Un parfum de guerre froide en Amérique latine : l’arrivée de la russie dans le « pré carré » des états-Unis

Bruno MUXAGATÛ

Doctorant en relations internationales (Université de Cergy-Pontoise/Université de Brasilia) et enseignant à l’Université de Paris III Sorbonne Nouvelle.

Un rapprochement entre l’Amérique latine et la Russie s’est opéré ces derniers mois dans un contexte de tensions américano-russes (bouclier antimis­sile ; crise géorgienne). Les Russes paraissent ainsi vouloir s’implanter dans le « pré carré » traditionnel américain en réponse à l’immixtion des Etats-Unis dans les affaires caucasiennes.

Le président vénézuélien, Hugo Chavez, tire habilement profit de cette confron­tation pour promouvoir « l’anti-impérialisme » et renforcer sa position au niveau régional.

Plusieurs événements sans liens directs ont contribué à élever la tension en Amérique du sud, dans le contexte plus large de la confrontation diplomatique entre les Etats-Unis et la Russie : la crise en Bolivie et le déploiement d’unités mili­taires russes au Venezuela.

Il est intéressant de constater que la Bolivie a été confrontée comme la Géorgie à des revendications sécessionnistes et que parallèlement :

  • dans le Caucase, les Américains plaident pour le respect de l’intégrité ter­ritoriale en opposition aux Russes qui soutiennent les sécessionnistes ossètes et abkhazes ;
  • alors qu’en Amérique du Sud, les Américains semblent soutenir les provinces en rupture de ban tandis que les Russes, en s’affichant aux côtés du Venezuela, se rangent du côté des défendeurs de l’intégrité territoriale.

issue du sommet de la coopération Asie-Pacifique (APEC) organisé les 21 et 22 novembre 2008 au Pérou, le président russe Dmitri Medvedev a effectué une tournée qui l’a mené dans quatre pays latino-américains : Pérou, Brésil, Venezuela et Cuba. Les visites du dirigeant russe avaient des allures de défi lancé aux Etats-Unis. Son séjour notamment au Venezuela coïncidait avec des manoeuvres sans précédent des marines russe et vénézuélienne dans la région.

Les éléments de rapprochement russo-latino-américain

Effectuant dans la foulée du sommet APEC sa première visite officielle au Pérou, le président russe a signé avec son homologue péruvien, le social-démocrate Alan Garcia, des accords de coopération relatifs aux secteurs militaire, scientifique et culturel, ainsi qu’à la lutte antidrogue et à la promotion du commerce extérieur. Les deux chefs d’Etat ont décidé de construire au Pérou un centre de maintenance et de réparation d’hélicoptères de fabrication russe. Ce centre sera le premier de ce type en Amérique latine. Le Pérou espère y vendre ses services à d’autres pays de la région dont la défense repose aussi partiellement sur des appareils et équipements russes.

Suite à la visite de M. Medvedev au Brésil (25 novembre 2008), les présidents russe et brésilien ont décidé d’approfondir leurs relations commerciales1 et d’élargir leur coopération spatiale, militaire et énergétique. Lula souhaite acheter des équi­pements russes pour les nouvelles usines hydroélectriques en construction au Brésil et obtenir la coopération dans le développement de son réseau ferroviaire. Un ac­cord conclu entre l’Agence spatiale brésilienne et l’agence fédérale russe Roscosmos établit un mécanisme de coopération pour l’usage et le développement du système russe de navigation globale par satellite, appelé Glonass (concurrent du système américain GPS et du futur système européen Galileo). L’achat de 12 hélicoptères d’attaque MI-35M a par ailleurs été ratifié. Dans un mémorandum signé par les deux présidents, ceux-ci affirment que ce contrat ouvre la voie « à une coopération technico-militaire russo-brésilienne dans d’autres projets d’intérêt réciproque ». A cet égard, il convient peut-être de rappeler que la Russie et le Brésil sont de grands constructeurs aéronautiques. Le président russe s’est aussi rendu au siège de la com­pagnie brésilienne du pétrole, Petrobras. La compagnie publique russe Gazprom, dont Medvedev est l’un des ex-présidents, a annoncé son intention d’ouvrir une représentation à Rio et de négocier une association avec Petrobras pour la prospec­tion et l’exploitation au Brésil de gisements de gaz et de pétrole2. La compagnie brésilienne dit vouloir « intensifier les relations avec Gazprom au Brésil et dans des pays tiers ». Au niveau politique, le président brésilien a soutenu l’entrée de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui se négocie depuis 15 ans, et remercié Moscou de son appui à l’objectif du Brésil « d’obtenir un siège permanent » au Conseil de sécurité de l’ONU.

