QUELLE SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE POUR L’UE ? LE CAS DU PÉTROLE ET DU GAZ

Bichara KHADER

Juillet 2008

Trop longtemps laissée sous le boisseau ou confinée aux cercles des spé­cialistes, la question de la sécurité énergétique fait irruption à partir du début des années 2000, et devient objet de débat, tant dans les milieux officiels européens que dans les médias. Plusieurs faits ont concouru à cette prise de conscience :

  1. L’envolée des prix pétroliers qui sont passés de 20 $/b début 2000 à une moyen­ne de 60 $/b aujourd’hui, après avoir atteint un sommet de 70 $/b début 2006 ;
  2. L’attentat commis en 2003 contre le superpétrolier français Limburg au large du Yémen, qui révèle le risque terroriste visant les artères du trafic énergétique ;
  3. La dépendance énergétique accrue de pays ou de zones dits « à risque » (Venezuela, Russie, Caucase, Nigeria, Moyen-Orient etc);
  4. La problématique du changement climatique qui fait apparaître le lien entre sécurité énergétique, durabilité et compétitivité1.
  5. La rupture durable :
  • Par épuisement des réserves – ou la rupture passagère des approvisionnements ;
  • Par l’utilisation de l’énergie comme levier politique (Russie-Ukraine, Russie-Géorgie, Venezuela-Etats-Unis etc.) ;
  • Suite à un attentat contre les réseaux de transports (attentats entre les oléoducs en Iraq), les raffineries ou les installations pétrolières (attentats commis ou déjoués à Riad ou à l’Est d’Arabie Saoudite) ;
  • Suite à des catastrophes naturelles (comme l’ouragan Katrina qui a frappé la Nouvelle Orléans et qui a conduit à la fermeture de plusieurs raffineries) ;
  • Suite à un black-out électrique comme celui qui avait frappé la Californie en 2003 ;
  1. La consommation débridée de pétrole, surtout dans les pays développés qui fait surgir le spectre de l’épuisement des réserves. Aujourd’hui 16 % de la popula­tion mondiale consomment 70 % du pétrole produit. En moyenne 4 barils sont consommés par habitant et par an, mais 11 barils par français, 20 par américain et 1,5 par Chinois2. Combien « d’Arabies Saoudites » faut-il inventer si tous les Chinois et les Indiens se mettaient à consommer comme les Américains ?

Mais l’UE s’est intéressée à la problématique de la sécurité énergétique bien avant les attentats contre le Limburg de 2003, le black-out électrique de 2003, ou la crise russo-ukrainienne de 2006. Déjà en 2001, elle publiait le livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique, alertée surtout par l’accroissement des taux de consommation, de dépendance, de concentration ainsi que par les effets de la consommation énergétique débridée sur le réchauffement climatique.

Brève synthèse du Livre Vert de l’UE

L’Union européenne consomme de plus en plus d’énergie et importe de plus en plus de produits énergétiques. Ainsi, la dépendance énergétique externe est en croissance continue. La hausse brutale des prix pétroliers qui pourrait saper la re­prise de l’économie européenne que provoque le triplement du prix du pétrole brut, observé depuis mars 1999, révèle une fois encore les faiblesses d’approvision­nement énergétiques structurelles de l’Union européenne : taux croissant de la dépendance énergétique de l’Europe, le rôle du pétrole en tant que prix directeur de l’énergie ainsi que les résultats décevants des politiques de maîtrise de la consom­mation. L’Union européenne ne saurait s’émanciper de sa dépendance énergétique croissante sans une politique énergétique active.

Si rien n’est entrepris pour modifier les tendances, d’ici 20 à 30 ans, l’Union couvrira ses besoins énergétiques à 70 % par des produits importés contre 50 % actuellement. La dépendance se reflète dans tous les secteurs de l’économie. Ainsi, les transports, le secteur domestique et l’électricité sont largement tributaires des hydrocarbures et à la merci des variations erratiques des prix internationaux. L’élargissement va accentuer ces tendances. Les conséquences de la dépendance sont importantes en termes économiques. Elles représentent, en 1999, 240 milliards d’euros soit 6 % des importations totales et 1,2 % du PNB. En termes géopoli­tiques, 45 % des importations de pétrole proviennent du Moyen-Orient et 40 % des importations de gaz naturel de Russie. Or, l’Union européenne ne dispose pas encore de tous les moyens permettant d’infléchir le marché international.

La stratégie à long terme de sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Union européenne doit viser à assurer la disponibilité physique et continue des produits énergétiques sur le marché, à un prix accessible à tous les consommateurs (privés et industriels) dans le respect des préoccupations environnementales et la perspective du développement durable que s’est assignée le Traité de l’Union euro­péenne (article 2 et 6).

La sécurité d’approvisionnement ne vise pas à maximiser l’autonomie énergé­tique ou à minimiser la dépendance mais à réduire les risques qui seraient liés à celle-ci. Parmi les objectifs à poursuivre figurent l’équilibre et la diversification des différentes sources d’approvisionnement (par produits et par régions géographi­ques) et l’adhésion des pays producteurs à l’OMC.

Dans la décennie à venir, des investissements énergétiques tant de remplace­ment que pour répondre à des besoins énergétiques croissants, imposent aux éco­nomies européennes d’opérer des arbitrages entre les produits énergétiques, qui conditionneront, en raison de l’inertie des systèmes énergétiques, les 30 années suivantes.

Les choix énergétiques de l’Union européenne sont conditionnés, par le contex­te mondial, par l’élargissement à peut-être 30 Etats membres aux structures énergé­tiques différenciées, mais principalement par le cadre nouveau de référence du mar­ché de l’énergie: la libéralisation du secteur et les préoccupations environnementales.

Les préoccupations environnementales, aujourd’hui partagées par la majorité de l’opinion publique, que constituent les dommages causés par la chaîne énergé­tique – qu’ils soient d’origine accidentelle (marée noire, accident nucléaire, fuites de méthane) ou liés aux émissions polluantes ont mis en exergue les faiblesses des combustibles fossiles et les difficultés de l’énergie nucléaire. Quant à la lutte contre le changement climatique, c’est un défi. Le changement climatique est un combat à long terme pour la communauté internationale. Les objectifs fixés dans le protocole de Kyoto ne sont qu’une première étape. L’Union européenne a stabilisé ses émis­sions de gaz à effet de serre en 2000, mais au-delà, ils sont en augmentation dans l’Union comme dans le reste du monde.

