour de Louis XIV ou la société française de la première moitié
du 19ème siècle.
√ Quant au centres d’intérêts. Cette histoire des Rois séoudiens
accentue les aspects guerriers de la formation du nouveau
royaume (guerre entre tribus, entre émirs locaux) puis son
installation sur la scène régionale (situé sur l’Arabie centrale, le
Royaume contrôle ses voisins de la Mer Rouge et du Golfe), et
son expansion vers la scène internationale par le pétrole et la
diplomatie.
Au point de vue intérieur, Benoist-Méchin utilise surtout ce
qu’offrent les documents officiels internes et internationaux ainsi que
les appréciations d’observateurs étrangers sur les progrès du
développement. Mais quoiqu’il en soit conscient, il n’approfondit pas les
changements de la stratification sociale et économique, ni l’évolution des
mentalités dans les profondeurs de la société séoudienne. Il déplore parfois
discrètement la lenteur de l’évolution de certaines résistances
psychologiques, qui sont décalées par rapport aux transfert rapides -trop
rapides- de savoir, ou de simple utilisation technique, d’où les décalages
perceptibles dans les opinions publiques séoudienne, arabe, étrangère.
Au point de vue stratégique et diplomatique Benoist-Méchin ne
s’élève pas toujours au-dessus de l’histoire-bataille ou de l’histoire
diplomatique (des négociations et des traités). Il montre bien comment
en dépit du, refus de l’Angleterre entre les deux guerres mondiale
d’engager des troupes terrestres en Arabie centrale, sa stratégie d’Air
control et sa géostratégie périphérique (sur le sud de la péninsule) ont
interdit à l’Arabie Séoudite d’atteindre la mer fibre, le golfe d’Aden et
l’Océan indien. Donc l’ont cantonné sur les mers intérieures (Mer Rouge
et Golfe). Ce qui lui donne une situation bi – (et non tri) – maritime. Ce
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin 231
dont ne sont peut être pas fâchés les Américains. Ceci certes est moins
important dans le monde contemporain, celui des transports aérien et
des pipes-lines, mais le Royaume est enserré par les détroits d’Ormuz
et de Bab El-Mandeb.
Quant à l’évolution historique – les trois ouvrages paraissent
respectivement en 1955, 1960, 1975, et les deux derniers ne
correspondent pas à la durée réelle des règnes. Sauf le premier (Ibn
Séoud) ils ne constituent pas de véritables biographies, mais plutôt
une suite historique comportant de nombreuses digressions
éclaircissantes, en fait plus ou moins bien intégrées dans le devenir des
Rois et du Royaume. L’intérêt se polarise sur les deux figures majeure,
Ibn Séoud et Fayçal que l’on pouvait ainsi définir, de l’épopée créatrice
à la finesse diplomatique : émergence d’une énergie pour un nouveau
pays moderne -avec en toile de fond prestigieuse les rivalités pour la
conduite de l’unité arabe, et pour la guidance géographique et
spirituelle de la communauté musulmane. Le premier acte de leur
règne, pour Ibn Séoud comme pour Saud, fut de convoquer une
conférence islamique.
Mais de 1955 à 1975 la connaissance française (ou plus exactement
la prise de conscience par l’opinion publique française) du Royaume
d’Arabie s’est accrue : nombreuses publications, nombreuses études,
voyages réciproques, expositions et ce dès avant les guerres irakoiranienne
et du Golfe. En conséquence, le lectorat français a diversifié
ses modes d’informations alors que les deux derniers livres de BenoistMéchin
n’atteignaient pas à la fresque historique du premier.
Que conclure de cette histoire à la fois événementielle et
anthropomorphisée, polarisée et héroïsée de ces figures de proue, Ibn
Séoud « le léopard du désert » et ses fils ? La mise en coïncidence
entre les trois vagues qui selon Benoist-Méchin ont bouleversé et ranimé
la péninsule arabique : la prédication muhamadienne, le premier empire
séoudo-wahhabite au 18ème siècle, l’actuel « empire patriarcal-»
affermissant par le pétrole et la maîtrise des Lieux saints une autorité
économique et morale. Nul doute: Jacques Benoist-Méchin a éprouvé
beaucoup de sympathie envers ses héros comblant sa prédilection pour
des leaders énergiques, dotés d’un charisme humain et idéologique,
bien qu’il s’efforce de maintenir des appréciations objectives sur la
constitution d’une communauté étatisée de croyants, à la fois éthique
Géostratégiques N°7 -Avril 2005
232 Les rois séoudiens – Vision épique d’après et après Jacques Benoist-Mechin
et technique. Mais le passage du récit épique de l’Ibn Séoud au
commentaire journalistique du Fayçal demeure pour lui un chemin aisé,
même s’il est plus historique que prospectif, et, s’il nécessiterait certaines
rectifications et de nouveaux développements.