Arrivé le 26 novembre à Caracas, M. Medvedev avait inauguré de manière sym­bolique avec son homologue Hugo Chavez, chef de file de la gauche radicale en Amérique latine, des manoeuvres navales inédites entre les flottes des deux pays. Ils ont en outre signé sept accords, dont un dans le nucléaire civil3, pour permettre la diversification des ressources énergétiques vénézuéliennes (Caracas ayant depuis longtemps émis le souhait de disposer d’une centrale nucléaire). Le directeur géné­ral de Rosatom (holding russe de l’énergie atomique) Sergueï Kirienko et le ministre vénézuélien de l’Énergie et du Pétrole, Rafael Ramirez Carreno, ont signé l’accord cadre en présence des présidents des deux pays. Le nouvel accord jette les bases de la coopération bilatérale dans la synthèse thermonucléaire contrôlée, la sécurité des installations nucléaires et des sources de radiation, la conception, la construction, l’exploitation et le démantèlement des réacteurs de recherche et des centrales nu­cléaires. Il porte également sur la production des radio-isotopes et leur utilisation dans l’industrie, la médecine et l’agriculture, sur la sûreté nucléaire et l’étude de l’influence de l’énergie atomique sur l’environnement, la prospection et l’exploita­tion des gisements d’uranium et de thorium et leur utilisation à des fins pacifiques, ainsi que sur le développement de l’infrastructure du nucléaire civil. La Russie et le Venezuela effectueront des exportations de matières fissiles, d’équipements, de matières spéciales non nucléaires et de technologies4. Dans le domaine pétrolier, le groupe public vénézuélien PDVSA et un consortium de compagnies russes (Lukoil et Gazprom) ont signé un accord d’évaluation et d’exploitation pétrolière dans la Ceinture de l’Orénoque (Est vénézuélien) avec l’espoir d’une production à terme d’un million de barils par jour. Si ce projet devait se concrétiser, il s’agirait de la plus puissante alliance pétrolière au monde. Ces coopérations s’inscrivent dans la dyna­mique de rapprochement russo-vénézuélien. Entre 2005 et 2007, Caracas a passé avec Moscou douze contrats d’armement d’un montant de 4,4 milliards de dollars, lui achetant notamment 24 avions de chasse Sukhoï, 50 hélicoptères de combat et 100.000 fusils d’assaut Kalachnikov.

Premier président russe à visiter Cuba depuis huit ans, M. Medvedev s’est entre­tenu le 27 novembre à La Havane avec son homologue Raul Castro, frère et succes­seur de Fidel. Les relations entre les deux pays s’étaient détériorées après la chute de l’URSS en 1991, qui avait entraîné une grave crise économique à Cuba. Moscou a annoncé une ligne de crédit de 335 millions de dollars pour l’achat d’équipements russes par La Havane dans les secteurs du pétrole, des mines et des transports (Cuba souffrant toujours de l’embargo américain instauré en 1962).

Pour marquer la continuité des relations russo-latino-américaines, le président russe a, à son tour, reçu au Kremlin ses homologues nicaraguayen (18 décembre), cubain (4 février) et bolivien (16 février).

Pour la Bolivie, le géant Gazprom pourrait investir 3 milliards de dollars dans l’exploration de nouveaux gisements d’hydrocarbures. Du côté militaire, l’entente prévoit notamment la livraison d’hélicoptères russes à La Paz. Mais le président russe a précisé que d’autres produits militaires pourraient s’ajouter à cette liste.

