Requiem allemand sur l’Europe

Pierre Hillard

Avril 2001

Depuis de nombreuses années, des mouvements régionalistes et identitaires fleurissent en Europe. Les bombes posées par l’ETA, les privilèges accordés à la Corse dans les domaines politiques, culturels, éducatifs…, la Ligue savoisienne de Patrice Abeille, une autonomie large accordée à l’Ecosse et au Pays de Galles par le gouvernement Blair, l’antagonisme croissant entre Wallons et Flamands soulignent que l’Europe est secouée par une multitude de revendications ethniques qui mettent à mal les Etats-nations. Dans le cadre de la construction européenne, ces régionalistes trouvent un écho favorable à leurs revendications. En effet, les instances européennes mettent en place et à tous les niveaux des structures fédérales qui permettent à ces mouvements identitaires de véritablement s’épanouir. Nous pouvons relever essentiellement cinq documents qui sont en mesure de remodeler le corps européen : la Charte des langues régionales ou minoritaires, la Convention-cadre pour la protection des minorités, les Chartes de l’autonomie locale et régionale et la Convention-cadre sur la coopération transfrontalière (appelée aussi Charte de Madrid). Ces événements ne sont pas le fruit du hasard. Afin de mieux saisir les bouleversements qui sont sur le point de modifier profondément l’organisation des Etats au sein de l’Union européenne et, par la suite, de mieux comprendre le rôle primordial joué par l’Allemagne, nous devons procéder à un retour en arrière. L’histoire est, selon l’statement de Paul Valéry,  » ce grand mouvement sous-jacent souvent silencieux et dont le sens ne se révèle que si l’on embrasse de larges périodes du temps « .

A Régionalisme et protection des groupes ethniques jusqu’en 1789

Le principe de l’autonomie politique, administrative, juridique, éducative… n’est pas nouveau dans l’histoire européenne. En effet, nous rencontrons ces mesures essentiellement dans l’histoire allemande. Ce phénomène prend son essor dans la colonisation de l’Europe centrale puis orientale à partir du XIIè siècle. En raison de l’accroissement de la population allemande qui passa de 2,5 ou 3 millions d’habitants au IXè siècle à 7 ou 8 millions au milieu du XIIè siècle, les terres peu peuplées de l’Est offraient une possibilité d’exutoire et de débouchés économiques à ces populations. Cette migration germanique se fit de diverses manières : la voie militaire (à partir surtout de 1125 avec Lothaire de Supplimburg), la voie religieuse grâce à l’action d’évangélisateurs allemands (bénédictins, cisterciens, prémontrés…) qui créant des abbayes et des évêchés en pays slaves firent appel à leurs coreligionnaires afin de mettre en valeur les territoires nouvellement acquis. Mais cette migration se fit aussi de la manière la plus naturelle possible, par l’appel de nobles polonais, de Bohême (les Premyslides) et de Hongrie (les Arpad). Ces derniers, soucieux de bénéficier d’une main-d’oeuvre germanique forte de connaissances techniques supérieures aux peuples slaves, appelèrent ces nouveaux migrants afin de profiter de leurs connaissances et, par conséquent, d’augmenter par la suite leurs revenus.

C’est le cas du roi de Hongrie Geisa II qui, vers 1150, invita 2 à 3000 Allemands à s’installer en Transylvanie (le Siebenburgen). Le poids économique et démographique de cette communauté fut tel qu’Andréas II accorda, en 1224, la grande charte des libertés et des privilèges, dite Andreanum (la goldene Freibrief). Ce document permettait à ce groupe germanique d’élire ses propres juges, d’être encadré par un clergé allemand et de poser les jalons favorables à une autonomie politique, administrative et juridique. Ces mesures s’enracinèrent tant et si bien que le roi Matthias Corvinus confirma, en 1486, la goldene Freibrief  » à tous nos Saxons de Transylvanie « .