Car se pose la question: la suite des rois séoudiens demeure-telle
épique? Fait symbolique : lorsqu’un cosmaute séoudien embarque
sur une fusée américaine, il emporte un Coran dans une poche de sa
combinaison.
QUE DEVIENT L’ÉPOPÉE ?
Jacques Benoist-Méchin disparaît en 1983. Il a donc été
contemporain des péripéties symboliques ayant marqué le règne suivant,
celui de KHALED.
Sous FAYCAL en 1973, déjà deux événements avaient conjoint deux
objectifs : contre Israël attaqué par l’Egypte lors de la guerre du Ramadan/
Kippour, les pays pétroliers lancent un embargo sur les hydrocarbures, et
la hausse du prix du baril par « l’arme du pétrole » détermine un immense
« trésor de guerre » qui accroîtra d’une manière exponentielle les
possibilités de propagande islamique dans sa forme puritaine : wahhabite.
La ressource tirée du sol arabe devient le vecteur du dawa, de l’effort
missionnaire, de la défense et illustration politiques et religieuses de la
civilisation arabo-musulmane : de « l’Appel au Message ».
Sous le roi KHALED IBN ABDUL AZIZ(1913-1975-1982), fils d’Ibn
Séoud, se multiplient les créations de centres sociaux et culturels à
travers le continent islamique et dans, ou à côté, des principales
universités américaines. Volonté donc d’assurer pleinement la mission
de «Protection des Lieux Saints» et d’organisation du pèlerinage
devenant chaque année par sa masse démographique, un événement
international qui draine aussi les musulmans immigrés en des pays non
musulmans. Ainsi est affirmée la « catholicité » – l’universalité – de
l’Islam. Les pétrodollars servent aussi à subventionner – à « acheter »
parfois – des soutiens politiques ou médiatiques dans les pays
occidentaux – le lobby séoudien à Washington.
Mais en 1979 une rupture de l’histoire menace la suprématie –
l’impérialisme religieux – de l’Arabie Séoudite : le renversement du Shah,
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la révolution islamique en Iran. La prise en otages des membres de
l’ambassade américaine à Téhéran ouvre, sans que les USA en aient
pleinement conscience, la guerre américano-islamique.
En 1979 deux bouleversements s’enclenchaient. L’un semble
d’abord freiner, mais l’autre va accentuer cette menace. Le 20 novembre
un groupe armé de Séoudiens et de musulmans étrangers s’était emparé
de la mosquée de la Ka’aba, et n’en fut délogé par la force qu’avec l’action
des gendarmes français du GIGEN – « convertis » par une sorte de hiyal
(biais juridique) dans l’avion qui les amenait, car en tradition un non
musulman ne peut pénétrer dans le territoire des Villes Saintes. De
nombreux observateurs en conclurent à la chute de la dynastie, mais celleci
se ressaisissait grâce à un second bouleversement international.
Craignant la contagion islamiste pour ses républiques musulmanes
d’Asie centrale, au-delà de son alliance traditionnelle avec l’Afghanistan
face au sous continent indien et à la Chine, l’URSS envahissait ce pays.
Alliés objectifs et amis « historiques », les USA contre l’autre Grand du
monde bipolaire et le « mal absolu » du communisme, et l’Arabie
Séoudite exécrant le matérialisme athée et le socialisme arabe,
soutinrent la résistance afghane par l’intermédiaire du Pakistan (son
ISI – Inter Service Intelligence) ce qui conduirait plus tard au régime
des Talibans. En contre-coup, honni à la fois par le Front du refus et par
les intégristes, Sadate allait tomber sous les balles des extrémistes
invoquant l’inspiration du hanbaliste (dont est issu le wahhabisme) Ibn
Taïmiya (14e
siècle) (1981) pour sa paix avec Israël (1979 : Traité de
Washington). Khaled meurt en 1982.
FA’AD IBN ABDUL-AZIZ (ROI EN 1982)
Autre fils d’Ibn Séoud, malade, ses fonctions furent
progressivement exercées par un autre fils, le prince héritier (the Crown
Prince) ABDALLAH qui doit s’affronter aux dilemmes de l’Arabie Séoudite
de l’ère post communiste. S’étendant sur le centre de la péninsule
arabique, l’Arabie Séoudite est corsetée par :
♦ une périphérie à contrôler: deux Etats-cités, Bahrein et Koweit ;
deux émirats locaux: Qatar et les Emirats Arabes Unis; deux
puissances locales ouvertes sur la mer, le Yémen dont contre
Nasser elle contribua à chasser le progressisme du sud (Aden)
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et l’Oman, observateur et non membre du Conseil de Coopération
du Golfe (1981)
♦ trois puissances régionales: l’Irak limitrophe et deux séparés par
des bras de mer: l’Iran à l’est, l’Egypte à l’ouest
♦ deux doublons belligènes dont elle est séparée par un Etat tampon
la Jordanie ; le doublon Liban-Syrie, la guerre (in)civile libanaise
ayant été calmée par les accords de Taïef (1988) conclus sous
l’influence du ministre séoudien des affaires étrangères, le prince
Saoud al-Fayçal, mais peut-être réanimée par la pression
occidentale exigeant le retrait de l’armée syrienne et l’assassinat
de l’ancien premier ministre le sunnite Rafi Hariri (février 2005).