Avec le Nicaragua du sandiniste Daniel Ortega, les Russes ont signé une série d’accords, notamment dans le domaine de l’énergie et de l’espace, en l’occurrence sur le système de navigation Glonass.

Enfin, Moscou et la Havane ont conclu de nouveaux accords qui se sont ajoutés au prêt russe consenti aux Cubains en novembre dernier. Ces accords concernent notamment l’industrie agroalimentaire, la pêche, la coopération en matière d’édu­cation et scientifique, le sport et le tourisme.

La présence d’unités militaires russes au Venezuela

Le 10 septembre 2008, deux bombardiers russes TU-160 avaient atterri à Palos Negros au Venezuela pour participer à des manoeuvres conjointes avec les forces armées bolivariennes de Chavez. Il s’agit de bombardiers stratégiques, parfois ap­pelés « Blackjacks » (selon la terminologie de l’OTAN), capables de transporter des missiles nucléaires.

En décembre dernier, un entraînement conjoint a également eu lieu, cette fois avec les forces navales des deux pays, au large du Venezuela. Des exercices opéra­tionnels en mer des Caraïbes, baptisées « VenRus 2008 », ont engagé 1.600 hommes de la flotte russe5 et, côté vénézuélien, 700 hommes, trois frégates, un engin am­phibie et huit patrouilleurs, ainsi que deux avions de chasse russes Sukhoï, récem­ment achetés à Moscou. Outre l’échange de technologies, il s’agissait d’exercices de navigation, de sauvetage et de communication mais aussi d’opérations de défense anti-aérienne et de lutte contre le trafic de drogue, selon la marine vénézuélienne.

Ces manœuvres ont été présentées par les Russes dans des termes délibérément calqués sur ceux choisis par l’OTAN pour banaliser celles en mer Noire : « c’est un événement programmé depuis longtemps et qui n’est en rien lié à la situation dans le Caucase ». De son côté Hugo Chavez avait justifié la présence d’unités militaires russes au Venezuela en parlant de « riposte » à la réactivation de la IVème Flotte étatsunienne en Amérique latine.

Le Venezuela, soumis à un embargo américain, qui empêche le maintien en condition de ses matériels de fabrication ou comptant des pièces américaines, a trouvé en la Russie un fournisseur insensible aux pressions des Etats-Unis. Il a déjà acquis auprès d’elle des chasseurs Sukhoï, un système de défense sol-air et des armes légères. Des sous-marins sont aussi en cours de négociation. Cette relation arme­ment, qui permet à la Russie de remettre le pied en Amérique du Sud, se voit logiquement aujourd’hui prolongée par une relation militaire. Elle vient servir les intérêts russes au moment où la Russie se replace sur la scène internationale et a amorcé un bras de fer avec les Etats-Unis. Le Venezuela offre ainsi aux Russes un point d’appui en Amérique latine qui se substitue à Cuba.

Le déploiement temporaire d’unités russes au Venezuela a surtout une signifi­cation symbolique. Les Russes envoient un message clair aux Occidentaux. Si ces derniers décident d’empiéter sur la sphère d’influence russe, Moscou prouve qu’il a les moyens de riposter.

La réactivation de la IVème flotte des États-Unis

La décision de réactiver la IVème Flotte de l’US Navy6, au large du sous-conti­nent latino-américain, a été prise dans un contexte particulier. Elle a en effet été annoncée en avril 2008, presque un mois après que le territoire équatorien ait été victime d’une attaque lancée par la Colombie (grand allié des Etats-Unis dans la ré­gion), et ayant causé notamment la mort d’un des principaux dirigeants des FARC. Cette action militaire, ayant bafoué les règles du droit international, avait été dé­noncée par les dirigeants latino-américains.

L’objectif annoncé des Américains est de combattre le terrorisme et les activi­tés illicites telles que le trafic de drogue. Mais on ne peut s’empêcher de voir un message adressé au Venezuela « anti-impérialiste » d’Hugo Chavez et au reste de la région.