Par ailleurs, la réalisation du marché intérieur de l’énergie accorde une place et un rôle nouveaux à la demande. Des tensions nouvelles apparaissent, auxquelles nos sociétés devront trouver des compromis viables: la baisse des prix de l’électricité contrecarre les politiques d’encadrement de la croissance de la demande et la lutte contre le changement climatique; la concurrence introduite par le marché intérieur change les conditions de concurrence des différentes filières énergétiques (charbon, nucléaire, gaz naturel, pétrole, renouvelables.

Aujourd’hui, les Etats membres sont interdépendants tant pour les questions de lutte contre le changement climatique que par la réalisation du marché intérieur de l’énergie. La politique énergétique a pris une dimension communautaire nouvelle sans que cela se traduise dans des compétences communautaires nouvelles. Dans ce contexte, il convient d’analyser l’opportunité d’appréhender la politique énergéti­que européenne autrement que par le biais du marché intérieur, de l’harmonisation, de l’environnement ou de la fiscalité. L’Union européenne doit mieux maîtriser son destin énergétique. La crise, depuis 1999, des prix pétroliers, lui donne un caractère d’urgence.

Ce débat doit s’engager en tenant compte que la consommation énergétique actuelle est couverte pour 41 % de pétrole, 22% de gaz naturel, 16 % de combus­tibles solides (charbon, lignite, tourbe), 15 % de nucléaire et 6 % de renouvelables. Si rien n’est entrepris, le bilan énergétique continuera à l’horizon 2030, à s’appuyer sur les combustibles fossiles: 38 % de pétrole, 29 % de gaz naturel, 19 % de com­bustibles solides, et à peine 6 % de nucléaire et 8 % de renouvelables.

Puis le Livre Vert esquisse les contours d’une stratégie énergétique à long ter­me :

  • L’Union doit rééquilibrer la politique de l’offre par des actions claires en faveur d’une politique de la demande. En effet, les marges de manœuvre sur un accroissement de l’offre communautaire sont faibles au regard des besoins alors que celles sur la demande apparaissent plus prometteuses.
  • Au regard de la demande, le Livre vert appelle à un véritable changement des comportements des consommateurs, il met en lumière l’intérêt de l’instrument fiscal en vue d’orienter la demande vers des consommations mieux maîtrisées et plus respectueuses de l’environnement. Des prélèvements fiscaux ou parafiscaux sont préconisés en vue de pénaliser l’impact environnemental des énergies. Les secteurs des transports et du bâtiment devront faire l’objet d’une politique active d’écono­mie d’énergie et de diversifications en faveur des énergies non polluantes.

Au regard de l’offre, la priorité doit être donnée à la lutte contre le réchauffe­ment climatique. Le développement des énergies nouvelles et renouvelables (y com­pris des biocarburants), est la clé du changement. Doubler leur part de 6 à 12 % dans le bilan énergétique et passer de 14 à 22 % pour la production d’électricité est un objectif à atteindre d’ici 2010. Seules des mesures financières (aides d’Etat, déductions fiscales, soutien financier) pourraient seconder un but aussi ambitieux. Parmi les pistes à explorer, on pourrait envisager que les énergies rentables (pétrole, gaz, nucléaire) financent le développement des énergies renouvelables qui n’ont pas bénéficié, à l’instar des autres énergies conventionnelles, d’appuis conséquents.

La contribution à moyen terme du nucléaire doit faire, à son tour, l’objet d’une analyse. Parmi les éléments qui feront certainement partie du débat figureront la décision de la plupart des Etats membres de se désengager de la filière, la lutte contre le réchauffement climatique et la sécurité des approvisionnements ainsi que le développement durable. Nonobstant les conclusions de cette réflexion, la recher­che sur les technologies de gestion des déchets et mises en oeuvre pratiques dans les conditions optimales de sécurité doit être activement poursuivies.

Pour les hydrocarbures, caractérisés par des importations croissantes, il convient de prévoir un dispositif renforcé de stocks stratégiques et également de prévoir de nouvelles routes d’importations. Toute avancée technologique viendra renforcer les effets de cette nouvelle esquisse de stratégie énergétique.

Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable

A la suite des réactions des Etats membres au Livre Vert, le Conseil a demandé à la Commission de définir davantage les priorités d’action à entreprendre et à four­nir des éléments pour une stratégie des Relations Extérieures dans le domaine de l’Energie. C’est pour répondre à cette sollicitation que la Commission, le Secrétaire Général et le Haut Représentant ont publié le document « Une stratégie euro­péenne pour une énergie sûre, compétitive et durable »3 publiée en 2006.

Le document de la Commission et du SG/HR au Conseil fait ressortir, en ma­tière de politique extérieure, un enjeu important pour l’EU : mettre sur pied une politique extérieure cohérente et ciblée en matière énergétique avec un double ob­jectif :

  1. Renforcer la sécurité collective de l’UE en matière énergétique ;
  2. Contrecarrer efficacement d’éventuelles stratégies menées par d’importants fournisseurs extérieurs d’énergie pour peser sur les fondamentaux du marché.

Ces objectifs, en politique extérieure, ne peuvent être atteints sans une condi­tion préalable qui est une politique intérieure cohérente en matière d’énergie.

  1. Construire le marché intérieur de l’Energie

Pour l’UE, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, décidé par le Conseil Européen de Barcelone en mars 2002, doit permettre un marché interne plus ouvert et une solidarité plus grande entre les Etats membres notamment dans les secteurs du pétrole, du gaz et de l’électricité. Or, constate la Commission, l’ouverture du marché intérieur de l’énergie est inachevée, alors que la dépendance énergétique s’accroît, et les moyens d’action demeurent inadéquats.

  1. Tant pour le pétrole que pour le gaz, l’intégration des marchés est inachevée, d’une part parce que le secteur de l’énergie demeure, dans une large mesure, un marché national captif Et d’autre part, parce que les grandes compagnies éner­gétiques ont tendance à détenir le contrôle de toute la chaîne énergétique, alors que la compétition requiert au contraire le « dépaquetage énergétique » (ownership unbunding. Il faut donc instaurer un cadre communautaire clair afin d’assurer la sécurité externe des approvisionnements énergétiques de manière compatible avec le fonctionnement du marché intérieur ;
  2. Une trop grande dépendance extérieure est dangereuse. Si rien n’est fait, dit la Commission, d’ici 2030, la part importée du pétrole pourrait atteindre 90 % et celle du gaz près de 70 %.

Cette extrême dépendance que révèlent les graphique et tableaux qui précèdent, comporte un triple risque du fait de l’instabilité des pays exportateurs, de la trop grande concentration sur un petit nombre de pays exportateurs et la vulnérabilité de certains secteurs trop dépendants du pétrole (le transport en dépend à raison de 98 %.).