L’exemple de la Transylvanie est un cas parmi d’autres de l’emprise germanique dans tout l’Est européen. Le phénomène s’est répété à une échelle plus large avec les chevaliers teutoniques qui ont rayonné de la Prusse orientale jusqu’au Golfe de Finlande. Ces chevaliers ont favorisé une émigration germanique qui, au moment du coup fatal de Tannenberg en 1410, permit la naissance d’un Etat dont la population germanique était estimée à 400 000 habitants. La Réforme, les guerres de Charles Quint en Occident en vue d’établir une hégémonique impériale sur toute l’Europe et la guerre de Trente ans (1618-1648) qui élimine environ la moitié de la population allemande n’ont pas permis la relance du peuplement germanique en Europe de l’Est. Le phénomène reprend des couleurs à partir du XVIIIè siècle.

En effet, les Autrichiens et les Russes sont confrontés à un ennemi commun : les Turcs. Refoulant progressivement les Ottomans des Balkans et du pourtour de la Mer Noire, les gouvernements de Vienne et de Saint-Petersbourg ont invité des populations allemandes à s’installer dans les territoires reconquis mais aussi dévastés et dépeuplés. L’objectif commun de ces deux pays consistait à relancer l’économie de ces régions, mais aussi, à mettre en place des frontières militaires contrôlées par ces populations.

Dans le cas autrichien, sous les règnes de Charles VI, Marie-Thérèse et Joseph II, trois vagues successives de colons allemands, désignées sous le terme de Schwabenzug (littéralement  » convoi de Souabes « . On estime qu’environ 150 000 Allemands ont migré au XVIIIè siècle vers le territoire hongrois) ont peuplé le Banat, la Turquie souabe, le Sathmar et la Batschka. Bénéficiant d’avantages multiples (exemption d’impôts, autonomie administrative, judiciaire…), ces communautés ont prospéré et se sont maintenues bien vivantes jusqu’à la tragédie de 1945.

Nous retrouvons le même phénomène dans le cas russe. La tsarine Catherine II (à l’origine princesse allemande : Anhalt Zerbst) fit appel à des Allemands originaires de Hesse par le Manifeste du 22 juillet 1763. Comme dans les cas précédents, des mesures incitatrices furent présentées aux migrants : liberté religieuse, auto-administration des communes et des écoles, acquisition gratuite pour chaque famille de 30 à 80 desjatines de terres… .Par la suite, les successeurs de Catherine II ont prolongé cette politique de peuplement germanique en Russie jusqu’au milieu du XIXè siècle et sous les mêmes conditions. On estime qu’environ 100 000 Allemands se sont établis au cours de cette période en Russie.

Comme nous pouvons le constater, le phénomène d’autonomie accordé à tous les degrés ne concerne que les populations allemandes. La Révolution française et les guerres napoléoniennes réveillent les nationalités en Europe et en particulier le monde germanique. A partir du XIXè siècle, ce principe d’autonomie, qui au début était purement allemand, s’européanise.

B Régionalisme et protection des groupes ethniques, concepts allemands pour toute l’Europe jusqu’en 1945

Les volontés d’unification de l’Allemagne dans la première moitié du XIXè siècle se heurtent à de nombreux obstacles (rivalités austro-prussiennes, hésitation au sujet du régime politique à adopter …). Mais un autre problème (et de taille) surgit : où doit-on établir la frontière du germanisme ? En effet, un bloc compact germanique existe au coeur de l’Europe ; mais l’existence d’une multitude de communautés germaniques disséminées en Europe centrale et orientale depuis le Moyen-âge incite les intellectuels allemands à vouloir les intégrer  » aussi loin où l’on entend la langue allemande « , comme le suggère dès 1813 le poète nationaliste Ernst Moritz Arndt (so weit die deutsche Sprache zu hôren ist). Les événements de 1848 tentent de créer un Etat unitaire allemand englobant les provinces slaves et magyares de l’Empire autrichien des Habsbourg où résident en même temps des populations germaniques. Ces tentatives aboutissent à la constitution de mars 1849 qui, pour la première fois dans l’histoire européenne, accorde des avantages comme l’autonomie politique et culturelle aux populations non-allemandes. Comme le stipule l’article XIII § 188 de la constitution du 28 mars 1849 :  » Aux populations d’Allemagne qui ne parlent pas l’allemand, il est garanti un développement de leurs caractéristiques propres, notamment l’égalité en ce qui concerne leurs langues sur toute l’étendue de leurs territoires, à l’église, dans l’enseignement, au sein de l’administration et de la justice « . Cet article est l’ancêtre de tous les textes en faveur de la protection des minorités et des groupes ethniques en Europe.