À Montevideo, le 29 juillet 2008, le Parlement du MERCOSUR7 avait forte­ment critiqué le retour de la IVème Flotte dans les eaux sud-américaines et avait averti qu’une telle décision impliquait plus d’insécurité et d’instabilité dans la région. Les députés de l’organisation avaient ajouté que les bâtiments de guerre américains « ne sont pas nécessaires dans une région pacifique et démocratique, qui compte résoudre ses conflits par la négociation et en respectant le principe de non-intervention »8.

Le Brésil se sent particulièrement concernée par cette décision. Les Brésiliens voient en cette nouvelle présence militaire américaine un lien direct avec la récente découverte d’importantes réserves pétrolifères au large de leurs côtes.

Une guerre froide en plusieurs étapes

Ce qui a déclenché la série d’hostilités russo-américaines a été l’épisode de la crise géorgienne en 2008. Le président géorgien, Mikhail Saakashvili, se livrait à une attaque surprise contre les enclaves dissidentes de l’Ossétie du Sud et d’Abkha-zie, toutes deux ayant des frontières avec l’ancienne Union soviétique et étant pro­fondément ancrées dans la sphère d’influence de la Russie. Cette dernière a réagi instinctivement en intervenant à son tour militairement.

La reconnaissance du Kosovo comme Etat souverain par l’Otan à l’instigation de Georges Bush, l’été dernier, avait brutalement rouvert des blessures. La recon­naissance également de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie rappelle les réponses du « tac au tac » du temps de l’ancienne guerre froide. L’intégration dans l’OTAN d’anciens alliés du Pacte de Varsovie (l’Ukraine et la Géorgie sont dans les starting-blocks) avaient déjà irrité les dirigeants russes.

Et maintenant, la nouvelle guerre froide se joue aux Amériques. Les manoeuvres russo-vénézuéliennes constituent la nouvelle manche de cette partie d’échecs mon­diale. Cette nouvelle guerre froide n’est plus idéologique mais énergétique. Le Venezuela et la Russie sont tous deux des royaumes pétroliers9.

En août 2008, de nombreux Etats latino-américains avaient condamné l’inter­vention géorgienne (contre l’Ossétie du Sud) et la politique des Etats-Unis dans le Caucase. Le Nicaragua avait même officiellement reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud (seul pays dans le monde en dehors de la Russie à l’avoir fait).

Le rôle central du président Chavez au sein de « l’axe anti-américain » : enjeux et perspectives

La diplomatie étatsunienne a dû faire face en 2008 aux deux crises, bolivienne et géorgienne, dans lesquelles elle a été indirectement impliquée. Elle risque de voir se lever devant elle un axe anti-américain russo – latino-américain regroupant le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua. Les Etats-Unis ont subi une fronde sur plusieurs fronts qui les ont mis dans une situation délicate. L’axe anti-américain n’a aucun intérêt à ce que le contexte international s’apaise. Ces différentes crises constituent des opportunités à exploiter pour tous les pays voulant s’affirmer vis-à-vis de la super-puissance américaine.

Le président vénézuélien profite de la détérioration des relations russo-améri­caines (depuis la crise géorgienne) pour construire une véritable alliance stratégique avec les Russes et donner plus de poids à son combat contre l’influence américaine en Amérique latine. Ainsi la présence des bombardiers russes a constitué un « aver­tissement » à Washington et nargue les Etats-Unis dans leur zone d’influence régio­nale. Pour la première fois depuis l’éclatement de l’Union soviétique, Chavez a su replacer l’Amérique latine comme théâtre d’affrontement entre grandes puissances.

Sur la crise bolivienne10, par solidarité avec Evo Morales, Chavez avait décidé de renvoyer l’ambassadeur américain à Caracas et ordonné le retour de son ambas­sadeur de Washington. Il avait également prévenu les adversaires du président boli­vien qu’il réprimerait par la force toute tentative de putsch à l’encontre de son allié, en ajoutant qu’il était prêt à « créer un, deux ou trois Vietnam ». Dans cette crise, la position des Américains avait été pour le moins ambiguë puisque l’ambassadeur s’était rendu régulièrement dans les départements en sécession pour en rencontrer les préfets.