  1. Moyens d’actions inadéquats

Sur ce plan, plusieurs failles sont épinglées :

  1. En cas de crise, la Commission ne dispose d’aucun pouvoir en matière d’utili­sation des stocks de sécurité. En effet, les pratiques sont fragmentées : certains Etats disposent d’une Agence de stockage, mais dans d’autres, les stocks sont détenus par des compagnies pétrolières. Or non seulement ces pratiques sont source de distor­sions de concurrence, mais aussi d’incertitude en termes de mobilisation effective des stocks en cas de crise.

Qu’en est-il du cadre de l’Agence Internationale de l’Energie ? Il n’est pas sa­tisfaisant, affirme la Commission. Tout d’abord le mécanisme de crise de l’AIE (déstockage en cas de rupture d’approvisionnement) requiert l’unanimité des 26 membres. Et ensuite, le mécanisme lie la gestion des stocks pétroliers de l’UE à celle de nombreux partenaires extérieurs (notamment des Etats-Unis) dont les priorités ne concordent pas nécessairement avec celle de l’UE.

  1. La fourniture de gaz pose un autre problème. Il n’existe actuellement aucun cadre communautaire qui garantisse la sécurité des approvisionnements gaziers. Le marché du gaz est un marché laissé à l’industrie européenne du gaz. Or il n’est pas certain, rappelle la Commission, que les fournisseurs de gaz donneront la priorité stratégique à la sécurité d’approvisionnement1.

Tout cela (marché intérieur inachevé, dépendance excessive des importations, moyens d’action inadéquats) plaide pour un code communautaire de l’Energie ayant comme objectifs : d’accroître la solidarité entre les Etats membres, de gérer la sécurité des approvisionnements et la sûreté des infrastructures et en définitive, de promouvoir la stabilité des marchés. Cela nécessite, aux yeux de la Commission, d’harmoniser les systèmes nationaux de stockage en instituant un organisme public de stockage, d’élaborer une stratégie commune d’utilisation coordonnée des stocks, de définir une politique générale pour la sécurité des approvisionnements notam­ment grâce à des contrats d’importation à long terme, ce qui nécessite d’organiser un dialogue énergétique avec les pays exportateurs. Et enfin, de se doter d’un sys­tème européen d’observation des approvisionnements d’hydrocarbures.

Les menaces à la sécurité énergétique

Elles sont de plusieurs ordres : inadéquation entre l’offre et la demande, manque ou insuffisance des investissements, attaques terroristes et insoutenabilité écologique.

  1. Les perspectives énergétiques

Le World Energy outlook de l’Agence Internationale de l’Energie est la référen­ce en la matière. Le scénario de référence (poursuite des tendances actuelles) dans le World Energy Outlook 2006 fait ressortir plusieurs éléments
clé :

  1. La demande pétrolière mondiale pourrait atteindre 99 millions de b/j en 2015 et 116 millions contre 85 millions. Or il est peu probable que la production pétrolière puisse dépasser un plateau de 100 à 110 mb/j. La tension sur les marchés énergétiques sera sinon inévitable du moins très probable ;
  2. L’essentiel de l’offre nécessaire de pétrole sera probablement assuré par un petit nombre de pays, notamment les pays du Golfe et, parmi ceux-ci, l’Arabie Saoudite
Importations nettes d’énergie par région
(Mtep)
2004 2015 2030
OCDE 1 657 2 123 2 444
Charbon 113 117 98
Pétrole 1 272 1 569 1 712
Gaz 272 436 634
Economies en transition -492 -641 -745
Charbon -27 -39 -46
Pétrole -345 -476 -541
Gaz -120 -126 -158
Pays en développement -1 228 -1 549 -1 776
Charbon -70 -71 -45
Pétrole -1 007 -1 168 -1 256
Gaz -152 -310 -476
Source : World Energy 0u/foo*©OECD/IEA, 2006, tableau 2.2 page 74. * Scénario de référence.

 

Importations pétrolières nettes par région (Mb/j)
Scénario Seémsrk
alternatif de référence
2005 2015 2030 2015 2030
OCDE 27,6 30,9 30,5 32,7 35,7
Amérique du Nord 11,1 12,1 11,9 13.0 15,0
Europe 8.8 ] 1.0 10.8 11.5 12,2
Pacifique 7,7 7,9 7,8 8,2 8,5
Asie en développement 7,1 11,7 ‘7.8 13,0 21,7
Chine 3,0 5,6 9,6 6,3 11,8
Inde 1,8 2,7 4,1 2,9 4,7
Reste de l’Asie en développement 2,3 3,3 4,1 3.8 5,2
Union européenne 10,9 12,2 11,7 12,7 13,0
Source : World Energy 0u//rwfc©OECD/IEA, 2006 rableau 7,5, âge 181.

 

Ainsi, les deux tableaux ci-dessus font apparaître une dépendance accrue des importations pétrolières à l’horizon 2030 atteignant pour tous les pays de l’OCDE 65 %, mais 92 % dans le cas de l’UE ce qui équivaut à des importations nettes de 35,7 mb/j pour les pays de l’OCDE et 13 millions pour les pays de l’UE.

Or, comme un pourcentage élevé de ces importations sera couvert par les pays de l’OPEP, notamment ceux du Golfe arabe puisque leur part du marché pétrolier devrait passer de 40 % à 48 % en 2030 avec 56,3 mb/j (34 à l’Arabie seule devrait produire 15 mb/j en 2030 contre 9 mb/j en 2006. Il en résulte forcément un pou­voir de marché accru pour ces pays.

C’est un constat qui s’impose déjà et qui s’imposera davantage à l’avenir surtout « si la demande pétrolière a une faible élasticité-prix »5, dans le sens qu’une aug­mentation des prix n’a qu’un effet faible sur la demande. Ce qui signifie en gros que la sécurisation des grandes exportations comme l’Arabie Saoudite est un élément essentiel de la stratégie de sécurité énergétique mondiale.

  1. Des investissements colossaux nécessaires

Les montants des financements nécessaires à la mise sur le marché des quanti­tés supplémentaires de pétrole sont pharaoniques. L’AIE estime les investissements requis dans les infrastructures d’offre énergétique à 20192 milliards de $ ($ 2005) au cours des 25 prochaines années. Non seulement ces chiffres laissent pantois, mais leur ventilation rend perplexe. En effet, les pays en développement devraient consentir le plus grand effort avec 52 % du total, soit 10515 milliards contre 35 % pour les pays de l’OCDE (soit 7289 milliards) et seulement 1850 milliards pour les économies de transition dont 1195 milliards pour la seule Russie (tableau p. 4).

La ventilation des investissements fait apparaître le poids prépondérant du secteur électrique ($ 11276 milliards) soit 55,8 % du total, contre 21,1 % $ 4266 milliards) pour le pétrole et 19,4 % ($ 3125 milliards) pour le gaz. Le charbon ($ 563 milliards) et les biocarburants ($ 161 milliards) viennent loin derrière.