Le doublon Israël/Palestine où l’espoir de trêve sinon de paix et
d’un Etat palestinien bloque les imprécations fondamentalistes
sur la renonciation à une terre arabe et le partage de Jérusalem
marginalise la proposition Abdallah (2002, reprise en 2005 par la
Jordanie : «la paix contre les terroristes «.
GÉOPOLITIQUE ET GÉORELIGION
La dynastie séoudienne est alors confrontée à deux puissances
équivalentes : l’Irak de Saddam Hussein et l’Iran de Khomeiny. Son
wahhabisme est balancé par le sunnisme laïcisant irakien et le chiisme
iranien. Ces deux derniers s’annihilent réciproquement lors de leur longue
guerre (1980-1988), mais l’Arabie appelle les Américains lorsque l’Irak
voulut annexer le Koweit (1990-1991). L’implosion de l’URSS libère
l’action des USA, mais celle-ci déchaîne dénonce les extrémistes qui
dénoncent « les mercenaires américains », « judéo-croisés », foulant
la Terre Sainte de l’Arabie. Mais Fa’ad aurait persuadé George H. Bush
(Bush I) de ne pas marcher sur Baghdad, et de ne pas détruire la
Garde républicaine, ce qui a permis à Saddam Hussein d’écraser la
révolte chiite du sud.
La guerre américano-islamiste latente depuis 1979 explose par :
la destruction des Twin Towers de Manhattan (11-09-2001) ce qui
entraîne la destruction des Talibans en Afghanistan, les métastases
d’Al Qaïda à travers le monde, puis la seconde guerre du Golfe, la
déstructuration de l’Irak, la capture de Saddam Hussein et la
reconnaissance de la majorité chi’ite irakienne lors des élections de
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janvier 2005. Conseillère de Churchill, Gertrude Bell lui aurait
recommandé d’équilibrer l’Irak nouvellement créé sur le sunnisme,
balancier entre les Kurdes du nord et les chiites du sud – comme la
Syrie de Hafez el Assad, s’équilibre sur sa minorité alaouite.
Ainsi le leadership islamique est maintenant triple : wahhabisme
séoudien ; chiisme irako-iranien, Hezbollah libanais et Syrie, pouvant
diffuser sur l’Oman Zeydite et le Haja, nord-est très pétrolifère de l’Arabie
Séoudite; extrémisme d’Ousama Ben Laden soutenu par les
fondamentalistes pakistanais, notamment déobandis. En dépit de ses
efforts, l’Arabie séoudite ne détenant plus le monopole, ou au moins,
l’oligopole, du dawa, est en porte-à-faux par rapport au jihâd antiaméricain.
Pourtant le caractère ciblé, anti-américain et anti-occidental,
(guère de victimes séoudiennes lors des attentats intervenus à Riyadh
en 2004), ne résulterait-il pas d’un compromis secret, tacite entre
Ousama Ben Laden déchu de la nationalité séoudienne en 1994, et
certains milieux séoudiens sentant s’effriter « l’amitié historique » avec
les Etats-Unis qui perdant confiance en leurs alliés de cinquante ans, et
en leur maîtrise de son pétrole (Aramco inféodée à la dynastie), se
sont saisis de l’Irak pour en contrôler les réserves, et reformater un
nouveau « Grand Moyen Orient ».
ECONOMIE ET SOCIOLOGIE
En fait l’Arabie Séoudite se débat au milieu de multiples
contradictions financières. Quant aux rapports de puissance
internationaux, les experts séoudiens (Yamani, …) s’efforcent par l’OPEP
de maintenir dans une juste mesure la rente pétrolière à un niveau tel
qu’elle assure le maximum de royalties, sans étouffer les économies
occidentales : ce qui désarticulerait l’économie du monde. Ceci étant à
conjuguer avec le désir américain d’un pétrole assez cher redonnant
rentabilité à l’exploitation de certains gisements américains.