Cependant, cette caractéristique s’accompagne de deux éléments indissociables de la part de ces nationalistes démocrates allemands : la création d’une entité économique européenne unie capable de s’opposer à la puissance dominante de l’époque, la Grande-Bretagne, et la fédéralisation de toute l’Europe, en priorité la France. Cette dernière est fédéralisée grâce à l’émergence de communes, de cantons et de provinces qui ont à leurs têtes des élus qui se répartissent en cinq groupes :

  1.  » Le groupe ‘oriental’ : Alsace, Lorraine, Bourgogne.
  2. Le groupe alpin et rhodanien.
  3. Les provinces de la Garonne ou de langue d’oc.
  4. Les provinces de Loire ou de langue d’oïl.
  5. Le groupe de la Seine et du Nord « .

Cette volonté hégémonique et ethniciste allemande sur l’Europe se traduit par des propos qui ne souffrent aucune ambiguïté comme l’atteste ce document du XIXè siècle :  » Le principe de la nationalité, de l’autonomie et de la décentralisation, du Selfgovernment de toutes les collectivités et communautés politiques est le cri de guerre général du présent. Des ethnies (Vôlkerschaften) tout à fait ignorées ou oubliées jusqu’ici surgissent en Europe, font valoir leur nationalité et gagnent en importance (…). Il faut dégager le substrat ethnique de la gangue étatique avant de procéder à de nouvelles combinaisons « .

Cette refonte complète de l’Europe s’accompagne de l’instauration d’un système fédéral dont les concepts s’opposent entièrement au cas français, type même d’Etat-nation, comme le souligne Julius Frôbel, chef de file du parti grand allemand fondé en 1862 :  » Si l’Allemagne abandonne le système fédératif et cherche son salut dans le centralisme, alors ce ne sera pas l’Allemagne, mais la France, la grande maîtresse de la centralisation, qui fera réapparaître sur la scène de l’univers l’Empire romain d’Occident. Le salut de l’Europe dépend de la possibilité de faire prévaloir le système fédératif (…). Tout Reich est une sorte de fédération et toute fédération mérite le nom de Reich « .

Ces principes sont récusés par le seul homme politique allemand – le chancelier Bismarck – à avoir compris que seule la politique du  » La vraie force est de savoir se limiter « , autorise l’émergence d’un Etat allemand respectueux de l’équilibre européen. Son départ de la chancellerie en 1890 enlève toute retenue de la part des autorités politiques du IIè Reich.

En effet, les ligues pangermanistes peu importantes mais très influentes – car les adhérants appartiennent à des postes hauts placés (industriels, parlementaires, universitaires… ) – incitent l’Allemagne de Guillaume II à réaliser les projets temporairement arrêtés par Bismarck. A la veille de la première guerre mondiale, une des figures de proue, Otto-Richard Tannenberg, résume en 1911 dans son ouvrage ‘Grande Allemagne’ la politique ethnique allemande :  » L’unification à l’intérieur des frontières ethniques allemandes, voilà la tâche du vingtième siècle (…). Il n’y aurait plus ni Romans ni Slaves, si toutes les tribus allemandes existaient aujourd’hui et avaient la force des Bas-Saxons. Les frontières de l’Europe seraient les frontières de l’Allemagne en Europe (… ) « .

Cette ambition semble se concrétiser avec le Traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918) où l’Allemagne contrôle désormais la Pologne russe, les Etats baltes et l’Ukraine. Mais la défaite sur le front occidental entraîne un effondrement des ambitions allemandes. Ces dernières reprennent cependant de la vigueur, par la voie politico-juridique, grâce à l’action du chancelier Gustav Stresemann.