Au vu de l’énormité des investissements requis, l’AIE pense que le scénario tendanciel de référence est insoutenable tant en ce qui concerne la mobilisation des ressources financières qu’à la menace qu’il fait peser sur l’écosystème.

  1. Menaces écologiques

Commentant « les perspectives énergétiques 2006 » de l’AIE, le Financial Times le qualifie de « An Unsustainable outlook » 6. Claude Mandill, président de l’AIE partage cette inquiétude. C’est pour cela que l’AIE préconise-t-elle des politiques alternatives agissant sur les émissions de CO2 et portant à la fois sur la demande et sur l’offre. En ce qui concerne la demande, l’accent est mis sur l’efficacité éner­gétique, les nouvelles technologies de l’automobile et des politiques incitatives à la réduction de la consommation d’énergies polluantes.

En ce qui concerne l’offre, l’AIE préconise un autre bouquet énergétique (ener­gy mix) avec une forte relance de l’énergie nucléaire, supposée moins polluante (mais rien n’est dit des déchets nucléaires).

Toutes ces propositions sont censées réduire les émissions de CO2 mais même dans le scénario alternatif qui semble avoir les faveurs de l’AIE (réduction de la consommation énergétique), les émissions de CO2, restent à l’horizon de 2030 très élevées. Aussi l’AIE propose-t-elle aux pouvoirs publics d’investir dans des techno­logies de captage (appelées séquestration) et de stockage du CO2, solution des plus prometteuses, pensent les experts, pour lutter contre « l’effet de serre ».

  1. Re-nationalisation des gisements, menaces terroristes et criminalité organisée

« Si un bateau qui ne nous a pas coûté 1000 dollars est parvenu à dévaster un pétrolier de cette taille, imaginez l’ampleur du danger qui menace l’artère com­merciale de l’Occident »7. Cet extrait du communiqué d’Al-Qaïda suite à l’atten­tat contre le superpétrolier français Limburg au large du Yémen, démontre, dans toute son acuité, la menace terroriste au trafic énergétique. On comprend dès lors l’intérêt porté à la sécurité énergétique non seulement par les gouvernements occi­dentaux mais aussi par l’OTAN8 pour « stabiliser» les zones où sont concentrés les intérêts énergétiques, « sécuriser » les principaux flux énergétiques et renforcer la coopération militaro-sécuritaire avec les pays exportateurs.

La menace terroriste est bien réelle mais elle n’est pas la seule. Dans certains pays africains ou latino américains, une conduite criminelle perturbe le fonctionnement des grandes compagnies (détournement de pipelines par des mafias locales, assas­sinats, destruction d’infrastructure). Tandis que la piraterie sévit toujours en haute mer et dans les détroits et le sabotage des oléoducs, comme en Iraq, est aussi mon­naie courante. L’incendie des puits koweitiens par une armée irakienne en déroute en 1991 est une autre illustration des menaces qui pèsent sur l’approvisionnement énergétique.

Dans la catégorie des menaces les pays occidentaux tendent également à ranger les politiques de re-nationalisation du pétrole ou les renégociations des contrats (comme en Bolivie ou Venezuela) voire le retour du nationalisme (resource natio-nalism), comme en Russie.

Les catastrophes maritimes ou simplement l’échouage d’un pétrolier dans un détroit ou à l’entrée d’un port combinerait la menace terroriste au danger éco­logique. Les sites de stocks stratégiques peuvent être également la cible d’un acte malveillant voire terroriste. Au vu de ce large éventail de menaces réelles, aucun Etat importateur n’est à l’abri.

Certes les pays peuvent prendre des mesures de protection allant de ce que Bricet des Vallons appelle « l’Off-shorisation » de la production pour réduire la vulnérabilité des sites terrestres, jusqu’à la construction de gazoducs résistants aux attaques comme le Tunnel Bomb Killer (TBK) : une sorte de pipe-line composé de 8 couches d’acier galvanisé, le Container Security Initiative ou « l’International Ship and Port facility Security », une surveillance aérienne ou par satellite, la mise en place de voies alternatives du transport gazier et pétrolier, comme pour les oléoducs Bakou-Ceyhan ou Bakou-Soupsa, pour contourner l’Etat russe. Enfin, des mesures extrêmes et dangereuses (comme on le voit en Irak) sont celles que représente la prise de contrôle militaire d’un pays producteur.

Géopolitique européenne de l’énergie

Dans la carte de l’approvisionnement énergétique, la Russie, l’Algérie et les pays du Golfe Arabo-persique sont des partenaires indispensables, avec lesquels l’UE doit engager un dialogue franc et mutuellement bénéfique. L’UE représente 15 % de la consommation mondiale d’énergie, mais elle ne peut peser sur les marchés de l’énergie que par la diplomatie. Ainsi l’UE peut soutenir ses sociétés pétrolières à s’impliquer davantage dans les pays pétroliers notamment les pays du Golfe. Elle peut encourager les investissements dans ces pays et les faire bénéficier de ses ap­ports technologiques.

Pour ce qui est du gaz, l’UE a tout intérêt à proposer à l’Algérie et surtout à la Russie un véritable partenariat à long terme, comportant des clauses contractuelles rémunérant la sécurité d’approvisionnement9. Un tel partenariat dit un document officiel de la Commission assurerait la sécurité et la prévisibilité pour les deux par­ties, mettant ainsi en place les conditions pour les investissements à long terme né­cessaires pour créer de nouvelles capacités. Il signifierait aussi « un accès équitable et réciproque aux marchés et infrastructures, notamment l’accès des tiers aux oléoducs et gazoducs »10.

L’UE peut aider à l’amélioration du taux de succès en exploration (par une meilleure visualisation du sous-sol) grâce aux progrès de la géophysique et de l’in­formatique, par une meilleure anticipation du type de découvertes conduisant à prédire la qualité des réservoirs, les volumes en place, la nature des hydrocarbures, etc., et par une meilleure récupération secondaire et tertiaire du pétrole sur place par l’injection d’eau ou de vapeur dans les puits et par l’accès au pétrole et au gaz difficiles à exploiter11.

  1. L’UE et la Russie : l’enjeu gazier.

La Russie n’est pas un grand producteur pétrolier. Elle détiendrait près de 6 % des réserves mondiales mais l’exploration va bon train et elle espère exporter 11 mil­lions b/j en 2030. Mais la Russie est surtout riche en ressources gazières : ses réserves seraient estimées à 47.8 trillion (mille milliards) de m3 et sa production actuelle est de 616.5 milliards de m3. Malgré l’abondance de ses ressources énergétiques, le PIB de la Russie est inférieur au PIB de la Belgique et de la Hollande. Les secteurs de pétrole et le gaz représentent près du quart du PIB mais n’emploie que 1 % de la population.