Au point de vue individuel, surgit l’impression désastreuse que
la rente pétrolière qui n’a pu se stratégiser en arme du pétrole, détermine
dans la société un prurit d’enrichissement illimité et une soif de
consumérisme effrénée. Ces deux phénomènes déterminent de
paradoxaux flux financiers. Les pétrodollars gagnés sont en partie
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redistribués sur l’ensemble des Séoudiens ; en partie déversés dans les
institutions sociales et religieuses de dawa (propagande) anti-civilisation
occidentale à travers le monde ; en grande partie récupérés par
l’Occident vendant armes, technologie et produits de luxe. Cette partie
étant à son tour en partie compensée par le service des intérêts versés
aux Séoudiens pour leurs capitaux investis en Occident. Intérêts pouvant
prendre d’autres formes que l’intérêt au sens strict du terme puisque la
char’ia (code de conduite islamique) assimile tout intérêt d’argent à
une usure (ribat) prohibée. D’où se superposant au système bancaire
international, la création de banques islamiques distribuant bénéfices
ou pertes au prorata des proportions de biens investis.
Mais pour plus de 20 millions d’habitants, 50.000 à 70.000 membres
de la famille Al Séoud dont 5 à 7 mille princes, et 5 à 6 millions de
travailleurs étrangers, (asiatiques pour la masse, et quelques occidentaux
de haut niveau (ceux-là étant soumis à un régime restrictif et démunis
de la possibilité de s’installer), comment s’effectue la distribution des
richesses ? D’où l’interrogation sur la nature du pouvoir politique des
rois : l’Etat séoudien est-il un Etat patrimonial trusté par une famille,
qui risque d’exploser par son expansion démographique? Jusqu’à présent
le partage des pouvoirs et des compétences a lieu dans l’ombre, et les
rééquilibrages s’effectuent selon la pratique des checks and balances,
non selon un principe démocratique. A noter que l’institution classique
de la chura (consultation), même si exercée par un majlis (assemblée)
en tout ou partie désigné ne correspond nullement à une démocratie
souveraine dans la définition de ses valeurs et dans la prise de ses
décisions. Car elle agit seulement en conseil du souverain, qui statue
en dernier ressort.
Le système empirique séoudien évolue-t-il, ou commence-t-il à
se remettre en cause, de par les élections municipales restreintes (une
partie des communes, vote purement masculin) qui ont eu lieu en février
2005 ? Elles ne semblent pas avoir exprimé la crise existentielle qui
couve dans le royaume.
LA CRISE EXISTENTIELLE
Quinze sur dix-neuf des «terroristes» du 11 septembre 2001
étaient séoudiens: «fous de Dieu», anarchistes nihilistes écartelés entre
leur humiliation de voir un Occident corrompu, corrupteur et érotisé
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contaminer leur civilisation qui ne parvient pas à s’établir dans la maîtrise
technologique – ou idéalistes assoiffés de paradis ? Les frustrations et
traumatismes sont profonds et reflètent les déséquilibres et la mutation
de la stratification sociale. Latéralement à l’antithèse « bloc des princes »
sorte d’aristocratie plutôt ploutocrate que productrice, plutôt nantie
que prédratrice, et la masse des « serviteurs », techniciens et cadres
moyens temporairement immigrés, se constitue dans la population
autochtone, une nouvelle strate sociale plus libérale, entrepreneuriale,
des classes moyennes technicisées culturellement occidentalisées,
embryon d’une société civile. Le système de répartition et de rétribution
fiscale et de contrôle socio-religieux des gardiens de la foi et de
l’observance, a jusqu’à présent tempéré ces éventuels désirs de
participation au pouvoir. Mais jusques à quand ?
Peut-on cependant invoquer le vieux schéma d’Ibn Khaldun pour
prophétiser la disparition de la monarchie séoudienne ? La dynastie fondée
par de vigoureux guerriers-nomades, venus des confins du désert,
s’hypercivilise, s’étiole, se corrompt, perd son énergie dans les intrigues
internes et le « raffinement » des mœurs en quatre ou cinq générations.
En réalité, plus profondément, Ibn Khaldun établit la continuation d’une
dynastie non sur la force des générations, mais sur l’existence d’un réseau
économique dont la persistance ou non résulte de causes économiques
exogènes.1
Or la dynastie séoudienne s’est établie en rhyzomes reposant,
en dépit des excès de certains de ses membres, sur des circuits financiers
internationaux informatisés contrôlés en temps réel. Elle résulte de la
prospérité de la globalisation économique libérale.
La puissance générique d’Ibn Seoud était grande. Rare est, dans
l’histoire des dynasties, qu’une souveraineté se transmette de frère en
frère: quatre en l’occurrence; Saud, Fayçal, Khaled, Fa’ad ; et cinq si
Abdallah. Mais les attentats autosacrificiels – et le prince-neveu décapité
qui a abattu Fayçal n’était-il qu’un déséquilibré? – ne signifient-ils pas
aussi la révolte contre la puissance génésique de la famille tribale – la
révolte contre le père ?

NOTES
(1) Regards sur l’islam, Freud, Marx, Ibn Khaldun, l’Herne,2003

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