En effet, gouverner étant prévoir, G. Stresemann rédige un mémoire le 13 janvier 1925 dont le titre est déjà tout un programme :  » La nécessité en politique extérieure d’un règlement du droit des minorités à l’intérieur du Reich correspondant aux besoins des minorités allemandes en Europe « . Subdivisant les minorités allemandes en quatre groupes : Allemands des frontières (Sudètes, Allemands de Pologne…), Allemands des Etats baltes, Allemands des rives du Danube, Allemands de Russie, le chancelier Stresemann leur attribue des missions économiques, politiques et culturelles à remplir au sein des Etats dans lesquelles elles résident afin de favoriser une mainmise du Reich sur l’Europe centrale et orientale. L’objectif final consiste, pour le chancelier, à réunir toutes ces  » tribus  » (Stàmme) allemandes au sein d’un même Etat. Mais leur rattachement entraînerait automatiquement l’annexion de vastes populations slaves et magyares. Afin de contourner ce problème, G. Stresemann propose de leur accorder une autonomie culturelle comme il le précise dans les propos suivants :  » La création d’un Etat dont la frontière politique comprendrait toutes les composantes du peuple allemand vivant à l’intérieur de territoires de peuplement allemand en Europe centrale et qui souhaitent l’annexion au Reich, est le but lointain des espérances allemandes ; la révision progressive, politique et économique, des clauses frontalières indéfendables du Diktat (corridor polonais, Haute-Silésie) ; le but premier de la politique extérieure allemande. Le mélange des nationalités en Europe centrale a pour résultat qu’aucun de ces objectifs proches ou lointains ne peut se réaliser sans qu’à côté de nos propres compatriotes, se joignent des individus de nationalités étrangères sous souveraineté allemande. Il est évident que les obstacles à une révision du Diktat se révéleraient, de ce fait, comme mineurs, une fois que l’opinion publique mondiale et les individus appartenant à une minorité étrangère, inclus lors de l’annexion, se sentiraient convaincus que toute minorité nationale à l’intérieur des frontières du Reich, se voit garantie et accordée, de fait, la plus totale liberté culturelle  » .

Les vues de G. Stresemann sont profondes, car il souhaite renforcer l’autorité de la SDN (entité supranationale) et permettre ainsi la création d’une  » Commission permanente des minorités  » – compte tenu que le Traité de Versailles a inclus dans ses textes l’obligation pour tous les Etats d’Europe centrale de protéger leurs minorités (initiative voulue par la franc-maçonnerie juive américaine ou B’nai B’rith) – dont le rôle serait de surveiller étroitement les Etats européens dans leur politique à l’égard des minorités. L’espoir secret du chancelier consiste à étendre ce concept à tous les Etats occidentaux. Cependant, la mort brutale du chancelier et la crise de 1929 empêchent l’accomplissement de ces desseins. L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 est une poursuite de la politique de Weimar, mais par la voie militaire.

Le rattachement de l’Autriche, des Sudètes, de Dantzig par Hitler était déjà prévu par les dirigeants de la République de Weimar, comme l’a souligné l’historien François-Georges Dreyfus. C’est seulement la brutalité avec laquelle Hitler procède qui tranche avec les années précédentes. A partir de la victoire de l’Allemagne sur la Pologne en 1939, il est décidé l’octroi de la nationalité allemande selon quatre critères (degré de connaissances de la langue allemande, … ) aux populations germaniques résidant dans ce pays. Ce principe souligne le caractère fortement ethniciste des autorités nazies. Cependant, il ne faut pas croire que cette approche racialiste est restée uniquement dans le cadre allemand. En effet, au cours de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne cherche à créer une Europe unie sous sa férule et pose des jalons dans la perspective de la victoire finale. De nombreux collaborateurs, issus des pays vaincus se joignent à l’entreprise allemande. Dans le cas de la France, nous pouvons relever des noms comme Jacques de Lesdain, membre du groupe collaboration et maître d’œuvre d’une exposition tenue au Grand Palais (juin 1941) intitulée  » La France européenne « . Mais le phénomène le plus éclairant dans cette européanisation des concepts allemands se traduit au niveau de la Waffen SS. En effet, cette armée d’élite, exclusivement allemande au début du conflit, s’européanise au point de rassembler à la fin de la guerre un effectif de 600 000 hommes et de 38 divisions. On trouve 19 divisions SS composées en majorité d’étrangers : Hollandais, Norvégiens, Danois, Flamands, Wallons, Français, Croates, Albanais (division SS musulmane), Ukrainiens, Hongrois … . Il ne faut pas voir la Waffen SS uniquement sous l’angle militaire. En effet, véritable Etat dans l’Etat, elle contrôlait de vastes secteurs de l’économie allemande et devait à la fin imprégner les esprits de l’idéal national-socialiste dans toute l’Europe. Le SS français Joseph Darnand le résumait ainsi en février 1944 dans la revue collaborationniste Devenir dirigée par le SS Marc Augier (ce dernier utilisait comme pseudonyme celui de Saint Loup dans ses ouvrages) :  » L’esprit SS n’est plus allemand ; c’est la nouvelle âme commune des jeunesses européennes « .