Actuellement l’UE importe la moitié des produits énergétiques qu’elle consom­me (73 % de pétrole et 44 % du gaz. A l’horizon 2030 les pourcentages seront respectivement de 92 % et de 81 %. Les importations de gaz en particulier vont passer de 180 milliards de mètres cubes en 2005 à 650 milliards. Dans cette pers­pective, la Russie qui est déjà un exportateur de pétrole, est appelée à devenir un acteur gazier incontournable. Déjà, à l’heure qu’il est, environ 20 % du pétrole et plus de 35 % du gaz consommés par l’UE sont d’origine russe. Les pourcentages représentent la moyenne communautaire mais cachent des situations contrastées. Ainsi la Slovaquie, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie et la Lituanie dépendent à 100 % du gaz russe, la Roumanie n’en dépend que pour 29 %, la France pour 26 % et l’Italie pour 29 %.

 

Taux de dépendance des pays européens de gaz russe (en %)

 

Cette part prépondérante du gaz russe dans les importations de l’UE ira crois­sant dans les années à venir. Et cela n’est pas sans poser de vives préoccupations dans les pays de l’UE. Et cela pour plusieurs raisons :

– La Russie et l’UE ne partagent pas la même vision en ce qui concerne la gestion des ressources énergétiques. Pour la Russie, l’énergie est un vecteur de puis­sance et la base même de la souveraineté. Elle doit servir d’abord les intérêts écono­miques et stratégiques de l’Etat russe. A l’opposé, l’UE souhaiterait la suppression des barrières politiques qui limiteraient l’accès aux ressources pétrolières et gazières. Nous sommes donc en face de deux stratégies13: celle de la « porte-ouverte » (OPEN DOOR) et celle de porte-drapeau (FLAGS) où l’énergie est mise au service des ambitions stratégiques14. Il découle de ces visions contrastées une question clé : qui doit contrôler la chaîne industrielle (extraction transport, raffinage, distribution de pétrole et de gaz ?

– La Russie semble osciller entre les deux modèles. D’une part, elle a besoin des capitaux occidentaux pour moderniser ses infrastructures pétrolières et gazières, exploiter de nouveaux gisements et participer à la construction de nouveaux pipe­lines. Donc elle doit jouer l’ouverture car les investissements requis sont gigantes­ques. Gazprom, en particulier, est obligée de recourir à un financement extérieur pour moderniser ses 152.000 kms de gazoducs qui sont vétustes, pour financer la construction de Blue Stream qui doit acheminer le gaz naturel vers la Turquie, le Yamal-Europe Pipeline qui traverse la Biélorussie et la Pologne et le North European Gas Pipeline qui, dès 2010, devrait alimenter l’Allemagne en évitant le transit coû­teux (droits de transit) par d’autres pays. On estime que Gazprom doit investir cha­que année 11 milliards de $ pour le secteur du gaz pour honorer ses engagements.

Mais d’autre part, la Russie veut garder le contrôle le plus large sur ses ressources énergétiques. Les dirigeants russes répètent à l’envi que la Russie ne veut pas devenir « une république bananière » mais qu’elle est un acteur souverain qui entend défen­dre ses intérêts nationaux vitaux. On comprend dès lors la réticence de la Russie à signer précipitamment des accords juridiques jugés trop contraignants à son goût comme « le Protocole pour le transit de lEnergie » lié à la « Charte de lEnergie », « qui, dans sa forme actuelle, autorise les compagnies étrangères à accéder au réseau russe des gazoducs »15.

Ce « nationalisme énergétique » s’exprime également dans le souci de la Russie de diversifier ces marchés d’exportations. Son ouverture à la Chine et à l’Inde voire au Japon et aux Etats-Unis vise à accroître sa marge de manœuvre. Déjà sa « coo­pération » avec les Républiques musulmanes est un axe central de sa politique régionale.

Les républiques musulmanes s’y soumettent en rechignant car ils n’ont guère de choix : leur gaz transite par le territoire russe et c’est la Russie qui fixe unilatérale­ment le prix à la frontière. Et le remplacement vient d’Alexandre Riazanov, direc­teur adjoint de Gazprom et responsable des pays ex-soviétiques par un ancien de KGB, Valeri Gôlubev est assez révélateur de la nouvelle orientation de la politique de Gazprom avec ses pays.

Consciente de ses atouts énergétiques et géographiques, la Russie est à l’évidence engagée sur la voie d’un nationalisme revigoré où l’énergie semble être le pivot.

Une telle attitude nationaliste pose problème à l’UE. Celle-ci craint une car­tellisation des infrastructures de transit qui mettrait l’UE à la merci d’un chan­tage politique (comme l’a démontré les crises Russie-Ukraine et Russie-Géorgie en 2006). Comment dès lors concilier les intérêts des uns et des autres et s’accorder sur des règles de jeu acceptées par tous, tel est l’enjeu des négociations entre l’UE et la Russie.

Mais qu’elle que soit l’issue des négociations, un fait demeure : la Russie n’a pas les moyens de son ambition. Gazprom manque de ressources suffisantes pour financer tous ces projets. Les spécialistes situent le niveau des investissements né­cessaires dans le développement énergétique de la Russie à près de 715 milliards de dollars de 2003 à 202016. Déjà Gazprom ne parvient pas, seule, à satisfaire la de­mande européenne par sa propre production et se trouve même contrainte d’acqué­rir des réserves de gaz en Asie centrale (notamment au Kazakhstan, Turkménistan et l’Ouzbékistan) pour honorer ses engagements envers ses importateurs étrangers.

  1. L’Europe et les pays du Golfe Persique (pays arabes + Iran)

Dire que le Moyen-Orient va jouer un rôle encore plus prononcé dans les im­portations pétrolières de l’UE, c’est exprimer une évidence. C’est là où se trouvent concentrées les plus grandes réserves. Aujourd’hui sa part dans la production mon­diale oscille autour de 28 %. A l’horizon de 2030, elle devrait grimper à 43 % avec 50 millions de b/j, soit une croissance de 74 %. Quant à la production gazière, elle devrait au moins tripler au cours des 25 prochaines années.