Tous ces événements confortent Chavez dans son désir de devenir le chef de file de l’anti-américanisme dans le monde. Le président vénézuélien essaie de dévelop­per depuis plusieurs années les relations avec les pays faisant partie de « l’Axe du mal » comme l’Iran, la Syrie, la Libye et la Biélorussie. Le rapprochement avec une puissance telle que la Russie est une aubaine pour Chavez qui peut compter ainsi sur un allié de poids.

Dans ce contexte, l’objectif du président vénézuélien est d’instrumentaliser toutes les crises dans lesquelles les Etats-Unis sont directement ou indirectement impliqués, afin d’agrandir le « front du refus ». La haine que voue Chavez à l’ex­-président Bush, qu’il accuse d’avoir voulu le renverser en mars 2002, l’a aveuglé au point de ne plus se rendre compte que le Venezuela est encore et restera lié écono­miquement aux Etats-Unis (le Venezuela est le cinquième fournisseur pétrolier des Etats-Unis, mais aussi son premier client commercial). Si les Etats-Unis décidaient de prendre des sanctions importantes à l’encontre du Venezuela (tel un embargo total), c’est toute l’économie vénézuélienne qui s’effondrerait. Le régime d’Hu­go Chavez, basée sur la « pétro-diplomatie », survivrait difficilement à une telle épreuve. Le Venezuela doit en plus faire face actuellement à une baisse spectaculaire de « l’or noir ». Son pouvoir d’influence paraît ainsi considérablement mis à mal.

L’administration Bush avait un réel mépris pour le leader bolivarien et ne le considérait, au mieux, que comme un simple « trublion » à l’instar de Fidel Castro son père spirituel. Ils n’avaient de surcroît aucun intérêt à couper totalement les échanges avec le Venezuela (et à fortiori entrer en conflit armé), à la vue de la forte dépendance énergétique des Etats-Unis avec le pays sud-américain. Avec Barack Obama, des signes de changements dans la diplomatie américaine ont déjà été constatés, notamment en direction de l’Amérique latine. Tout porte à croire que le nouveau président sera plus pragmatique et cherchera la normalisation des relations des Etats-Unis avec l’ensemble du sous-continent latino-américain.

De son côté, le président vénézuélien avait dans un premier temps félicité M. Obama pour son « élection historique » et exprimé sa volonté d’établir de « nou­velles relations » avec les Etats-Unis et relancer « un agenda bilatéral constructif » pour le bien-être des deux peuples11. Mais récemment le leader bolivarien affirmait n’avoir « plus de grands espoirs » avec son homologue américain, au lendemain de la publication d’un rapport critique à son encontre sur le thème des droits de l’Homme : « Il ne faut plus nourrir de grands espoirs avec ce nouveau gouver­nement qui continuera d’être impérialiste »12. Publié par le département d’Etat américain, le rapport range le Venezuela parmi les pays où la situation des droits de l’Homme s’est détériorée en 2008. S’ajoute à cela les accusations de l’actuel prési­dent américain à l’encontre d’Hugo Chavez qu’il accuse de soutenir le terrorisme (FARC) et d’être un frein au développement de la région.

Conclusion

Ce « retour » de Moscou en Amérique latine, notamment au Venezuela et à Cuba, deux bêtes noires de Washington, s’effectue dans un contexte de tensions avec les Américains. La Russie veut réagir aux signes de la présence militaire américaine dans sa zone d’influence, à savoir l’installation prévue du bouclier antimissile américain en Europe centrale, l’adhésion éventuelle de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN, ainsi que la présence en mer Noire de navires de guerre américains qui ravitaillent la Géorgie. Plus généralement, la Russie veut retrouver une partie de son prestige et peser dans un monde multipolaire, en mettant fin au monopole établi par les Etats-Unis.

Quant aux manoeuvres militaires conjointes russo-vénézuéliennes, elles sont avant tout symboliques. Elles servent à démontrer que l’Amérique latine ne peut plus être considérée comme l’arrière-cour des États-Unis. Elles prouvent également que le Venezuela de Chavez n’est pas isolé au niveau international et qu’il peut compter sur l’appui de la puissance russe. Il est par ailleurs intéressant pour la Russie de prendre pied dans cette zone d’influence américaine pour des raisons politiques mais aussi économiques.