Cette volonté de créer une Europe unie s’est concrétisée dans la rédaction d’une carte de l’Europe fédérale des régions dont on trouve un prototype dans l’ouvrage de Saint Loup  » les SS de la Toison d’or  » . A l’observer de plus près, on constate que l’Etat européen forme un bloc uni composé uniquement de régions. Ces dernières bénéficient d’une autonomie régionale et culturelle totale. Les grands sujets (la diplomatie, la politique de défense, les grands problèmes économiques …) sont traités au sommet de cet Etat européen fédéral des régions. Cet idéal à atteindre avait été conçu par les dirigeants de la Waffen SS . La défaite de 1945 met à bas ces projets. Ils reprennent une vigueur inattendue dans le cadre de l’Union européenne.

C La germanisation des institutions européennes

De nombreuses personnalités dans les domaines politiques, économiques, journalistiques … se posent souvent la question suivante : Quel visage l’Europe va-t-elle prendre ? Ils semblent ignorer que tous les textes qui doivent modeler le corps européen existent. Il suffit donc de les réunir afin d’obtenir une vue précise de ce qui nous attend. Mais il faut aussi aller plus loin dans le recensement de tous ces textes européens. En effet, tout document est le fruit d’une élaboration qui très souvent s’étale sur de nombreuses années. Aussi, il est nécessaire de s’intéresser aux origines de ces textes, en d’autres termes, il s’avère capital de s’occuper du principe de causalité. Pour cela, nous déterminerons deux axes : celui ayant trait à la protection des minorités, pour ensuite nous occuper du cadre politique qui accompagne cette législation.

1) La Charte des langues régionales ou minoritaires et la Convention-cadre pour la protection des minorités.

Ces deux documents en faveur des minorités et des groupes ethniques sont l’aboutissement d’un long processus. Ils sont le résultat d’un institut européen qui en réalité est allemand : UFCE (L’Union fédéraliste des Communautés ethniques européennes ; le sigle allemand est FUEV : Fôderalistische Union Europàischen Volksgruppen). Fondé en 1949, il a le soutien financier du Land de Carinthie (Autriche), de la Région autonome du Trentin Sud-Tyrol, de la fondation Hermann Niermann (Dusseldorf) et du ministère de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne. La genèse de ces documents, amorcée déjà en 1956, prend tournure en 1967 lors du XVIIè Congrès de l’UFCE au Danemark. Elle se poursuit grâce à l’action de nombreux juristes allemands et autrichiens travaillant en liaison avec l’UFCE ainsi qu’avec le ministère des Affaires étrangères autrichien et le ministère de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne. Tous ces textes sont codifiés dans un ouvrage Ethnos 46 où sont répertoriés tous les acteurs ayant travaillé en faveur de son élaboration .

Les premières tentatives en faveur de la création de tout un code consacré à la protection des minorités commencent en 1984. En effet, le ministre-président de Bavière, Alfons Goppel , présente à cette époque une série de mesures directement issue du programme de l’UFCE. Cependant, en raison du caractère fortement novateur du programme, il échoue. Il est repris en 1988 par le comte von Stauffenberg. Ce dernier travaille en contact direct avec l’UFCE et présente, lors de son congrès en 1990 à Munich, le nouveau programme (légèrement remanié) . Mais comme dans le cas précédent, il échoue en raison de l’opposition de nombreux parlementaires européens effrayés des modifications énormes qu’apportent ces textes au sein des Etats de l’Union européenne. Le projet est repris en 1993 par un autre Allemand, avocat de son état, Siegbert Alber. Mais, lors du Sommet de Vienne en octobre 1993 et pour faciliter sa diffusion dans la législation européenne, ce programme éclate en quatre éléments : a) Une Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, b) une Convention-cadre pour la protection des minorités, c) un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, d) une Convention spéciale pour les droits à l’autonomie. Nous ne retenons que les points a et b. En effet, les deux derniers points n’aboutissent pas (pour le moment).