L’Arabie Saoudite se détache du lot avec ses immenses réserves (262 milliards de b) et sa production pourrait être portée à 15 ou 16 millions de b/j en 2030 contre 9.2 mbj (en juillet 2006. Riche en pétrole, l’Arabie Saoudite, est le swing – produ-cer par excellence (producteur d’équilibre). En outre elle n’est pas dépourvue non plus de réserves gazières. Celles-ci sont estimées à 6.7 trillions de m3 (estimation basse), certes bien loin de l’Iran (28 trillions de m3) et de la Russie (48 trillions de m3) mais néanmoins suffisantes pour porter la production de 80 milliards (en 2006) à 155 milliards en 2030. Toutefois, c’est l’Iran qui concentre les grosses réserves de gaz au Moyen-Orient. De sorte qu’au Moyen-Orient, deux pays vont largement do­miner la scène énergétique : l’Arabie Saoudite pour le Pétrole et l’Iran pour le gaz.

Cela ne veut pas dire que des autres pays du Golfe constituent une quantité né­gligeable. Au contraire un pays comme le Koweït a des réserves pétrolières prouvées plus importantes que celles de la Russie (99 milliards de b contre 60-69 pour la Russie). C’est le cas des Emirats avec les réserves de 97 milliards de barils (soit plus que les Etats-Unis et le Canada réunis, avec 27.2 milliards. Tandis que la vocation gazière de Qatar se précise de plus en plus.

Le Moyen-Orient arabe est ainsi une éponge imbibée de pétrole et de gaz. Et si adjoint les pays arabes d’Afrique du Nord aux pays du Moyen-Orient, on devinera facilement que le monde arabe détient un levier économique et politique d’une importance capitale. Mais comme dans le cas russe, les compagnies nationales dé­tiennent le monopole sur les ressources énergétiques. C’est le cas en tout cas du Koweït et de l’Arabie Saoudite. Ainsi, la libéralisation du marché de l’énergie au Moyen-Orient n’est pas pour demain. L’UE déplore naturellement que ces marchés demeurent largement fermés, mais ces pays disposent aujourd’hui d’un coussin fi­nancier (400 milliards de $) suffisant pour investir dans de nouvelles capacités sans devoir s’engager dans des contrats avec des compagnies internationales qui limite­raient leurs marges de manœuvre.

La diversification des marchés d’exportation des pays du Moyen-Orient et dans une moindre mesure – ceux de l’Afrique du Nord – accroît d’ailleurs les marges de manœuvre et renforce leur position par rapport aux compagnies occidentales. Cette diversification va se renforcer à l’avenir et les estimations pour 2030 donnent à pen­ser que l’Asie sera le principal marché d’exportation pour les produits énergétiques du Moyen-Orient avant l’UE et les Etats-Unis.

En termes de sécurité énergétique, les pays du Moyen-Orient sont perçus comme source d’inquiétude. La guerre américaine en Irak tourne au cauchemar, le pays est dévasté, fragmenté et exsangue. Les américains sont embourbés et aucune stratégie de sortie de crise ne semble aujourd’hui viable. Et celles qui sont sur la table : rester (stay the course) ou partir (cut and run) ne sont pas dépourvues de risque. L’avenir énergétique de l’Irak est, dans ces conditions, incertain. Le cas de l’Iran suscite une autre préoccupation. Ce pays est riche en ressources énergétiques et pourrait même devenir un grand pays de transit, mais la question nucléaire envenime ses relations avec l’Occident. Aussi l’Iran s’oriente-t-il vers l’Asie pour casser son isolement et accéder aux investissements dont il a besoin. L’UE pourrait bien payer les frais de la confrontation en se faisant doubler par l’Inde et la Chine sur le marché iranien.

Les autres pays du Golfe entretiennent de bons rapports avec l’UE et les Etats-Unis et en termes de sécurité énergétique, leur stabilité est plutôt rassurante. Mais ils ne sont pas à l’abri ni des débordements de la crise irakienne, ni de possibles retombées négatives d’une confrontation entre l’Iran et l’Occident. Ces pays ont des minorités chiites importantes (les chiites viennent de prendre le contrôle du Parlement à Bahreïn) et concentrées dans les zones pétrolières (Côte Est de l’Arabie Saoudite). Et il y a toujours le risque que l’Iran les utilise dans une stratégie délibé­rée de déstabilisation du Golfe pour affirmer davantage son hégémonie régionale.
On voit bien qu’en termes de sécurité énergétique, ce n’est pas tant le « nationalis­me des ressources énergétiques » (resource nationalism)17 qui posera problème à l’UE mais la déstabilisation régionale, la fermeture du détroit d’Ormuz suite à un blocus ou à la destruction d’un pétrolier18 et la rupture des approvisionnements. Le risque est bien réel. Il suffit de voir la hausse vertigineuse du coût d’assurance d’un pétrolier, qui est passé de 150.000 $ à plus de 450.000 $ par voyage, sans compter l’assurance sur la cargaison elle-même qui fait l’objet d’une autre police d’assurance19.

  • Persian Gulf ■ North Africa □ WestAfrica                  □ South America
  • Russia/Caspian Area ■ Brasil and Carribean ■ Other non Opec

Source: Energy Information Administration, International EnerçyOutlook2006, US Department of Energy, June2006

 

Quel partenariat avec les pays producteurs ?

La croissance économique soutenue dans les pays développés et l’émergence spectaculaire de nouveaux tigres asiatiques notamment la Chine et l’Inde, font craindre une explosion de la demande énergétique, notamment celle du gaz et du pétrole. Cette perspective est inquiétante, non seulement en raison du caractère épuisable et non renouvelable des ressources possibles, mais surtout en raison de l’insoutenabilité environnementale d’une consommation débridée. Aussi les pays dépendants des importations énergétiques, notamment Les Etats -Unis, l’UE le Japon se sont-ils attelés à des programmes de réduction de la demande notamment par l’efficience énergétique :le PIB des Etats-unis s’est accru de 150 % au cours du dernier quart de siècle avec une croissance énergétique de 25 % .C’est aussi le cas de l’Europe.

L’effort est louable, mais les niveaux de consommation énergétique notamment le gaz et le pétrole sont si élevés (les 300 millions d’américains consomment 25 % de la production pétrolière mondiale) que même une croissance de la consomma­tion d’énergie limitée à 1%, se traduira par une demande colossale et donc une facture pétrolière très lourde. Sans compter qu’il n’est nullement garanti que cette demande puisse être matériellement satisfaite.

En effet il y a déjà des goulots d’étranglement en termes de production (insta­bilité), de prix (volatilité), raffinage (investissements insuffisants, accidents, catas­trophes naturelles) et de distribution (infrastructures à moderniser ou à construire). L’AIE estime à 20.000 milliards de dollar nécessaires d’ici 2030 pour assurer la demande mondiale, surtout celle des pays en développement ou des économies émergentes qui ira croissant.