C’est sur leur propre continent que les Etats-Unis sont défiés par Moscou et Caracas. Des conséquences régionales peuvent alors être envisagées.

Hugo Chavez pourrait, dans sa logique bolivarienne, espérer tirer un certain nombre d’avantages de la nouvelle dimension stratégico-militaire de ses relations avec Moscou. Le Venezuela peut ainsi vouloir relativiser la prépondérance du Brésil. Dans la compétition pour le leadership régional (opposant le Brésil social-démo­crate et le Venezuela de la gauche radicale), le soutien de la Russie peut permettre à Caracas de remettre en cause la suprématie brésilienne.

Néanmoins, le leader bolivarien ou l’Amérique latine peuvent craindre des re­tombées négatives d’une forte complicité militaire entre Caracas et Moscou. Le rap­prochement avec les Russes pourrait rendre difficile le fonctionnement du Conseil de défense sud-américain , cher aux Brésiliens. La logique de confrontation adoptée par Chavez pourrait déplaire aux pays modérés latino-américains, ce qui nuirait à tout type de projet d’intégration régionale en matière de défense.

Le rapport de force semble aujourd’hui changé en Amérique latine avec l’arri­vée de la Russie. Le président américain Obama aimerait rompre avec la politique étrangère de son prédécesseur, notamment en direction de l’Amérique latine, mais tout porte à croire que la tâche sera des plus ardues face aux gouvernements de la gauche radicale qui continuent à promouvoir « l’anti-impérialisme ».

 

Notes

  1. Les échanges commerciaux bilatéraux surpassaient 7,3 milliards de dollars pour la seule année 2008.
  2. « La Russie a redécouvert l’Amérique latine : bilan de la tournée du président Medvedev », LatinReporters, 30 novembre 2008.
  3. Actuellement seuls deux pays sud-américains, l’Argentine et le Brésil, possèdent des réacteurs et développent une coopération bilatérale dans le domaine de la recherche sur le nucléaire civil depuis novembre 2005.
  4. Dans le respect du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) du 1er juillet 1968 et les autres traités et accords internationaux réglementant le contrôle des exportations dont les deux pays sont signataires.
  5. La flotte russe comprend le croiseur à propulsion nucléaire « Piotr Veliki » (Pierre le Grand), le destroyer « Admiral Tchabanenko », le tanker « Ivan Bubnov » et le remorqueur « Nikolaï Chiker ».
  6. Créée en avril 1943, durant la Deuxième Guerre Mondiale, elle fut désactivée en 1950.
  7. Organisation régionale composée du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay, du Paraguay et du Venezuela.
  8. « MERCOSUL rejeita o regresso da IV Flota dos Estados Unidos a aguas sul-americanas », Jornal de noticias, 30 juillet 2008.
  9. John Ross, « Flashbacks from My Red Diaper Youth, A New Cold War Comes to Latin America », Counterpunch, 22 septembre 2008.
  10. Depuis l’accession au pouvoir d’Evo Morales (premier président amérindien) en 2006, l’Etat bolivien est confronté à des revendications sécessionnistes dans cinq de ses neuf départements. Cette crise politique grave a pour origine la mise en œuvre, par la majorité présidentielle, des réformes économiques et constitutionnelles. Celles-ci rencontrent de vives résistances au sein des élites économiques créoles des départements à l’est du pays (les plus riches en hydrocarbures). Des manifestations violentes, opposant principalement des groupes armées et organisés de l’opposition à des militants progouvernementaux, ont lieu régulièrement.
  11. « Chavez félicite Obama », Le Figaro, 5 novembre 2008.
  12. Formé en décembre 2008, le Conseil sud-américain de défense est un organisme de l’Union des Nations sud-américaine (regroupant les douze pays du cône sud). Il s’agit d’un organisme de prévention des conflits qui vise également l’harmonisation des politiques de défense et des complémentarités dans l’industrie d’armement.
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