La Charte des langues régionales ou minoritaires est lancée par la résolution 192 (1988) sous la direction du rapporteur allemand Herbert Kohn, membre du comité juridique de l’UFCE. Lors du congrès de cet institut tenu en octobre 1988 à Anvers, H. Kohn résume cette politique à l’égard des langues minoritaires par les propos suivants :  » La protection, l’élaboration et la promotion des langues régionales et minoritaires est une question centrale de la politique en Europe et pour l’Europe (…). La reconnaissance du droit de tous les Européens à se servir de leur propre langue, la garantie de ce droit dans différents secteurs de la vie grâce à une Charte européenne peut aboutir au fait que les locuteurs des langues régionales et minoritaires (…) se sentent chez eux dans leur pays et dans la maison européenne comme les membres loyaux d’un tout  » . Cette résolution est adoptée lors de la session des 15 et 17 mars 1988. Acceptée par le Comité des ministres le 25 juin 1992 et nécessitant cinq ratifications, elle entre en vigueur le 1er mars 1998. Cette Charte présente un éventail de mesures en faveur de la protection des langues minoritaires dans tous les domaines (éducation, justice, administration, et en particulier l’amélioration des échanges frontaliers).

La Convention-cadre pour la protection des minorités se développe durant l’année 1994 dans le cadre du ‘Comité ad hoc pour la protection des minorités nationales’ (le CAHMIN). Achevée en octobre 1994, cette Convention-cadre est adoptée par le comité des ministres du Conseil de l’Europe le 10 novembre 1994. Nécessitant douze ratifications, elle entre en vigueur le 1er février 1998. Ce document bénéficie du soutien de nombreux documents, en particulier le chapitre IV du Document de Copenhague (juin 1990), la commission européenne pour la Démocratie par le Droit (appelée aussi Commission de Venise) et la recommandation 1201. Ces textes sont directement issus de la science juridique des pays de langue allemande. Après le fractionnement du programme de l’UFCE par le Sommet de Vienne en octobre 1993, la Convention-cadre prend forme durant l’année 1994. Nous avons eu l’occasion de citer le ministère de l’intérieur de la République fédérale d’Allemagne parmi les soutiens à l’UFCE. Ce soutien se concrétise par la présence d’un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur allemand : Rolf Gossmann. C’est le même haut fonctionnaire qui participant aux séances du CAHMIN permet de faire passer l’essentiel du programme de l’UFCE dans ce document européen juridiquement contraignant.

Ce texte reconnaît l’existence de groupes ethniques à qui il est accordé un maximum de facilités dans les domaines aussi variés que la culture, les médias, l’éducation, les affaires publiques et des facilités transfrontalières quand une minorité existe de part et d’autre d’une frontière d’Etat. Cette reconnaissance du phénomène identitaire oblige à la création au sein de l’UE d’un encadrement politique qui protège tous ces particularismes. Le fédéralisme, avec son principe d’autonomie à tous les degrés, en est le support.

2) L’encadrement politique dans l’Union européenne, un système allemand élargi

La reconnaissance des groupes ethniques en Europe aboutit à la création de trois documents européens qui bouleversent complètement les structures des Etats-nations. La Convention-cadre sur la coopération transfrontalière (appelée aussi Charte de Madrid), la Charte de l’autonomie locale et la Charte de l’autonomie régionale. Ces textes sont à l’origine allemand et accompagnent tous les documents européens (allemands comme nous l’avons vu) en faveur de la protection des minorités en Europe.