Mais la sécurité énergétique ne se limite pas à la mobilisation de capitaux. Elle englobe aussi un dialogue permanent avec les pays producteurs. L’UE est cet égard particulièrement interpellée. En effet sa dépendance de la Russie la rend vulnérable aux caprices du régime russe qui peut interrompre des livraisons à sa guise ou refuser d’ouvrir son marché gazier et ses infrastructures de transport à la compétition. L’UE est forcée de chercher à garantir ses approvisionnements en gaz, tout en évitant de faire les frais d’un chantage quelconque. La tâche n’est pas aisée car les possibilités de diversification des importations gazières de l’UE demeurent réduites : seule l’Al­gérie, dans l’état actuel des choses, détient des réserves gazières suffisantes pouvant palier tout déficit gazier russe. Néanmoins, l’UE reste le principal débouché du gaz russe et ce fait, incontournable, devrait inciter la Russie à se montrer plus conci­liante en termes d’ouverture de son marché aux investissements extérieurs et éviter de pratiquer ce que le journal espagnol El Païs (8 novembre 2006) a qualifié de « néo-impérialisme indigne » (indigno neoimperialismo).

Les importations pétrolières est l’autre talon d’Achille de l’UE. La part du pé­trole, aujourd’hui de 40 %, continuera d’être prépondérante dans le système éner­gétique, notamment en raison de son rôle croissant dans le secteur des transports. Pour assurer sa sécurité pétrolière, l’UE s’est engagée à accroître ses efforts dans l’efficience énergétique, la diversification des ressources d’approvisionnement, l’ex­ploitation des pétroles non-conventionnels (pétrole en mer profonde, fuel lourd, schistes bitumineux ), l’investissement dans la récupération secondaire et tertiaire (enhanced recovery), etc. Mais tous ses efforts doivent s’appuyer sur un dialogue, mutuellement bénéfique, avec les pays producteurs, notamment les pays arabes qui concentrent l’essentiel des réserves prouvées. Ces pays connaissent une situation d’instabilité d’origine endogène ou exogène et l’UE n’est pas un acteur suffisam­ment cohérent pour aider à la stabilisation de ces pays. Mais elle peut contribuer à la sécurisation de la production (investissements), les voies d’accès (contrôle conjoint) et les infrastructures des transports.

C’est pour cela qu’un véritable partenariat avec les pays du Golfe (CCG) s’im­pose. L’EU doit finaliser, sans trop tergiverser, l’Accord de libre-échange avec les Pays Arabes du Golfe, en discussion depuis 1989. Une fois conclu, l’Accord offrirait à l’Europe un ticket d’entrée dans les marchés énergétiques de ces pays

Ce partenariat Europe-Golfe est d’autant plus nécessaire que les pays du Golfe sont appelés à jouer un rôle de pivot dans les approvisionnements énergétiques dans les 20 années à venir. Au demeurant, ils sont particulièrement courtisés, notam­ment par la Chine et l’Inde qui devront importer 90 % de leurs besoins en pétrole à l’horizon 2030. Il est dès lors prévisible que ces pays asiatiques chercheront à déployer une diplomatie de dialogue et de coopération énergétique avec ces pays, d’autant mieux accueillie qu’elle émane de pays sans passé colonial, et qu’elle est déconnectée de tout discours, un peu missionnaire, sur la démocratie et les droits de l’homme.

L’UE devra donc faire face, dans la région du Golfe, à une compétition avec les pays asiatiques sur tous les plans : déjà la percée commerciale chinoise dans ces pays connaît une évolution spectaculaire. Ce n’est pas par hasard si le Roi d’Arabie Saoudite ait réservé à la Chine et à l’Inde ses principales visites de 2006. Or, l’Eu­rope ne prête pas suffisamment attention au Royaume Saoudien, trop craintive de heurter les opinions publiques européennes qui ne voient l’Arabie qu’à travers le prisme du Wahabisme, jugé conservateur et rétrograde.

Avec ces 260 milliards de barils de réserves prouvées, l’Arabie Saoudite détient la clé de la sécurité énergétique mondiale : il est le producteur d’équilibre par ex­cellence (swing producer) Ce pays peut porter sa production à 15 millions de barils par jour en l’espace de quelques années, ce qui n’est à la portée d’aucun autre pays. Déjà en 2006, 90 puits sont opérationnels dans le Royaume, soit deux fois plus qu’en 2004. L’Europe ne peut ignorer cette donnée lourde.

Mais, en Arabie Saoudite et dans le Golfe, l’UE doit compter avec la présence massive des Américains. Ceux-ci considèrent cette région comme leur chasse gardée et les Européens ne tiennent pas à leur faire de l’ombre, alors que les pays du Golfe souhaiteraient un engagement européen plus ferme pour échapper à l’étreinte, jugée étouffante et embarrassante des Etats-Unis. Mais comme le rappelle un expert de la région, Abdelaziz Sager, si les pays de la région ne voient pas d’autre alternative au soutien des Etats-Unis comme « garants » de leur sécurité et de leur stabilité, ils sont en même temps préoccupés par la politique américaine dans la région et ailleurs, ce qui suscite la colère des populations de la région et met les gouvernements des Etats du Golfe en porte à faux par rapport au sentiment de leurs populations20.

Face à cette relation problématique entre les USA et les pays du Golfe, l’UE se trouve dans une position inconfortable. Elle ne peut pas se passer des pays du Golfe et postposer la signature d’un accord de partenariat qui est dans son intérêt, mais elle ne veut pas, non plus, contrarier l’allié américain par une politique trop pro-active.

Le pétrole et le gaz constituent et constitueront, au moins pour les 25 prochaines années, des ressources énergétiques indispensables au fonctionnement économique mondial. Mais le marché de ces énergies est désormais un marché intégré de sorte que la sécurité du pétrole et du gaz sont aujourd’hui un « bien collectif mondial ». Aujourd’hui, les pays de l’UE ne dépendent pas moins du pétrole vénézuélien, nigé­rian ou saoudien que les Etats-Unis, la Chine ou le Japon, dans le sens que,, dans un marché intégré ,« tous les consommateurs défendent à 100 % du marché pétrolier mondial qui alimentent tous les producteurs »21.

Ainsi, aucun pays importateur n’a de fournisseurs propres, ce qui signifie qu’un problème intérieur chez un producteur exportateur (A) vers n’importe quel pays(B) ne se traduit jamais par une rupture de l’approvisionnement de ce pays(A) mais par une hausse des prix pour tous les importateurs consommateurs. C’est pour cela que l’utilisation du pétrole en tant qu’arme politique, notamment à travers un embargo, comme celui décidé par les pays pétroliers arabes en 1973 à l’encontre des Etats – Unis et de la Hollande, n’a pas eu beaucoup d’effet sur les pays concernés mais s’est traduit par un accroissement du prix du baril. Dans un marché pétrolier intégré, l’arme du pétrole n’est effective que si son utilisation est prolongée et si les exportateurs, qui y participent, sont nombreux.