La Convention-cadre sur la coopération transfrontalière

Cette Convention est appelée aussi Charte de Madrid. Elle est le résultat d’un institut européen, l’ARFE (Association des Régions Frontalières Européennes). Cependant, le terme ‘européen’ est trompeur. En effet, cet institut est entièrement allemand. Ses fondateurs, ses présidents et secrétaires-généraux viennent tous d’Outre-Rhin. L’objectif de cet institut consiste par la création d’une entité territoriale de part et d’autre de la frontière d’un Etat, appelée eurorégion, à faire disparaître cette frontière dans le but d’améliorer les échanges économiques, d’assurer une meilleure entente et compréhension entre pays voisins … etc. Les textes fondateurs de cet institut le stipulent sans ambages :  » L’objectif de l’action menée au sein des régions transfrontalières et le but poursuivi au travers de la coopération transfrontalière sont la suppression des obstacles et des facteurs de distorsion existant entre ces régions, ainsi que le dépassement de la frontière, tout au moins la réduction de son importance à une simple frontière administrative « . Cet objectif fondamental explique pourquoi les Basques et les Catalans sont les adhérants les plus actifs au sein de l’ARFE. L’existence d’eurorégions le long de la frontière germano-polonaise (Oder-Neisse) et de la frontière germano-tchèque – frontières qui doivent devenir administratives – explique le soutien des réfugiés allemands originaires de Silésie, de Poméranie, du pays Sudète … . En effet, dans le cadre de l’adhésion de la Pologne, mais aussi de la République tchèque à l’Union européenne, il est possible pour les populations allemandes expulsées après 1945, de revenir en toute légalité sur la terre de leurs ancêtres, dans leur Heimat. Ce principe prend d’autant plus de valeur que l’article 7 de la Charte des langues régionales ou minoritaires et l’article 17 de la Convention-cadre pour la protection des minorités stipulent que les frontières d’Etat ne doivent pas poser de problèmes pour les minorités et les échanges frontaliers. D’une certaine manière, tout s’additionne.

Charte de l’autonomie locale

Cette Charte est lancée par la résolution 126 (1981) . Elle consiste à accorder une autonomie au niveau local dans tous les domaines : droit de régler et de gérer sous leur propre responsabilité une part importante des affaires publique … (art. 3), droit à disposer de ressources financières propres suffisantes … (art. 9), protection légale de l’autonomie locale (art. 11) … . Ce document est une aubaine pour toute minorité résidant sur une surface réduite et soucieuse de conserver intacte son particularisme. Mais la véritable genèse de cette résolution 126 (1981) repose sur un rapport, véritable Magna carta de l’autonomie locale,  » les Institutions régionales en Europe  » de A. Galette qui, malgré son nom typiquement français, est allemand. C’est ce rapporteur qui, s’appuyant sur son travail, donnera la touche finale à la Charte de l’autonomie locale.

La Charte de l’autonomie régionale

Cette Charte est, si l’on peut dire, le dernier né de la panoplie fédéraliste. Ce document est l’exact reflet de la pensée fédérale allemande. Il est vrai que ses concepteurs viennent d’Outre-Rhin. C’est la recommandation 34 (1997) qui lance le principe de  » landerisation  » de toute l’Europe. Le rapporteur est l’allemand Peter Rabe. Cependant, le projet avait déjà les faveurs de nombreux dirigeants allemands. Il faut savoir que c’est à l’initiative du gouvernement du Land de Basse-Saxe qu’un premier projet de Charte a été présenté à Hanovre le 22 mars 1996. Il est bon de rappeler que son ministre-président de l’époque est l’actuel chancelier Gerhard Schrôder. Cette Charte permet à chaque région une autonomie complète dans tous les domaines (administratif, éducatif, financier …) à l’égard du pouvoir central. Mais surtout, elle inclut dans son fonctionnement interne toute la législation en faveur de la protection des minorités. Par conséquent, nous assistons à l’émergence de provinces politiquement autonomes et fortement teintées de caractéristiques linguistiques et culturelles contraires à celles de l’Etat-nation ; ce dernier ne reconnaissant qu’une seule langue (article 2 de la Vè République : la langue de la République est le français) et une seule autorité, la sienne.

Si la France s’engage dans cette voie, c’est tout simplement le retour à l’Europe féodale, le retour à l’Europe de l’an mil. La ratification de ces documents signifie son arrêt de mort. Après tant d’épreuves surmontées, il serait bien triste qu’une si belle civilisation vieille de plus de vingt siècles disparaisse au son d’un hymne européen qui même là est allemand (l’Ode à la joie) et dont les accents feraient plutôt penser à un Requiem à une nation défunte.

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