Or un embargo prolongé n’est plus à craindre, car le vendeur à autant intérêt à vendre que l’acheteur à acheter. Cela vaut aussi pour les exportateurs de gaz : la Russie peut certes fermer les robinets de gaz à l’Ukraine mais comme les gazo­ducs russes traversent le territoire ukrainien, l’Ukraine dispose aussi d’une arme de rétorsion. C’est un fait évident que rappelait le journal espagnol El Païs , le 8 novembre 2006 : « l’excès de pression sur les alliés naturels pourrait se retourner contre la Russie »22.

Enfin, une dernière remarque. Lorsque les Américains ont décidé d’envahir l’Irak, j’ai écrit que cette guerre sentait le pétrole. Cette phrase ne doit pas être com­prise en termes d’accès au pétrole du Moyen-Orient : un dialogue politique avec Saddam aurait garanti cet accès sans problème. Mais surtout je voulais souligner que les Etats-Unis par leur contrôle de l’Iraq, cherchaient, avant tout, à ouvrir le marché des droits d’exploitation et de production et à le rendre aussi concurrentiel que possible afin que les capitaux et les technologies que détiennent les compagnies multinationales, surtout américaines, atteignent la part la plus large possible des ressources pétrolières du Moyen-Orient. Ce faisant, les Américains – pensait-on naïvement à Washington – casseraient l’emprise de l’OPEP sur la fixation des prix pétroliers au travers du système du quota, limiteraient la domination naturelle des pays du Golfe sur le marché pétrolier, ce qui permettrait du même coup « un accès plus important au pétrole au du Moyen-Orient et du reste du monde »23.

Ainsi, du point de vue des économies libérales, La sécurité pétrolière ce n’est pas seulement l’accès aux approvisionnements réguliers, mais c’est aussi l’ouverture du secteur à la concurrence et la décartellisation des pays producteurs. Telle est la pierre angulaire de la doctrine américaine en la matière.

Mais est-il alors nécessaire de s’installer dans les pays du Golfe et est -ce que la sécurité pétrolière passe par une sanctuarisation de ces pays et particulièrement de l’Arabie Saoudite ? Oui, répondent les Américains, pour qui la protection de leurs alliés pétroliers arabes reste au cœur de leur planification militaire régionale.

A cet égard, les préoccupations américaines et européennes se rejoignent. Car ce qui compte ce n’est pas le taux de dépendance des Etats-Unis ou de l’UE des pays de Golfe ou de l’Arabie Saoudite. Nous avons bien souligné que le fait que l’UE dépende d’avantage du pétrole du Golfe que les USA n’est pas pertinent car le marché pétrolier est intégré mondialement. Ce qui compte, en définitive, c’est la stabilité d’une région qui n’est pas seulement un nœud géopolitique, mais surtout une éponge imbibée de pétrole et de gaz.

 

*Professeur à la Faculté des Sciences politiques, économiques et sociales de l’UCL et directeur du Centre d’Etude et de Recherche sur le Monde Arabe Contemporain (CERMAC) de l’Institut d’études du Développement de la même université. Il a par ailleurs été membre du Groupe des Hauts Experts sur la PESC (Commission Européenne 1998-2000) et membre du Groupe des Sages pour le dialogue culturel euro-méditerranéen (Présidence Européenne 2003-2004). Il est également membre du CECRI.

 

Notes

  1. Document de la Commission et du Haut Représentant au Conseil européen S160/2006
  2. Institut français du Pétrole : « Face à une demande pétrolière en croissance, les réserves de pétrole peuvent-elles suivre ? » in Pétrole et gaz arabes, 1 oct. 2006, p. 39.
  3. « Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable, mars 2006 (cf doc. 7070/06 + (com. 2006) (105 finale)
  4. « Le marché intérieur de l’Energie : renforcer la sécurité d’approvisionnement », H. Commission Européenne,

dir. Gén. De l’Energie et des Transports : http: //www.europa.eu.int.

  1. Interview de Claude Mandil, directeur exécutif de l’AIE, in Pétrole et gaz arabes, 16 nov. 2006, p. 8.
  1. Financial Times, 20 oct 2006.
  1. BRICET des VALLONS, Georges-Henri, La question de la sécurisation pétrolière, in géostratégiques n° 9, oct. 2005, p. 21.
  2. cf Rapport VAN GENNIP, Jos, Energy security, Nato parliamentary Assembly, 064 ESC 06 E /nato-pa.int.
  3. Proposition du Rapport de Henri Revol et Jacques Valade : « la sécurité d’approvisionnement en énergie de

l’UE » Sénat français, session ordinaire de 200-2001 Rapport d’information n° 218 déposé le

7 février 2001.

  1. « Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable » Com (2006) 105 final.
  2. Institut français du pétrole : « Face à une demande en croissance, les réserves du pétrole peuvent-elles suivre ?, in PGA, 1 oct.2006 pp. 42-44.
  3. El Païs, 24 nov. 2006, p. 9
  4. BOCHKAREV, Danila, « La diplomatie des pipelines » in LOUVAIN, oct-nov.2006, 165,
  5. 26
  6. Cf LIZIN, Anne-Marie, Gazprom, stratégie de la Russie Luc Pire, Bruxelles, 2006.
  7. BOCHKAREV, Danila, art.cit. p. 29 (s) Jos van Gesnip (rapporteur) Energy security, Nato Parliamentary Assembly, 4 april 2006 p. 5.
  8. CLEUNTINX, Christian: The EU-Russia Energy Dialogue (DG for Energie & transport, European Commission 2003.
  9. Nicole GNESOTTO, Nicole et GREVI, Giovanni, « The New Global puzzle : What World for the EU in 2025 ? », European Union Institute for Security Studies, Paris, 2006 p. 59.
  10. Al Qaeda a menacé à plusieurs reprises de s’en prendre aux infrastructures pétrolières de pays exportateurs, (http : //iags.org/oil transport.html)
  11. VAN GENNIP, Jos : rapport cité, p. 11.
  12. SAGAR, Abdelaziz, Energy Shapes new security architecture, in Journal of middle Eastern Geopolitics, Globe Home, oct .2006, p.63.
  13. NOEL, Pierre, Les Etats-Unis et la sécurité pétrolière mondiale, in Ramsès 2005, Paris, Dunod, p.143
  14. El exceso de presion sobre, sus aliados naturales puede acabar volviendose en contre de Rusia» El Pais, 8 novembre 2006 p 12
  15. NOEL, Pierre, cit., p.148.
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